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Poèmes de consolation[Record]

  • Denise Brassard

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  • Denise Brassard
    Université du Québec à Montréal

Il y a vingt-trois ans éclatait la Seconde Intifada, qui a duré près de cinq ans. Par la suite, le conflit, jamais réglé, est retombé pour ainsi dire dans l’indifférence générale. Aujourd’hui, dans le journal, on fait état de 1600 morts et de plusieurs milliers de blessés de part et d’autre de la frontière israélo-palestinienne. Un épouvantable gâchis se superpose à un autre et le remplacera pendant un certain temps à la une des médias. Une guerre, une autre, une de plus. Devant ces malheurs qui s’additionnent sur fond d’angoisse planétaire, comment échapper à l’immense fatigue d’être humain ? J’avais pour cette chronique sélectionné plusieurs livres, dont certains affichent un parti pris pour l’absurde ou l’humour, et voilà que je doute de leur pertinence. À quoi bon la poésie dans un monde à feu et à sang ? Impossible d’éluder la question. Chacun sait que la poésie ne change pas le monde. Comme le disait Joséphine Bacon au moment où s’ouvrait le chantier du complexe de La Romaine, et alors que la majestueuse rivière était encore intègre, là où, il y a quelques jours, François Legault et Jean Charest inauguraient en grande pompe la centrale hydroélectrique, « mes poèmes n’arrêtent pas les bulldozers ». Mais alors que font-ils ? Un poème peut-il calmer la détresse, la terreur devant l’horreur, la lancinante conviction que l’humanité court à sa perte et que le sens fuit avec la cohérence du monde ? Et si le sens tombe, cela peut-il parfois lui permettre de s’ancrer, puis de bifurquer et même de rebondir ? Peut-être est-ce dans la contemplation de ce que l’univers intime ou la plus élémentaire contingence recèlent de mystères que la consolation peut advenir. C’est du moins, me semble-t-il, ce que proposent, chacune à sa façon, les oeuvres présentées ici et c’est, je l’avoue bien égoïstement, la raison pour laquelle je les ai retenues. Il n’est pas question de guerre dans le dernier recueil d’Hélène Harbec, bien qu’il dépeigne un univers empreint de tristesse, une tristesse méditative qui réserve aussi des moments de joie. Le livre relate les suites d’une rupture amoureuse, dont l’inévitable retour à la solitude. La seconde partie, très belle, touchante par la justesse du travail de dépouillement et l’observation attentive du paysage – la rivière Petitcodiac, la forêt d’épinettes, la cabane, les oiseaux, les insectes –, nous fait éprouver cette solitude de manière tangible. L’absente, la femme aimée, revient parfois, « sous une forme/ou une autre » (61), mais la douleur peu à peu s’atténue, car on est moins ici dans le regret que dans une projection rétrospective du désir : « J’aurais aimé te dire que la couleur, c’est toi. » (52) Absorbée par l’observation et la description de ce qui l’entoure, la narratrice s’étonne d’avoir un corps, auquel le paysage désormais sied mieux que ses vêtements, qui ne le reconnaissent plus. C’est une poésie tout en retenue, mais qui ménage de petits bijoux. « Et me voici dehors » (13) sont les premiers mots du livre. Le deuil a en effet ceci de particulier qu’il jette littéralement hors de soi. Prenant sa douleur au mot, la narratrice se réfugie à la campagne, dans un lieu rustique voué à la solitude et au recueillement, où elle confie sa nudité, son corps morcelé au paysage qui l’enveloppe en retour de son incommensurable beauté. Loin de s’épancher, elle se tient à même la distance et apprend à l’habiter, d’où l’ambivalence qui imprègne le recueil. Si des souvenirs reviennent, ils demeurent pour la plupart abstraits, à peine esquissés : un instant de bonheur cristallisé dans un geste ou encore un …

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