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Introduction

La mise en place de politiques gouvernementales redistributives donne généralement lieu au traditionnel arbitrage entre efficacité et équité. On dit d’un système fiscal qu’il est efficace lorsqu’il minimise les distorsions dans le comportement des agents économiques à chaque niveau donné de recettes fiscales. Or, les taux d’imposition que génère ce système fiscal – quoique nécessaires pour financer des programmes de redistribution de la richesse qui visent une plus grande équité – peuvent entraîner des coûts d’inefficacité non négligeables en modifiant l’environnement dans lequel les individus prennent leurs décisions. En outre, le système de transferts sociaux introduit des taux d’imposition (implicites cependant) dans la mesure où le montant de ces transferts diminue avec la hausse du revenu de l’individu. Dans un tel contexte, la conception de politiques gouvernementales efficaces ainsi que l’analyse de leur impact requièrent une bonne compréhension de l’interaction des systèmes de taxation et de transferts qui se combinent et s’entrecoupent.

C’est dans ce cadre conceptuel que s’inscrit cet article. Notre principale contribution consiste à mettre en oeuvre un modèle de simulation reproduisant le système d’impôts et de transferts au Québec de façon à mieux comprendre l’impact des mécanismes fiscaux et des programmes de soutien du revenu sur les incitations au travail. Notre modèle permet en effet d’effectuer une analyse descriptive détaillée des taux marginaux effectifs d’imposition (TMEI) sur le revenu de travail des individus et des ménages qui résultent de l’interaction des mécanismes de perception et de redistribution. Ces taux dépendent de façon complexe et non linéaire des caractéristiques des individus et des ménages ainsi que de leur revenu. À l’aide de notre modèle, nous estimons ces TMEI et en décrivons la répartition et la composition au sein de la population québécoise. Nous caractérisons les ménages dont la structure familiale et la composition du revenu sont telles que l’incitation financière au travail est à la marge très faible, parfois même nulle ou négative. Nous accordons dans le cadre de cet exercice une attention particulière à la situation des familles avec enfants puisque ce sont ces familles qui sont a priori les plus touchées par la complexité des mécanismes québécois de perception et de redistribution du revenu.

Une publication récente de l’OCDE où il est abondamment question des TMEI souligne l’importance d’une compréhension approfondie des mécanismes fiscaux, comme celle que permet notre analyse dans le cas du Québec :

The analysis of how benefits and taxes depend on work status and earnings levels does not, by itself, tell us how changes in tax-benefit policy will actually influence labour supply or how many individuals live in income poverty and why. It does, however, contribute to a thorough understanding of the mechanics of tax-benefit systems. This understanding of how different tax-benefit instruments interact with each other, as well as with people’s particular labour market and household situations, is an essential pre-requisite for identifying tax-benefit reform priorities.

OCDE, 2004

L’originalité de notre travail réside donc dans l’analyse de la répartition des TMEI dans la population québécoise. À notre connaissance, une seule étude canadienne, celle de Macnaughton et al. (1998), a permis d’estimer les taux effectifs et leur répartition à travers la population. Par contre, cette étude n’inclut pas tous les programmes de transferts que nous retrouvons au Québec, notamment l’aide sociale (ou l’assistance-emploi). Cet article permet donc de dresser un portrait riche et original de la distribution des taux marginaux au Québec.

Cet article est organisé comme suit. La première section définit la notion de TMEI et discute de ses implications dans le calcul du coût marginal des fonds publics. Elle présente aussi une analyse qualitative de l’impact sur les TMEI de la politique familiale telle que celle qui a été mise en place récemment au Canada et au Québec. La deuxième section est consacrée à la présentation du modèle et des données utilisées. Les sections 3 et 4 discutent de l’ensemble des résultats obtenus. On y présente différentes mesures de la distribution jointe des TMEI et des revenus, et des caractéristiques des ménages. On y effectue aussi une décomposition des taux moyens pour mieux comprendre l’impact des différentes mesures de la fiscalité et des transferts. La dernière section conclut l’article.

1. Les taux marginaux effectifs d’imposition

1.1 Définition

Les taux marginaux effectifs d’imposition (TMEI) résultent de la double action du gouvernement qui perçoit d’une part des impôts tout en maintenant d’autre part une politique de soutien au revenu. Dans un document publié par la Commission parlementaire sur la réduction de l’impôt des particuliers[1] en 1999, les TMEI[2] d’imposition sont en effet décrits comme un phénomène qui émane de deux mécanismes, soit le régime d’imposition des particuliers et les programmes de transferts. À ces deux éléments, nous ajoutons les taxes sur la masse salariale[3]. Le régime d’imposition définit un prélèvement effectué sur une partie du revenu et déterminé en fonction de l’importance de ce revenu et des caractéristiques des ménages. À l’inverse, les programmes de transferts sont mis en place afin de verser un revenu complémentaire à certains citoyens. Ils peuvent prendre la forme de transferts sociaux directs ou encore de dispositions fiscales qui réduisent l’impôt à payer (ou engendrent un remboursement). La progressivité de notre régime fiscal et la sélectivité caractérisant en général les programmes de transferts font en sorte que lorsque le revenu d’un ménage s’accroît, celui-ci doit souvent faire face à la fois à une réduction des transferts dont il bénéficie et à une hausse de l’impôt et des cotisations qu’il doit payer.

Supposons, pour simplifier, un ménage composé d’un individu adulte. Mathématiquement, le TMEI se définit de la façon suivante. Soit l’identité suivante définissant son revenu disponible :

YD = revenu disponible;

YT = revenu de travail;

YA = revenus privés autres que le revenu de travail;

T = impôts et taxes (incluant les cotisations sociales);

TR = transferts sociaux;

avec T = T (YT, YA, Z) et TR = TR (YT, YA, Z)

Z est un vecteur de caractéristiques de l’individu.

Nous avons donc :

En différentiant par rapport à YT (nous supposons que T(·) et TR(·) sont différentiables en YT pour simplifier), nous obtenons :

À partir de l’équation (3), on définit le TMEI sur le revenu du travail de la façon suivante :

L’expression de droite de l’équation (2.4) montre que le TMEI est le résultat de la hausse des impôts et des taxes, conjuguée, le cas échéant, à la baisse des transferts suite à un accroissement marginal de YT. Le TMEI comprend ainsi une composante explicite et une composante « implicite ». Cette dernière (qu’on appelle aussi le taux de récupération ou de réduction des programmes d’aide) se définit par la proportion du montant reçu en transferts qui est perdue à la suite d’une hausse marginale du revenu de travail.

1.2 Distorsions et coût marginal des fonds publics

Les TMEI à l’étude engendrent un écart à la marge entre la rentabilité sociale et la rentabilité privée des comportements individuels sur le marché du travail. Ils sont ainsi à la source de distorsions dans de nombreuses décisions telles que la participation au travail et les heures travaillées, l’effort au travail, l’investissement en capital humain (éducation, formation professionnelle, etc.), la mobilité géographique de la main-d’oeuvre, les choix occupationnels et le travail au noir.

La présence de TMEI modifie aussi le calcul du « coût marginal des fonds publics » (CMFP), c’est-à-dire le coût pour la société d’une hausse additionnelle de 1 $ de recette fiscale servant à financer des dépenses publiques. Ce coût supplémentaire doit en principe être incorporé dans toute analyse des programmes gouvernementaux. Browning (1976) a observé que le coût social du financement d’un dollar marginal de dépenses publiques est la somme de ce dollar, qui ne peut plus être utilisé pour un usage privé, et du changement dans le coût total en bien-être social causé par les distorsions sur les choix individuels que crée la hausse des TMEI requise pour générer ce dollar. La somme donne le CMFP, qui prend donc en compte le fardeau direct de la taxe ainsi que la charge excédentaire.

