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Introduction

La crise financière de 2007-2009 a remis en question le comportement que doit adopter la banque centrale pour limiter les fluctuations des prix des actifs, qui exercent des effets aussi bien sur les activités de production que sur le système économique dans son ensemble. Or, actuellement, les multiples analyses à ce sujet divergent encore sur l’attitude que doit adopter une banque centrale pour contrôler ce phénomène et assurer la stabilité macroéconomique de son espace monétaire. La complexité du sujet traité ainsi que l’importance des anticipations et des interactions des acteurs sur les marchés financiers en ce qui concerne l’évolution des prix des actifs achetés et vendus expliquent en partie ces divergences.

Notre analyse porte sur les besoins d’une restructuration profonde de la réglementation financière et du cadre légal concernant tout le secteur financier, ainsi que la nécessité d’une coopération renforcée entre les autorités monétaires et les autorités préposées à la surveillance financière sur le plan international. Cependant, notre principal objectif consiste à reprendre les débats, autrefois intenses, sur les instruments et la stratégie de politique monétaire qu’une banque centrale devrait mettre en oeuvre afin d’atteindre la stabilité macroéconomique de son espace monétaire, dans une période de forte intégration financière et de globalisation poussée. Une analyse critique de plusieurs mécanismes d’intervention des autorités monétaires sur les marchés financiers proposés par différents auteurs et des banquiers centraux durant la période 1998−2006 nous a amenés à retenir deux propositions, à savoir celle de Cecchetti et al. (2000) et celle de Palley (2000). L’analyse de ces deux propositions montrera que l’utilisation par la banque centrale de l’instrument des taux d’intérêt directeurs n’est pas optimale, dès lors que l’autorité monétaire est tenue d’atteindre d’autres objectifs de politique monétaire que celui de la stabilité des prix (mesuré à l’aide de l’indice des prix à la consommation). Notre analyse montre aussi que l’autorité monétaire, même lorsqu’elle est dotée d’un instrument additionnel de politique monétaire, ne peut pas, à elle seule, opérer efficacement sans être accompagnée d’un cadre réglementaire, juridique et administratif pertinent et de taille considérable.

La première section portera sur les déterminants de la crise financière de 2007-2009 et les répercussions néfastes d’un secteur financier mal réglementé et dominé par des comportements abusifs. L’intervention des autorités monétaires et de surveillance financière s’avère être non seulement indispensable, compte tenu des externalités négatives qu’engendrent les marchés financiers sur l’économie réelle, mais aussi nécessaire afin d’assurer un meilleur fonctionnement de ces marchés, jusqu’à présent insuffisamment (ou mal) réglementés. Nous verrons donc quelles mesures de prudence, micro et macro, les autorités de surveillance financière pourraient (devraient) appliquer. Dans la section suivante, nous tenterons de déterminer quelles sont les mesures d’intervention les plus appropriées que l’autorité monétaire devrait prendre afin d’assurer la stabilité macroéconomique. La troisième section évaluera la pertinence et les difficultés d’application d’un nouvel instrument de politique monétaire destiné à assurer la stabilité financière. Pour conclure, l’accent sera mis sur l’importance d’une restructuration de l’architecture comptable du système bancaire.

1. Déterminants et répercussions de la crise financière de 2007-2009

L’effondrement du marché immobilier américain, représenté par la crise dite des subprime[1], a été l’élément déclencheur de la crise globale de 2007. Les prêts immobiliers à grande échelle étaient octroyés d’abord aux emprunteurs solvables. Lorsque la demande provenant de ces derniers a été saturée, les intermédiaires financiers se sont tournés vers les ménages à faibles revenus. Leur action était encouragée par la législation américaine[2], qui prescrit aux établissements de crédit d’octroyer aux ménages à faibles revenus des prêts hypothécaires à des conditions avantageuses, afin de lutter contre toute discrimination sur ce marché (Economiesuisse, 2009 : 1-2). En octroyant des prêts hypothécaires à de nombreux emprunteurs peu fiables, les établissements de crédit comptaient sur une importante augmentation de la valeur des biens immobiliers des ménages défavorisés, ce qui leur aurait permis de rembourser les intérêts et le principal de la dette hypothécaire. Si l’augmentation de la valeur du patrimoine des ménages permet à ces derniers un accès accru à l’emprunt (Boone et al., 2001 : 4; Goodhart et Hofmann, 2001 : 2−3), elle conduit cependant bien des ménages à une situation financière de plus en plus fragile, au fur et à mesure que ces ménages augmentent leur niveau d’endettement sur la base d’une évolution du patrimoine tributaire d’une bulle spéculative (qui pourrait tôt ou tard éclater).

L’octroi de crédits aux ménages à bas revenus était également favorisé par la « titrisation » des prêts, mécanisme qui diminue le risque supporté par chaque acteur financier (les banques en l’occurrence). Ce mécanisme a été largement favorisé par le manque de réglementation des opérations bancaires, en particulier en matière d’octroi de crédits bancaires, et le manque de prudence quant à la solvabilité des emprunteurs. Cette pratique permet aux banques d’octroyer des crédits, de diversifier les créances et de les transférer sous la forme de titres financiers à des investisseurs résidant dans le monde entier (Borio, 2008 : 5). Les agences de notation ont facilité la diffusion de ces actifs structurés à travers le monde par l’attribution de très bonnes notes à leur égard. De ce fait, les banques conservaient une grande partie de ces titres dans leurs bilans, les dispositions des accords de Bâle (II) n’imposant qu’un faible pourcentage de fonds propres en contrepartie de la détention de titres ayant une très bonne notation. Par ailleurs, une large gamme de placements des banques était portée hors bilan. « Le marché des dérivés sur défauts de crédit (“credit default swaps” ou CDS) a permis, par exemple, de ne plus devoir afficher des placements risqués qui auraient exigé un volume élevé de capital propre » (Economiesuisse, 2009 : 9). Le manque de diversification de l’actif des banques a induit un risque systémique élevé, qui avait été largement sous-estimé avant la crise, malgré le fait que les banques étaient restées conformes aux dispositions légales concernant le risque spécifique. Il en est découlé un degré d’opacité élevé dans les pratiques bancaires et dans l’identification des prêts à risque, tout comme dans l’identification de leurs détenteurs finals et l’évaluation de ces actifs structurés (Buiter, 2007 : 3). De la même manière, lorsque la crise a éclaté, les pertes enregistrées sur ces prêts étaient difficilement mesurables car propagées à l’ensemble de la planète en raison de la vente des produits dérivés de ces créances douteuses dans les places financières les plus importantes.

De telles attitudes, accompagnées d’une concentration accrue du secteur bancaire, ne pouvaient qu’engendrer une crise financière en amplifiant la composante « risque systémique » des titres (non mesurable, car liée à des facteurs exogènes aux titres en question) au détriment de la composante « risque idiosyncratique » (mesurable, car liée à la situation financière de l’émetteur des titres ou de son garant) (Houston et Stiroh, 2006 : 3). La forte dépendance des firmes à l’égard du crédit bancaire a considérablement assujetti l’activité économique réelle à l’évolution du secteur financier (Borio, 2008 : 21; Kaas, 2009 : 95−96). Par ailleurs, la politique monétaire de la Réserve fédérale des États-Unis, fortement expansionniste, avait contribué à accentuer cette corrélation par le fait que dans un contexte où le rendement du capital productif diminuait davantage, les firmes américaines ont tiré profit de l’aubaine de la faiblesse des coûts d’emprunts à court terme pour substituer à leurs dépenses d’investissement productifs des placements financiers afin d’augmenter leurs rémunérations. L’engagement des firmes dans le marché financier au détriment des activités productives induit à court (voire à moyen) terme des pressions à la hausse de la demande et, par conséquent, des prix de leurs actions.

