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Introduction

La restructuration de la dette souveraine grecque a été instructive à plus d’un titre pour le fonctionnement du MES, entré en vigueur le 27 septembre 2012.

Premièrement, le caractère volontaire de la participation des créanciers privés dans la procédure de restructuration est problématique, dès lors que leur taux de participation est faible, car susceptible de faire échouer l’accord. Dans le cas de la Grèce, un minimum de 95 % de participation des créanciers était nécessaire pour ramener le ratio dette publique/PIB à 120% d’ici 2020, condition nécessaire pour valider le second plan d’aide. Cependant, le risque de réalisation d’un faible taux de participation a poussé le gouvernement hellène à introduire rétroactivement des CAC[1] dans leurs obligations, afin de contraindre les investisseurs susceptibles de refuser l’accord de restructuration. Ainsi, l’activation des CAC a porté le taux de participation à 95,7 %, et a permis d’entériner l’accord portant sur un abandon de 107 milliards d’euros, soit une décote de 53,5 %. Cette décision et la mise en place du MES relancent le débat sur le bien-fondé et la modalité de leur utilisation. Partant, la question posée est : quelles sont les formes de CAC à introduire dans les obligations souveraines européennes?

Deuxièmement, l’échange d’obligations souveraines grecques détenues par la Banque centrale européenne (BCE) par le biais du Fonds européen de stabilité financière (FESF)[2], avant celui entre les créanciers privés et le gouvernement hellène, montre qu’il est important d’établir une hiérarchisation des créanciers plus complète que celle prévue jusqu’à présent. L’ordonnancement des créanciers consiste à établir la priorité des remboursements. Dans le cadre d’un défaut souverain, contrairement à celui d’une entreprise, ce principe n’existe pas officiellement, pourtant il est couramment admis que le remboursement des prêts du FMI est prioritaire sur celui des autres institutions multilatérales, et celui des créanciers privés. Avec l’instauration du MES, elle l’est de jure, puisque le second pilier du mécanisme stipule que les prêts du MES bénéficient du statut de créance privilégiée après ceux du FMI. Néanmoins, nous pensons qu’il est nécessaire de définir le rang des créances de la BCE. L’échange d’obligations du 17 février 2012 corrobore notre point de vue. Cette option se justifie dès lors que la BCE acquiert des obligations non pas dans le but de spéculer sur le défaut d’un État membre, mais pour lui porter assistance.

Le but recherché par l’introduction des CAC dans les obligations souveraines est de donner les mêmes incitations que celles des lois de faillites nationales. Aujourd’hui, il est acté que l’ensemble des pays membres de l’Union européenne (UE) devront les insérer, de par l’activation du MES. En les rendant obligatoires, l’UE reprend l’idée de Geithner et al. (2002) consistant à conditionner l’assistance financière aux États qui les adoptent. En outre, en faisant de la restructuration un pré requis pour obtenir une aide, l’UE réaffirme l’intérêt des politiques de bail-in

L’article se présente comme suit. La première section définit les CAC. La seconde section revient sur la première vague de généralisation des CAC au début des années 2000. La troisième section présente un modèle de CAC pour les obligations souveraines européennes, assortie d’une réflexion sur les comités de créanciers privés. Enfin, nous concluons.

1. Les clauses d’actions collectives : la réhabilitation d’une vieille idée

L’impasse que constitue la gestion des crises de dette souveraine oblige régulièrement le secteur public à renflouer le secteur privé. En intervenant en premier, le secteur officiel permet à l’État en difficulté de libérer une partie de ses recettes pour répondre aux revendications de ses créanciers (Krueger, 2001). L’importance des renflouements, couplée à sa récurrence, conduit à penser à un possible épuisement des ressources du FMI (Portes, 2004).