Le calcul précis du CMFP dépend de la distribution jointe et complète des élasticités des différents types de comportement et des TMEI à travers la population. Ce calcul précis peut donc être assez complexe et variable. Dans le cadre relativement simple d’une économie d’individus identiques où le seul choix individuel est entre le loisir et la consommation d’un bien privé, où l’impôt provient d’une taxe proportionnelle (à un taux τ) sur le revenu, et où le bien public est séparable dans la fonction d’utilité de l’individu, on montre (voir Fortin et Lacroix, 1994) que :

où η est l’élasticité non compensée de l’offre de travail par rapport au taux de salaire net.

L’équation (5) indique que le CMFP est croissant avec le TMEI, du moins lorsque l’élasticité d’offre de travail non compensée est positive. Une raison intuitive est qu’une réduction de l’offre de travail générée par une augmentation du TMEI est plus coûteuse en termes budgétaires pour le gouvernement lorsque le TMEI est initialement à un niveau élevé, et ce, parce que l’impact budgétaire d’une chute de l’offre de travail est proportionnel au TMEI de départ. Ainsi, lorsque η = 0,3 et τ = 0, le CMFP est de 1 $, alors qu’il atteint 1,43 $ lorsque τ = 0,5. Dans ce dernier cas, il en coûtera donc 1,43 $ à la marge, soit 0,43 $ de plus à la société, pour financer 1 $ supplémentaire de fonds publics en raison de la distorsion marginale plus élevée sur les heures de travail qui en découle.

Plus généralement, les distorsions au niveau des heures de travail offertes, telles que mesurées par le CMFP, dépendent d’une combinaison de trois facteurs : le niveau des taux effectifs d’imposition sur le revenu de travail, la répartition des individus (ou des ménages) selon ces taux, ainsi que la sensibilité des comportements d’offre de travail individuels[4]. Dans cet article, c’est la répartition des valeurs de τ qui nous intéresse de façon plus particulière. Comme nous venons de le voir, le CMFP croît avec τ (en supposant η > 0), ce qui indique que le coût de financement des dépenses publiques croît avec le niveau agrégé du financement de ces dépenses. Mais ce n’est pas seulement le niveau des τ auxquels font face en moyenne les individus qui importe. Il est en effet possible de démontrer que le CMFP est convexe dans les τ. Ainsi, pour une moyenne de τ donnée, plus sa variabilité à travers les individus autour de cette moyenne est importante, plus le CMFP de la société est élevé. Nous nous attarderons donc dans cet article à décrire à la fois les TMEI moyens et leur répartition à travers les individus[5].

1.3 Le rôle de la politique familiale

La politique familiale, surtout lorsqu’elle est ciblée vers les ménages à faible et à moyen revenu, a une incidence particulièrement importante sur le niveau et la variabilité des TMEI. Cette politique est constituée d’un ensemble de mesures fiscales et de programmes de transferts qui visent à apporter un soutien au revenu des familles. Au Québec, elle implique la participation des deux paliers de gouvernement, provincial et fédéral. Nous nous contenterons ici de décrire brièvement les principales modifications à la politique familiale qui ont été effectuées depuis une quinzaine d’années (jusqu’en 2002)[6] et ses implications attendues sur les TMEI. Nous discutons dans la conclusion de certains des changements apportés depuis 2002 dans la fiscalité des particuliers au Québec, et traitons brièvement de leur impact possible sur la répartition des TMEI.

En 1993, le gouvernement fédéral a aboli deux mesures d’aide universelle, soit les allocations familiales et le crédit d’impôt pour enfants à charge[7], dans le but de concentrer son soutien financier sur les familles à faible revenu[8]. Il a alors créé la prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) qui comprend, en plus d’un transfert de base, un supplément au revenu de travail pour les familles à faible revenu. À ces dernières, le gouvernement fédéral a également choisi d’accorder un crédit pour la taxe sur les produits et services (TPS), une mesure qui, comme la PFCE, a pour but de fournir un incitatif fiscal à travailler. En 1997, le gouvernement du Québec a lui aussi effectué une réforme majeure de l’aide accordée aux familles. La vocation de l’allocation familiale a alors été revue. Par le passé, il s’agissait d’une aide universelle dont le montant augmentait avec le nombre d’enfants. Avec la réforme, l’allocation familiale est devenue une aide financière versée uniquement aux familles à faible ou moyen revenu. En outre, la portion enfants des barèmes de l’aide sociale (appelée maintenant assistance-emploi) est devenue une composante de l’allocation familiale. Finalement, un service de garde « universel » à 5 $ par jour a été mis en place.

Au niveau de l’imposition provinciale, un crédit d’impôt non remboursable est octroyé au contribuable qui a des enfants à sa charge. Un supplément s’ajoute au montant de base dans le cas d’une famille monoparentale ainsi qu’aux parents dont les enfants poursuivent des études postsecondaires. Dès qu’il a un enfant à sa charge, un contribuable est également admissible à la réduction d’impôt à l’égard de la famille[9]. Finalement, le gouvernement provincial offre toujours une aide financière à la garde des enfants via le crédit d’impôt remboursable pour frais de garde encourus dans le cas des familles qui ne bénéficient pas du service de garde à 5 $ par jour. De son côté, le gouvernement fédéral a plutôt opté pour une déduction des frais de garde d’enfants, considérant qu’ils constituent un coût encouru pour gagner un revenu et qu’ils réduisent la capacité des parents à payer des impôts[10].

De façon globale, les deux paliers de gouvernement ont opté pour la redistribution verticale. Cette approche vise à faire financer par les familles plus riches une aide accrue aux familles démunies (Baril et al., 1997). L’aide universelle aux familles a par conséquent presque complètement disparu, des TMEI plus élevés à la sortie des programmes de soutien au revenu et plus variables pour l’ensemble des familles étant alors la contrepartie de la politique très ciblée choisie par les gouvernements fédéral et provincial au cours des dernières années.

2. Le modèle et les données utilisées

2.1 Structure et hypothèses du modèle

Le type de modèle que nous avons construit pour l’étude de la distribution des TMEI au Québec simule l’imposition des particuliers et les programmes de transferts des gouvernements pour un échantillon d’individus, de ménages ou de familles obtenu à partir d’une enquête ou de données administratives (voir Gupta et Kapur, 2000 pour une présentation générale de ces modèles). Le modèle que nous employons a été créé au départ au ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille du Québec (MESSF). Nous l’avons adapté pour les fins de ce travail. Il s’agit d’un modèle statique qui effectue des calculs comptables pour reproduire la fiscalité et les transferts de l’année 2002. À partir des informations contenues dans la base de données, le simulateur crée une réplique de la déclaration de revenus de chaque ménage faisant partie de l’échantillon en tenant compte des différents programmes de transferts auxquels il a droit. Une description complète des mesures appliquées par le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral qui ont été incluses dans notre modèle est fournie dans Duclos, Fortin et Fournier (2006). Un résumé de ces mesures apparaît en annexe.

Plusieurs hypothèses sont nécessaires pour effectuer une simulation complète de l’imposition et des programmes de transferts.

  • À titre d’exemple, aucune information concernant le montant des frais de garde encouru par les ménages avec enfants n’est comprise dans la base de données. Cette dépense doit donc être estimée. Nous considérons ainsi que toutes les familles bénéficient du service de garde à 5 $ par jour[11]. En réalité, tous les parents ne profitent pas de ce programme gouvernemental pour de multiples raisons.

  • En outre, nous posons l’hypothèse que seulement 50 % des familles qui répondent aux critères d’admissibilité du programme d’aide aux parents pour leurs revenus de travail (APPORT) profitent de cette aide gouvernementale. Il ne serait pas réaliste de toutes les inclure puisque seules les familles qui en font la demande peuvent obtenir ce soutien au revenu. Selon le rapport annuel de gestion du MESSF, environ 47 % des familles admissibles ont profité du programme en 2002.

Une description complète des différentes hypothèses que nous avons posées pour chacun des trois ménages représentatifs est fournie en annexe.

