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Introduction

Jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, l’aide publique au développement (APD) était l’une des principales sources du financement du développement. Elle a ensuite subi un net déclin pour progressivement devenir un flux secondaire par rapport aux excédents commerciaux, aux investissements directs étrangers ou encore aux transferts des travailleurs immigrés. Les années deux mille semblent cependant marquer une nouvelle période pour l’APD. Thème central du sommet du G8 en juillet 2005 et de la Conférence des Nations Unies sur les objectifs du Millénaire en septembre de la même année, l’évolution récente de l’APD révèle en effet, au-delà des discours, de nouvelles dynamiques en termes de niveau mais également de modalités de mise en oeuvre.

L’objet de cette analyse est d’identifier les principales caractéristiques de cette nouvelle période pour l’APD et d’en cerner les nouvelles logiques[1]. Dans un premier temps, nous montrons que le dynamisme actuel de l’aide peut être compris comme la conséquence d’une véritable « mise sous pression » face à un environnement plus exigeant, économiquement et politiquement. Dans ce contexte nouveau, où les questions d’efficacité et de cohérence de l’aide figurent désormais au premier plan, nous indiquons ensuite les principales directions dans lesquelles s’engagent l’APD. Celles-ci concernent essentiellement les nouvelles conditions de prise en compte de la demande, de l’organisation de l’offre et des modalités de sa mise en oeuvre. À partir de ces enseignements, la dernière section propose des alternatives possibles de l’évolution de l’APD en soulignant la diversité des types d’aide qui semblent progressivement s’imposer.

1. Les nouvelles dynamiques de l’APD

1.1 Un retour en force incontestable

Depuis 1969, la délimitation officielle du périmètre de l’APD est du ressort du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE. Elle inclut tous les apports publics en espèces, en produits ou en services fournis aux pays en développement[2] et aux institutions multilatérales, visant à promouvoir le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des bénéficiaires, effectués à des conditions financières favorables. On y trouve par exemple, les dons, les prêts concessionnels comportant un élément de libéralité d’au moins 25 %[3], l’assistance technique, les opérations d’allègement de dette ou encore la prise en charge des frais d’éducation de ressortissants d’un pays en développement, etc. [4] Les statistiques du CAD (graphiques 1a et 1b) montrent que, selon cette conception, l’APD a connu une forte progression depuis le début des années deux mille. De 52,3 milliards de dollars américains ($ US) en 2002, elle est passé à près de 103,9 milliards $ US en 2006, après avoir atteint son niveau absolu le plus élevé en 2005 (106,7 milliards $ US)[5]. De même, avec 0,3 % du revenu national brut (RNB) total des membres du CAD, l’effort d’aide retrouve le niveau qu’il avait au début des années quatre-vingt-dix après plus d’une décennie de fort ralentissement.

Du coté des offreurs, cette nouvelle dynamique confirme la concentration de l’APD sur un petit nombre d’acteurs bilatéraux (graphique 2a). Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie sont à l’origine de près de 80 % du total de l’aide en 2006 (79 % en 2001). L’aide multilatérale, essentiellement apportée par les organisations internationales du système des Nations Unies (ONU, UNESCO, PNUD, etc.) et les organisations économiques et financières (FMI, Banque mondiale, etc.), se maintient, pour sa part, à un niveau relatif proche de 30 % de l’aide totale (graphique 2b).

Du coté des bénéficiaires, cette nouvelle dynamique s’accompagne également d’un redéploiement de l’aide vers les pays intermédiaires de la tranche inférieure (PITI) (graphique 3). En 2006, ces derniers perçoivent désormais prés de 50 % du total de l’APD[6]. Depuis 2003, ils ont supplanté les pays les moins avancés (PMA) et les autres pays à faible revenu (PFR) qui représentent toutefois à eux seuls près de 45 % du total[7]. De même, le faible poids des pays intermédiaires de la tranche supérieure (PITS), à peine 2,5 % du total, confirme une logique d’APD orientée vers les plus pauvres des pays en développement.

Graphique 1A

Évolution du niveau de l’APD (en milliards de dollars US)

Évolution du niveau de l’APD (en milliards de dollars US)
Source : OCDE (2007)

Graphique 1B

Évolution de l’effort d’APD (en % du RNB total)

Évolution de l’effort d’APD (en % du RNB total)
Source : OCDE (2007)

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Graphique 2A

APD par pays en 2006 (en milliards de dollars US)

APD par pays en 2006 (en milliards de dollars US)
Source : OCDE (2007)

Graphique 2B

Parts respectives de l’APD bilatérale et multilatérale (en %)

Source : OCDE (2007)

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1.2 Une multiplication de ses finalités