Or, lorsque l’augmentation des prix des actifs est entretenue par le crédit bancaire, le risque systémique tend à devenir très important, dès lors que le risque d’asymétrie d’échéances[3] lié au portefeuille des crédits bancaires octroyés au secteur privé est faiblement maîtrisé par un système bancaire largement endetté (Fonds monétaire international, 2009a : 6). Tout comme pour le patrimoine des ménages, la hausse des prix des actions augmente la valeur boursière de l’entreprise émettrice. Cela lui permet d’augmenter son niveau d’endettement et de financer de nouvelles dépenses d’investissement par emprunt, en raison des bonnes conditions économiques et de son faible coût de refinancement[4] (Mishkin, 2001 : 2). Les dépenses de l’entreprise étant déterminées par des facteurs indépendants de sa situation financière, le risque idiosyncratique de la firme augmente considérablement en phase de prospérité économique. Cela est dû également au fait que, durant cette période, les firmes sont incitées à emprunter au-delà de leur capacité (par rapport à la richesse nette de l’entreprise) afin de faire face au retournement de tendance et à s’engager dans des projets d’investissement spéculatifs pour maximiser les rendements (Calmès, 2004 : 5, 10, 20; Kaas, 2009 : 95, 101).

Les banques ne se sont pas non plus exclues de la course aux rendements. En misant sur la solvabilité du patrimoine de leurs emprunteurs (ménages et entreprises) plutôt que sur la solvabilité personnelle (liée au revenu) de ceux-ci, les banquiers ont indirectement augmenté le risque reposant sur la situation financière de leurs institutions. Lorsque la valeur du patrimoine des emprunteurs a fortement diminué, les défauts de paiement ont augmenté de manière considérable. La plupart des intermédiaires bancaires ont pris, de façon concertée, un risque élevé, susceptible d’engendrer un grand nombre de faillites bancaires et une diminution des prix des actifs, accompagnée d’une augmentation du risque d’insolvabilité des débiteurs, diminuant ainsi les fonds propres des banques (Bordo et Jeanne, 2002a : 4−7).

Durant la décennie 1996-2005, l’exposition des banques sur le marché dit subprime ainsi que leur engagement dans les crédits structurés étaient considérables. Il était dès lors évident qu’en période de retournement de tendance, un climat de méfiance s’installerait au sein du marché monétaire car aucune banque ne pouvait évaluer avec certitude les problèmes de liquidité de ses concurrents, ni leurs positions à risque. En automne 2008, le crédit interbancaire a dès lors été bloqué et l’octroi de crédits soumis à des conditions sévères tant entre les intermédiaires monétaires[5] qu’entre les banques et leurs propres clients. Lorsque l’assèchement en liquidité s’est généralisé sur tous les marchés, les réactions se sont enchaînées : les cours boursiers ont chuté davantage, les épargnants ont perdu confiance en leurs placements, la valeur des collatéraux a diminué, le bilan des banques s’est fragilisé, les dépenses d’investissement et de consommation se sont resserrées et la décroissance économique mondiale s’est accélérée. L’amplification du choc a été d’autant plus forte que les banques détenaient, au début, peu de fonds propres et que les bilans des entreprises et des ménages étaient fragilisés (Mishkin, 2001 : 6; Levieuge, 2005 : 319-320; Mésonnier, 2005 : 4-10).

La forte variation des prix des actifs et la procyclicité du système financier sont deux critères qui méritent d’être discutés. Les fluctuations du prix des actifs financiers et/ou réels affectent directement le niveau de revenu des ménages et des firmes et, par conséquent, leurs dépenses de consommation et d’investissement à travers différents canaux de transmission[6] que nous avons déjà mentionnés plus haut. Le crédit bancaire est l’un des facteurs les plus importants dans l’enchaînement des crises économiques et financières. Il constitue le canal par lequel les banques − les acteurs principaux parmi les intermédiaires financiers − contribuent à intensifier les chocs financiers, à accentuer leurs conséquences sur les grandeurs économiques réelles et à amplifier leur caractère procyclique (Kiyotaki, 1998 : 18−19). Pour mieux comprendre cette affirmation, commençons tout d’abord par illustrer le rôle crucial joué par les banques commerciales dans une économie monétaire de production. Contrairement aux intermédiaires financiers, les banques secondaires exercent deux fonctions, soit la fonction d’intermédiation monétaire et d’intermédiation financière. Dans sa fonction d’intermédiation monétaire, la banque met à la disposition des parties à l’échange l’instrument numérique du paiement (les unités monétaires) dont l’objet consiste en l’échange d’actifs réels et/ou financiers. La monnaie est le moyen de paiement et l’output produit l’objet de ce paiement (Rossi, 2008 : 286). Si l’opération d’intermédiation monétaire consiste à fournir à l’économie des unités de compte servant à mesurer le produit national, l’opération d’intermédiation financière permet le transfert de pouvoir d’achat (d’actifs réels et/ou financiers) entre les agents économiques. Au moment du paiement des salaires, l’output physique produit au sein de la nation prend sa forme financière (le dépôt bancaire). Par conséquent, l’ensemble des dépôts bancaires d’une nation représente le pouvoir d’achat de tous les agents économiques de cette nation. Toute émission monétaire servant au paiement des salaires n’implique aucun désordre du système de paiement. Par conséquent, la demande globale (montant total des dépôts bancaires enregistrés dans le système bancaire de la zone monétaire) et l’offre globale (le produit national total en vente sur le marché des produits) sont identiques, si bien qu’aucune pression inflationniste n’émerge du fonctionnement correct du système bancaire. Toute monnaie émise dans un paiement distinct de l’émission des salaires doit alors avoir en contrepartie un dépôt bancaire préexistant (Schmitt, 1984 : 306). En d’autres termes, toute transaction sur le marché financier doit avoir en contrepartie un dépôt bancaire préexistant. Cependant, de nos jours, la structure comptable du système bancaire n’est pas correcte, parce qu’elle laisse la possibilité aux banques de passer des écritures comptables opaques car elles enchevêtrent en fait les deux fonctions (intermédiaire monétaire et intermédiaire financière) des banques commerciales. En effet, dans ce cas la banque accorde un crédit non pas à partir des dépôts bancaires existants dans la période en cours, mais à partir du dépôt bancaire que l’emprunteur pourrait avoir dans le futur. Par cette manoeuvre, les banques commerciales augmentent la somme des dépôts bancaires (qui représentent le revenu national et la demande globale) à disposition de l’économie nationale (durant la période du prêt) alors que le niveau de production (l’offre globale) n’a pas varié. Cependant, lorsque les nouveaux dépôts bancaires sont dépensés pour l’achat d’actifs financiers ou d’actifs réels (des biens immobiliers d’occasion) sur le marché secondaire ou pour l’achat de biens d’occasion sur le marché des biens produits, la demande globale (l’ensemble des dépôts bancaires) dépasse l’offre globale (le produit national) et induit une augmentation du prix des biens et services lorsque les dépôts sont dépensés sur le marché des biens produits ou une augmentation du prix des actifs lorsque les dépôts sont dépensés sur le marché financier. Ces pressions inflationnistes sont de court terme et concernent la période qui couvre l’échéance du crédit (Schmitt, 1984 : 257; Rossi, 2008 : 58). N’étant pas inquiétant en soi, un tel phénomène apporte tout de même des préjudices au système économique lorsque le processus de l’octroi excessif de crédit persiste. Le problème fondamental qui émerge d’une telle situation réside dans la phase de déflation (à savoir, durant la phase où les emprunteurs doivent rembourser leurs dettes au système bancaire de la nation), durant laquelle la situation financière de certains agents économiques peut devenir précaire à un point tel que le remboursement des prêts devient impossible. En raison des interdépendances prévalant sur les marchés financiers, un effet « boule de neige » peut jaillir en très peu de temps et une crise systémique peut surgir en conséquence.