2.2 Statistiques descriptives

Dans la littérature, l’analyse descriptive des TMEI repose sur deux approches différentes. La plupart des auteurs ont recours à des profils fiscaux représentatifs (aussi appelés des « cas-types ») pour comparer l’imposition effective de différentes catégories de ménages. Cette méthode est largement utilisée puisqu’elle est relativement simple à réaliser. La deuxième approche consiste à déterminer la répartition des TMEI à travers la population. Elle permet une analyse beaucoup plus complète, mais nécessite l’utilisation d’une base représentative de données sur les ménages. Le modèle que nous utilisons possède l’avantage de permettre la présentation des résultats de chacune de ces deux approches.

Un exemple d’un profil fiscal représentatif est celui fourni par le graphique 1 pour une famille biparentale avec un revenu, deux enfants de 3 et 5 ans et participant au programme APPORT pour l’année d’imposition 2002. Dans les calculs portant sur les TMEI, on suppose un seul revenu de travail ainsi que des incréments successifs de 10 $ de revenu salarial. Dans le graphique 1 par exemple, les TMEI sont obtenus comme 1 moins le rapport de l’augmentation du revenu disponible de la famille parentale suite à une augmentation de 10 $ du salaire du chef de famille sur 10 $. Le graphique 1 permet d’observer l’évolution des taux en fonction du revenu de travail de la famille et de distinguer les zones où les taux sont les plus élevés. Le ministère des Finances du Québec possède également son propre modèle de revenu disponible qui a permis de générer les taux marginaux implicites publiés dans le document de la Commission sur la réduction des impôts des particulier (1999) et qui est également à l’origine des résultats présentés dans Ouellet (1998). L’analyse de profils fiscaux représentatifs est également utilisée par Bernier et Lévesque (1995) et Laferrière (2001), dont les travaux portent sur les programmes des gouvernements fédéral et provincial, ainsi que par Davies (1998), dont l’étude se limite aux mesures fiscales et de transferts fédérales. Récemment, une étude de l’OCDE (2004) a également fait appel à cette technique, étude qui se distingue par la présentation des contraintes budgétaires de différents types de ménages et ce, pour une vingtaine de pays membres et non-membres de l’OCDE[12].

Graphique 1

Revenu disponible et taux marginal effectif d’imposition d’une famille biparentale « type », selon le salaire total de la famille*

Revenu disponible et taux marginal effectif d’imposition d’une famille biparentale « type », selon le salaire total de la famille*
*

Les TMEI sont obtenus en ajoutant 10 $ au salaire du membre de la famille ayant le salaire le plus élevé.

Source : Direction de l’analyse économique et des projets gouvernementaux, MESSF.

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Trois éléments importants distinguent en général les différentes études qui ont été effectuées à l’aide de cas-types : le nombre de catégories distinctes de ménages retenu, l’intervalle de revenu considéré ainsi que l’ensemble des mesures fiscales et de transferts intégrés à l’étude. Par ailleurs, un constat important émerge de la plupart des études de cas-types. C’est dans la zone de revenu où les ménages sont bénéficiaires nets de l’État que les TMEI sont généralement les plus élevés (Gouvernement du Québec, 1999). Précisons que c’est un ensemble plus large encore de ménages, ceux à faibles revenus, qui sont les plus durement imposés (de façon effective) à la marge (Bernier et Lévesque, 1995; Ouellet, 1998; Davies, 1998 et Laferrière, 2001). Ce résultat n’est pas étonnant lorsque nous nous attardons à la structure des politiques gouvernementales de transferts. Dans le but de diriger l’aide vers les familles les plus pauvres et de limiter les coûts des programmes gouvernementaux, les mesures de transferts s’accompagnent en effet de taux de récupération qui sont souvent très élevés (c’est-à-dire que le montant d’aide financière diminue rapidement à mesure que le revenu familial est en hausse), augmentant ainsi le TMEI.

Les conclusions qui peuvent être tirées d’une analyse de cas-types demeurent toutefois plutôt limitées. La démonstration qu’une famille qui possède des caractéristiques bien précises aura un TMEI particulièrement élevé dans certaines tranches de revenu ne fournit aucune indication en ce qui a trait au nombre de familles qui se retrouvent dans cette situation. C’est ainsi que Davies (1998) pousse l’analyse un peu plus loin en calculant le taux marginal effectif moyen auquel font face les Canadiens (51 % en 1994). Par contre, ce résultat est basé sur des données agrégées, ce qui limite le raffinement de son analyse. Des études plus fines ont été menées dans le but de déterminer la répartition des TMEI à travers la population et de décrire les caractéristiques des individus qui font face aux plus hauts taux. Une caractéristique commune les unit, soit la méthodologie qui a été utilisée pour générer les TMEI, qui est d’ailleurs celle que nous emploierons.

En 1998, l’étude américaine produite par le Joint Committee on Taxation a effectué une comparaison entre les taux statutaires (qui reflètent le mécanisme d’imposition seulement) et les TMEI pour l’ensemble des ménages du pays. L’étude a permis de mettre en relief que 25 % des payeurs de taxes américains ont un TMEI qui diffère du taux d’imposition officiel. Au Canada, ce pourcentage s’élevait à 56 %[13] pour la même année fiscale (Macnaughton et al., 1998). Les travaux de Macnaughton et al. (1998) ont également permis de confirmer que les TMEI élevés se retrouvent surtout parmi les contribuables qui sont dans la tranche d’imposition de 17 %, c’est-à-dire ceux qui ont les revenus les plus faibles. Alors que seulement 2 % des individus dont le revenu se situe dans la plus haute tranche d’imposition ont un TMEI différent de celui prévu explicitement par la loi, 89 % de ceux dont le revenu est imposé à 17 % sont dans cette situation. Les auteurs mentionnent aussi qu’outre le revenu, les caractéristiques familiales ont un impact sur l’ampleur du TMEI. Mentionnons, entre autres, que le TMEI augmente par 2 ou 3 unités de pourcentage par enfant, cet effet n’étant cependant plus présent pour les familles dont le revenu se situe dans la tranche d’imposition la plus élevée. De l’étude du système fiscal et de transferts de la France par Laroque et Salanié (1999) se dégagent des résultats similaires à ceux obtenus à partir des simulations canadienne et américaine.

2.3 Les données utilisées

Les données que nous utilisons sont extraites du système « Base de données et Modèle de simulation de politiques sociales (BD/MSPS) » conçu par Statistique Canada. Cet outil a été créé pour permettre l’analyse de politiques fiscales, de programmes de transferts ainsi que de taxes de vente et ce, pour l’ensemble du Canada ou pour une province en particulier. Nous tirons nos données de ce modèle de microsimulation et nous effectuons nos propres calculs à l’aide de notre modèle. La raison de cette démarche réside dans le manque de flexibilité du système BD/MSPS. De plus, certaines politiques québécoises, comme le programme APPORT, n’y sont pas intégrées. Toutefois, la base de données du système BD/MSPS est la source d’information que nous considérons être la meilleure pour répondre à nos besoins. Elle a été construite à l’aide d’une combinaison de données administratives individuelles obtenues des déclarations de revenus personnelles et des dossiers historiques des prestataires d’assurance-emploi avec des données d’enquêtes sur les revenus des familles et les régimes de dépenses des familles.

Cinq grandes sources de données ont permis de construire la base de données de simulation de politiques sociales (BDSPS).

  1. La première est l’Enquête sur les finances des consommateurs qui est la principale source d’information dont dispose Statistique Canada concernant la répartition du revenu entre les individus et les familles. Des informations essentielles pour les simulations que nous effectuons s’y retrouvent.

  2. Une deuxième source d’information provient des déclarations d’impôt des particuliers. Elle constitue un complément important aux données d’enquêtes dont la principale lacune est le manque d’information détaillée sur plusieurs éléments de la fiscalité.

  3. Un échantillon des dossiers historiques des demandes de prestations d’assurance-emploi (AE) représente la troisième source de microdonnées.

  4. La quatrième est l’Enquête sur les dépenses des ménages qui est périodiquement menée par Statistique Canada. En plus de contenir des données très détaillées sur les revenus des Canadiens et la structure des dépenses des ménages, son principal apport est de fournir de l’information sur les changements nets dans l’actif et le passif des ménages. En cours de simulation, les données concernant l’épargne sont particulièrement utiles pour déterminer, par exemple, l’admissibilité d’une famille au programme APPORT (un test d’actifs est effectué pour déterminer si une famille à faible revenu peut bénéficier du transfert).