Le débat concernant la construction d’une loi de faillite supranationale calquée sur le chapitre onze du code américain des faillites et l’introduction de provisions contractuelles dans les obligations peut être mis en parallèle avec les turbulences financières du dix-neuvième siècle rencontrées par les sociétés américaines de chemins de fer et leurs créanciers, (Buchheit et Gulati, 2002). À l’époque, trois options furent étudiées. La première consistait à amender la loi américaine sur les faillites afin de permettre une réorganisation des compagnies insolvables, et non plus une liquidation pure et simple. In fine, cette proposition fut adoptée et devint la première incarnation du chapitre onze. La deuxième proposait l’introduction de provisions contractuelles dans les titres autorisant une restructuration de la dette, dès lors qu’une supermajorité de créanciers avait donné son consentement. La dernière était la restructuration de la dette sous l’autorité d’une cour civile. Aujourd’hui, la deuxième solution est synonyme de CAC, alors que la troisième est à rapprocher du tribunal international de faillite souveraine, ou du mécanisme de restructuration de dette souveraine (MRDS)[3]. Au milieu des années 1990, le secteur officiel décida donc de réhabiliter la deuxième solution pour améliorer les procédures de restructuration de dette souveraine.

Les CAC recouvrent les provisions incluses dans les contrats de dette régis par la loi britannique[4]. Elles ont pour but de faciliter les restructurations de dette souveraine, en permettant à une majorité qualifiée de créanciers (75 %, en général) de modifier les termes du contrat de dette. Contrairement à la loi britannique, la loi de l’État de New-York n’autorise pas ce type de provisions, il faut donc l’accord de la totalité des créanciers pour amender le contrat. Lorsque le secteur officiel préconise la généralisation des CAC, cela équivaut à les inclure dans les contrats de dette régis par la loi de l’État de New-York.

Les CAC sont généralement au nombre de quatre : la clause d’action à la majorité qualifiée (action collective), la clause de partage, la clause d’exécution et la clause d’engagement (représentation collective), mais d’autres provisions peuvent être synonyme de CAC, telles que la clause d’agrégation et la clause de privation  de droit de vote. Selon le communiqué officiel du 28 septembre 2002 du Comité monétaire et financier, une obligation souveraine est porteuse de CAC si le contrat comporte une clause d’action à la majorité qualifiée et une clause d’exécution. En orientant la restructuration de la dette souveraine vers l’approche contractuelle, les décideurs et les chercheurs s’intéressent particulièrement à la résolution des problèmes de représentation collective (de type administratif) et d’action collective (de type comportemental).

1.1 Les problèmes de représentation collective

Lors d’une restructuration, il est souvent difficile de réunir l’ensemble des créanciers, qui plus est dans un délai relativement court. Les pays débiteurs font face à une multitude de créanciers peu homogènes et identifiables. Afin de coordonner les discussions et les actions, il est judicieux d’inclure une clause de représentation collective, soit d’identifier un seul interlocuteur.

1.2 Les problèmes d’action collective

L’obtention d’un accord entre le débiteur et ses créanciers implique de réduire les stratégies de cavalier solitaire. La conclusion d’un accord est maximisée par l’introduction de la clause d’action à la majorité qualifiée (versus consentement unanime). En effet, lors d’un processus de restructuration, les détenteurs d’obligations se retrouvent face à un jeu du type dilemme du prisonnier. Il peut être rationnel d’un point de vue individuel pour chaque détenteur de demander un paiement total de leurs créances au pays débiteur. Par conséquent, chacun va être tenté de devancer l’autre, ce qui conduit à une solution non coopérative correspondant à un équilibre de Nash, mais non à un optimum de Pareto. En agissant individuellement, les détenteurs finissent par recevoir moins que s’ils avaient tous coopéré, car toute vente d’obligations dans l’urgence risque alors de réduire la valeur globale de l’offre. Les choix rationnels individuels n’entraînent pas une situation rationnelle pour l’ensemble des détenteurs. La solution coopérative est préférable, mais elle pose le problème du respect des engagements pris. Nous pouvons aussi parler d’effet d’agrégation qui définit un processus par lequel le résultat collectif d’actions individuelles non concertées est différent de celui souhaité à l’origine par les agents économiques. Si le résultat s’avère contraire, nous parlons d’effet pervers, ce qui est le cas d’une stratégie de cavalier solitaire.

Néanmoins, les CAC admettent certaines limites lesquelles peuvent être divisés en deux niveaux d’analyse différents : la coordination des détenteurs d’émissions obligataires différentes et les types de dette concernés par les CAC.

1.3 La coordination intercréancier

Les CAC répondent au problème de l’action collective qui existe entre les détenteurs d’une même émission obligataire, non à celui existant entre les détenteurs d’émissions obligataires différentes (Eichengreen et Mody, 2003). L’organisation et la coordination des créanciers privés, sur une base décentralisée, sont problématiques. Il est quasi impossible de définir une position unique et de déléguer un pouvoir commun. Souvent, il existe un clivage entre les petits porteurs qui ont acheté leurs titres au pair et les fonds de pension qui les ont généralement acquis après le défaut à une valeur de marché très basse. Dans le cas d’un échange, les premiers enregistrent une perte, alors que les seconds obtiennent une « plus-value »[5].