À cela s’ajoute le fait que l’augmentation des prix des actifs financiers et/ou réels ne correspondra pas à une amélioration de leurs « fondamentaux ». Elle est seulement due aux émissions monétaires sans contrepartie réelle (augmentation nominale des dépôts bancaires sans une augmentation de l’output sur le plan national) qui deviennent possibles à cause de la pathologie du système bancaire actuel. Cependant, toute transaction sur le marché financier implique un transfert de revenu entre les parties contractantes. L’augmentation du prix des actifs signifie que les rentiers accaparent une part de pouvoir d’achat plus élevée aux débiteurs (les acheteurs d’actifs) pour un actif dont la valeur, le risque et la qualité sont restés identiques. Lorsque toutes les banques utilisent cette échappatoire (entendez l’intermédiation monétaire) afin de maximiser leurs profits, elles contribuent en effet à fragiliser la situation économique des ménages et des entreprises dont le niveau d’endettement augmente et la valeur du patrimoine diminue, dès qu’il y a retournement de tendance, au profit des rentiers, et cela d’autant plus que les taux d’intérêt augmentent durant la phase d’expansion. Durant la phase de récession, les besoins en liquidité augmentent pour toutes les catégories d’agents (incluant les banques commerciales) parallèlement à une détérioration des conditions d’accès au crédit.

La détérioration des conditions d’accès au crédit bancaire, la diminution du degré de solvabilité de tous les agents économiques, le niveau d’incertitude qui prévaut en phase de retournement de tendance sont autant de facteurs qui contraignent les firmes à réduire leur niveau de production et à exercer des pressions à la baisse sur les salaires, ce qui se traduit par une réduction imminente du revenu national, rendant la situation économique et financière encore plus fragile. Il existe dès lors une forte corrélation entre la situation prévalant dans le secteur financier et celle observée dans le secteur réel. En d’autres termes, l’instabilité financière induit des externalités négatives sur l’activité économique.

En ce qui concerne la procyclicité du système financier, force est de constater qu’elle résulte en partie d’une large exposition des banques aux activités financières en phase d’expansion comme résultat de la diminution de l’asymétrie d’information, et en partie de l’existence de certaines dispositions législatives incombant au marché financier, qui rendent l’offre de prêts plus sensible au cycle économique. En phase d’expansion, aussi bien les firmes que les institutions financières font appel à l’emprunt pour s’engager dans des projets d’investissement ou dans des placements financiers. Cette pratique leur permet d’amplifier les gains. De l’autre côté, les banques sont très enclines à accorder des lignes de crédit grâce au fait que le ratio de fonds propres bancaires, stipulé dans les accords de Bâle (II), diminue en phase d’expansion économique en raison de la réduction du risque perçu. L’augmentation de l’offre de fonds prêtables sur le marché financier conditionne sa propre demande, rendant les conditions financières plus attrayantes et contribuant à pousser à la hausse les cours boursiers dans un climat apparemment très stable (Borio, 2008 : 12−13). Aussi bien les firmes que les institutions financières peuvent entretenir leur demande de fonds étant donné que la valeur de leurs actifs augmente et que l’accès au crédit est facile. Pour faire face à cette demande soutenue de fonds, les banques sont incitées à orienter leurs activités vers des instruments hors-bilan ou vers des actifs plus risqués afin d’échapper aux exigences de fonds propres prescrites dans les accords de Bâle II (Banque du Canada, 2009 : 51−54). De telle manière, les accords de Bâle II contribuent à accroître la procyclicité du marché financier (Buiter, 2007 : 4; Goodhart, 2009 : 40) et de l’activité économique ainsi que le risque systémique. La réglementation sur le capital bancaire mérite dès lors d’être revue aussi bien sous l’angle microéconomique (qui consiste à rendre contracyclique le ratio de fonds propres) que sous l’angle macroéconomique (qui consiste à être appliquée de manière universelle et à évincer le risque systémique).

2. Mesures proposées pour éviter une autre crise financière d’ordre systémique

L’envergure de la crise de 2007-2009 a fortement inquiété le monde économique et politique. Cette crise a mis en cause l’insuffisance de la réglementation et du contrôle prudentiels et la baisse de l’efficacité de la politique monétaire des taux d’intérêt dans l’atteinte simultanée de l’objectif de régulation macroéconomique et de celui de stabilisation financière. Alors que jusqu’à présent il était de coutume de séparer les instruments du contrôle prudentiel par rapport à ceux de la politique monétaire, les débats récents ont principalement mis l’accent sur la nécessité de réformer le fonctionnement et les instruments des autorités préposées à la surveillance financière et sur la nécessité de renforcer la coopération entre l’autorité monétaire et l’autorité de surveillance financière. Après avoir illustré les principales mesures prudentielles, micro et macro, proposées par les analystes chargés des questions monétaires et financières, l’analyse dans cette section se concentrera avant tout sur la question du rôle de la banque centrale dans la régulation des prix des actifs.

2.1 Mesures prudentielles, micro et macro

Les débats qui ont émergé à l’aboutissement de la crise financière que nous traversons ont été principalement orientés sur la nécessité de réformer et d’améliorer les mesures prudentielles, micro et macro, illustrées à l’aide du tableau 1. L’accent a été mis sur l’effet de levier, le degré élevé de participation des banques secondaires sur les marchés financiers (Fonds monétaire international, 2009a : 1), la maximisation des profits, l’évolution du risque encouru, ainsi que le caractère procyclique de la réglementation financière actuelle.

Tableau 1

Mesures prudentielles, micro et macro

Mesures prudentielles, micro et macro
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Actuellement, ces agences sont rémunérées par les émetteurs des titres qu’elles doivent évaluer (Brunnermeier et al., 2009 : 50), ce qui explique un système d’incitations biaisé et pervers (Buiter, 2007 : 5). Les méthodes d’évaluation du risque utilisées par les agences de notation ont joué un rôle important dans l’évaluation des actifs financiers et dans l’encouragement de la prise excessive de risque au niveau de l’établissement (Borio, 2008 : 17), et par effet de ricochet dans le risque systémique.

2

La grande concentration dans le marché des agences de notation pousse ces dernières à surestimer la qualité des actifs notés.

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Il émane de la lecture du tableau 1 que les mesures microprudentielles récemment suggérées, fidèles à leur objectif principal qui est celui d’assurer l’intérêt des déposants vis-à-vis des banques, s’inscrivent de plus en plus dans un cadre global visant à assurer la stabilité du système financier dans sa globalité par la prise en considération des risques agrégés. L’objectif de toutes ces mesures prudentielles, micro et macro, serait d’encadrer les dérives dangereuses du crédit et d’éviter les fluctuations marquées du prix des actifs susceptibles de provoquer l’effondrement du système de paiement.

Or, l’objectif de notre analyse n’est pas d’évaluer la pertinence et l’efficacité des solutions proposées à ce jour, étant donné que ces mesures tombent sous la responsabilité et les compétences des autorités de surveillance financière. Nous souhaitons en revanche porter notre attention sur les objectifs et le rôle de la banque centrale dans le maintien de la stabilité financière, un rôle que nous jugeons adéquat dès lors que la stabilité financière garantit la stabilité monétaire et macroéconomique.

Les débats concernant le rôle de la banque centrale pour assurer la stabilité des marchés financiers furent très nourris durant la période 1998-2006. Malheureusement, ces discussions n’ont pas été approfondies lors de la crise de 2007-2009 et aucun consensus n’a été dégagé quant au comportement que la banque centrale devrait adopter par rapport à l’évolution des prix des actifs. La gravité et l’envergure de la crise de 2007-2009 ont montré que l’intervention des banques centrales (et des gouvernements) était tout autant indispensable pour le maintien de la stabilité des marchés monétaires et financiers que pour l’économie dans son ensemble. Il convient dès lors d’analyser le moyen le plus approprié, pour les banques centrales, d’intervenir lorsqu’on connaît les difficultés d’évaluer les indicateurs de crise dans les délais de transmission déterminés par leur politique monétaire, et de respecter des objectifs parfois contradictoires lorsqu’il s’agit de les réaliser simultanément (la stabilité monétaire, la stabilité financière et la stabilité macroéconomique).