  5. Les concepteurs de la BDSPS ont puisé dans une dernière source, soit l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu. Il s’agit d’une enquête longitudinale sur les ménages qui fournit de l’information concernant les revenus et l’expérience sur le marché du travail[14].

La BDSPS, beaucoup plus riche en information qu’une seule enquête, contient toutes les variables nécessaires aux simulations que nous voulons effectuer.

Les données que nous avons extraites de la BDSPS étaient initialement stockées au niveau de l’individu. Nous avons regroupé les individus en fonction d’un niveau plus agrégé de classement, c’est-à-dire la famille de recensement, tout en conservant les informations relatives à chacun des membres (par exemple, le revenu de travail du chef ainsi que celui des autres membres de la famille). La BDSPS définit la famille de recensement comme étant « un chef, un conjoint le cas échéant, et les enfants de n’importe quel âge qui n’ont jamais été mariés, partageant le même logement ». Ainsi, deux individus célibataires vivant sous un même toit constituent deux familles de recensement. Dans le cadre de notre analyse fiscale, ces deux individus sont donc considérés séparément. Nous avons également fait en sorte que la personne âgée de 18 ans et plus, qui n’est plus aux études et qui possède un revenu imposable, mais qui demeure toujours dans la maison familiale soit traitée comme une personne seule. Le traitement de la base de données initiale a donc permis d’obtenir un échantillon approprié à l’analyse fiscale.

3. Analyse des résultats : profils fiscaux représentatifs

Les études microéconométriques qui se sont intéressées à l’impact des changements des politiques gouvernementales sur l’offre de travail ont généralement mené à la conclusion que les élasticités d’offre de travail par rapport au taux de salaire net sont relativement faibles pour la population dans son ensemble. Par contre, ces élasticités peuvent être plus importantes pour des groupes particuliers d’individus, tel que les chefs de famille monoparentale. Conséquemment, il est primordial d’aller au-delà de l’impact moyen que peuvent avoir la fiscalité et les transferts en analysant plutôt leur influence dans le cadre de situations familiales particulières et ce, à des niveaux de revenus divers.

Notre modèle de microsimulation nous permet d’atteindre cet objectif en mesurant les TMEI pour un échantillon représentatif de la population. En faisant appel à diverses mesures, telles que des profils fiscaux représentatifs et des graphiques de densité, nous dressons un portrait de la situation des TMEI au Québec. En effet, nous discutons du niveau des taux, de leur répartition et de leur composition, en plus de faire ressortir les caractéristiques des ménages que nous retrouvons dans les différentes tranches d’imposition effective. Rappelons que, tel que mentionné à la section 1.2, le CMFP est convexe par rapport aux TMEI. En conséquence, pour un TMEI moyen donné, le CMFP augmente avec la variabilité des TMEI et il est donc important de tenir compte de cette variabilité.

Tel que souligné à la section 2.2, le recours à des profils fiscaux représentatifs est une façon simple de comparer l’imposition effective de différentes catégories de ménages. La présentation que nous effectuons se distingue des cas-types que l’on retrouve généralement dans la littérature puisqu’elle est assortie d’une décomposition du TMEI total qui permet d’illustrer la contribution de chaque élément de la fiscalité (impôts sur le revenu, crédits d’impôt, remboursements, etc.), des transferts sociaux (programmes d’aide à la famille, aux revenus, etc.) et des taxes sur la masse salariale payées par l’employé (RRQ et AE). Trois profils fiscaux feront l’objet d’une courte présentation. Pour chacun d’eux, les TMEI, calculés pour une augmentation de 10 $ de revenu[15], sont présentés pour un revenu familial variant entre 0 et 70 000 $[16]. Nous avons opté pour une hausse de 10 $, à la marge, dans le but d’illustrer plus nettement les coupures associées aux seuils d’entrée et de sortie des différents programmes sociaux. De plus, des analyses de sensibilité effectuées à l’aide d’incréments variant entre 10 $ et 1 000 $ ont révélé que l’évolution du taux marginal dans le cadre d’une analyse de profil fiscal représentatif variait peu en fonction du montant d’augmentation du revenu retenu.

3.1 La personne seule

Le profil fiscal de la personne seule est illustré au graphique 2. Sa présentation est relativement simple compte tenu du nombre limité de mesures fiscales et de programmes qui affectent ce type de ménage. Notons que le TMEI est d’abord négatif, c’est-à-dire que le montant reçu en paiement de transferts s’accroît suite à la hausse du revenu. Il en est ainsi puisque la prestation d’aide sociale (appelé aussi assistance-emploi) n’est pas affectée par les premiers dollars gagnés par l’individu et puisque le crédit pour la TPS augmente avec le revenu. Dès que le revenu dépasse le seuil permis sans pénalité (1 200 $ lorsque la personne n’a pas de contraintes à l’emploi), la présence de l’aide sociale, accompagnée des cotisations au RRQ et à l’AE, fait grimper le TMEI jusqu’à 100 %. Ce n’est qu’un peu avant que son revenu atteigne 12 000 $ que la personne seule voit le TMEI auquel elle fait face diminuer. Le concept de « piège de la pauvreté » ou de piège à l’inactivité[17] prend ici tout son sens, puisqu’il nous est possible de constater graphiquement la présence de la barrière qui freine l’incitation au travail des individus prestataires de l’aide sociale. Soulignons également la présence d’une discontinuité du taux lorsque le revenu atteint le seuil de départ de la cotisation au régime d’AE (la cotisation, prélevée au taux de 2,20 %, s’applique sur les 2 000 $ gagnés initialement lorsque ce niveau de revenu d’emploi est atteint). Notons enfin que nous ignorons dans l’analyse les prestations spéciales que certains prestataires de l’aide sociale peuvent obtenir (par exemple assurance-médicaments, soins dentaires, prestations lors d’un sinistre, etc.) et auxquelles ils n’ont plus droit lorsqu’ils ne sont plus admissibles à ce programme. Dans un tel cas, le TMEI peut excéder 100 %.

Graphique 2

Composition du taux marginal effectif d’imposition d’une personne seule « type » selon le niveau de revenu total*

Composition du taux marginal effectif d’imposition d’une personne seule « type » selon le niveau de revenu total*
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Chacun des polygones montre la contribution d’un élément du système fiscal au TMEI total de la personne seule. Les TMEI sont obtenus en ajoutant 10 $ au revenu familial.

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Observons maintenant l’évolution du TMEI après la sortie de l’aide sociale. La combinaison des impôts fédéral et provincial, des cotisations (RRQ, AE et assurance médicaments), des crédits (TPS et TVQ) et du remboursement d’impôt foncier fait osciller le TMEI entre 35 % et 58 %. Outre les éléments précédemment énoncés, la personne seule bénéficie d’un crédit d’impôt pour personne vivant seule. Dans la représentation graphique ci-dessus, ce crédit est inclus dans la catégorie « impôt provincial ». À partir de 26 700 $, la réduction du crédit entraîne une hausse de 3,1 % du taux marginal attribuable à l’impôt provincial. Lorsque la personne seule gagne plus de 70 000 $, son TMEI devient stable à 45,7 %, puis 48,2 % au delà de 103 000 $.

3.2 La famille monoparentale

Le TMEI de la famille monoparentale est globalement plus élevé et plus variable que celui de la personne seule en raison de son admissibilité à un plus grand nombre de programmes de transferts. Mentionnons, à titre d’exemple, le supplément de la prestation fiscale pour enfant offert par le gouvernement canadien dont le taux de réduction est de 32,1 % pour les familles qui comptent trois enfants. Le graphique 3 illustre le profil fiscal de la famille monoparentale.

Graphique 3

Composition du taux marginal effectif d’imposition d’une famille monoparentale « type » selon le revenu familial*

Composition du taux marginal effectif d’imposition d’une famille monoparentale « type » selon le revenu familial*
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Chacun des polygones montre la contribution d’un élément du système fiscal au TMEI total de la famille monoparentale. Les TMEI sont obtenus en ajoutant 10 $ au revenu familial.

