Dossier

FRANÇOIS BLAIS : L’ART DE LA FRAUDE

  • David Bélanger and
  • Cassie Bérard

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  • David Bélanger
    Université du Québec à Trois-Rivières

  • Cassie Bérard
    Université du Québec à Montréal

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Cover of François Blais, Volume 49, Number 1 (145), Fall 2023, pp. 9-167, Voix et Images

Le décès de François Blais, en mai 2022, a fortement ébranlé le milieu littéraire. En septembre 2021, l’auteur publiait un roman de science-fiction, La seule chose qui intéresse tout le monde, surjouant le désespoir schopenhauerien et présentant le suicide comme unique solution à la lucidité ; en octobre 2022, un roman jeunesse posthume paraît, racontant la journée triviale d’adolescentes aux prises avec un démon vengeur. C’est paradoxalement ce dernier titre, Le garçon aux pieds à l’envers, qui sera frappé d’une mise en garde de la Santé publique, laquelle y lit un encouragement au suicide, quand bien même, comme cela sera relevé par nombre d’intervenant·e·s du milieu littéraire québécois, il n’y est pas question de suicide. Le préjugé sur le livre découle des circonstances entourant la mort de son auteur. Il y a dans cette étrange mise en garde une relecture de l’oeuvre de François Blais, qui insiste sur une noirceur et un désespoir que son écriture, de son vivant, parvenait à dissiper. Avant tout, on rit en le lisant. Il nous semblait important de rendre hommage à ce rire sans néanmoins nous y cantonner ; aussi a-t-on invité quelques collaboratrices et collaborateurs à proposer des lectures de l’oeuvre de Blais qui permettraient de percevoir les rouages d’une mécanique en son centre ; une mécanique assurément ludique, amusée et amusante, qu’on a nommée l’art de la fraude. Le célèbre faussaire Frank Abagnale, devenu consultant pour le FBI, comme le raconte le film de Steven Spielberg, présentait la fraude comme un travers spirituel : « Aujourd’hui, on a affaire à tous ces jeunes, ces petits futés de l’informatique qui, pour la plupart, savent créer des billets de vingt dollars sur leur ordinateur personnel. […] Cela arrive tout le temps, car ils estiment qu’il est normal d’agir ainsi. » Il est normal, dirait Abagnale, car possible d’agir ainsi : la sécurité ne suffit pas et les principes spirituels – la morale – n’existent plus. Chez François Blais, les faussaires ne sont pas différents de ceux que dénonce le consultant pour le FBI : ces « épais avec une connexion Internet » (MC, 97) qu’analysent Sylvain David et Sophie Marcotte dans le présent dossier fraudent continuellement le réel parce que la chose apparaît possible et, par-delà, tout à fait normale. En fait, c’est le fameux « capital symbolique » qui ne cesse d’être détourné dans les oeuvres de Blais, car nul, dans ses fictions, ne croit vraiment aux règles du marché des biens symboliques qu’il exploite ; pire, les acteurs de ses fictions ne croient pas aux règles et aux valeurs (à l’illusio, dirait Bourdieu) qui leur permettent de profiter du système. Ainsi énoncé, cela semble absurde, mais il nous faut préciser : d’autres qu’eux croient à ces règles, et c’est parce qu’une masse critique fait mine de respecter des règles que les lettrés représentés par François Blais peuvent si aisément frauder le système en les enjambant. Il y aurait, comme cela a déjà été énoncé ailleurs, une « métalepse institutionnelle », où les personnages se présentent au sein d’un champ littéraire dont ils contestent la validité et le processus de validation, exhibant constamment les rouages arbitraires qui permettent de le faire fonctionner. Or, la fraude dont nous parlons et qui occupera ce dossier dépasse la stricte fraude du champ littéraire et de son appareil institutionnel. Nous pourrions la présenter rapidement en nous appuyant sur deux exemples particulièrement allégoriques au sein de l’oeuvre de Blais. Notre premier exemple est tiré du Livre où la poule meurt à la fin, qu’on pourrait lire comme une parabole punk. …

Appendices