Les premières explications de ce retour en force de l’APD sont de nature structurelle, liées aux transformations de l’environnement dans lequel elle s’insère. Sur le plan politique, l’effondrement du bloc de l’Est et la fin du processus de décolonisation de la décennie quatre-vingt-dix ont remis en cause ses légitimités stratégiques traditionnelles. Parallèlement, la multiplication de conflits locaux impliquant des pays du sud et la montée du terrorisme international ont mis au premier plan les questions de sécurité (OCDE, 2005c) et posé la question de la mise en place de mécanismes de régulation. De même, sur le plan économique, le renforcement du processus de mondialisation a non seulement aggravé la fracture Nord - Sud mais également renforcé les différences entre les pays du Sud eux-mêmes. Ces derniers constituent désormais un groupe de plus en plus hétérogène, où se côtoient des pays marginalisés très pauvres, essentiellement africains, et des pays émergents, en Asie de l’Est et en Amérique latine, qui ont su s’insérer dans le processus de mondialisation. Enfin, sur le plan de la réflexion, la décennie quatre-vingt-dix a vu l’essor de nouveaux débats qui ont progressivement influencé les conceptions du développement. On peut citer par exemple ceux autour des concepts de « développement durable », de « bonne gouvernance » (World Bank, 1992, 1994) ou encore de « biens publics mondiaux » (Kaul et al.,1999; Gabas et Hugon, 2001).

Graphique 3

Répartition de l’APD par type de bénéficiaires (en pourcentage)

Répartition de l’APD par type de bénéficiaires (en pourcentage)

Note : PITS : Pays intermédiaires de la tranche supérieure

PITI : Pays intermédiaires de la tranche inférieure

PFR : Pays à faible revenu

PMA : Pays moins avancés

Source : OCDE (2007)

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Dans ce contexte nouveau, l’APD a vu ses problématiques se complexifier, ses cibles potentielles se modifier et ses finalités se diversifier (Véron, 2004; Severino et Charnoz, 2005). Du côté des institutions multilatérales on assiste par exemple au développement de nouvelles conditions de l’octroi de l’aide liées à la gestion et à la prévention des conflits, à la protection de l’environnement, à la lutte contre la pauvreté, aux modes de gouvernance des pays, etc. Au final, quatre dimensions majeures de l’APD peuvent désormais être distinguées. Dans une première dimension, de « solidarité internationale », l’APD sert d’outil d’accompagnement des marchés dans des pays du Sud où la situation sociale ne cesse de se dégrader. L’une des pistes explorées par la communauté internationale, au premier rang de laquelle se trouve la Banque mondiale, est ainsi d’accompagner les plans d’ajustement structurels par des mécanismes de redistribution internationale, jouant comme un véritable filet mondial de sécurité sociale et permettant de garantir un niveau de bien-être minimum aux populations les plus démunies. Dans une deuxième dimension, à caractère « géostratégique », l’APD est proposée comme une solution aux problèmes de paix et de sécurité. C’est dans cette perspective, que s’inscrivent les aides de prévention et de gestion des crises ou de reconstruction des pays en situation postconflit proposées par l’ONU (ONU, 2004). C’est également dans cette optique qu’il faut situer le maintien voire le retour d’aides bilatérales très marquées politiquement (notamment de la part des États-Unis). Dans une troisième dimension, de « développement durable », l’APD est mobilisée pour le financement de projets économiques respectueux de l’environnement naturel et social. Ces intentions affichées dès le Sommet de Rio de 1992 sont longtemps restées à l’état de promesses. Elles ont été réaffirmées avec plus de force au Sommet de Johannesburg sur le développement durable de 2002. Enfin, dans une quatrième dimension, de « régulation de la mondialisation », l’APD sert d’outil de coopération internationale en s’orientant, notamment, vers le financement des biens publics mondiaux.

1.3 Une exigence d’efficacité renforcée

La deuxième explication du retour en force de l’APD est de nature plus conjoncturelle. Elle est directement liée à l’adoption des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) par les 191 États membres participants au Sommet du Millénaire des Nations Unies de 2000 (ONU, 2000). Ces OMD marquent en effet un changement radical de philosophie de la communauté internationale en matière de développement car ils mettent explicitement le phénomène de pauvreté au premier plan des priorités, au détriment des approches macroéconomiques héritées du consensus de Washington, imposent un véritable agenda avec une date butoir, l’horizon 2015, et définissent des cibles quantifiés faisant l’objet d’un consensus international.

L’un des principaux défis posés à la communauté internationale est alors la nécessité de mobiliser des fonds suffisants pour atteindre ces objectifs. Dans cette perspective, en mars 2002, lors du Sommet sur le financement du développement de Monterrey, les principaux bailleurs se sont entendus pour définir les conditions d’un nouveau partenariat entre les pays riches et les pays pauvres et promouvoir l’insertion des pays les plus pauvres dans le commerce international en mettant notamment l’APD à contribution. Des engagements ont ainsi été pris pour augmenter son niveau à 0,5 % du PNB à l’horizon 2007 et 0,7 % à l’horizon 2012.

Après maintenant plus de sept années, le bilan des OMD reste toutefois mitigé et leur réalisation effective plus qu’incertaine, la capacité des bailleurs à mobiliser effectivement les fonds dans les délais impartis pouvant déjà être mise en doute. En 2005, le rapport Sachs, élaboré à la demande du Secrétariat des Nations Unies, a chiffré la différence entre les ressources nécessaires aux financements des OMD et les engagements à près de 74 milliards de $ US (Sachs, 2005). Seule l’Union européenne, qui a joué un rôle déterminant à Monterrey, paraît en mesure de respecter les engagements pris. En 2006, les efforts d’aide restent finalement inégalement répartis (graphique 4). Seuls la Suède, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas et le Danemark dépassent la barre symbolique des 0,7 %.