1.4 Le type de dette concernée par les CAC

À l’origine, les recommandations du secteur officiel visaient uniquement les obligations souveraines internationales, or un État restructure rarement une seule partie de sa dette. L’exemple de la Grèce corrobore cette idée, puisque l’accord de restructuration porte à la fois sur les obligations souveraines internationales et domestiques. Précisons que le MES oblige les États à inclure les CAC dans l’intégralité de leurs obligations souveraines[6].

Le mécanisme des CAC a donc été adoubé par le secteur officiel, afin d’encadrer les procédures de restructuration de dette souveraine de la manière la plus claire et prédictible possible. Pour autant, la généralisation des CAC aux contrats de dette régis par la loi de l’État de New-York ne commença qu’en 2003.

2. Les clauses d’actions collectives : une adoption lente et difficile

Les CAC furent envisagées dès 1995, mais leur possible utilisation rencontra peu d’écho, malgré les rapports officiels du G7 (1999) et du G10 (1996, 2002). Les créanciers privés, notamment américains, restèrent violemment opposés à la généralisation des CAC aux obligations souveraines régies par le droit new-yorkais; ils voyaient dans leur utilisation un mécanisme conduisant à l’érosion de leurs droits (Bratton et Gulati, 2004). Cependant, la crainte de voir le MRDS aboutir poussa les créanciers privés à reconsidérer le choix des CAC, infine à l’appuyer (Haldane et al., 2005). À leur tour, ils développèrent un modèle de CAC et le publièrent en mai 2002 «  Model Covenants for New Sovereign Debt Issues »[7]. L’analyse en détail du rapport montre la divergence radicale d’avec celui du secteur officiel, symbolisée par le niveau excessivement élevé du seuil de vote à la majorité qualifiée, un minimum de 85 % étant vivement recommandé.

Les créanciers privés réfractaires à la généralisation des CAC avancèrent plusieurs arguments, dont l’examen en détail montre qu’ils sont infondés, voire non imputables à l’existence des CAC. Ainsi, l’argument de la hausse supposée de l’aléa moral[8] du débiteur ne peut être validé dès lors qu’aucun pays ayant adopté les CAC n’a enregistré un défaut de paiement. Ensuite, l’insertion d’une clause d’exécution ne prive en aucun cas les investisseurs de la possibilité de poursuivre l’État en justice, sur une base individuelle. En effet, cette éventualité dépend du mode d’administration de l’émission obligataire[9]. Également, la défense d’un seuil de vote élevé (85 %, soit supérieur à celui retenu par la loi britannique, 75 %, le niveau standard) s’explique par la recherche d’un gain supplémentaire (Haeseler, 2011). En effet, un seuil de vote élevé garantit un pouvoir de négociation plus fort aux créanciers privés face à l’État, autrement dit une probabilité plus grande d’obtenir un accord favorable. Ici, le taux de recouvrement est une fonction croissante du seuil de vote. Enfin, la manipulation possible du processus de vote par l’État ne peut être prise au sérieux dès lors qu’il est possible d’inclure une provision qui exclut les titres détenus ou contrôlés par l’État de la restructuration. La crainte d’une manipulation repose plus sur le fait que les créanciers domestiques puissent participer à la restructuration. Ces derniers ne sont pas contrôlés par l’État, mais peuvent être fortement incités à accepter l’offre. Il faut noter que cet argument fut également partagé par le secteur officiel (Geithner et al., op. cit.).

Les créanciers privés ne furent pas les seuls à être récalcitrants à l’introduction des CAC, les emprunteurs le semblèrent également notamment en raison d’une possible hausse du coût d’emprunt et des effets de signal.

