ChroniquesRoman

Il n’y a pas de générations

  • Daniel Laforest

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  • Daniel Laforest
    Université de l’Alberta

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Cover of Littérature, médias et discours culturel, Volume 47, Number 1 (139), Fall 2021, pp. 9-112, Voix et Images

Les romans de Maryse Andraos et de Jean-Philippe Martel ont valeur actuelle et contemporaine pour des raisons que la critique, les ayant tous deux bien accueillis, a énumérées ailleurs. Sans refuge est composé de fragments narratifs à plusieurs voix dont l’enchaînement dessine une suite de saisons dans la vie d’une jeune femme luttant avec l’incertitude professionnelle, la vocation artistique, et l’angoisse. Chez les sublimés est peuplé de personnages parvenus à divers stades du désenchantement de l’âge adulte, en plus de reposer sur un système temporel ambitieux où les époques et les signifiants culturels passés se voient non seulement juxtaposés mais, dirait-on aussi, remixés. Pour faire vite, on peut dire que ce sont là deux livres représentatifs des années suivant le Printemps Érable. Ils ont la sensibilité de qui a connu un épisode de solidarité historique en opposition franche au néolibéralisme, mais aussi de qui, presque aussitôt après, a dû passer à la suite, c’est-à-dire à l’emploi, au salariat, au logement, à l’économie familiale, au vieillissement, au système de santé, à l’ennui quotidien, tout cela à travers la précarisation croissante du monde et des choses qui caractérise, précisément, la logique du néolibéralisme. Une semblable lecture générationnelle expose l’épiderme sociologique des deux romans, et on ne ferait pas honneur à la littérature en la considérant à travers cette lorgnette exclusive. Cependant l’idée que des livres puissent représenter une communauté d’expériences liée à l’âge des protagonistes ou de leur lectorat est un point de départ fructueux pour creuser plus avant dans ceux d’Andraos et de Martel. Il est vrai que leur structure, leur ton, leur trame narrative, leur rapport même à l’idée de « drame » sont on ne peut plus différents. Cela dit, il m’apparaît que leurs auteur·es parlent mieux que quiconque ces derniers temps en littérature de l’épreuve considérable qui consiste à appartenir à un groupe. Je ne parle pas d’une grande solidarité populaire, mais seulement du besoin à la fois banal et crucial de faire correspondre une part de son ego à une appartenance commune. Quelque chose en mesure de noyer nos petits écarts et idiosyncrasies personnels, voire nos fautes, dans un corps social. Pendant longtemps l’idée de génération a tenu ce rôle. Mais aujourd’hui, il suffit de se détourner ne serait-ce qu’un instant des clameurs publicitaires sur les milléniaux, ou les Y, ou les X, ou les boomers, pour prendre conscience de l’invisibilité quasi absolue dans laquelle sont confinées les personnes des troisième et quatrième âges. De génération on ne clame le plus souvent que le nom. Cela est d’autant plus vrai que, depuis peu, le terme communauté paraît avoir pris les devants dans l’adhésion publique. Malheur à qui n’est pas désormais en mesure de signaler son appartenance à « sa communauté », en particulier dans les échanges en ligne et sur les réseaux sociaux. Ne pas avoir de communauté est devenu un faux pas civique aussi périlleux que de ne pas avoir de médecin de famille. Or ce mot de communauté, on l’entend la plupart du temps lorsqu’il est question de la grande Histoire, et non guère de la petite, de la toujours multiple, de l’histoire intime à partir de laquelle existe la littérature. Si je dis tout cela, c’est encore parce que les livres d’Andraos et de Martel me l’ont mis en tête. C’est le difficile travail d’être ensemble et le tout aussi difficile travail d’être soi-même, aujourd’hui peut-être plus qu’auparavant, qui s’expriment et s’exposent dans Sans refuge et Chez les sublimés. Naïma se voit comme une « adulte terrifiée, dont l’existence se résume à des stratagèmes pour éviter de souffrir » (33). Elle n’est …

Appendices