Au-delà de ces réserves, la pression des OMD n’a toutefois pas simplement conduit à augmenter le volume de l’APD. Elle a également contribué à repenser son efficacité. Depuis 2002, c’est en effet la question de son impact véritable sur les objectifs poursuivis qui est remise au centre des débats avec, en arrière-plan, la question du renouvellement des principes traditionnels de sa mise en oeuvre. Dans cette optique, en février 2005 à Paris, les institutions multilatérales, les pays donateurs et les pays bénéficiaires ont défini les fondements d’un nouveau paradigme pour l’APD (OCDE, 2005a). Portées par les objectifs du Millénaire et l’exigence d’efficacité rappelée à Monterrey en 2002, ils se sont engagés sur une méthode commune de mise en oeuvre de l’aide fondée sur l’appropriation (les stratégies et les objectifs doivent être définis par les pays bénéficiaires), l’alignement (les bailleurs doivent s’aligner sur ces choix) et l’harmonisation (les bailleurs doivent s’efforcer d’harmoniser leurs interventions). Cette Déclaration de Paris révèle ainsi les principaux débats transversaux qui alimentent aujourd’hui la réflexion sur l’efficacité de l’aide. Ces questions concernent autant les modalités d’une meilleure prise en compte de la demande, que l’organisation de l’architecture de l’offre ou que les modalités de mise en oeuvre de l’aide.

Graphique 4

Effort d’APD des membres du CAD en 2006 (en % du RNB)

Effort d’APD des membres du CAD en 2006 (en % du RNB)
Source : OCDE (2007)

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2. Vers une meilleure prise en compte de la demande : la montée en puissance de la notion d’appropriation

Le renforcement de l’efficacité de l’aide passe en premier lieu par une meilleure prise en considération des besoins de la demande. C’est une première tendance actuelle majeure de l’APD. Elle se manifeste à travers la montée en puissance de la notion d’appropriation et les nouvelles approches de la conditionnalité développées par les institutions internationales. Cette évolution remet ainsi en cause les logiques hiérarchiques traditionnelles de l’aide, de type « top-down », centrées sur l’offre dans laquelle les pays donateurs définissent des objectifs sur la base de leurs propres finalités politiques et économiques et apportent des ressources en fonction de leurs moyens et de la capacité d’absorption des pays récipiendaires[8].

2.1 De la « capacité d’absorption » à « l’appropriation » de l’aide

Parmi les raisons souvent avancées de l’échec des stratégies de développement issues du consensus de Washington, on trouve leur caractère « clé en main » ou encore le décalage existant entre leur rythme soutenu et l’inertie des transformations sociales (Milly, 2001). Ce constat, par ailleurs largement dénoncé par la société civile[9], a ainsi conduit les institutions de Bretton Woods à revaloriser le rôle des États bénéficiaires dans la définition des objectifs et des stratégies de développement et souligné la nécessité de mettre en place des processus plus participatifs dans la définition et la mise en oeuvre des projets.

C’est le CAD qui, en 1996, a été le premier à définir (ou redéfinir) une stratégie où la prise en main des politiques d’aides par les pays bénéficiaires eux-mêmes constitue un pilier essentiel (OCDE, 1996; Milly, 2001). En janvier 1999, la Banque mondiale s’est inscrite dans ce processus en proposant le Cadre de développement intégré (CDI) comme nouveau mode opérationnel afin que les pays s’approprient leurs stratégies de développement (World Bank, 2003, 2004). L’application concrète des principes du CDI s’est alors faite à travers les Documents de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP), dans le cadre de l’initiative des pays pauvres très endettés (PPTE). En 2005, la Déclaration de Paris consacre officiellement ce processus à travers la mise en avant de la notion d’appropriation (ownership). Dans cette optique, c’est finalement autant la philosophie de l’aide qui est modifiée (elle devient processus), que son positionnement dans le temps (sa durabilité, sa prévisibilité) et dans l’espace (son degré de proximité par rapport aux réalités de terrain, son caractère régional, etc.). Concrètement il s’agit, à partir des priorités définies par les pays bénéficiaires, d’augmenter les interventions d’appui au moyen d’une assistance technique renouvelée, de développer la sous-traitance locale, de généraliser l’aide budgétaire directe, de renforcer le rôle de catalyseur financier des flux d’aide.

Ce renforcement de l’appropriation est-il une tendance lourde ou un simple effet de mode? La question peut se poser car ce processus se heurte parallèlement à la multiplication des finalités de l’aide. Dans la conception géostratégique de l’APD, notamment celle concernant les objectifs sécuritaires, les considérations d’efficacité apparaissent souvent secondaires et l’appropriation perd son statut central. L’aide y est plus souvent perçue comme un moyen d’éviter que les pays fragiles ne plongent dans la crise que comme un outil de développement. Ce n’est finalement que dans les pays où les conditions politiques et sociales permettent de penser et de gérer le changement que la tendance au renforcement de l’appropriation prend son sens. Cette nouvelle perspective n’est alors pas sans conséquences sur les formes de la conditionnalité de l’aide.