2.1 La possibilité d’une hausse du coût d’emprunt

Théoriquement, le fait que les CAC produisent une garantie ex ante devrait se traduire par une augmentation du coût d’emprunt des pays, les investisseurs anticipant davantage l’occurrence d’un défaut. Des études empiriques ont tenté d’apporter un éclairage en évaluant ce surcoût. Une partie des études conclut que le choix de la juridiction (new-yorkaise versus britannique) n’a pas d’effet significatif sur la fixation du prix des obligations et/ou leurs rendements, que ce soit sur le marché primaire ou secondaire (Becker et al., 2003; Gugiatti et Richards, 2003). Seuls Eichengreen et Mody (2004) constatent que les marchés mesurent un (faible) aléa moral pour les bons emprunteurs qui émettent des titres avec CAC, contrairement pour les mauvais emprunteurs. Leurs conclusions sont défavorables à la généralisation des CAC pour les mauvais emprunteurs. Or, ce sont principalement ces pays qui devraient adopter les CAC, car ils sont les plus à même de défaillir. Les échantillons à la base des études empiriques sont antérieurs à l’annonce du FMI, en 2002, préconisant la généralisation des CAC. Cependant, les réactions des marchés financiers aux premières émissions d’obligations souveraines internationales avec CAC, sous juridiction new-yorkaise, furent positives (Gelpern, 2003).

2.2 Les effets de signal

La présence de CAC enverrait un signal négatif aux investisseurs, correspondant à une détérioration de leur solvabilité, ce qui en retour entraînerait une défiance de ces derniers envers ce type d’actifs et une contraction des sources possibles de financement. Cet argument n’est plus valable si tous les pays les adoptent, d’une part, et si les CAC sont identiques, d’autre part, car à ce moment là nous sommes en présence d’un standard de marché, tel que c’est le cas à Londres.

Comment expliquer alors que le processus d’adoption des CAC ait été si long? Deux hypothèses sont retenues : la sous-estimation des externalités positives induites par la présence des CAC et l’existence des opérations de renflouement.

2.3 La sous-estimation des externalités positives

Les bénéfices octroyés par les CAC concerneraient davantage le secteur officiel que les emprunteurs et les prêteurs. En effet, des institutions comme le FMI sont à la fois créancier et tierce partie. L’adoption des CAC revêt donc un intérêt particulier, car en permettant une restructuration ordonnée et coordonnée des dettes, elles réduiraient les demandes de fonds auprès de ces institutions. Cet argument fut principalement soutenu par les pays membres du G10, très critiques à l’égard des dépenses du Fonds. L’ensemble des externalités positives ne sont donc pas suffisamment prises en compte par les États, notamment ceux qui pensent être peu à même de se retrouver en situation de défaut de paiement, d’où un ralentissement du processus de généralisation des CAC. Ainsi, aucun pays membre de l’UE n’accepta d’insérer des CAC dans ses obligations souveraines internationales au début des années 2000 (exceptions faites de l’Italie et du Royaume-Uni), car aucun ne pensa à l’éventualité de se retrouver en défaut de paiement. In fine, elles ont été incluses rétroactivement dans les obligations souveraines grecques afin de finaliser le premier épisode de la restructuration.

2.4 Les opérations de renflouement

Les CAC furent adoptées à l’origine pour limiter les interventions des institutions financières internationales (IFI), or les créanciers et les États s’accommodent assez bien de leur assistance financière. Les créanciers obtiennent un taux de recouvrement maximal (sous cette configuration, ils ne sont pas contraints à davantage de responsabilité) et les États obtiennent de nouveaux crédits à des taux d’intérêt inférieurs au marché, quand bien même ces prêts sont conditionnés. Autrement dit, les opérations de renflouement déformeraient les incitations des emprunteurs et des prêteurs.

Le choix des CAC comme mode d’implication des créanciers privés dans la gestion des crises de dette souveraine n’a pas suivi un processus linéaire. Dans un premier temps rejetées, elles ont finalement été acceptées par peur de voir naître le MRDS. Aujourd’hui, la difficulté qu’a rencontrée le gouvernement grec à obtenir un accord de restructuration avec ses créanciers privés, compatible avec un niveau d’endettement soutenable, ainsi que l’entrée en vigueur du MES, relance le débat sur la généralisation des CAC.