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Comme pour la personne seule, soulignons d’abord que le TMEI peut être négatif pour les familles à très faible revenu. Cette situation est rendue possible en raison du programme APPORT[18]. Le graphique 3 illustre comment le programme APPORT réduit le TMEI. En effet, la section pointillée représente l’évolution du taux en l’absence du programme APPORT. Nous constatons ainsi que cette mesure gouvernementale permet de « briser » en partie le mur formé par la réduction de la prestation d’aide sociale conséquente à la hausse du revenu. Des résultats comparables sont obtenus dans les analyses de cas-types effectuées par Bernier et Lévesque (1995) ainsi que par la Commission parlementaire sur la réduction de l’impôt des particuliers (1999). Par contre, une fois que la famille monoparentale quitte l’aide sociale, la prestation du programme APPORT et sa majoration (qui est une aide au paiement des frais de garde) sont graduellement réduites, provocant la hausse du TMEI qui atteint jusqu’à 154,6 %[19] entre 15 000 $ et 18 000 $.

Par la suite, notons que le taux est relativement faible entre 23 000 $ et 25 000 $, niveau de revenu à partir duquel les transferts et crédits commencent à décroître, portant le TMEI à 80 % pour la famille monoparentale (pour un revenu entre 28 000 $ et 36 000 $ environ). Notons que la catégorie « impôt provincial » inclut la réduction d’impôt à l’égard de la famille dont la diminution (à mesure que le revenu augmente) entraîne une hausse de 3 % du taux marginal attribuable à l’impôt provincial. Soulignons également la présence de taux de réduction élevés, particulièrement pour les allocations familiales (35 % entre 15 340 $ et 21 200 $), la PFCE (22,5 % entre 25 150 $ et 35 700 $), ainsi que le programme APPORT et sa majoration (43 % entre 15 340 $ et 18 460 $). À partir de 70 000 $, le TMEI de la famille monoparentale se stabilise autour de 50 %.

3.3 La famille biparentale

Le graphique 4 illustre le profil fiscal représentatif d’une famille formée de deux enfants et de deux adultes ayant un seul revenu de travail. Ainsi, nous remarquons l’absence des frais de garde d’enfants et de la majoration du programme APPORT, puisque nous posons l’hypothèse qu’un des deux parents demeure à la maison. Tel que nous l’avons souligné dans le cas de la famille monoparentale, la ligne pointillée représente le taux qui serait atteint en l’absence du programme APPORT. Remarquons que le taux d’imposition attribuable à ce programme devient positif (c’est-à-dire que le montant de la prestation diminue) avant que ne survienne la sortie de l’aide sociale, portant le taux marginal total à plus de 100 % entre 12 500 $ et 16 000 $ (cette situation était également présente dans le cas de la famille monoparentale). Nous constatons ainsi que le programme APPORT, qui se veut un incitatif à la participation au marché du travail, n’atteint que partiellement son objectif. Soulignons de plus que son taux de réduction (jusqu’à 43 %) contribue à maintenir le TMEI à plus de 60 % même lorsque le ménage n’est plus un bénéficiaire net de l’aide sociale. Nous remarquons finalement que sa combinaison avec le programme allocation-logement fait grimper le taux à plus de 80 % pour la famille dont le revenu se situe autour de 20 000 $.

Graphique 4

Composition du taux marginal effectif d’imposition d’une famille biparentale « type » selon le revenu familial*

Composition du taux marginal effectif d’imposition d’une famille biparentale « type » selon le revenu familial*
*

Chacun des polygones montre la contribution d’un élément du système fiscal au TMEI total de la famille biparentale. Les TMEI sont obtenus en ajoutant 10 $ au revenu familial.

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Bien que les profils fiscaux fournissent une illustration pertinente de l’évolution du TMEI, il faut se rappeler qu’ils ne sont valides que pour les cas précis qui ont été simulés. Les ménages étant hétérogènes, un profil fiscal représentatif ne peut pas être généralisé pour représenter l’imposition effective de toute une population. Seule l’application du système d’impôts et de transferts à un échantillon représentatif de la population québécoise permet d’étudier la répartition des TMEI dans la population entière.

4. Simulation à partir d’un échantillon

Le tableau 1 présente la répartition des ménages selon les quatre types étudiés, une fois notre échantillon pondéré. Selon l’échantillon que nous utilisons, 2,9 millions de ménages sont sans enfant, alors qu’on compte un peu plus de 850 000 ménages avec enfants.

Tableau 1

Estimation du nombre et répartition des ménages dans la base de données en fonction du statut familial

Estimation du nombre et répartition des ménages dans la base de données en fonction du statut familial

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Il est utile de discuter brièvement de la répartition des ménages en fonction de leur revenu familial. Le graphique 5 illustre la répartition pour chacun des quatre groupes. La proportion de ménages à faible revenu est plus élevée chez les personnes seules (61,2 % d’entre elles ont un revenu entre 0 et 20 000 $) et les familles monoparentales (51,1 % d’entre elles ont un revenu entre 0 et 20 000 $) comparativement aux ménages comptant deux adultes. Le groupe des familles biparentales est celui au sein duquel nous retrouvons la plus forte proportion de ménages ayant un revenu supérieur à 40 000 $, soit 73,3 % (54,7 % chez les couples sans enfant, 24,4 % chez les familles monoparentales et 15,3 % chez les personnes seules). Le graphique 5 présente également les revenus moyens, par parent et pour l’ensemble du ménage, encore une fois selon le statut familial. Dans le système fiscal québécois, l’impôt à payer est calculé sur la base de l’individu, tout en tenant compte partiellement du revenu de la famille à laquelle cet individu appartient. Puisqu’une attention particulière sera portée à analyser les TMEI des familles, notons qu’une différence d’un peu plus de 25 000 $ sépare le revenu moyen du chef de famille biparentale de celui de la famille monoparentale. Cet écart aura un impact important sur la répartition des TMEI auxquels ces familles font face.

Graphique 5

Répartition des ménages en fonction de leur statut familial et de leur revenu familial

Répartition des ménages en fonction de leur statut familial et de leur revenu familial

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4.1 La répartition des TMEI

Les TMEI sont maintenant mesurés, à l’aide de notre modèle, pour une hausse de 1 000 $ de revenu du ménage[20]. Pour étudier leur répartition dans la population, différentes mesures de densité sont exploitées. Elles permettent, à titre d’exemple, de déterminer le pourcentage de la population qui fait face à un TMEI supérieur à 60 % ou encore de caractériser les ménages pour lesquels nous trouvons les taux effectifs les plus élevés. Nous avons recours pour cela à des procédures d’estimation non paramétrique par noyaux. Ces procédures permettent d’estimer la densité d’une distribution sans avoir à préciser au préalable sa forme fonctionnelle (normale, log-normale, Pareto, etc.). Elles ont essentiellement comme effet de « lisser » les histogrammes souvent utilisés pour décrire la taille de groupes à travers différents intervalles – voir Fournier (2005) pour plus d’informations.

4.1.1 Les taux marginaux dans l’ensemble de la population : trois pôles

Le graphique 6 présente la répartition de la population selon les valeurs que peut prendre le TMEI. Les pourcentages que l’on y retrouve décrivent la répartition de la population à travers des tranches de TMEI de 20 %. Par exemple, 10,6 % de la population fait face à des TMEI nuls ou négatifs; 2,5 % de la population fait face à des TMEI dépassant les 100 %. Trois pôles caractérisent la distribution des TMEI décrite au graphique 6 : le TMEI nul, la tranche d’imposition de 35 % à 50 % et l’imposition effective de 100 %. En ce qui concerne le premier pôle, notons d’abord que 11 % des ménages bénéficient d’un TMEI négatif, c’est-à-dire qu’une hausse marginale de leur revenu leur donnerait droit à un transfert net additionnel. En incluant dans ce premier groupe tous les ménages dont l’imposition effective est inférieure à 20 %, c’est un ménage sur cinq qui profite d’un taux négatif ou relativement faible.