2.2 Mesures proposées pour une politique monétaire contribuant à assurer la stabilité financière

L’autorité monétaire doit-elle réagir aux variations des prix des actifs au même titre qu’elle réagit aux variations des prix d’une partie des biens et services (à savoir, les produits utilisés pour le calcul de l’indice des prix à la consommation, l’indice considéré par bien des banques centrales pour prendre leurs propres décisions de politique monétaire)? Nous répondrons à cette question en tenant compte de deux constatations. Premièrement, l’impact de la variation des prix des actifs sur l’output et sur les conditions futures de la demande globale a été reconnu par un très grand nombre d’économistes et de banquiers centraux[7]. Deuxièmement, les prix des actifs semblent être des indicateurs avancés de l’inflation. « La logique de ce point de vue réside dans le fait que la valorisation des actifs est calculée de manière prospective et que les prix des actifs intègrent, par conséquent, les anticipations relatives à la croissance économique et aux tensions inflationnistes à venir » (Trichet, 2002 : 40). Il convient cependant de remarquer que, jusqu’à présent, les autorités monétaires ont toujours pris en compte les effets anticipés des variations du prix des actifs financiers sur le taux d’inflation alors que la stabilité financière ne constitue pas un objectif final de la politique monétaire.

Si l’on soutient l’idée d’une réaction directe des autorités monétaires à la variation des prix des actifs, force est de reconnaître que les autorités monétaires seront confrontées à de nombreuses difficultés. La première consiste à savoir de quelle manière les autorités monétaires doivent réagir aux prix des actifs. Faut-il établir un indice de prix intégrant les actifs financiers? Faut-il introduire les prix des actifs dans la règle de Taylor en fixant ainsi, à côté des objectifs traditionnels, une cible pour la variation des prix des actifs? Le cas échéant, la réaction de l’autorité monétaire doit-elle être symétrique ou asymétrique? Quel sera le coefficient de réaction aux variations des prix des actifs? Il faudrait de surcroît déterminer la valeur de référence à partir de laquelle toute déviation des prix des actifs fera l’objet d’une intervention des autorités monétaires. Une question encore plus importante consiste à savoir adapter la réaction de l’autorité monétaire à la nature des chocs à l’origine d’une fluctuation des prix des actifs. Étudions ces questions de plus près.

2.2.1 La création d’un indice des prix incorporant les prix des actifs

En se basant sur l’argument selon lequel les prix des actifs sont des indicateurs avancés de l’évolution future des prix des biens et services et que leur variation peut induire une perte du pouvoir d’achat de la monnaie au même titre qu’une variation des prix des biens et services, certains économistes, à l’instar de Bryan et Cecchetti (1993) et Goodhart (1995), ont essayé de construire un nouvel indice des prix permettant de mesurer le taux d’inflation utilisé comme cible par les banques centrales. Deux problèmes se posent alors[8]. Le premier est de déterminer le poids qu’il faudrait attribuer aux prix des actifs dans le nouvel indice des prix. En admettant que l’augmentation du prix des actifs n’est pas nécessairement liée à l’inflation, le second problème tient à la difficulté d’évaluer le moment à partir duquel une intervention de la banque centrale pourrait être justifiable pour contrecarrer les fluctuations, jugées excessives, des prix des actifs. À ce propos, certains auteurs, tels que Shiratsuka (1999 : 107-123) et Filardo (2001 : 15), mettent l’accent sur l’impact néfaste d’une forte variation du taux d’intérêt directeur. De fortes fluctuations des taux d’intérêt peuvent avoir des effets bien plus dommageables sur l’activité économique que leurs prétendus effets positifs sur la stabilité des prix et la stabilité financière.

2.2.2 La réaction des autorités monétaires en fonction de la nature des chocs

La construction d’un nouvel indice des prix intégrant les prix des actifs financiers et/ou des actifs réels n’ayant pas suscité grand intérêt jusqu’à présent, certains auteurs suggèrent, à l’instar de Goodhart et Hofmann (2001 : 10-15), d’introduire les prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales. Néanmoins, ces auteurs refusent le principe que la banque centrale devrait réagir de manière automatique aux variations des prix des actifs. Les autorités monétaires devraient en revanche analyser les causes de ces variations, sur la base des facteurs de l’offre ou de la demande.

Ce point de vue a été exposé de manière plus constructive dans le travail de Durré (2001 : 12-24). L’auteur montre que les autorités monétaires ne doivent pas réagir de la même manière à toutes les variations des prix des actifs. L’analyse de la nature des chocs afférant à la variation des prix des actifs est primordiale, d’autant plus que certaines évolutions financières peuvent être déstabilisantes ou stabilisantes. A fortiori, la réaction des autorités monétaires en cas de cible d’inflation et d’écart de production ne sera pas identique à celle des autorités monétaires dont l’objectif est la stabilité financière. La fonction de réaction de la banque centrale dans le dernier cas de figure prendrait la forme d’une règle de Taylor augmentée des prix des actifs dont la fonction de perte s’établit comme suit :

En cas de chocs positifs de demande, les trois écarts dans la fonction de perte (1) tendent à augmenter. Dans ce contexte, la demande globale augmente, provoquant par là des pressions à la hausse sur les prix des biens et des services ainsi que sur les prix des actifs financiers. La banque centrale intervient alors en augmentant le taux d’intérêt nominal, afin de minimiser l’écart du taux d’inflation par rapport à sa cible. L’augmentation du taux d’intérêt conduit à une diminution des prix des actifs, qui, à son tour, entraîne une diminution de la demande globale par l’intermédiaire de l’effet de richesse. Or, cette augmentation du taux d’intérêt renchérit le coût du capital et déprime alors les dépenses d’investissement. Ainsi, la réaction de la banque centrale aux chocs positifs de demande devrait être plus faible lorsque celle-ci vise également la stabilité financière que dans le cas de l’objectif traditionnel de stabilité des prix. Il convient de préciser que la variation du taux d’intérêt directeur sera d’autant plus faible que la réactivité de la demande globale à la variation des prix des actifs est forte (donc lorsque les effets de richesse sont importants).

En cas de chocs d’offre, les autorités monétaires sont tenues de détecter la nature de ce choc. Lors d’un choc technologique, les banques centrales ne devraient généralement pas intervenir. Un choc technologique contribue à augmenter les capacités de production. Or, les prix des actifs tendront fortement à la hausse grâce à une augmentation permanente des dividendes futurs anticipés. D’un côté, la demande globale augmente suite à la hausse des prix des actifs liée à un effet de richesse. D’un autre côté, le niveau de production à long terme augmente grâce au progrès technologique. Lorsque la banque centrale vise son objectif traditionnel, elle peut réagir aux chocs positifs de l’offre par une baisse des taux d’intérêt dans le but de relancer la demande globale. Or, dans un modèle de ciblage de l’inflation avec des effets de richesse (règle de Taylor augmentée d’une cible pour la variation des prix des actifs), la banque centrale ne doit pas toujours intervenir en situation de choc technologique car, dans ce cas, la demande globale arrive à égaliser l’offre globale grâce à l’impact positif de l’augmentation des prix des actifs sur le niveau de la demande globale. En effet, le degré d’intervention de la banque centrale dépendra de la sensibilité de la demande globale à la variation des prix des actifs. En situation de choc technologique, la variation du taux d’intérêt sera d’autant plus faible que les effets de richesse seront forts et vice-versa. Selon les calculs de Durré (2001), à partir d’une élasticité de la demande globale par rapport aux prix des actifs de 0,7 (ce qui signifie qu’une augmentation de 10 pour cent des prix des actifs va induire une augmentation de 7 pour cent de la demande globale), l’intervention de la banque centrale n’est plus nécessaire. Cet exemple met en exergue le rôle rééquilibrant des prix des actifs.

Il convient toutefois d’ajouter une précision dans le cas où la banque centrale est confrontée à un choc d’offre. Lorsque l’élasticité de la demande globale par rapport aux prix des actifs est faible, la banque centrale doit faire un arbitrage entre la stabilisation de l’activité économique et celle des prix des actifs. La diminution des taux d’intérêt, outre la relance de la demande globale, induit une volatilité plus forte des prix des actifs. Dans ce cas de figure, la banque centrale sera confrontée au respect d’objectifs contradictoires. Est-ce qu’elle va accepter un taux d’inflation plus élevé afin de contrecarrer les fluctuations des prix des actifs, ou va-t-elle préférer maîtriser l’inflation au prix d’une variabilité des prix des actifs? Cela dépendra des préférences de la banque centrale et, par conséquent, des coefficients attribués à chacun de ses objectifs (Levieuge, 2005 : 323).

