En 1980, le philosophe Louis Althusser assassine son épouse, Hélène Legotien ; il est aussitôt protégé par un étanche barbelé d’hommes, faisant la sentinelle pour sauver le maître des griffes de la justice. L’intellectuel ne fera jamais de prison, ne passera jamais devant un juge, sera à peine égratigné par les médias, et sa notoriété critique s’en trouvera très modestement entamée – il aura tout le loisir, pendant des années, de se justifier en se racontant, de se victimiser en se défendant dans une autobiographie tortueuse, L’avenir dure longtemps. Voilà le récit que trace Francis Dupuis-Déri dans le dernier opus de la collection « Micro r-m » de la maison d’édition féministe Remue-ménage. Ce petit livre constitue le point de départ de ma première chronique à Voix et Images, et je dois convenir qu’il pourrait paraître incongru : insister sur le déboulonnage d’une icône philosophique est effectivement une maladroite façon de faire sa place. J’y trouve pourtant un élan pour traiter de deux autres essais aux thèmes parents, le très académique Nudités féminines de Laurence Pelletier, s’intéressant à la fonction du nu féminin dans la philosophie, et l’essai on ne peut plus libre d’Annie Du, Les cookies de l’apocalypse. Ce sera l’occasion d’ausculter trois traitements différents, dans des essais québécois récents, de notions proches, par l’essai littéraire trash (Du), par la rigueur savante (Pelletier), en passant par l’écriture polémico-ironique de Dupuis-Déri – après tout, son Althusser assassin est sous-titré du syntagme quasi arendtien La banalité du mâle. Finaliste au Prix du Gouverneur général 2023, catégorie essai, pour son Panique à l’université, Francis Dupuis-Déri enseigne, entre ses abondantes publications, la science politique à l’UQAM. Il offrait sur le site du journal The Conversation, à l’automne 2022, en parallèle de la publication de son essai sur le mirage woke, une fort agréable prise de bec avec la sociologue Nathalie Heinich ; à l’automne 2023, son Althusser assassin voisinait un autre titre également publié chez Remue-ménage : Les hommes et le féminisme. Cet essai propose une forme d’extension du titre maintenant presque classique de l’intellectuel, La crise de la masculinité. Ainsi, à la question de l’homme et de son rapport au masculin se substitue dans ce dernier opus celle de l’homme et de son rapport à la lutte féministe. Cette abondance de publications laisse entrevoir deux méthodes, que j’aimerais décrire ici, plus mollement, comme des manières de faire. La première consiste, de façon généralement fort efficace, à montrer comment ce que l’on croyait avéré ne l’est pas, ce qui était tenu pour une réalité serait une vue de l’esprit, etc. L’essayiste exhibera des statistiques et moult faits pour ainsi déchirer le voile de ses adversaires ; les sous-titres de La crise de la masculinité, ce « mythe tenace », ou de Panique à l’université, nourrie de « menaces imaginaires », témoignent sans doute de cette finalité au coeur de ses publications. On peut dire en effet que le mythe, l’imaginaire ou encore, pourrait-on ajouter, l’idéologie participent de ces « illusions » qui confortent chez certains des positions défensives, victimaires ou agressives, parfois les trois en même temps. De façon plus spécifique, en nouant à l’analyse du discours l’histoire des idées, Dupuis-Déri parvient à désamorcer les bombes de ceux qui se terrorisent de la marche du monde. Ainsi, le péril woke n’est qu’une reprise du péril du politiquement correct, et ce bégaiement en relativise l’urgente menace. De même, en s’intéressant à l’histoire des hommes « féministes », il montre comment une véritable tradition existe, ce qui l’amène à relever une « question …
Être perçue
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David Bélanger
Université du Québec à Trois-Rivières
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