Graphique 6

Densité des TMEI pour l’ensemble de la population*

Densité des TMEI pour l’ensemble de la population*
*

L’axe vertical montre la densité des TMEI selon leur niveau. Les pourcentages qui apparaissent entre des flèches sur le graphique même indique la proportion de la population qui se retrouve dans différents intervalles de 20 % de TMEI.

**

Exemple : pour 3,9 % des ménages, le taux marginal effectif d’impositon se situe entre 60 et 80 %.

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Pour près de la moitié des ménages (46 %), le TMEI se situe entre 35 % et 50 %. De ce second pôle au centre du graphique, nous distinguons deux sommets à 39 % et 45 %. Ces deux taux effectifs sont formés essentiellement des taux marginaux d’impôt sur le revenu des deux paliers de gouvernement, soit 20 % et 24 % au niveau provincial, ainsi que 22 % et 26 % au niveau fédéral[21]. Les ménages qui se retrouvent dans cette situation sont principalement ceux dont le revenu familial est supérieur à 40 000 $ et qui, à la marge, sont touchés par très peu de programmes gouvernementaux.

Finalement, 8 % des ménages sont dans une situation telle que leur TMEI est supérieur à 80 %. En fait, il atteint pour la plupart d’entre eux 100 %, ce qui correspond à la perte d’un dollar de transfert pour chaque dollar supplémentaire gagné. Avec un revenu familial moyen de 6 779 $[22], ce sont essentiellement des ménages prestataires de l’aide sociale que nous retrouvons dans cette catégorie (ménages pour qui la prestation est amputée de 1 $ pour chaque 1 $ de revenu de travail additionnel). Les ménages dont le TMEI est nul bénéficient également du soutien financier de l’aide sociale. Ces derniers ont par contre un revenu familial plus faible qui, lorsque nous l’augmentons de 1 000 $ au cours de notre simulation, demeure inférieur au revenu maximum permis sans pénalité à l’aide sociale (empêchant ainsi que le dollar supplémentaire de revenu de travail entraîne une réduction équivalente du transfert). Au sein du groupe des ménages imposés marginalement à 100 %, nous retrouvons 5 % des familles monoparentales, comparativement à 1 % des familles biparentales. Ce sont également 10 % des personnes seules qui sont dans cette situation. Les graphiques et tableaux suivants permettront de mieux saisir quelles sont les caractéristiques des ménages qui se retrouvent autour des trois grands pôles d’imposition.

Dans le but de raffiner notre analyse et de préciser les résultats précédemment énoncés, un second graphique permet d’étudier la répartition de la population en fonction de deux variables, soit le TMEI et le revenu familial. Ce graphique est le résultat de l’estimation d’une densité bivariée. Observons le graphique 7[23] où nous retrouvons à nouveau les trois pôles qui caractérisent la répartition de la population en fonction du taux d’imposition. Ce nouveau graphique ajoute de l’information à notre analyse. En effet, nous constatons que les ménages qui font face à un taux nul ou de 100 % sont clairement concentrés dans les tranches de revenu les plus faibles (c’est-à-dire entre 0 et 20 000 $). D’ailleurs, la rotation du graphique (voir le bas du graphique 7) fait ressortir la présence d’un seul pôle pour les ménages à revenu moyen et élevé. Pour valider ce constat, nous avons estimé la densité des TMEI conditionnellement au revenu. Cette mesure est en quelque sorte une coupe transversale du graphique de la densité bivariée à un niveau de revenu particulier. Les résultats sont présentés au graphique 8. Pour les ménages dont le revenu familial est de 10 000 $, nous distinguons trois zones de concentration à 0 %, 40 % et 100 %, alors que ceux dont le revenu familial est de 80 000 $ sont regroupés autour d’un seul sommet.

Graphique 7

Densité jointe des TMEI et des revenus pour l’ensemble de la population, vue de deux perspectives différentes

Densité jointe des TMEI et des revenus pour l’ensemble de la population, vue de deux perspectives différentes

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Graphique 8

Densité des TMEI conditionnelle à un revenu de 10 000 $ et de 80 000 $*

Densité des TMEI conditionnelle à un revenu de 10 000 $ et de 80 000 $*
*

Les graphiques montrent la répartition des TMEI à travers les individus qui ont un revenu familial donné, soit de 10 000 $, soit de 80 000 $.

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4.1.2 Les taux marginaux selon le statut familial : l’impact de la répartition des revenus

Les quatre graphiques présentés au graphique 9 poussent encore un peu plus loin notre analyse. Ils présentent la répartition des ménages en fonction des TMEI et des revenus, selon le statut familial.

Graphique 9

Densité jointe des TMEI et des revenus, selon le statut familial

Personne seule

Personne seule

Couple sans enfant

Couple sans enfant

Famille monoparentale

Famille monoparentale

Famille biparentale

Famille biparentale

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Bien que nous en retrouvions un certain nombre parmi les familles monoparentales, les ménages qui font face à un TMEI de 100 % sont principalement ceux à l’intérieur desquels on ne retrouve pas d’enfant (personnes seules et couples sans enfant). Ce constat est intéressant et mérite que nous nous attardions aux explications qui le justifient. À prime abord, il serait plausible de penser que le programme APPORT y soit pour quelque chose puisque, tel que constaté dans la présentation des cas-types, il abaisse en partie le taux marginal dans la zone où les ménages sont prestataires nets de l’aide sociale. Après avoir investigué davantage, il semble que le programme APPORT ne soit pas en cause dans ce résultat. Nous avons en effet testé la sensibilité des résultats obtenus pour les familles en faisant varier la participation au programme APPORT, de l’absence complète du programme à un taux de participation de 100 %. Les résultats se sont avérés très peu sensibles à ces changements. Bien que le programme APPORT ait un impact non négligeable dans la réduction des TMEI pour certains ménages types (tel qu’illustré antérieurement et tel que discuté dans la littérature par Bernier et Lévesque, 1995), son impact demeure peu important en ce qui concerne la répartition des TMEI dans l’ensemble des familles. Le fait que les ménages imposés à 100 % à la marge ne soient principalement pas des familles s’expliquerait plutôt ainsi. Les ménages pour lesquels nous trouvons un TMEI de 100 % sont en grande partie ceux dont le revenu est supérieur à 0 et inférieur à 10 000 $ (ménages comptant un adulte) ou 15 000 $ (ménages comptant deux adultes). Or, c’est le cas pour 26 %[24] des personnes seules, ce qui explique la forte densité trouvée au TMEI de 100 %.

Chez les familles monoparentales, 15 % sont dans cette situation, alors que 24 % ont plutôt un revenu familial nul. Pour ces dernières, le revenu maximum permis sans pénalité par l’aide sociale n’est pas atteint en simulant une hausse de 1 000 $ de revenu. Par conséquent, leur taux marginal est alors nul ou même négatif lorsque la famille devient admissible au programme APPORT sans dépasser le seuil à partir duquel elle est pénalisée. Puis, pour les familles monoparentales qui sont pénalisées (perte d’une partie de la prestation d’aide sociale), le programme APPORT abaisse effectivement le taux marginal autour de 80 %[25]. Quant aux familles biparentales, elles sont moins nombreuses à avoir un revenu inférieur à 20 000 $ (9 %), ce qui explique le faible pourcentage d’entre elles dont le taux marginal est à 100 %. En résumé, c’est d’abord la répartition des revenus propre à chaque groupe qui explique pourquoi les ménages avec enfants ne sont pas principalement ceux qui sont imposés marginalement à 100 %. De plus, il ne faut pas oublier qu’une hausse de revenu de 5 000 $ propulserait à plus de 80 % le taux de presque toutes ces familles dont l’imposition effective, pour une hausse de 1 000 $, est nulle.