Si l’on considère maintenant le cas où le marché des actifs est affecté par un choc financier positif, l’augmentation de la prime de risque va diminuer les prix des actifs conformément au modèle des dividendes escomptés. La diminution des prix des actifs va alors influencer négativement la demande globale. Dans la perspective d’une production inchangée, toute pression à la baisse sur la demande globale peut affecter négativement les prix des biens et services. Afin d’éviter la diminution des prix, la banque centrale réagit par une diminution du taux d’intérêt directeur, ce qui aura pour corollaire une augmentation de la demande globale. Plus la sensibilité de la demande globale à la variation des prix des actifs est forte, plus forte sera la variation du taux d’intérêt suite à un choc financier. En effet, les autorités monétaires devront non seulement contrecarrer les fluctuations de l’activité économique, mais aussi celles des prix des actifs. La réponse de la banque centrale à un choc financier sera plus forte lorsque celle-ci aura pour objectif la stabilité financière que dans le cas contraire. Cela s’explique par le fait qu’un choc financier (tout comme un choc technologique) affecte directement les prix des actifs. Avec un objectif de stabilité financière, les autorités monétaires doivent, d’un côté, réagir à la diminution des prix des actifs et, d’un autre, à la diminution de la demande globale.

La réaction des autorités monétaires à la variation des prix des actifs ne sera pas systématique. Celles-ci doivent répondre avec force aux chocs financiers qui déstabilisent l’économie, mais elles doivent se montrer beaucoup plus rigoureuses en cas de choc d’offre, laissant ainsi les prix des actifs jouer leur rôle rééquilibrant. La force avec laquelle le taux d’intérêt directeur doit répondre aux différents chocs dépend du poids relatif accordé à chaque objectif dans la fonction de réaction de la banque centrale. Plus le poids attribué à l’objectif de stabilité financière est élevé, plus la variation du taux d’intérêt suite à un choc financier ou à un choc d’offre sera élevée. Dans le cas d’un choc de demande, la variation du taux d’intérêt sera plus faible.

2.2.3 L’intégration des prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales

Bernanke et al. (1999 : 1341-1393)[9] sont parmi les premiers économistes à avoir reconnu l’impact de la variation des prix des actifs sur les grandeurs réelles. Considérant les effets de richesse et le mécanisme de l’accélérateur financier comme les deux principaux canaux de transmission de l’activité financière à l’économie réelle, ils se sont intéressés à la pertinence de l’introduction des prix des actifs dans la fonction de réaction de la banque centrale.

Partant d’une économie fermée, les auteurs intègrent la possibilité d’un choc exogène, ce qui signifie que leur modèle repose sur l’hypothèse de la création d’une bulle spéculative. La bulle apparaît de façon imprévisible (étant donné qu’elle est exogène), se développe de manière à doubler à chaque période et éclate au terme de cinq périodes. Lorsque la bulle éclate, les prix des actifs reviennent à leurs valeurs fondamentales, à savoir la valeur actualisée des dividendes que ces actifs sont supposés rapporter.

Cette hypothèse d’exogénéité a des implications importantes pour la politique monétaire. Tout d’abord, elle sous-tend que la naissance, la vie et la mort d’une bulle d’actifs, de même que la façon dont celle-ci réagira à un changement de politique monétaire, comportent un élément d’imprévisibilité du fait que les sources de déséquilibre ne sont pas explicitées dans le modèle économique. En conséquence, il est difficile pour les autorités monétaires de savoir comment réagir à un déséquilibre des prix des actifs : faut-il resserrer la politique monétaire et aller à contre-courant du marché ou au contraire s’assouplir pour amortir l’onde de choc que la bulle provoquera?

Selody et Wilkins, 2004 : 6

Bernanke et Gertler (1999 : 17-51) ont tenté de répondre à cette question. Ils se sont intéressés à l’opportunité, pour les autorités monétaires, d’adopter un comportement accommodant ou agressif face à une inflation anticipée et de réagir à une variation des prix des actifs. Une règle accommodante consiste à varier le taux d’intérêt nominal dans le même sens et avec la même ampleur que les variations anticipées du taux d’inflation futur, de manière à maintenir inchangé le taux d’intérêt réel. Il s’agit, dès lors, d’une règle qui respecte la fameuse relation d’Irving Fisher. Au contraire, une règle sera agressive lorsque le banquier central a une forte aversion à l’inflation. Ainsi, le taux d’intérêt nominal réagira fortement à une anticipation inflationniste. Cela signifie que le taux d’intérêt réel sera affecté et la politique monétaire aura un impact sur l’activité économique.

Ces deux règles monétaires seront appliquées à la relation suivante (nous simplifions) :

Il convient de préciser que les auteurs émettent l’hypothèse que la banque centrale ne va pas répondre à l’output gap (δ = 0). L’inclusion du prix des actifs parmi les objectifs de la banque centrale se traduit par la valeur γ ≠ 0, et par la valeur γ = 0 dans le cas contraire. Lorsque les autorités monétaires appliquent une règle accommodante, β vaut 1,01[10]. Dans le cas où elles appliquent une règle agressive, β est égal à 2,0.

Bernanke et Gertler (1999) ont fait les quatre simulations suivantes : règle accommodante avec objectif de stabilité des prix (it = 1,01 Etequation: 1522763n.jpgt+1); règle agressive avec objectif de stabilité des prix (it = 2,0 Etequation: 1522764n.jpgt+1); règle accommodante avec objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière (it = 1,01 Etequation: 1522765n.jpgt+1 + 0,01 (S – S*)t), et, enfin, règle agressive avec objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière (it = 2,0 Etequation: 1522766n.jpgt+1 + 0,01 (S – S*)t). On note que le coefficient de réaction des autorités monétaires à la variation des prix des actifs est extrêmement faible, à tel point que l’on peut dire que la stabilité financière ne constitue pas un objectif en tant que tel. Néanmoins, ce coefficient étant tout de même positif et non nul, il a le mérite d’intégrer les comportements des agents dès lors que cet objectif fait partie des préoccupations de la banque centrale.

Sur la base des résultats de leurs tests économétriques, les auteurs privilégient le choix d’une règle de politique monétaire agressive avec pour seul objectif la stabilité des prix des biens et des services. Cette conclusion peut s’expliquer de la façon suivante : sachant que le banquier central répondra par une augmentation très forte du taux d’intérêt nominal à toute anticipation inflationniste, les agents économiques vont intégrer cette donnée dans leur comportement de consommation et vont de suite réduire leurs dépenses de consommation et d’investissement. De même, une diminution future des cours boursiers (en raison de l’augmentation du taux d’intérêt) ne peut pas être attendue sans une diminution future de la richesse nette des agents et, par conséquent, une diminution du niveau des dépenses de consommation, si l’on se situe dans l’hypothèse du cycle de vie avec objectif de lissage des dépenses de consommation.

L’application d’une règle rigoureuse de politique monétaire avec un objectif supplémentaire de stabilité financière n’apporte pas de résultats très différents de ce que nous venons de présenter. C’est pourquoi l’introduction des prix des actifs dans la fonction de réaction des banques centrales n’est, selon Bernanke et Gertler (1999), ni nécessaire ni souhaitable. Les banques centrales n’ont donc pas besoin de se préoccuper de la nature des chocs qui frappent les marchés financiers et ne sont pas confrontées à un arbitrage d’objectifs lors de chocs de demande.

