Quel bilan présente l’année 2020 du côté de la prose narrative ? La pandémie a-t-elle provoqué un ralentissement de la production ? J’ai sondé 28 éditeurs, une vingtaine d’entre eux m’ont répondu et j’ai consulté la page Internet de ceux qui sont restés silencieux. Très peu m’ont déclaré avoir ralenti leurs activités, mais quelques reports ont été rendus nécessaires. Il faut dire qu’une partie de la production du printemps était déjà prête avant l’imposition du confinement. Ce n’est donc pas en raison d’une baisse de la productivité que 2020 se signale comme une année pénible, mais pour tout ce qui concerne les relations humaines. Celles-ci, plus qu’on le croit généralement, jouent un rôle crucial dans le dynamisme du milieu du livre ainsi que dans la mise en marché et la promotion des ouvrages publiés : les lancements, les salons du livre, les rencontres d’écrivains, sans compter le travail de réécriture et de révision en amont. Jamais les auteur.e.s, dont le travail est essentiellement solitaire, n’auront été autant privé.e.s des quelques gratifications mondaines qui couronnent leurs efforts. Les statistiques que j’ai cumulées me permettent d’avancer qu’il s’est publié en 2020 autour de 200 ouvrages inédits de prose narrative (romans et recueils de nouvelles), auxquels s’ajoutent environ 35 rééditions et quelques traductions. Des collègues spécialistes de la littérature québécoise contemporaine me confirment que ça correspond à peu près à la moyenne que connaît le monde éditorial québécois depuis le début des années 2000. Ce sondage, je dois le préciser, n’était pas uniquement destiné à m’informer de la situation du monde éditorial en temps de pandémie. Mon interrogation concernait aussi mon travail de chroniqueur à temps partiel : je désirais prendre la mesure de ce que je suis en droit d’affirmer si je me hasarde à identifier les tendances du roman québécois contemporain. N’est-ce pas ce qu’on attend d’un chroniqueur, ce regard qui surplombe la mêlée générale de manière à repérer les courants, les lignes de force ? Je vais être honnête : sur les 200 ouvrages de prose narrative publiés en 2020, j’ai réussi à n’en lire qu’une quinzaine. J’ai aussi pris connaissance de critiques consacrées à des ouvrages que je n’ai pas lus, mais est-ce bien suffisant pour percevoir « où va le roman québécois » ? La réponse s’impose d’elle-même. Pour compenser mes limites personnelles en la matière, j’ai consulté les travaux de collègues qui tentent aussi de répondre à cette épineuse question. On peut dire que le tout récent « dialogue sur le roman québécois » entre David Bélanger et Michel Biron tombait pile. Les deux auteurs se relancent de manière très vivante en suivant un fil qui, malgré son parcours méandreux et la variation de ses couleurs, traverserait de manière insistante la production romanesque québécoise : l’ironie. La discussion embrasse un large éventail d’oeuvres de différentes époques, mais se penche plus particulièrement sur des auteurs contemporains comme François Blais, Anne Archet, Kevin Lambert, Patrick Nicol, Simon Leduc, Mathieu Arsenault et Nicolas Dickner. L’ironie à la québécoise traduirait un rapport malaisé à la « grande culture », soit qu’on l’associe à un « esprit de sérieux » auquel on refuse de succomber (bien que ce soit tentant), soit qu’on demeure conscient du caractère bourgeois de ce concept et de son déni des conditions d’existence qui ne favorisent pas l’accès aux jouissances esthétiques élitaires. Pourtant, le seul fait d’écrire distingue de la masse celui qui s’y livre. Un certain désarroi s’empare donc du sujet littéraire québécois : il se sait d’une communauté dont il refuse par ailleurs les instances régulatrices et normatives, ce qui l’amène à multiplier les effets de …
2020[Record]
…more information
Dominique Garand
Université du Québec à Montréal