Nous avons mentionné qu’une forte proportion des familles monoparentales bénéficient d’un TMEI nul. Nous en retrouvons également une concentration importante chez les personnes seules. Une fois de plus, ces ménages sont généralement ceux dont le revenu familial est à zéro. Or, nous retrouvons les plus fortes proportions de ménages ayant un revenu familial nul chez les personnes seules (10 %) et les familles monoparentales (24 %). Notons que parmi les personnes seules faiblement imposées, nous retrouvons également les jeunes de 18 ans et plus ne poursuivant pas d’études postsecondaires, mais vivant toujours chez leurs parents. Avec un TMEI moyen de 25 %, ces jeunes contribuent à accroître la proportion de personnes seules qui font face à de faibles TMEI.

Pour les quatre types de ménages, nous observons de fortes concentrations dans la zone centrale des graphiques. Par contre, en regardant les résultats attentivement, nous constatons que la concentration survient autour d’un taux différent pour chacun des groupes. Pour les personnes seules et les couples sans enfant, la pointe centrale se situe au TMEI de 40 %. Chez les familles, les fortes concentrations se retrouvent à des taux supérieurs, soit 50 % pour les biparentales et près de 60 % pour les monoparentales. Ce résultat reflète la présence d’un nombre important de programmes de transferts qui touchent directement la famille. Nous en discuterons plus amplement lorsque nous analyserons les différentes composantes qui forment le TMEI. Lorsque nous avons analysé le graphique de la densité des taux marginaux pour l’ensemble de la population, les zones de forte concentration se situaient autour de 39 % et de 45 %, c’est-à-dire à des taux inférieurs que ceux qui caractérisent les familles. Il en va ainsi puisque les personnes seules et les couples sans enfant représentent 75 % de l’échantillon une fois pondéré.

Terminons en soulignant la répartition particulièrement lisse des taux chez les familles biparentales. Puisque 73 % d’entre elles ont un revenu familial supérieur à 40 000 $, elles sont principalement imposées à un taux avoisinant 50 % à la marge, taux qui est attribuable à deux composantes : l’impôt sur le revenu des deux paliers de gouvernement (45 %) et la PFCE (5 %). Ce constat révèle que le fardeau des familles biparentales, à la marge, est déjà passablement élevé. Elles sont majoritairement dans une situation où seulement la moitié du revenu marginal gagné leur est disponible. Une réforme de la fiscalité et des transferts qui hausserait l’imposition effective des ménages à revenu moyen et élevé aurait pour conséquence d’accroître le TMEI déjà important auquel font face les familles biparentales.

4.1.3 Le taux marginal moyen en fonction du revenu : une vue d’ensemble pour chacun des groupes

Nous nous intéressons maintenant de façon plus précise au taux marginal attendu en fonction du revenu familial. Cette mesure permet de mieux analyser l’impact que peut avoir une hausse du revenu dans le cadre d’une situation financière de départ précise. Alors que les mesures de densité utilisées précédemment apportaient un éclairage en ce qui concerne la répartition des taux, l’estimation des taux marginaux espérés témoigne plutôt du niveau que peut atteindre le TMEI pour des revenus donnés.

Un premier constat s’impose lorsque nous observons le taux marginal moyen pour chacun des quatre groupes de ménages : pour certaines tranches de revenu, les familles (qu’elles aient à leur tête un ou deux parents) peuvent s’attendre à voir leur taux marginal dépasser la barre des 50 %. Ce n’est pas le cas pour les personnes seules et les couples sans enfant, tel qu’en témoigne le tableau 2.

Tableau 2

TMEI moyen en fonction du revenu et selon le statut familial

TMEI moyen en fonction du revenu et selon le statut familial

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Ce sont les familles qui font face, de façon globale, aux plus hauts taux moyens d’imposition. Par contre, lorsque le revenu du ménage est inférieur à 10 000 $, les familles obtiennent des taux moyens inférieurs à ceux des ménages sans enfant. C’est au sein du groupe des familles monoparentales que le plus haut TMEI moyen est atteint. Entre 15 000 $ et 45 000 $, le taux moyen pour ce groupe se maintient au delà de la barre des 50 %, atteignant 62 % à 35 000 $ (voir graphique 10).

Graphique 10

TMEI moyen en fonction du revenu et selon le statut familial*

TMEI moyen en fonction du revenu et selon le statut familial*
*

Les calculs sont faits en utilisant une régression non paramétrique des TMEI à travers les revenus familiaux et pour des familles de différents types.

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De façon générale, le taux attendu diffère selon le statut familial lorsque le revenu est inférieur à 50 000 $, alors qu’il converge autour de 45 % pour tous les ménages à revenu élevé.

4.2 La décomposition des taux marginaux et l’impact des programmes d’aide gouvernementaux

Dans cette section, nous présentons la décomposition du taux marginal moyen pour chacun des quatre types de ménages qui nous intéressent. Cette nouvelle étape de notre analyse permettra d’évaluer l’importance de chaque programme et mesure fiscale dans la composition du taux marginal total.

Un même TMEI pour deux ménages distincts n’implique pas nécessairement une situation fiscale identique. Nous en avons un exemple dans le tableau 3 où nous observons que la personne seule et la famille monoparentale ont le même taux moyen, c’est-à-dire 35 % (voir la ligne « Total » du taux moyen au bas du tableau 3). Ce taux moyen total ne provient toutefois pas des mêmes sources chez ces deux ménages. Par exemple, chez la personne seule, l’imposition du revenu représente près de 60 % du taux marginal moyen, alors que cette proportion est de 50 % chez la famille monoparentale – voir la somme des lignes « Impôt fédéral » et « Impôt provincial ». Alors que la part du dollar marginal gagné qu’elle doit envoyer à l’impôt est moins grande que pour la personne seule, la famille monoparentale voit en contrepartie les transferts qui lui étaient accordés diminuer. En effet, sur 1 $ supplémentaire de revenu de travail, elle paie, en moyenne, 0,17 $ en impôt (0,21 $ pour la personne seule), 0,03 $ en cotisations diverses (0,04 $ pour la personne seule) et subit une baisse de 0,13 $ de ses transferts (0,11 $ pour la personne seule), rendant ainsi son taux marginal équivalent à celui d’une personne seule.

Tableau 3

Décomposition du TMEI moyen à travers différentes composantes du système fiscal et de transfert, selon le statut familial

Décomposition du TMEI moyen à travers différentes composantes du système fiscal et de transfert, selon le statut familial
1

Assurance-emploi, RRQ et assurance-médicaments

2

Aide sociale, APPORT, majoration APPORT et allocation-logement

3

PFCE, supplément pour jeune enfant, allocations familiales, frais de garde et crédit pour frais de garde

4

Crédit TPS, crédit TVQ et remboursement d’impôt foncier

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Par rapport à celui du ménage formé d’un seul adulte, le taux marginal moyen du couple sans enfant et de la famille biparentale est plus élevé de 5 % et de 10 % respectivement. Nous remarquons d’abord que les taux marginaux d’imposition du revenu sont plus élevés chez les ménages ayant deux adultes à leur tête. D’ailleurs, c’est l’impôt sur le revenu qui distingue la famille monoparentale de la famille biparentale. Pour cette dernière, le taux de réduction des programmes de transferts est moins important. C’est la richesse plus élevée, en moyenne, des familles comptant deux adultes qui explique la composition différente du taux marginal moyen (rappelons-nous le graphique 5 qui présentait comment, en moyenne, le revenu du chef d’une famille monoparentale est plus faible que celui d’une famille biparentale). À un niveau de revenu avoisinant 25 000 $ (situation du chef de famille monoparentale), les taux d’imposition du revenu, pour les deux paliers de gouvernement, sont relativement faibles (ils comptent pour 50 % du taux global de la famille monoparentale), alors que les taux implicites de plusieurs programmes d’aide au revenu et de soutien à la famille commencent à apparaître (ils expliquent 41 % du taux global de la famille monoparentale). À l’opposé, lorsque le revenu est d’environ 50 000 $ (situation du chef de famille biparentale), les taux d’imposition sur le revenu sont plus élevés (ils comptent pour 70 % du taux global de la famille biparentale) alors que les taux de récupération des programmes gouvernementaux sont presque tous à zéro (ils expliquent 21 % du taux global de la famille biparentale).

