Dossier

André Belleau : relire l’essayiste[Record]

  • David Bélanger,
  • Jean-François Chassay and
  • Michel Lacroix

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  • David Bélanger
    Université du Québec à Montréal

  • Jean-François Chassay
    Université du Québec à Montréal

  • Michel Lacroix
    Université du Québec à Montréal

On aura souvent dit qu’André Belleau était, par l’esprit, le « Barthes québécois ». Belleau aurait sans doute opposé à ce rapprochement, s’il l’avait entendu de son vivant, la phrase d’Édouard Glissant : « Il faut avoir sa capitale en soi-même » ; à défaut de quoi, écrit justement l’essayiste à propos de cette phrase : Tout le problème viendrait du fait que le modèle légitime, la France, définirait les catégories d’ici. Si une telle comparaison risque de renvoyer Belleau, avec Barthes, au-delà de « notre milieu », on doit tout de même admettre qu’il y a bel et bien un intertexte barthésien chez Belleau qui reprend des notions, des traits d’écriture, des jeux avec les formes, et reproduit le choc entre plaisir du texte et inventivité théorique. Par ailleurs, la comparaison nous permet de voir que, quarante ans après leur mort, Barthes est devenu l’une des figures emblématiques de la littérature, générant études savantes, biographies prestigieuses et même fictions, alors que Belleau est au contraire peu connu du grand public et très peu étudié en tant qu’écrivain. Or, il a été l’un de nos grands écrivains, l’un de nos grands intellectuels. Du conflit des codes au coeur de l’écriture québécoise, conflit entre le code littéraire français et le code socioculturel québécois, à la difficile légitimité de l’essai, en passant par le romancier fictif et les travers de la société québécoise — notamment son anti-intellectualisme —, André Belleau a ouvert nombre de chantiers. Ces quatre chantiers, auxquels ne se réduit pas son oeuvre, tant s’en faut, lui donnent sa cohérence et se caractérisent par une poétique de la reprise qu’il convient de souligner : Belleau pense toujours dans la dualité, opposant la nature à la culture, la culture populaire à la culture sérieuse, le code littéraire au code social, l’idéologie populaire au système de pensée intellectuel. Déjà il écrivait dans son Romancier fictif que ce « modèle duel […] appelle des considérations de nature quasi anthropologique sur le statut de la culture, sur le conflit latent nature-culture au Québec et en Amérique du Nord ». Ces considérations anthropologiques, centrales dans la pensée de Belleau, ne seront nulle part plus manifestes que dans l’autre grand chantier de l’essayiste, hérité directement de Mikhaïl Bakhtine : le carnavalesque. Parce qu’il offre une contrepartie à l’anti-intellectualisme sévissant dans la société québécoise, le roman serait habité d’une force carnavalesque : la culture sérieuse s’y verrait rabaissée par la culture populaire, dès lors discursivement dominante. L’exemple type du carnavalesque se trouverait, selon Belleau, dans Une saison dans la vie d’Emmanuel, où Jean Le Maigre écrit et dissimule ses écrits dans les toilettes, ramenant ainsi ses poèmes au bas corporel. Tous ces chantiers ont été repris, rediscutés, réinvestis après la mort précoce de l’essayiste, parfois pour être dépliés par les nouveaux critiques — Le romancier fictif est une oeuvre de référence sur la question de la métafiction, au Québec —, parfois quelque peu délaissés dans les études littéraires contemporaines : ainsi, les travaux sur le conflit des codes et le carnavalesque ont connu des fortunes diverses à travers les années. Mais ce n’est pas tant en fonction du destin des concepts d’André Belleau qu’est apparue la nécessité d’un double dossier sur son oeuvre. C’est plutôt parce que les écrits de Belleau n’ont jamais été considérés en tant qu’oeuvre qu’il fallait y venir. Il semble qu’en publiant ses articles savants dans la revue de critique et de création Liberté, et en publiant ses essais libres dans la revue universitaire Études françaises, Belleau ait voulu entretenir l’ambiguïté sur le statut de ses différentes productions. Il fallait deux …

Appendices