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Quand la queeritude précède le queer[Record]

  • Corrie Scott

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  • Corrie Scott
    Université d’Ottawa

À l’aune du chemin parcouru par les études queer québécoises ces dernières années, on constate un développement assez considérable. À mesure que se multiplie le nombre d’articles et de livres, de mémoires et de thèses qui abordent des sujets queer dans un contexte québécois, la diversité s’accroît même si le champ des études queer demeure émergent, surtout en contexte francophone. La modeste production du côté francophone s’explique peut-être par le cheminement « particulièrement long et ardu » des théories queer dans les milieux féministes franco-québécois. Malgré tout, aujourd’hui, nous avons à portée de main plusieurs textes qui retracent certaines trajectoires des discours queer québécois, et dans cette chronique, je me hasarderai à quelques remarques sur ces filiations pour tenter de répondre à cette question : qu’y a-t-il de queer dans les études queer actuelles au Québec ? Dans le livre One-Dimensional Queer, Roderick A. Ferguson problématise la façon d’imaginer les origines de la théorie queer comme étant unidimensionnelles : Le livre de Ferguson raconte « une autre histoire, dans laquelle une multitude de préoccupations multidimensionnelles étaient là dès le début, mais ont été occultées par la suite ». Dans la même veine, le champ queer américain est sans doute encore trop guidé par ce que David Eng et Jabir Puar appellent une politique de localisation « non marquée » et « non interrogée » qui rend opaques les conditions matérielles de sa production. Selon Eng et Puar Dans un contexte québécois, on est peut-être tenté de se féliciter de produire des travaux queer dans une langue autre que l’anglais, mais il me semble néanmoins important de réfléchir à la manière dont le queer au Québec mobilise à son tour une politique d’exceptionnalisme et de localisation non marquée et non interrogée. Quelles communautés, et quels processus de relationnalité et de sociabilité sont exclus de ce qu’on appelle le champ queer dans le contexte du Québec ? Quelles archives sont rendues lisibles, crédibles et, en effet, importantes sous l’étiquette queer ? Quelles sont les formes reconnaissables de blessures et d’attachements sexuels qui animent la résistance queer ? Et qu’est-ce qui est laissé de côté ? Ma tentative de réponse non exhaustive à ces questions est divisée en trois parties, chacune ancrée dans un discours différent. D’abord, je pose un regard rétrospectif sur l’homophobie du projet nationaliste, pour ensuite m’attarder sur ce que j’appelle le coming outqueer du Québec et le discours homonational qui lui est propre. En conclusion, je présenterai plusieurs penseurs queer qui revendiquent des attaches et des filiations autres que le sujet national blanc. Pour répondre à ces questions qui portent sur le ici et maintenant, je commence par un bref retour en arrière qui nous permettra de situer le queer dans le contexte québécois. Tout d’abord, il me semble important de reconnaître ce que Robert Schwartzwald appelle « la résilience tragique des figures homophobes » dans les productions culturelles québécoises. Je pense par exemple à son texte « Fear of Federasty: Québec’s Inverted Fictions », dans lequel il recense et analyse avec précision l’homophobie du projet nationaliste québécois. Schwartzwald pointe les figures homophobes qui accompagnent le discours de libération nationale, dans lequel les traîtres à la cause de la révolution sont dépeints, de façon négative et répétée, comme étant des hommes passifs. Les prêtres correspondent aux « faux pères » et remplissent « des devoirs de femme dans leurs relations avec le Canada anglophone, [ce sont] des fils efféminés, des hommes ratés, des hommes en jupes », ce qui mène Schwartzwald à conclure que « l’anticléricalisme allait de pair avec l’homophobie ». Le portrait est celui d’un …

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