En ce qui a trait à la différence de 5 % entre le taux marginal des couples sans enfant et celui des familles biparentales, elle s’explique principalement par la présence des enfants. Ces derniers permettent aux parents d’avoir accès à des programmes d’aide dont les montants décroissent en suivant la progression du revenu familial, engendrant ainsi un taux implicite d’imposition de 5 %. Outre cette différence qui explique l’écart entre les taux au total, notons que la composition du taux moyen n’est pas exactement la même. Les deux membres du couple sans enfant ayant en moyenne des revenus inférieurs à ceux des parents de la famille biparentale (voir graphique 5), le taux implicite des programmes d’aide au revenu est plus élevé pour les premiers alors que les taux associés à l’imposition des revenus sont plus importants pour les seconds.

Conclusion

À l’aide d’un modèle de simulation capable de reproduire en totalité le système d’impôt et de transferts québécois, cet article a permis de dresser un portrait complet et représentatif des TMEI au Québec en 2002. En effet, en plus de présenter de façon détaillée trois profils fiscaux représentatifs, nous avons effectué, au moyen d’outils d’estimation variés, une analyse descriptive des TMEI pour l’ensemble des ménages, en accordant une attention particulière aux déterminants de la moyenne et de la variabilité des TMEI ainsi qu’à la situation des familles. Ce portrait complet est une étape nécessaire à une compréhension approfondie de l’impact incitatif de la fiscalité québécoise ainsi que des coûts d’efficacité que cette fiscalité engendre pour la société en moyenne et à la marge.

Nous avons ainsi pu constater que les ménages pour lesquels nous trouvons les TMEI les plus élevés sont principalement les personnes seules sans enfant, et qu’un nombre important d’entre elles devaient faire face à un taux supérieur à 100 %. Bien que les simulations effectuées aient permis de montrer que cette situation se produit moins chez les familles monoparentales, nous avons vu que plus du quart d’entre elles font face à un TMEI atteignant, et pouvant même dépasser, 80 %. Principalement prestataires de l’aide sociale, ces familles doivent surmonter un important piège à l’inactivité que les programmes de supplément au revenu de travail, tel APPORT, ne réussissent pas à enrayer.

De leur côté, les familles biparentales, dont le revenu moyen est plus élevé, sont dans une situation différente. Elles font majoritairement face à un TMEI qui approche 50 %, taux attribuable en grande partie à l’impôt sur le revenu et aux programmes relatifs aux enfants dont les prestations diminuent progressivement.

Au fil de l’analyse, nous avons par ailleurs remarqué comment les politiques gouvernementales très ciblées vers les familles les moins nanties engendrent, pour celles dont les revenus sont un peu plus élevés, des TMEI qui dépassent ceux des ménages sans enfants et qui constituent une charge importante à la marge. Nous avons aussi noté que c’est le taux implicite d’imposition lié aux programmes d’aide au revenu qui varie le plus entre les ménages et qui contribue donc le plus à la variabilité globale du TMEI.

Le portrait des TMEI que nous avons dressé fournit aussi un outil utile à une réflexion plus large sur les possibilités de réforme fiscale. L’attention particulière accordée à la situation actuelle des familles dans l’analyse de nos résultats nous permet entre autres de réfléchir de façon critique aux pistes de solution pouvant mener à la réduction de l’imposition effective des familles qui ont été proposées dans la littérature.

Ainsi, l’abandon du régime sélectif qui prévaut actuellement au profit d’un retour à la reconnaissance universelle du coût d’élever des enfants est une première possibilité de réduction des taux effectifs. Cette solution est proposée par Poschmann et Mintz (1999), Lefebvre (1999) et Poschmann et Richards (2000). L’universalisation pourrait se faire, à titre d’exemple, en introduisant un crédit d’impôt pour enfants à charge au fédéral, similaire à celui accordé au Québec, qui aurait pour avantage d’augmenter le seuil à partir duquel une famille commence à payer de l’impôt. Par contre, ce retour à l’universalité pourrait entraîner une hausse des taux d’imposition sur le revenu pour les contribuables dont les revenus sont moyens ou élevés (Kesselman, 1999). Ainsi, quoique le crédit d’impôt non remboursable soit en soi une option intéressante, la façon de le financer doit être analysée attentivement.

Par ailleurs, le recours à des programmes de supplémentation des revenus de travail, qui rendent le marché de l’emploi financièrement plus attrayant pour les personnes inactives, est une solution qui existait déjà à petite échelle en 2002 (avec le programme APPORT) et qui aurait pu être étendue (Lefebvre, 1999). Nous avons vu, lors de l’analyse des profils fiscaux des familles monoparentale et biparentale, que le programme APPORT n’atteignait toutefois pas parfaitement son objectif en 2002, la barrière formée par l’imposition effective de 100 % n’étant que partiellement abaissée. Nous avons ainsi remarqué que 5 % des familles monoparentales font face à un taux marginal de 100 %.

Finalement, le système fiscal a connu des changements significatifs depuis 2002 qui ne sont évidemment pas reflétés dans la présente analyse. En 2005, le gouvernement du Québec a entrepris la mise en place d’un programme de prime au travail (« Crédit d'impôt relatif à la prime au travail »), ce qui a conduit à l’élimination d’APPORT en faveur d’un programme de supplémentation du revenu de travail accessible à tous les ménages à faible revenu. La prime au travail prend la forme d’un crédit d’impôt remboursable. Elle est octroyée aux ménages ayant un revenu de travail mensuel minimum. Cette mesure peut améliorer les incitations des ménages qui font face à une imposition marginale élevée et qui n’étaient pas admissibles à APPORT (c’est-à-dire, les personnes seules et les couples sans enfants) ou qui n’y participaient pas. Le nouveau programme est beaucoup plus important puisqu’il coûtait 269 millions en 2005 alors que le programme APPORT n’aurait coûté que 26 millions. Cependant, Godbout et Arseneau (2005) soulignent que les effets incitatifs au travail risquent d’être relativement faibles, car la hausse des coûts provient surtout de la généralisation du programme de supplémentation aux ménages sans enfants pour lesquels le montant de la prime s’avère fort peu généreux. Par ailleurs, trois récentes études économétriques (Lafond-Bélanger, 2006; Brouillette et Fortin, 2007 et Parisé, 2007) ont conclu que les effets incitatifs au travail de la prime étaient ambigus, en raison de l’importance des ménages se situant dans la phase décroissante de la prime. Pour ces ménages, la prime a un effet désincitatif au travail, jouant le rôle d’une taxe marginale sur le revenu de travail.

Le paiement de « Soutien aux enfants », versé chaque trimestre ou chaque mois par la Régie des rentes du Québec, a aussi remplacé, à partir de 2005, les prestations familiales, le crédit d'impôt non remboursable de base pour les enfants mineurs et la réduction d'impôt à l'égard de la famille qui avaient cours avant 2005. Le montant du paiement ce soutien aux enfants est calculé en tenant compte du revenu familial, du nombre d'enfants à charge de moins de 18 ans, et n'est pas imposable. Le montant est réduit de 4 % à partir de 43 437 $ pour une famille biparentale et de 31 832 $ pour une famille monoparentale, jusqu’à un montant minimal d’environ 600 $ par enfant. Relativement au système prévalant avant 2005, cette mesure tend probablement à lisser les TMEI pour les familles avec enfants à faibles et moyens revenus.

Un dernier changement récent est celui apporté par le budget 2007 du gouvernement du Québec, dont la pièce maîtresse a consisté en une augmentation de 275 dollars du montant de base et en une majoration de 25 % des seuils de revenu imposable de la table d’imposition. La première tranche d’imposition au taux de 16 % est passée de [0 $, 29 875 $] à [0 $, 37 500 $]; les tranches suivantes d’imposition à 20 % et 24 % sont amenées à [37 501 $, 75 000 $] et à 75 000 $ et plus, respectivement. Tout comme pour la prime au travail et le paiement de soutien aux enfants, l’effet précis de ces changements sur la répartition des TMEI gagnera certainement à être validé par des travaux de recherche futurs.