3. Quelles CAC introduire dans les obligations souveraines européennes?

Le MES repose sur trois piliers. Le premier est la fourniture d’une assistance financière à un État membre de la zone euro, qui en fait la demande et dont les difficultés rencontrées sont susceptibles de mettre en péril la stabilité de la zone euro. La décision de secourir l’État sera prise à la majorité qualifiée (85%) sur la base d’une analyse de la soutenabilité de la dette de celui-ci par la Commission européenne et le FMI, en liaison avec la BCE. L’assistance financière sera conditionnée à la réalisation d’un programme d’ajustement macroéconomique. Le second concerne le statut de créance privilégiée dont bénéficiera un prêt du MES, et qui ne sera inférieur qu’à celui des prêts du FMI. Le dernier a trait à la procédure de restructuration de la dette souveraine. Dès lors qu’un État sera jugé insolvable, il devra négocier un plan de restructuration global avec ses créanciers privés, en conformité avec les pratiques du FMI, dans le but de revenir à un niveau d’endettement supportable. Si ces mesures permettent d’atteindre cet objectif, le MES pourra fournir une aide en matière de liquidités. Afin de faciliter ce processus, des CAC seront incluses. Selon la déclaration de l’Eurogroupe du 28 novembre 2010, les CAC « seront normalisées et identiques. Elles seront conformes à celles prévues par la législation au Royaume-Uni et aux USA depuis le rapport que le G10 a consacré à ce sujet et comprendront des clauses d’agrégation ».

Cette troisième section s’intéresse plus particulièrement au troisième pilier du MES. Ici, nous nous attacherons à présenter nos propositions de CAC pour les obligations souveraines européennes.

Nous notons une contradiction dans la déclaration de l’Eurogroupe entre le fait de prôner des CAC normalisées et identiques et le fait qu’elles soient conformes avec deux lois différentes. Bien qu’il soit possible maintenant qu’un contrat obligataire comporte les mêmes provisions quelle que soit la loi à laquelle il répond, pour autant certaines habitudes persistent. Ainsi, nous pensons qu’il est important que les CAC, incluses dans les obligations souveraines européennes, répondent uniquement à une seule loi, de préférence la britannique car plus protectrice des stratégies dissidentes. En outre, la standardisation totale des contrats s’avère nécessaire car elle annule les divergences d’interprétation et les effets de signal qui peuvent être une source de coût additionnel pour les emprunteurs lorsque ces derniers souhaitent lever des capitaux auprès des marchés financiers (Cohen et Portes, 2003).

Notre réflexion s’appuie sur les propositions faites par le G10 et le secteur privé, et pour une plus grande visibilité nous gardons la classification opérée par ces deux organes[10].

3.1 La clause d’engagement

La clause d’engagement a pour objet de favoriser le dialogue, la coordination et la communication entre le gouvernement et ses créanciers. Nous faisons le choix d’un mandataire pour administrer l’émission obligataire tel que le prévoit la législation du Royaume-Uni. Ce mandataire devra être élu par 75 % des porteurs, et non 66,67 % comme le recommande le G10, il nous semble inutile de multiplier les valeurs de seuil. Une réunion pourra être demandée à tout moment par l’émetteur ou le mandataire.

3.2 La clause d’action majoritaire

La clause d’action majoritaire est la plus importante du dispositif des CAC, puisque l’atteinte d’un certain seuil, fixé par l’emprunteur, permet de forcer les créanciers récalcitrants d’accepter l’accord. En effet, l’atteinte du seuil lie tous les créanciers, les porteurs réfractaires sont contraints de se plier à la décision du vote. Grâce à ce mécanisme, le gouvernement grec a réussi à restructurer une partie de sa dette détenue par ses créanciers privés. Il faut rappeler qu’avant l’utilisation des CAC, seuls 83,5 % des créanciers privés (85,8 % pour les détenteurs d’obligations de droit grec et 69 % pour les porteurs de titres de droit anglais) acceptaient les termes de la restructuration, ce seuil était insuffisant pour que la restructuration puisse produire les résultats escomptés, à savoir ramener l’endettement à 120 % du PIB d’ici 2020. L’insertion rétroactive des CAC permis de contrer les créanciers dissidents, ainsi de finaliser l’accord.

Conformément aux recommandations du G10 et à la législation du Royaume-Uni, nous optons pour un seuil de 75 %. Cependant, il ne suffit pas de choisir le seuil de vote, il faut également définir la base de vote à laquelle s’applique le seuil de 75 %, deux choix sont possibles : la base est définie soit par les créanciers, soit par le montant restant dû; et le quorum, absent généralement du droit de l’État de New-York, il est la norme sous la loi anglaise. De plus, faut-il rendre possible la modification à la baisse du quorum si un second vote est nécessaire?