2.2 L’émergence de nouvelles conceptions de la conditionnalité

La latitude des pays à définir leurs propres politiques de développement est souvent autant limitée par leurs capacités internes que par l’étroitesse des marges de manoeuvre que leur concèdent les conditionnalités imposées par les institutions de Bretton Woods. Conscientes de cette contradiction, et face aux critiques croissantes des conditions associées au consensus de Washington, le FMI et la Banque mondiale se sont lancées, au début des années deux-mille, dans une nouvelle approche de la conditionnalité étendue à l’ensemble des fonds d’APD et en particulier à l’aide budgétaire. L’idée sous-jacente est de concilier appropriation et conditionnalité, ce qui suppose un engagement réciproque des deux parties. Dans cette perspective, la conditionnalité doit perdre son caractère de norme imposée par les bailleurs et acquérir un statut d’indicateur négocié de bonne gestion de l’aide, un moyen d’initier ou de renforcer un processus favorable aux bonnes politiques. Quatre tendances actuelles sont à l’oeuvre dans ce sens (Koeberle et alii, 2005).

La première est celle de la définition d’une conditionnalité de type ex post, centrée sur les résultats (outcome-based conditionality) et non sur les moyens. La deuxième est celle du renforcement d’une conditionnalité procédurale (process conditionnality) basée sur les conditions de mise en place des actions, à travers, notamment, le renforcement institutionnel. La troisième est celle de la diminution, de la segmentation et de la simplification des conditions qui vont dans le sens d’une clarification et d’une facilitation du dialogue[10]. Cette nouvelle forme de conditionnalité « rationalisée » ou « profilée » (streamlined conditionality) se veut ainsi une réponse aux critiques sur le caractère trop complexe des anciens cadres. La quatrième tendance est enfin celle d’un resserrement des objectifs autour de standards internationaux minima, regroupés par segments ou domaines, acceptés par tous et permettant une plus grande responsabilisation des bénéficiaires (Hervio, 2005).[11]

Malgré ces évolutions encourageantes, la conciliation de l’exigence d’appropriation et du maintien de conditions à l’attribution de l’aide reste toutefois un exercice limité. Sa mise en oeuvre peut tout d’abord être contrainte par le caractère exsangue des administrations des pays récipiendaires souvent peu à même de relever le défi des délais restreints et de dispositifs forts exigeants en informations, expertises et transactions. À cet égard l’expérience des DRSP est instructive. Ce qui devrait être un exercice participatif d’élaboration de politiques au niveau du pays s’apparente souvent à un devoir sur table où les autorités du pays cherchent avant tout à satisfaire les attentes des donateurs pour pouvoir accéder dans les meilleurs délais à des remises de dette ou à des prêts concessionnels (Cling et al., 2002, 2003). On assiste ainsi à la diffusion des DSRP sur Internet favorisant le calibrage de ces documents. Contradiction ultime, ces documents sont parfois réalisés par des cabinets de consultants externes. En second lieu, ce nouveau type de conditionnalité, même réduite, peut toujours être suspectée d’apparaître comme les « nouveaux habits » du consensus de Washington. Si l’attention peut être effectivement portée sur l’allègement des conditions et l’accroissement de la marge de manoeuvre accordée aux pays bénéficiaires, il est également possible de souligner la persistance de conditions ex ante imposées par les donateurs ainsi que l’encadrement strict de la liberté donnée aux pays bénéficiaires dans la définition de leurs politiques. C’est notamment le cas lors de l’imposition de procédures non négociables du type DRSP[12].

3. Vers une architecture plus cohérente de l’offre d’APD : entre concentration et concurrence

Le renforcement de l’efficacité de l’aide passe en deuxième lieu par une plus grande cohérence des politiques des différents bailleurs. Si la concentration d’une offre d’APD entre les mains de quelques acteurs multilatéraux pourrait permettre une telle cohérence, la situation actuelle d’une offre diversifiée pousse dans le sens contraire, de multiples agences bilatérales et multilatérales intervenant simultanément et parfois de façon concurrente sur un « marché de l’aide ». Entre ces deux situations, la deuxième tendance actuelle majeure de l’APD est à l’organisation de sa cohérence à travers une plus grande coordination des offreurs. Ce processus apparaît toutefois encore fragile dans la mesure où il concerne plusieurs niveaux stratégiques : l’organisation institutionnelle, les instruments financiers, la capacité à mobiliser des ressources et la viabilité politique du système.

3.1 Le consensus actuel sur la nécessaire harmonisation de l’offre…

Les arguments vantant les vertus d’une concentration de l’aide dans les mains des institutions multilatérales ne manquent pas. Dépourvues d’objectifs de politique étrangère, ces institutions seraient supposées être d’une plus grande « objectivité » dans l’accomplissement de leurs missions. Bénéficiant d’économies d’échelle par l’agrégation des flux nationaux, elles disposeraient d’avantages comparatifs dans la levée de fonds sur les marchés. Enfin, une offre multilatérale concentrée permettrait une plus grande efficacité de l’aide par une standardisation des procédures et une meilleure organisation du travail.