L’application d’une règle accommodante (β = 1,01), qui permet de maintenir le taux d’intérêt réel constant, conduit à des résultats pervers et insatisfaisants dans les deux cas de figure suivants. Lorsque la banque centrale a pour seul objectif la stabilité des prix, l’application d’une règle accommodante n’est pas optimale. La création d’une bulle spéculative stimule la demande globale par le canal de l’accélérateur financier et des effets de richesse. Les dépenses de consommation et d’investissement augmentent, de même que le taux d’inflation et l’output. Lorsque la bulle éclate, la richesse nette des firmes diminue et leur prime de financement externe augmente, ce qui conduit à une diminution rapide de l’output. La diminution de la production en phase descendante du cycle est plus forte que l’augmentation de la production en phase ascendante du cycle. Dans le cas où les autorités monétaires souhaitent atteindre les deux objectifs de stabilité des prix et de stabilité financière, l’application d’une règle accommodante conduit à des résultats pervers. La raison en est que

the expectation by the public that rates will rise in the wake of the bubble pushes down the fundamental component of stock prices, even though overall stock prices (inclusive of the bubble component) rise. Somewhat counterintuitively, the rise in rates and the decline in fundamental values actually more than offset the stimulative effects of the bubble, leading output and inflation to decline – an example of the possible ‘collateral’ damage to the economy that may occur when the central bank responds to stock prices. However, the general point here is that a monetary policy regime that focuses on asset prices rather than macroeconomic fundamentals may well be actively destabilizing. The problem is that the central bank is targeting the wrong indicator.

Bernanke et Gertler, 1999 : 28

Il nous paraît important de préciser que l’analyse de Bernanke et Gertler (1999) repose sur l’hypothèse que la banque centrale est en mesure d’identifier la présence d’une bulle. Cela signifie qu’elle peut distinguer ce qui, dans le prix d’un actif, relève de sa valeur fondamentale de ce qui résulte de composantes non fondamentales. Cette hypothèse est forte car elle suppose que les banques centrales sont mieux informées que le marché et qu’elles ont un degré de rationalité plus élevé que les autres agents (Bordo et Jeanne, 2002b : 3). Or, il convient de préciser que, même dans un cadre de rationalité et d’informations parfaites à la disposition des banques centrales, la définition d’une bulle (sa création, son ampleur et sa durée) repose sur des appréhensions fortement subjectives et qu’aucun moyen ne permet d’évaluer, de manière totalement objective, la valeur fondamentale du prix d’un actif financier ou d’un actif réel.

À l’appui des conclusions de Bernanke et Gertler (1999), Bordo et Jeanne (2002b : 8-12) proposent un argument supplémentaire, selon lequel les bulles financières ne vont pas toutes éclater. Il ressort de leurs calculs que la probabilité qu’une bulle éclate sur le marché des actions n’est que de 16,7 pour cent, ce qui est somme toute très faible. Par contre, cette même probabilité s’élève à 55 pour cent pour les bulles concernant les actifs immobiliers. Aussi, certaines bulles n’entraînent-elles pas de répercussions douloureuses sur l’activité économique lorsqu’elles éclatent. Ce qui signifie que la détection d’une bulle ne suffit pas à justifier l’intervention des autorités monétaires, ce d’autant plus que la capacité des modèles actuels à distinguer entre les bonnes et les mauvaises bulles est faible (Fonds monétaire international, 2009c : 7). La question qui doit préoccuper les banquiers centraux n’est donc pas tant l’existence d’une bulle en tant que telle, mais la combinaison d’événements se produisant dans le secteur réel et dans le secteur financier (un niveau élevé de crédit bancaire par rapport au revenu national, un niveau élevé d’endettement de tous les acteurs économiques, un niveau élevé des prix des actifs) qui exposent le système financier à un niveau de risque élevé (Borio et Lowe, 2002 : 11).

Cecchetti et al. (2000 : 22-36)[11] réfutent les résultats de Bernanke et Gertler (1999). Ils considèrent une fonction de réaction de la banque centrale comme celle utilisée par Bernanke et Gertler (1999), tout en attribuant à l’écart de production un poids positif et égal à l’unité (contrairement au choix de Bernanke et Gertler, qui attribuent un coefficient de réaction nul à l’écart de production), et élaborent une fonction de perte pour chaque règle de politique monétaire (une règle de politique monétaire qui vise uniquement la stabilité des prix et une règle de politique monétaire qui vise la stabilité des prix et la stabilité financière). Leur objectif est de choisir la règle de politique monétaire qui minimise la (fonction de) perte. Il ressort des calculs de Cecchetti et al. (2000 : 22-36) que la règle optimale est celle qui intègre les prix des actifs. À l’inverse de Bernanke et Gertler (1999), Cecchetti et al. (2000) proposent ainsi une réaction systématique des autorités monétaires aux variations des prix des actifs qui ne correspondent pas aux valeurs fondamentales. Ils précisent que la banque centrale doit être en mesure de bien estimer les mésalignements des prix des actifs et de réagir différemment en fonction des chocs qui sont à l’origine de ces mésalignements. La réaction des autorités monétaires doit être active et préventive en période d’expansion afin de limiter l’ampleur des conséquences de la bulle (Fonds monétaire international, 2009a : 11). La prévention des crises dans le secteur bancaire est bien plus importante que dans d’autres secteurs en raison des externalités qui caractérisent ce secteur. Les effets de débordement qui se manifestent dès qu’une crise financière éclate justifient une prévention des crises financières sur le plan international par une collaboration accrue entre les banques centrales, alors que la gestion des crises devrait se faire au niveau national de par le coût élevé qu’elle implique (Brunnermeier et al., 2009 : 51-52).

Or, la difficulté de bien déceler la présence d’une bulle a éveillé l’inquiétude de plusieurs économistes[12]. Non seulement les autorités monétaires doivent déterminer si la bulle conduit à la création d’un risque systémique et à un déséquilibre financier potentiel (Fonds monétaire international, 2009a : 5), mais elles doivent également veiller à ne pas réagir trop rapidement aux fluctuations boursières afin d’éviter une intervention erronée de la banque centrale. Dans ce cas, une mauvaise réaction de la banque centrale serait très déstabilisante (Levieuge, 2005 : 324) et lourde de conséquences en termes de perte de richesse pour le système économique. Cela entraînerait de surcroît une perte de crédibilité de la banque centrale et de sa politique monétaire.

Plusieurs auteurs rejettent par conséquent le point de vue de Cecchetti et al. (2000), parce que la détection des mésalignements dont il a été question précédemment n’est pas simple, ce d’autant plus que la détermination de la valeur fondamentale des actifs relève de critères subjectifs (Selody et Wilkins, 2004 : 10). Qui plus est, l’utilisation de l’instrument dont disposent les banques centrales actuellement n’a pas d’effets assurés : l’influence d’une variation des taux d’intérêt directeurs sur les cours boursiers n’est pas univoque. L’interprétation qu’en donnerait le marché financier est primordiale. Cela signifie aussi que la banque centrale n’a pas le contrôle absolu sur les prix des actifs financiers, ce qui constitue une difficulté supplémentaire au problème considéré ici.

Pour éviter le risque d’une mauvaise appréciation des déviations des prix des actifs de leur valeur fondamentale, ainsi que celui d’une intervention trop rapide des autorités monétaires, Cecchetti et al. (2002) proposent une intervention sur les taux d’intérêt directeurs, uniquement en cas de déviations marquées des prix des actifs par rapport à leurs valeurs fondamentales à long terme, afin de s’assurer que ces déviations auront des répercussions importantes sur les grandeurs réelles. Selon Cecchetti et al. (2002), les petites déviations ne semblent pas avoir d’effets déstabilisateurs inquiétants. Ces auteurs sont toutefois d’avis qu’il est aisé de détecter des déviations très marquées des prix des actifs sur le long terme telles que celles qu’ont connues le Japon en 1989 et les États-Unis en 2000.

