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Tout plein d’effets de réel[Record]

  • Jonathan Livernois

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  • Jonathan Livernois
    Université Laval/Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ)

Ceux qui ont lu Marie-Ève Thérenty, Micheline Cambron et Guillaume Pinson savent que la presse et la littérature ont non seulement profité de nombreuses zones de contact au xixe siècle, mais qu’elles se sont aussi et surtout influencées. Rythme, posture, ton, fiction : c’est au sein de cette même culture médiatique qu’elles se sont développées, conjointement, s’empruntant forme et fond. Cela va presque de soi quand on pense à la littérature bas-canadienne : au xixe siècle, cette dernière est-elle ailleurs que dans les colonnes des journaux, juste avant un extrait du traité d’agriculture de Joseph Perrault ou de la Revue encyclopédique sur le moyen de préserver les grains et le pain des souris ? J’en choquerai encore plusieurs — mais pas L’Oreille tendue, par contre, qui est dans mon équipe : Arthur Buies, le meilleur écrivain canadien-français du xixe siècle, est d’abord et avant tout le rédacteur de La Lanterne, journal qu’il a tenu à bout de bras, seul, pendant une année. Il est aussi ce chroniqueur, au Pays, au National et ailleurs, longtemps dévalorisé au sein d’une histoire littéraire obnubilée par les genres canoniques et dépréciant, comme l’avait vu François Ricard, le divertissement et la légèreté de la chronique. Évidemment, quand on tient pour acquis que la littérature canadienne-française s’est autonomisée quelque part au début du xxe siècle, qu’elle a bien dû se dégager des circonstances et du quotidien, des combats politiques, des idéologies, il est normal de croire que le journal perd de son importance comme ancrage littéraire. Sans compter que les journaux de combat, aiguillons multiples, ont le plus souvent cédé le pas à une presse d’information à grand tirage à la fin du xixe et au début du xxe siècle. Après l’époque épique d’Olivar Asselin et Jules Fournier, le journaliste vivait plutôt sa vie d’écrivain ailleurs que dans son journal. On dira par exemple que Gérald Godin était journaliste à Québec-Presse ou au Nouvelliste, et qu’il était poète. Poésie et journalisme ont été deux sphères distinctes de sa vie. Au mieux, on peut imaginer que les reportages du journaliste-écrivain ont été des brouillons d’oeuvres à venir. Mais sortons donc de la circonscription de Mercier et parlons de Charlotte Biron. L’étudiante au doctorat à l’Université Laval et à l’Université Paul-Valéry propose une autre vision des choses quant aux rapports entre journalisme et littérature. Son ouvrage, Mavis Gallant et Gabrielle Roy, journalistes, Prix de la recherche émergente du CRILCQ 2014, épate. Après avoir lu récemment l’ouvrage de Rachel Nadon paru chez Nota bene, La résistance en héritage. Le discours culturel des essayistes de Liberté (2006-2011), aussi tiré d’un mémoire de maîtrise, j’en viens à être jaloux de leurs directeurs respectifs et particulièrement enthousiaste face à ce qui s’en vient pour les études québécoises. Charlotte Biron s’attache donc à deux cas majeurs : Gabrielle Roy, journaliste au Bulletin des agriculteurs, et Mavis Gallant, journaliste au Standard. Et comme chez Marie-Ève Thérenty, que l’auteure cite volontiers (tout en étant consciente du caractère américain du parcours des deux romancières), les zones d’influence sont manifestes entre le roman et le reportage : l’hypothèse de l’étude de Biron « tient à un double déplacement : un premier déplacement dans le monde, corps à corps avec le réel, et un second déplacement textuel, résultat de leur propre subjectivité, de leur manière de fabriquer un reportage ou une feature story à partir des faits, des événements, des noms et des lieux » (13). En bref, « les articles de Gallant et de Roy ne sont ni des “brouillons” de l’oeuvre à …

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