Malgré ces arguments, l’aide bilatérale résiste[13]. Tout d’abord, parce que les considérations politiques et géostratégiques sont redevenues primordiales dans les critères d’attribution de l’aide, comme l’atteste notamment l’APD des États-Unis. Ensuite, parce que l’approche bilatérale est souvent l’héritière d’une histoire commune où se sont tissés des liens forts entre donateurs et bénéficiaires qu’il est parfois difficile de rompre. De même, au-delà des discours officiels, parce que les institutions multilatérales ont révélé, à travers l’expérience des Plans d’ajustement structurel (PAS), leurs propres intérêts géostratégiques liés à un ordre libéral très contesté par les pays du Sud. Enfin, d’un point de vue technique, parce que les compétences spécifiques des bilatéraux constituent un avantage comparatif non négligeable pour développer les processus d’apprentissage indispensables à l’appropriation de l’aide budgétaire par les bénéficiaires[14]. Cette résistance de l’aide bilatérale maintient finalement le caractère diversifié à l’offre d’APD. Le risque est que cette diversification conduise à une concurrence entre bailleurs intervenant dans les mêmes domaines au détriment de l’efficacité globale de l’aide.

Dans ce contexte, et dans l’esprit de la Déclaration de Paris, c’est la voie de l’harmonisation des différentes aides qui apparaît comme une solution intermédiaire, entre concentration et concurrence, permettant d’assurer une certaine cohérence de l’offre. En effet, la complexité de certaines situations impose une coordination renforcée entre multilatéraux et bilatéraux. D’autre part, les asymétries de pouvoir sont telles entre les acteurs multilatéraux et bilatéraux qu’elles interdisent toute concurrence réelle et ne laissent que la coopération comme option[15]. Cette coopération peut alors passer par l’organisation de missions communes d’expertise et d’évaluation qui suppose un rapprochement des méthodes et des rythmes de travail tant des donateurs que des bénéficiaires. La création de « fonds communs » visant à assurer la cohérence des aides multiples destinées à un même pays peut être un instrument incitatif de ce type d’harmonisation. Cette tendance s’affirme ainsi tout particulièrement dans le cadre de l’aide budgétaire comme en témoignent les coopérations budgétaires fédérant des donateurs multiples autour d’un pays leader[16].

3.2 … et ses limites

Si le processus d’harmonisation de l’offre d’APD est déjà amorcé, il est cependant possible d’identifier deux tendances contraires qui peuvent contribuer à modifier la donne en oeuvrant en faveur d’une plus grande segmentation de l’offre.

La première concerne la spécialisation accrue des donateurs par pays et par activités. La question de l’harmonisation dépasse en effet la simple coordination technique évoquée plus haut. Elle peut également se traduire par une véritable division du travail qui implique un positionnement plus sélectif des donateurs comme en témoigne le processus de recentrage actuel des bailleurs bilatéraux sur un nombre limité de pays et de champ d’intervention, ainsi que celui des multilatéraux dans le cadre de cofinancements et du développement des mandats[17]. Au total, la répartition des cibles de l’APD entre donateurs risque de devenir la résultante d’une spécialisation ex ante de chacun d’eux sur des métiers de plus en plus segmentés. L’enjeu pour les institutions d’aide sera alors de savoir sur quels métiers se positionner. Ce mouvement pourrait de plus être considérablement amplifié par la pénétration du secteur privé sur un « marché de l’aide » devenant de plus en plus concurrentiel. Cette tendance peut se manifester par une plus grande externalisation de leurs tâches par les agences d’aide à travers la sous-traitance à des agents privés et l’ouverture à la concurrence sous forme d’appels d’offre[18]. C’est notamment l’un des principes d’action du Millenium Challenge Account des États-Unis (Ministère des Affaires Étrangères, 2004; World Bank, IMF, 2005).

Une seconde tendance à l’oeuvre concerne la volonté actuelle de diversifier les modalités de collecte des flux de financement. L’enjeu des OMD et les engagements pris à Monterrey en 2002 nécessitent en effet de renforcer l’efficience de la collecte de fonds ainsi que la durabilité des ressources disponibles pour l’aide. Parmi les pistes de recherche explorées (Landau, 2003; Reisen, 2004; Atkinson, 2004), on trouve la proposition d’une taxe de solidarité internationale dont la France a fait son cheval de bataille comme en témoigne son projet d’imposition des billets d’avion. On trouve également les propositions de création de Facilités internationales de financement (Mavrotas, 2003) ou de constitution de fonds ad hoc spécialisés pour collecter et distribuer des financements[19]. Permettant le financement collectif, par la communauté internationale, de certains biens publics mondiaux (santé, environnement, sécurité,...), ces fonds offriraient l’avantage d’augmenter le volume des fonds levés mais également d’étaler le décaissement des flux sur plusieurs années, ce qui favorise la capacité d’absorption d’une aide accrue par les pays du sud (Bellot et Chataigner, 2005). Mais les pratiques révèlent que ces fonds spécialisés n’ont pas toujours les moyens d’assurer l’ensemble de la gestion du projet, de sa conception à sa mise en oeuvre opérationnelle. La tentation de s’inscrire dans des programmes très largement définis en amont (vaccination, lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, …) est donc grande, favorisant ainsi une affectation a priori de cette aide et contribuant à déconnecter les aspects de financement des aspects de mise en oeuvre. En l’absence de procédures d’harmonisation ou de coordination, ces innovations financières pourraient conduire à une plus grande segmentation de l’offre[20].