Concernant la conception de la base de vote, nous préférons opter pour le montant du principal restant dû, car elle nous semble plus équitable. En effet, dans le cas d’une base de vote définie par rapport aux créanciers, le seuil de vote s’applique à une base de créanciers indépendamment du montant de titres qu’ils détiennent. Par exemple, pour un seuil de 75 %, les termes du contrat pourront être amendés si 75 % des créanciers donnent leur accord. Or, à titre d’exemple, ces 75 % peuvent détenir 10 % du principal restant dû, comme 90 %.

Pour la suite, nous gardons l’hypothèse du montant du principal restant dû. En l’absence d’un quorum, le résultat sera le même sous la loi new-yorkaise et sous la loi britannique. En présence d’un quorum, comme c’est le cas pour les obligations régies par le droit britannique, les résultats diffèrent (cf. Encadré 1). Dans le cas d’obligations régies par le droit britannique, et d’un quorum égal à 75 %, le seuil de vote final sera de 56.25 %, et non de 75 %. Si un second vote est nécessaire, le taux final tombe à 18,75 %. L’avantage de cette double option est d’éliminer totalement le poids des créanciers récalcitrants. Néanmoins, nous pensons qu’il ne faut pas descendre en-dessous du seuil de 50 %. Pour parfaire cet objectif, ils existent deux alternatives. La première est de ne pas introduire de quorum. La seconde est de tenir compte d’un quorum au minimum égal à 66,67 %, seul niveau permettant d’assurer un taux final de 50%, mais de rejeter la possibilité d’abaisser le seuil si un second tour s’avère nécessaire.

3.3 La clause d’exécution majoritaire

La clause d’exécution majoritaire vise à empêcher qu’une minorité de créanciers ne puissent engager des actions légales entre la notification du défaut et l’obtention d’un accord de restructuration. Cette clause comprend cinq provisions, les deux premières renvoient à l’accélération des paiements, les trois dernières au contentieux. La modalité de fonctionnement que nous proposons est assez proche de celle issue des travaux du G10.

  • L’accélération des paiements est possible dans les cas suivants : le défaut est avéré, à la demande du mandataire ou 25 % du principal[11].

  • L’annulation de l’accélération est envisageable lorsque l’accord de restructuration est obtenu, ou 75 % du principal en font la demande[12].

  • Le déclenchement du litige. Le mandataire, ou 25 % du principal, peut déclencher une action en justice dans les 90 jours qui suivent la notification du défaut.

  • La poursuite et l’issue du litige. Il faut au minimum réunir 50 % des porteurs concernés par le litige.

  • La distribution des paiements : nous privilégions le principe du prorata comme le G10, qui stipule que le mandataire doit distribuer tout fond recouvré en % du principal.

3.4 La clause de privation des droits

Nous suivons les recommandations du G10 et du secteur privé qui convergent sur cette clause. Les obligations détenues ou contrôlées, directement ou indirectement, par ou au nom de l’émetteur ou une de ses institutions, doivent être exclues de la procédure de restructuration.

3.5 La clause d’information

La proposition du secteur privé nous semble plus complète et plus en accord avec le principe d’harmonisation, que celle du G10 qui préfère le cas par cas. Ainsi, le secteur privé préconise de souscrire au SDDS, de communiquer les prévisions du budget et de l’inflation à 12 mois, de préciser les accords de tout autre accord de restructuration et les relations avec le FMI, de transmettre les minutes du Club de Paris, ainsi que les détails de l’accord existant, enfin de fournir des informations au mandataire dès lors qu’un créancier le demande.