On peut conclure sur la base de ces développements que moins les banques centrales sont en mesure d’estimer avec précision les retentissements de la variation des prix des actifs sur les grandeurs réelles et plus elles sont tenues de réagir rapidement en réajustant les taux d’intérêt, moins il convient de classer la stabilité financière parmi les objectifs de la banque centrale car la probabilité que cette dernière commette une erreur dans ce cas est assez élevée. L’introduction d’une cible portant sur les prix des actifs financiers et des actifs réels dans la règle de Taylor comporte une difficulté énorme pour les autorités monétaires en raison des retentissements d’une variation des taux d’intérêt directeurs sur l’économie toute entière et de la difficulté d’agréger les prix des différents actifs.

2.2.4 Doit-on proposer une réaction asymétrique par les banques centrales?

Étant donné les difficultés que peuvent rencontrer les banques centrales lorsqu’elles doivent intervenir au moment de la naissance d’une bulle pour amortir son impact, nous pourrions nous demander si une réaction asymétrique, mais systématique, de la part de la banque centrale serait justifiable. Un tel comportement des autorités monétaires a été qualifié de « benign neglect » dans la littérature. La banque centrale joue alors le rôle de prêteur en dernier ressort. Il s’agit pour elle de réduire le taux d’intérêt directeur à la suite d’une baisse des cours boursiers, afin de limiter les pertes des agents et d’éviter que l’économie entre dans une phase de récession. Ce comportement se justifie par le fait qu’une éventuelle injection de liquidités, qui est nécessaire lors d’une instabilité financière, sera de très courte durée et ne risque donc pas de se heurter aux objectifs macroéconomiques de la politique monétaire portant sur un horizon temporel de moyen à long terme.

L’aléa moral provoqué par une intervention systématique et asymétrique de la banque centrale risque en revanche d’engendrer des comportements déstabilisateurs chez les investisseurs. Sachant que la banque centrale adoptera des politiques monétaires accommodantes systématiquement après tout effondrement des cours boursiers, les investisseurs seront tentés de s’engager dans des projets encore plus risqués et à rendement élevé. Ainsi, nous pourrions reprocher aux autorités monétaires d’avoir contribué à la création d’une bulle spéculative (Illing, 2001 : 1; Trichet, 2002 : 39-40).

D’autre part, si la banque centrale manque d’intervenir face à l’émergence d’une bulle pour une raison aussi simple que celle d’une mauvaise appréciation de la situation, elle peut donner au marché un signal trompeur, qui n’aurait pour conséquence que d’alimenter la bulle. Les agents pensent que la situation économique et financière est saine, alors qu’elle ne l’est pas, et s’engagent dans des projets encore plus risqués. En résumé, le manque de clairvoyance de la part des autorités monétaires aggrave le problème d’aléa moral.

3. Vers une nouvelle perspective d’action

Jusqu’à présent, nous avons relevé que les variations des prix des actifs ébranlent à la fois la stabilité financière, économique et monétaire de l’économie nationale. La politique monétaire est directement concernée par ces évolutions et elle doit assurer un certain degré de stabilité des prix des actifs. Un relèvement des taux d’intérêt directeurs dans la phase ascendante du cycle économique permet de freiner l’euphorie des intervenants sur les marchés financiers. Certes, l’application de cette politique n’aboutit pas nécessairement à un résultat optimal malgré le rôle primordial que jouent les anticipations dans ce domaine. Néanmoins, à long terme, une telle politique, si elle est clairement définie et mise en application de manière adéquate, permet de transmettre aux marchés et au public un message clair, et de tempérer l’optimisme des agents. Or, une telle réaction comporte beaucoup de difficultés. La détection de la bulle ainsi que l’évaluation de ses répercussions et du choc qui l’a alimentée sont nécessaires. Mais la politique monétaire aura immanquablement des répercussions sur les prix des actifs dans un délai relativement court, alors même que les canaux qu’elle utilisera pour déployer ses effets ne sont pas encore définis. Le recours à l’outil habituel de la politique monétaire peut représenter un grand inconvénient lorsque des dérèglements apparaissent sur un marché bien spécifique. Si l’augmentation des taux d’intérêt directeurs aura probablement des conséquences bénéfiques sur le prix des actifs considérés (par exemple sur les actifs immobiliers lors d’une bulle immobilière), elle pèsera cependant négativement sur le cours des autres types d’actifs dont le prix n’avait pas augmenté, ainsi que sur l’économie dans son ensemble.

Pour pallier ce grand nombre de difficultés, la proposition de Palley (2000, 2004) nous semble pertinente. L’auteur propose un système de réserves obligatoires[13] (ROBA) basées sur les actifs immobiliers et financiers figurant dans les bilans de l’ensemble des intermédiaires financiers, à savoir banques, fonds de placement et compagnies d’assurance. Il s’agit dès lors de passer d’un système de réserves obligatoires basées sur les passifs (appliqué uniquement aux banques) à un système de réserves obligatoires basées sur les actifs (appliqué à tous les intermédiaires financiers)[14]. Les intermédiaires financiers détiennent des actifs en contrepartie des prêts qu’ils octroient ou par de simples opérations d’achat de titres. L’objectif d’un système ROBA consiste à attribuer aux autorités monétaires le droit d’imposer un ratio de réserves sur chaque type d’actifs détenus par les intermédiaires financiers, ainsi que sur les types de crédit que les banques accordent. Le montant des réserves requis sera déposé sans intérêt auprès de la banque centrale. Le ratio de réserves peut varier en fonction de plusieurs critères tels que le niveau du risque supporté par un actif, la demande attachée à cet actif, et ainsi de suite. L’augmentation du ratio de réserves sur une catégorie spécifique d’actifs tend à diminuer leur rendement par rapport à d’autres catégories d’actifs. Par conséquent, les intermédiaires financiers leur préféreront d’autres actifs plus rentables (Palley, 2000 : 7).

Illustrons cette approche par deux exemples. Supposons que la Banque centrale européenne (BCE) ait détecté l’existence d’une bulle immobilière à Paris. Dans ce cas, elle donnera l’ordre à la Banque de France d’exiger que les banques aient en dépôt chez elle un montant supérieur de réserves non rémunérées en fonction du montant de crédit immobilier qu’elles octroient en l’occurrence à Paris. Dès lors, les banques françaises doivent avoir plus d’un euro en réserve à leur banque centrale pour octroyer un euro de crédit sur le marché immobilier local. Dans ce but, elles vont augmenter le taux d’intérêt qui rémunère les crédits immobiliers, et ainsi réduire la demande pour les actifs immobiliers et freiner l’augmentation des prix dans ce marché. Les déséquilibres sur le marché immobilier parisien s’en trouveraient atténués, sans que la BCE n’ait à augmenter les taux d’intérêt directeurs pour l’ensemble de la zone euro. Pour donner un autre exemple, supposons que, dans un pays donné, l’on observe une forte tendance de la part des investisseurs (spéculateurs) à demander des prêts spéculatifs de court terme. Si l’on augmente le ratio de réserves obligatoires sur les prêts de court terme, les coûts de l’emprunt pour ce type d’opérations augmentent, ce qui permet de freiner, si ce n’est d’éviter, les investissements spéculatifs de court terme.

Un pareil système devrait permettre de remédier à certaines des difficultés dont il a été question précédemment. Un système ROBA devrait permettre, avant tout, de préserver une stabilité financière accrue, de par la diminution du risque associé aux différentes catégories d’actifs. Il en résulte une plus grande stabilité économique, étant donné que la variation des dépenses d’investissement et de consommation sera contrecarrée. Enfin, la stabilité monétaire serait préservée par le fait que la banque centrale n’est plus tenue de manipuler les taux d’intérêt pour maîtriser la variation des prix des actifs. Cela permettrait aux banques centrales de lutter contre les instabilités sectorielles sans plus perturber l’économie entière. La banque centrale garderait l’instrument des taux d’intérêt dans le but d’assurer la stabilité des prix des biens et des services, et bénéficierait d’un nouvel instrument pour garantir la stabilité financière. L’efficacité de la politique monétaire s’en trouverait accrue pour deux raisons. Premièrement, les autorités monétaires pourraient ainsi influencer l’offre de crédit. Deuxièmement, le rôle de la banque centrale sur le marché interbancaire augmenterait grâce à une extension de la demande de réserves en monnaie de banque centrale. Qui plus est, ce système de ROBA reste entièrement cohérent avec le système de contrôle monétaire actuel, qui opère par des opérations de marché ouvert (Palley, 2000 : 7-9; Palley, 2004 : 45-47).