Certes ces aides privées ne sont pas comptabilisées dans l’APD, mais le développement des partenariats public/privé (mandats publics confiés à des structures privées, financements d’organismes publics par des fonds privés, …) incite à adopter une vision élargie de l’aide au développement. Il semble bien que les opportunités de segmentation de l’APD et l’affaiblissement de l’harmonisation soient renforcés par la multiplication de puissantes aides privées, dont la logique de visibilité rapide conduit à privilégier l’approche projet au détriment d’une mise en cohérence plus globale.

4. Vers une transformation des pratiques : entre rationalisation et pragmatisme

Après s’être interrogé sur l’évolution du paysage institutionnel des donateurs, il s’agit de se demander comment ces bailleurs cherchent à renforcer l’efficacité de l’aide qu’ils accordent en ce qui concerne le choix des pays bénéficiaires et les instruments de mise en oeuvre. Dans cette perspective, il est possible d’isoler une troisième tendance actuelle majeure pour l’APD allant dans le sens d’une plus grande rationalisation tempérée par un pragmatisme persistant.

4.1 La sélectivité de l’aide : vers un principe de « rationalisation limitée »?

Dans les débats autour de la sélectivité de l’APD, l’une des idées qui a émergé ces dernières années concerne la possibilité de pratiquer une allocation optimale de l’aide maximisant une fonction objectif, par exemple la lutte contre la pauvreté, en fonction de certains critères définis a priori[21]. Le Millenium Challenge Account (MCA) ou le système d’allocation de l’US Agency for International Development (USAID) se réfèrent plus ou moins explicitement à ce principe de sélectivité rationnelle. Deux critères sont ainsi mis en avant pour ce calcul économique : le niveau des besoins respectifs des pays et leur degré de performance, souvent appréhendé en termes de qualité de leur gouvernance[22]. Dans ce cadre, les pays pauvres à bonne gouvernance constituent ainsi la cible privilégiée. Mais cette démarche a des limites et fait l’objet de nombreuses critiques. Certaines concernent la nature des critères retenus, leur caractère réducteur, la difficulté à les appréhender ou même leur légitimité, notamment pour le critère de la bonne gouvernance qui pourrait mesurer le degré d’adéquation au consensus de Washington. D’autres portent sur le caractère discriminatoire d’un modèle qui privilégie les pays pauvres « bons élèves » combinant faible développement et bonne gouvernance. Dans ce cas, que faire des exclus du modèle? Si l’on privilégie la performance, que faire des pays fragiles ou en sortie de crise, cas de nombreux pays africains qui sont pourtant une priorité affichée dans les OMD? De même, si l’on privilégie les besoins, quelle place accorder aux pays à revenu intermédiaire et a fortiori aux pays émergents, dont certaines catégories de la population pourraient légitimement bénéficier de l’APD?

Au final, si cet idéal d’une allocation rationnelle de l’aide est théoriquement séduisant, il se heurte toutefois à des principes de réalité incontournables, notamment à la complexité des situations et au caractère multidimensionnel des objectifs de l’aide. Dans la pratique, les systèmes d’allocation font l’objet d’ajustements « de terrain » pouvant conduire à d’importantes modifications de l’allocation théorique de départ comme en témoignent les premières sélections du MCA. Ces ajustements suivent la montée en puissance des objectifs de sécurité, de prévention et de traitement des conflits qui constituent un motif fort de non-abandon des « orphelins de l’aide ». À cet égard, les multilatéraux considèrent qu’ils sont investis d’une mission de service public que renforce l’enjeu des OMD.

Ces contraintes conduisent finalement à une catégorisation croissante des pays bénéficiaires suivant deux axes principaux. Le premier est celui de la qualité des performances associée à la qualité de la gouvernance. En soulignant le contexte défavorable, l’appellation « pays en crise » désigne, par exemple, les pays peu performants dans une logique de sélectivité qualitative ex ante. C’est également le cas des LICUS (Low Income Countries Under Stress) identifiés par la Banque mondiale. Le deuxième axe concerne l’intérêt stratégique du pays bénéficiaire. Il peut jouer en modulation de la catégorisation précédente en excluant les pays à bonne performance « non amicaux » et en retenant des pays en crise sur une base politique[23]. Il peut également être un facteur discriminant à part entière. L’Union européenne, par exemple, à l’instar d’un « bailleur bilatéral », sélectionne a priori les pays bénéficiaires, en ventilant son budget d’APD sous forme d’enveloppes régionales sur des critères purement politiques, avec notamment une montée en puissance des financements destinés aux pays voisins de l’Union européenne. Plus globalement, la volonté affichée par la communauté internationale d’accorder une priorité à l’Afrique subsaharienne peut être inscrite dans ce processus de « rationalisation limitée » car la persistance de la pauvreté du continent a des causes et des conséquences sociales, politiques, institutionnelles et culturelles dépassant largement la simple dimension économique. Quant aux pays intermédiaires, ils sont considérés comme des partenaires à part entière dont il s’agit pour certains de corriger les externalités négatives de la croissance (inégalités, déséquilibres environnementaux, etc.) et, pour d’autres, de favoriser leur rôle de leaders régionaux.

