Dans les études littéraires québécoises, il est difficile d’aborder le sujet de la région autrement que par la suspicion. Ce sujet a connu son heure de gloire lors de l’institutionnalisation de la littérature canadienne-française à travers la mouvance du régionalisme ardemment promue et défendue par quelques influents premiers critiques littéraires, tel que l’a démontré Annette Hayward. Cependant, la domination terroiriste, pendant plus d’un demi-siècle, a laissé une marque durable. Sans aller jusqu’à dire que la réalité et l’idéologie représentées par le régionalisme ont fait figure de traumatisme, il faut admettre qu’elles se sont peu à peu fossilisées dans l’histoire littéraire, jusqu’à devenir une sorte de squelette dans le placard, matière inconsciente refoulée qu’on s’efforçait d’oublier — du moins, qu’on se gardait bien de montrer. Avec l’entrée dans la modernité de la littérature québécoise et l’apparition d’une critique littéraire qui ne se prévalait pas d’édicter les valeurs que les auteurs devaient promouvoir dans leurs textes, l’histoire littéraire a eu tôt fait d’attribuer à la région des connotations négatives, au point qu’elle est pratiquement devenue synonyme de terroir et d’agriculturisme. De surcroît, cette schématisation a aussi eu pour effet d’estomper des différences pourtant évidentes entre les diverses régions, de sorte qu’elles se sont toutes trouvées ravalées dans la catégorie « région », étiquette assez vague et abstraite distinguant les réalités qu’elle recoupe de l’urbanité montréalaise ou du prestige historique de la capitale nationale. La région apparaît ainsi comme un signe surconnoté qui n’aurait pour seule signifiance qu’une idéologie passéiste et conservatrice. La modernité et la postmodernité littéraires pouvaient se décliner de bien des façons, que ce soit à travers la réécriture parodique (Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais) ou désenchantée du village traditionnel (La guerre, yes sir ! de Roch Carrier) ; d’autres imaginaires pouvaient les colorer, tels que la ville, l’américanité, les migrations, et bientôt les banlieues, mais endosser l’héritage littéraire de la littérature du terroir semblait un fardeau idéologique beaucoup trop lourd, poussiéreux et risqué. Pourtant, à travers l’histoire littéraire québécoise, les noms de plusieurs localités régionales – réelles ou imaginaires – ont symbolisé, de différentes manières, la vie en région. Qu’il s’agisse du rang de Mainsal dans Menaud, maître-draveur ou du Chenal du Moine où débarque inopinément Le Survenant, la littérature du terroir a contribué à ériger le village traditionnel en emblème d’un ensemble d’habitus qu’elle promouvait. Quelques années plus tard, dans un style bien différent, un autre nom bien connu émerge : Macklin, où se situe l’intrigue de Poussière sur la ville d’André Langevin, est une ville fictive ; en l’absence de référent exact, son exemplarité, sa généricité frappe d’autant plus. Si Macklin est aussi prégnante du point de vue de l’imaginaire, c’est aussi parce que lors de la publication du roman en 1953, elle représente ce qui est alors l’environnement immédiat de milliers de familles de mineurs dans diverses régions, que ce soit en Abitibi ou dans les Cantons-de-l’Est. Dans une autre veine encore, le St-Joachin du Libraire de Gérard Bessette pose explicitement la question de l’accès à la culture et à la littérature dans les petites villes à la même époque. Bien des oeuvres de Jacques Ferron auscultent des espaces comparables en situant leurs intrigues dans des faubourgs où vie urbaine et vie de village ne sont pas encore bien démêlées. Plus tard, les romans Kamouraska et Les fous de Bassan d’Anne Hébert se situent de plain-pied dans des villages, et dans les deux cas l’intrigue romanesque repose sur des meurtres commis dans la communauté, dont la taille restreinte est un paramètre important. Le pan manitobain de l’oeuvre de …
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