Il ne convient guère au texte de création de porter en son titre le nom d’un auteur (on arguera qu’il existe des exceptions, et on aura raison). Il ne convient guère, non plus, de commencer un court texte littéraire au sein d’une revue estimée par un avant-propos. Peu de choses conviennent, hélas, mais tout se peut. Tel François Blais implorant dans l’avant-propos de Sam que l’Académie des lettres du Québec lui décerne enfin un prix littéraire, je me permets cet écart de conduite pour vous solliciter un peu de sollicitude, lecteurs et lectrices, car c’est François Blais lui-même que vous auriez dû lire dans cet espace de la revue Voix et Images, et que ce sont pour moi des chaussures bien trop grandes à combler. J’y flotte. Le présent rafistolage de mots que l’on peut à la rigueur qualifier de « texte de création » se situe au confluent du témoignage, de l’hommage et de l’article à peu près savant. Quelque part dans la broussaille entre le rire et le pathos, on retrouve même des statistiques tirées d’une étude totalement broche à foin que j’ai réalisée auprès d’un groupe de cégépien·ne·s soumis·e·s à mes caprices en me donnant pour prétexte que les conclusions bancales auxquelles j’arriverais n’étaient pas plus approximatives que les hypothèses qu’on retrouve dans Un livre sur Mélanie Cabay, le texte qui m’a fait découvrir François Blais et grâce auquel un univers improbable s’est déployé devant moi. Voici une liste de différences notables entre François Blais et moi-même, Marilyn Lauzon : François Blais est né en 1973. Je suis née en 1988. Bref, François Blais a obtenu un certain succès littéraire. Et je n’ai connu aucun succès, sinon dans d’obscurs concours de limbo. Et pourtant, je me reconnais dans François Blais. Même que, quand je lis François Blais, je me sens devenir plus fanfaronne, je me sens l’esprit agile, presque furtif comme une couleuvre ; j’ai envie de cabotiner et d’employer mes plus beaux mots sans réserve, pour aborder les sujets les plus triviaux ; j’ai envie d’écrire des correspondances inspirées et je m’excuse même dans les « P. S. » de mes courriels de job de mon expressivité exacerbée. « P. S. Je m’excuse d’être aussi colorée dans mon message ; je suis en train de lire du François Blais. » Personne n’ose me dire que c’est bizarre. Bref, je lis du François Blais… et je me transforme, oui. Je deviens cette personne qui fait des recherches sur Google aussi farfelues que « Peut-on vraiment escalader le rocher de Grand-Mère ? » ou « D’où vient le vinaigre ? » ou encore « Pourquoi le ballon-chasseur n’est-il pas un sport professionnel ? » (Blais, sache que je n’ai pas trouvé de réponse à cette dernière question, mais j’ai appris qu’une professeure de l’Université de la Colombie-Britannique milite pour que le ballon-chasseur soit éradiqué des cours d’école parce qu’il constituerait une forme « d’intimidation légalisée » ; je me suis dit que ça te ferait rire.) Quand je lis François Blais, je suis davantage que le simple « ami lecteur » auquel il s’adresse dès le début d’Iphigénie en Haute-Ville. Je deviens François-Blais-narrateur. Je dirais bien que je suis François Blais avec le talent en moins, mais ça serait de l’autodérision, ce qui reviendrait encore à faire du François Blais. Il faut dire que comme François-Blais-narrateur, j’ai « la manie […] de voir le cadavre dans le nourrisson, ce qui [m’]empêchera toujours de mettre un pied devant l’autre » (VAS, 10). Comme François-Blais-narrateur, je suis une éternelle ado pâmée sur des belles …
LE PALAIS DES MIROIRS DE(S) FRANÇOIS BLAIS[Record]
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Marilyn Lauzon
Collège Lionel-Groulx