4.2 Les modalités de l’aide : vers une combinaison d’instruments?

La question de l’efficacité de l’APD soulève enfin le problème de la nature des instruments mis en oeuvre. Dans ce débat, se pose la question de la poursuite de l’utilisation des prêts concessionnels face à un niveau d’endettement déjà excessif des pays bénéficiaires (Severino et Jacquet, 2004; Clemens et al. 2004). L’une des idées actuelles, serait de transformer les agences d’aide en de simples organismes de dons ou d’axer l’APD sur les annulations de dettes (Commission Meltzer, 2000)[24]. Malgré des arguments solides, ces propositions ne font cependant pas encore l’unanimité et un consensus semble se dégager pour l’utilisation d’une combinaison d’instruments. Les dons devraient être réservés aux opérations « non bancables » et dirigés en priorité vers les pays dont les besoins en investissement sociaux sont trop importants pour leurs ressources propres. La poursuite des prêts serait également souhaitable ne serait-ce que pour ne pas priver les pays bénéficiaires de l’accès aux marchés des capitaux et parce que les dons ont un effet de levier moins important. Toutefois, face à la nécessité d’éviter une nouvelle crise de la dette dans l’avenir, c’est désormais la question de la soutenabilité de l’endettement qui est clairement perçue comme une condition déterminante à cette poursuite des prêts. Si certaines dépenses sont en effet susceptibles de dégager des retours sur investissement, d’autres, notamment celles relevant des OMD, ne sont bien souvent pas rentabilisables. Dans cette logique, on assiste ainsi également à un retour des considérations économiques dans l’octroi de l’aide et à l’impératif de création de valeur ajoutée dans le choix des activités prioritaires à financer[25].

Le choix des modalités de l’aide concerne également le dilemme entre l’aide projet et l’aide budgétaire, c’est-à-dire une aide directement inscrite au budget du pays bénéficiaire. L’une des tendances à l’oeuvre semble aller dans le sens d’une montée en puissance de ce deuxième type d’aide qui représente désormais 28 % de l’APD brute totale (OCDE, 2005b)[26]. Cette évolution obéit à l’exigence de meilleure prise en compte de la demande car, dans l’esprit de la Déclaration de Paris, elle suppose l’existence d’un budget fondé sur des objectifs partagés par le pays bénéficiaire et les pays donateurs. L’une des conditions sous-jacente de sa mise en oeuvre est alors celle de sa traçabilité et de la mise en place de systèmes performants de contrôle interne. Son caractère fongible lui confère d’autre part une plus grande flexibilité[27] et l’un de ses avantages essentiels est de permettre le financement de charges récurrentes. Il ne s’agit plus ici de limiter les soutiens aux opérations en capital ou à des dépenses ponctuelles de fonctionnement, mais d’assurer la pérennité de la globalité du budget. Dans cette perspective, les flux d’APD devraient nécessairement s’inscrire dans le cadre de programmations pluriannuelles. Cette nouvelle approche n’est toutefois pas sans conséquences. Nécessitant une gestion de l’aide coordonnée dans le temps, elle suppose des changements institutionnels qui exigent des délais de mise en oeuvre. D’une aide programmée pluriannuelle à une aide budgétaire globale, en passant par des aides-projets à géométrie variable, les procédures impliquent des degrés variables d’autonomie des bénéficiaires. En filigrane, se posent les questions des capacités de ces derniers à recevoir cette aide et du degré d’intervention des bailleurs dans la répartition budgétaire, questions qui renvoient au problème de la souveraineté des États et qui rejoignent les problématiques des nouvelles conditionnalités. Se pose également le problème de l’adhésion des opinions publiques du Nord face à un mécanisme de transfert qu’il faut justifier.

5. Quel(s) avenir(s) pour l’APD?

Au terme de cette analyse, quelles nouvelles typologies de l’APD est-t-il possible d’envisager dans l’avenir[28]? Parmi les grandes tendances actuelles, deux sources d’incertitude nous semblent déterminantes.

La première concerne la réalisation effective d’une meilleure appropriation de l’aide tant cet objectif semble contrarié par les difficultés concrètes de sa mise en oeuvre et par l’étroitesse des marges de manoeuvre que les conditionnalités des institutions internationales laissent aux pays bénéficiaires. Nul ne peut dire en effet aujourd’hui si les évolutions récentes sont suffisamment pérennes pour se traduire par un réel renforcement de la place des bénéficiaires dans le système de l’aide au développement. Un échec traduirait un retour aux logiques « top-down » des décennies passées, tandis qu’un renforcement du rôle des pays bénéficiaires ouvrirait une ère où récipiendaires et bailleurs, acteurs aux pouvoirs rééquilibrés, négocieraient réellement les politiques de développement.