Un autre avantage de ce système réside dans le fait que celui-ci agit en tant que stabilisateur automatique. Lorsque les prix des actifs augmentent, le système ROBA génère une restriction monétaire automatique à travers l’accumulation des réserves que les institutions financières doivent déposer à la banque centrale. Inversement, en période de réduction des prix des actifs, la diminution du ratio de réserves permet de libérer les dépôts préexistants, approvisionnant les établissements financiers en liquidité dans une phase où ceux-ci en ont le plus besoin (Palley, 2000 : 7-8).

L’application d’un tel système acquitte l’autorité monétaire de la lourde tâche de la détection au préalable de l’émergence d’une bulle, dans le cas où celle-ci serait tenue d’agir de manière préventive à travers sa politique des taux d’intérêt. La banque centrale doit, certes, toujours détecter l’apparition des bulles spéculatives[15], mais la variation du ratio de réserves devient un instrument beaucoup moins contraignant et moins conséquent que la manipulation des taux d’intérêt. Les inconvénients relatifs à une variation des taux d’intérêt dans le but d’amortir l’impact d’une bulle spéculative seraient ainsi écartés. Parmi ces inconvénients, nous pouvons mentionner les effets néfastes d’une telle politique sur les dépenses d’investissement et de consommation des agents économiques, ainsi que la diminution des liquidités en circulation dans le pays. Autant d’éléments qui aggravent la situation de détresse dans laquelle se trouve le pays. Nous pouvons encore citer, comme autre inconvénient, l’incertitude quant à l’impact d’une augmentation du taux d’intérêt directeur sur les cours boursiers. Le système ROBA ajouté aux instruments dont disposent déjà les banques centrales[16] permettrait à ces dernières d’atteindre non seulement leurs objectifs traditionnels, mais aussi l’objectif de la stabilité financière, tout en préservant un degré élevé de transparence et de crédibilité face au public.

Cette approche offre des avantages qui la rendent très intéressante. Néanmoins, une telle proposition repose sur un grand nombre d’hypothèses qu’il reste à vérifier en pratique. Premièrement, la variation du ratio des réserves requis doit être déterminée à partir d’une règle précise, simple, claire et facilement compréhensible par tous les agents économiques. Qui plus est, l’évaluation des prix des actifs est problématique et leur estimation très subjective. Les critères d’appréciation de la sous- ou surévaluation d’un actif dépendent du type même d’actif, du secteur de l’industrie concerné et d’autres éléments. Cela revient à dire qu’il faudrait considérer des critères différents selon qu’on analyse l’évolution d’un actif financier du secteur de la métallurgie ou du secteur de la biochimie, par exemple.

Le fait que certaines firmes soient actives dans plusieurs secteurs en même temps pose un autre problème. Lorsque le cours de leurs actions est (ou supposé être) surévalué, le système ROBA pénalise l’entreprise toute entière, quel que soit le secteur qui a déclenché l’augmentation du prix de ses actions. En outre, le degré avec lequel il faut modifier le ratio de réserves afin d’escompter l’effet souhaité sur le prix d’un actif spécifique n’est pas connu à l’avance. Cet effet sera fonction de l’élasticité de la demande de l’actif en question par rapport au taux d’intérêt qui l’affecte. À cela s’ajoutent les comportements stratégiques des banques secondaires. Afin de garder la demande de crédit intacte, ces dernières pourraient maintenir des taux d’intérêt inchangés en période de boom économique car elles anticipent des rendements quasi certains, même si cela se fait au prix d’une diminution de leur marge bénéficiaire. Dans ce cas, les banques misent plutôt sur la quantité que sur la qualité des prêts. Par ailleurs, les types de comportement, ainsi que le degré de rationalité, d’information et d’aversion au risque des agents économiques intervenant sur les marchés financiers, sont des éléments influençant l’évolution des cours boursiers. Les banques centrales devraient ainsi mettre davantage l’accent sur la transparence et la clarté de leurs politiques monétaires. Elles devraient divulguer continuellement au public l’information relative à la situation boursière et les mesures qu’elles vont prendre pour atteindre leurs objectifs. La période à partir de laquelle l’application de leurs politiques sera exercée devrait aussi être annoncée et respectée.

Une autre difficulté dans l’application d’un système ROBA réside dans le fait que les autorités de surveillance financière devraient en tout temps connaître l’actif des bilans des institutions financières. Cela demande un degré de transparence qui, à l’heure actuelle, n’est pas assuré. Somme toute, la mise en oeuvre d’un tel système de réserves obligatoires demande un effort juridique et administratif considérable, ainsi qu’une meilleure collaboration entre les autorités monétaires et les autorités de surveillance financière sur le plan international. Afin d’écarter toute possibilité d’évasion juridictionnelle, l’application d’un système ROBA doit notamment s’étendre à l’ensemble des pays et doit concerner tous les intermédiaires financiers. Cet enjeu est colossal.

Conclusion

La forte corrélation qui existe entre, d’une part, la stabilité financière et, d’autre part, la stabilité monétaire et macroéconomique, justifie l’inclusion de la stabilité financière parmi les objectifs d’une banque centrale (Fonds monétaire international, 2009b : 5; Group of Thirty, 2009 : 36) et une coopération plus étroite entre les autorités monétaires et les autorités de surveillance financière (Borio et Lowe, 2002 : 1). Les banques centrales devraient avoir un rôle important dans toute décision concernant un changement des politiques prudentielles, mais aussi un rôle de superviseur à l’égard des plus grandes institutions bancaires susceptibles d’induire un risque systémique (Group of Thirty, 2009 : 36). Cet article a présenté un survol de la littérature existant à ce sujet et a analysé la pertinence et la faiblesse de quelques propositions de réforme formulées à cet égard.

La complexité du problème traité rend difficile le dégagement d’une solution optimale. Parmi les propositions développées dans cet article, celles de Cecchetti et al. (2000) et Palley (2000) ont retenu notre attention. La proposition de Cecchetti et al. (2000) se distingue par la simplicité de sa mise en application, mais elle se heurte à des difficultés relatives à la détection à titre préventif des bulles spéculatives, aux éléments déclencheurs de ces bulles, ainsi qu’aux incertitudes des répercussions de la politique monétaire sur le système financier. La principale critique qui nous amène finalement à rejeter la proposition de Cecchetti et al. (2000) porte sur le caractère non souhaitable d’une politique monétaire qui pénaliserait l’économie toute entière afin de pallier des déséquilibres émergeant dans des secteurs spécifiques. La proposition de Palley (2000) offre à ce propos une solution, semble-t-il, plus judicieuse. L’application d’un système ROBA comporte un grand nombre d’avantages tant sur le plan macroéconomique que sur le plan microéconomique. Néanmoins, son application requiert une restructuration profonde de la réglementation financière et du cadre légal concernant la sphère financière, ainsi qu’un degré de coopération élevé entre les autorités monétaires et les institutions préposées à la surveillance financière dans les pays. Son application serait bien plus efficace si elle était accompagnée par une restructuration comptable du système bancaire séparant les opérations bancaires en deux « départements » au sens du Bank Charter Act adopté en 1844 au Royaume-Uni. La séparation entre les opérations monétaires, qui consistent en une émission d’unités monétaires à chaque fois qu’un paiement a lieu (Département I), et les opérations financières, qui consistent en l’utilisation des dépôts bancaires préexistants pour octroyer des crédits aux clients remplissant toutes les exigences de solvabilité (Département II), est indispensable dès lors que toute confusion entre ces deux types d’opérations induit à moyen, voire à long terme, une augmentation des prix des biens et services et/ou des actifs réels ou financiers. La structure comptable des institutions bancaires devrait dès lors être modifiée, afin d’éviter qu’une crise systémique se reproduise (voir Rossi, 2010).