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La lecture de ce livre, au titre fort prometteur, a ressuscité deux souvenirs. Durant mes études graduées au milieu des années soixante, j’ai assisté à un colloque d’une journée organisée par Richard Musgrave sur le rapport des Conseillers économiques du Président. Plusieurs sommités de la profession y participaient dont Alvin Hansen et Lawrence Klein. À ma grande surprise, la discussion se rapprochait davantage d’un niveau journalistique qu’académique. Pourtant, à cette période, l’enseignement de l’économique était loin du formalisme d’aujourd’hui.

Quelques années plus tard, j’ai été frappé par la remarque suivante d’un économiste canadien de bonne réputation : selon lui, les documents gouvernementaux sont utiles pour leurs tableaux et leurs graphiques et non pour leurs analyses : ces dernières sont trop risquées. Tout ceci pour dire que ce livre se caractérise par l’absence de cadre analytique qui demeure indispensable pour obtenir une signification des données ou des faits.

Que contient ce livre? Il se divise en deux parties d’une longueur de 150 pages chacune. La première dresse un portrait statistique de l’évolution de l’économie, de la démographie et des finances publiques du Québec généralement pour la période des quatre dernières décennies. La deuxième partie regroupe des textes écrits en majorité par des universitaires sous le thème du Québec des derniers mois affrontant une récession mondiale. Différents sujets y sont traités comme le contexte mondial, le retour à l’équilibre budgétaire et l’endettement public, le processus budgétaire et la Caisse de dépôt et de placement. Voici des questions qui attirent le lecteur potentiel.

Le lecteur friand de tableaux et de graphiques, comme je le suis, est gâté par la première partie du livre. Il y trouve une bonne documentation à l’aide de données s’échelonnant sur plusieurs décennies. Cela complète avantageusement la documentation fournie annuellement dans les deux publications, Le bilan démographique du Québec (Institut de la statistique du Québec) et L’état du Québec (Institut du Nouveau Monde). Le recours à plusieurs encadrés sur différents sujets et à des précis sur des données allège et diminue la monotonie de la lecture.

Là où le bât blesse provient des difficultés de tirer des conclusions par de simples descriptions sans cadre analytique. En voici un exemple : en conclusion sur les succès du Québec, les directeurs de la publication concluent à « un système de redistribution efficace » (p. 324) sur la base du passage suivant :

L’analyse des coefficients de Gini des familles permet d’observer une hausse des inégalités en ce qui concerne le revenu de marché, avant la prise en compte des transferts gouvernementaux et des impôts. Toutefois, la prise en compte des politiques fiscales et budgétaires de redistribution de la richesse a pour effet de compenser cette tendance. En effet, si les revenus de travail sont moins bien répartis qu’ils ne l’étaient auparavant, l’inégalité des revenus après impôts n’a que peu augmenté au fil du temps, témoignant de politiques de redistribution plus efficaces.

p. 59

La relation ne pourrait-elle pas être en direction opposée? Les politiques de redistribution peuvent favoriser une augmentation de l’inégalité du revenu de marché par leur incidence, tout particulièrement dans une économie ouverte.

L’évolution du poids démographique du Québec dans l’ensemble canadien (graphique 45, p. 93) soulève une question centrale que ce livre n’a pas étudiée. Ce poids s’est maintenu à 28,9 % de 1951 à 1966 pour ensuite montrer une tendance constante à la baisse pour atteindre 23,2 % en 2009. L’économie du Québec est une économie ouverte ou ce que les économistes qualifient de « petite économie » comme en témoigne la part des exportations brutes dans son PIB (encadré 2, p. 34). Les révisions régionales dans l’économie intégrée qu’est le Canada se font donc par la mobilité des gens incluant la localisation des immigrants plutôt que par les variations interrégionales du revenu réel par habitant. Les données régionales des revenus doivent en effet être corrigées pour les différentiels du coût de la vie (point noté à la note de l’encadré 3, p. 55). Les données existantes montrent une égalisation des revenus réels moyens entre le Québec et l’Ontario.

L’absence d’un cadre analytique se justifie partiellement pour une présentation statistique élargie qui constitue la première partie du livre; il en est tout autre pour les textes d’universitaires portant sur les événements des derniers mois.

Le texte de Pierre Fortin sur « le tsunami, la bulle, l’AVC et la contagion » de la récession mondiale donne une chronologie des événements sans présenter une autopsie de la crise. Jean-Pierre Aubry ne répond pas à la question suivante : pourquoi les effets de la récession furent-ils moins prononcés au Québec?

Comme le vrai solde budgétaire de l’année 2008-2009 du gouvernement du Québec était un déficit de deux milliards, Luc Godbout et Suzie St-Cerny notent « qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres entre la nécessité et la réussite de l’atteinte du prochain budget équilibré. » (p. 241) Le texte sur l’endettement relatif du Québec offre beaucoup de comparaisons. Il oublie sa contrepartie, l’état des infrastructures. Si ces dernières étaient de très bonne qualité, la dette du Québec serait sûrement plus acceptable. Le point important demeure la richesse nette.

Le chapitre sur le processus budgétaire offre peu d’intérêt : c’est normal puisque les auteurs n’ont pas travaillé dans ce secteur dont les études exigent une bonne connaissance de la réalité. Les auteurs sous-estiment l’importance relative des administrations publiques dans l’économie du Québec (p. 262). Le dernier chapitre sur la Caisse de dépôt et placement touche à différents points sans recourir à un cadre analytique.

Si le début de ce compte rendu réfère à des souvenirs, qu’il me soit permis de citer le dernier paragraphe de la conclusion des deux directeurs de l’ouvrage qui n’est pas sans rappeler les sermons dominicaux de mon enfance :

À l’aube du cinquantième anniversaire de la Révolution tranquille, la poursuite des succès du Québec repose sur sa capacité à relever les défis de l’économie, de la démographie et de l’État soulignés dans ce Québec économique 2009. Rêvons qu’en 2010 le Québec s’attèle à inventer ce qu’il pourrait convenir d’appeler sa « Révolution durable ». Même si les défis de cette révolution se conjuguent à long terme, la démarche pour y parvenir s’entreprend à court terme. Ce sont les défis posés par les changements démographiques et climatiques, qui appellent au lancement de grands chantiers pour imaginer des solutions durables : mieux produire, mieux consommer, mieux travailler, mieux redistribuer la richesse, mieux accueillir les nouveaux arrivants, mieux préserver nos acquis, mieux assurer l’équité entre nos générations, mieux intervenir collectivement, mieux taxer, mieux arrimer nos interventions à nos moyens. Pour mieux vivre, tout simplement. Car l’économie demeure avant tout un moyen et non une fin.

p. 325