La seconde incertitude concerne l’organisation de l’architecture de l’offre de l’aide. En effet, là encore, si les intentions vont dans le sens d’une plus grande coordination, celle-ci nous est apparue fragile et une plus grande concurrence entre bailleurs n’est pas à exclure a priori.

Dans la figure 1, ces deux sources d’incertitude sont représentées par deux axes permettant de définir quatre types possibles de situation. Dans chacune de ces situations, il est alors possible d’associer un contexte particulier ainsi que différentes modalités de l’aide et acteurs de l’aide.

Le cadran « offre pluraliste » correspond à une situation de faible appropriation et de faible coordination de l’aide. On peut y placer ici des pays en crise comme par exemple l’Irak ou l’Afghanistan. Parler de faible niveau d’appropriation pour ces pays, qui sortent de longues années de guerre et continuent à être le terrain d’affrontements, est ici un euphémisme. Dans ce type de contexte instable, marqué par une profonde désorganisation des circuits internes de financement, par une faible gouvernance et par le caractère urgent des besoins, les dons apparaissent alors comme une modalité d’aide prioritaire facilement mobilisable. Par ailleurs, le fort intérêt géostratégique de ces pays favorise le contrôle de ces États par des puissances étrangères ou par l’ONU limitant ainsi fortement la possibilité de coordination entre bailleurs qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux.

Figure 1

Typologie prospective de l’APD

Typologie prospective de l’APD

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Le cadran « offre coordonnée » concerne les situations de faible appropriation et de hauts niveaux de coordination de l’aide telles qu’on peut l’observer pour les « PMA instables ». L’extrême pauvreté et la forte instabilité de ces pays limitent fortement leur capacité d’appropriation rendant les dons particulièrement adaptés. D’autre part, leur faible intérêt géostratégique rend plus facile la coordination des interventions entre bailleurs qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux avec un « avantage comparatif » certain pour l’ONU[29]. Le retour à la stabilité interne permettrait d’augmenter leurs capacités d’appropriation et donc la possibilité d’accéder à d’autres modalités d’aide.

Le cadran « coordination négociée » est la situation représentant l’aboutissement des deux tendances d’appropriation et de coordination. C’est le scénario « idéal » qui pourrait être appliqué aux PMA à bonne gouvernance, à ceux qui, comme la Tanzanie par exemple, sont aujourd’hui les élèves modèles des institutions internationales. Dans ces pays, les capacités institutionnelles assurent un niveau de gouvernance suffisant pour négocier les objectifs sur lesquels les agences multilatérales ou bilatérales pourraient s’aligner et se coordonner. Si la situation de pauvreté de ces pays (et donc leur faible solvabilité de fait) confère encore au don un caractère légitime, le renforcement de l’appropriation permet toutefois un recours croissant aux prêts bonifiés et à l’aide budgétaire.

Le cadran « marché de l’aide » est la situation où les pays sont suffisamment solides pour développer leurs propres stratégies de développement. Dans ce contexte, on peut parler véritablement d’un « marché de l’aide » où les bénéficiaires font jouer la concurrence entre bailleurs pour obtenir des prêts aux conditions les plus favorables possibles. C’est le cas des pays émergents comme l’Inde ou le Brésil que l’IDA cherche à conserver comme « clients ».

La flèche en milieu de graphique est celle du « discours dominant ». Elle indique l’évolution des paradigmes de l’APD, d’une logique « top-down » où chaque bailleur impose ses visions aux pays bénéficiaires, à une logique de « coordination négociée » consacrée en février 2005 par la Déclaration de Paris.

Conclusion

En perte de vitesse dans les années quatre-vingt-dix, l’APD a vu son rôle se réduire dans le financement du développement. Depuis les années deux mille, confrontée à un nouvel environnement plus complexe et plus exigeant, notamment la pression nouvelle exercée par les OMD, elle est toutefois entrée dans de nouvelles logiques. La meilleure prise en compte des besoins de la demande, la plus grande coordination des offres, la rationalisation croissante des modalités de sa mise en oeuvre sont autant de processus en marche.

 Mais ces évolutions rencontrent des limites élargissant l’éventail des configurations possibles, conférant à l’APD un caractère plus que jamais pluriel. Du côté de l’offre, les velléités affichées d’une meilleure harmonisation se heurtent aux jeux institutionnels et au nécessaire pragmatisme, ce qui peut conduire aussi bien à l’émergence d’un véritable marché de l’aide qu’à une concentration accrue. Du côté de la demande, la montée en puissance de l’appropriation reste encore freinée par la prégnance de la logique « top-down » qui restera d’autant plus forte que les procédures seront imposées par les donateurs et non négociées avec les bénéficiaires. Ce processus de normalisation des relations apparaît comme l’une des conditions pour que l’aide publique au développement demeure un élément durable des relations Nord-Sud.