3.6 La clause d’agrégation

Souvent non incluse, alors même qu’elle semble être la garante d’une restructuration efficiente, ce type de clause reste perçu comme un moyen d’abaisser la capacité de négociation des créanciers et de saper leurs droits. Au-delà de cette simple opposition, il vient se greffer des problèmes d’ordre technique quant à l’application de cette clause. Sans clause d’agrégation, il se pose un double problème. Le premier est l’existence d’un rapport de force en défaveur du souverain face à la totalité de ses créanciers. Le second est un rapport de force en défaveur des créanciers les moins informés. Cette situation est propice à l’action des fonds vautours. Bien que leur poids soit souvent surestimé, nous ne pouvons réellement l’ignorer. Or, il ne faut pas perdre de vue l’objectif de départ de la généralisation des CAC, à savoir un partage équitable des responsabilités. Cette clause doit permettre l’agrégation de créances d’émissions différentes, afin de faciliter la restructuration de la totalité de la dette. En effet, un État défaillit rarement sur une seule émission. Sans processus d’agrégation des créances, le processus de restructuration peut être ralenti dès lors qu’un groupe de créanciers obtient une position de blocage sur une ou plusieurs émissions. La dette est souscrite par un ensemble de créanciers, à l’intérieur duquel nous pouvons distinguer plusieurs catégories aux intérêts fortement divergents, qui le sont d’autant plus si l’État ne bénéficie pas/plus de la qualité « Investissement » par les agences de notation. Nous pouvons donc logiquement penser que la clause d’agrégation augmente le taux de pourcentage de la dette restructurée (Gianviti, 2003).

Il existe différentes approches de la clause d’agrégation. Nous évoquons les propositions de l’Uruguay et de JP Morgan (Bartholomew et al., 2004).

3.6.1 L’Uruguay

En 2003, lorsque le pays restructura sa dette, il inclut dans ses nouvelles obligations des CAC comprenant, notamment, une clause d’agrégation. L’agrégation des créances est possible dès lors que deux émissions d’obligations sont concernées par la restructuration. Le processus est le suivant : dans un premier temps, il est nécessaire d’obtenir l’accord de 66,67 % des porteurs de chaque émission pour amender le contrat. Dans un second temps, il faut réunir 85 % des créanciers de l’ensemble des émissions pour modifier les termes du contrat. Néanmoins, Gianviti (op. cit.) note que la provision, telle qu’elle a été conçue, limite les bénéfices de l’agrégation, et ce dans le but de réduire les risques induits par ce type de processus, tels que la discrimination des créanciers, la rigidité du processus de restructuration et la manipulation du processus de vote par l’emprunteur souverain.

3.6.2 JP Morgan

L’approche vise à agréger des titres qui ne contiennent pas de CAC. Les auteurs développent un mécanisme en deux temps. À la première étape, les créanciers échangent leurs obligations contre un Interim Debt Claim (IDC). Ce titre est le même pour tous les porteurs, il a donc le mérite de les aligner sur un même plan, et il est porteur de CAC. À la seconde étape, les IDC sont échangés contre les obligations restructurées. Le mécanisme proposé permet d’assurer l’équité entre les créanciers et de faciliter les négociations, donc de résoudre les problèmes d’actions collectives.

Au-delà de la simple adoption des CAC, il nous semble important d’élargir le champ de réflexion à la création possible d’un comité de créanciers.

3.7 Les comités de créanciers

La volonté de constituer un comité officiel de créanciers privés est à rapprocher de l’expérience de la British Corporation of Foreign Bondholders (CFB) au dix-neuvième siècle, mettant en relation les créanciers britanniques, principaux créanciers internationaux de l’époque, avec les États en défaut lors des procédures de restructuration de dette (cf. Encadré 2).

Dès 1995, Eichengreen et Portes (1995) penchèrent pour l’insertion des CAC dans les obligations souveraines et la création d’un comité de créanciers privés (Club de New York, par exemple; Cohen et Portes, op. cit.) représentant leurs intérêts lors du processus de restructuration. Le Club de New York discuterait avec les Clubs de Londres et de Paris, si les dettes bilatérales et commerciales devaient également être restructurées. Une institution légère devrait coordonner les actions de ces trois clubs. La vision d’Eichengreen et Portes (op. cit.) peut être qualifiée de version forte. À l’heure actuelle, la constitution de comité de créanciers procède toujours d’une logique ad hoc.

Dans le cadre de l’UE, nous pensons judicieux de prendre comme critère d’appartenance au comité[13] la résidence des créanciers privés. Nous scindons la notion de résidence en deux catégories : un comité de créanciers privés domestiques, soit un par pays membre, et un comité de créanciers privés européens[14]. Ainsi, lorsqu’un État est amené à restructurer sa dette, il entame les discussions avec les deux comités et le reste du monde. L’existence de deux comités distincts se justifie dès lors que, d’une part, les créanciers domestiques sont doublement touchés par un défaut souverain et, d’autre part, la dette émise par les États membres de l’UE est majoritairement détenue par les créanciers européens. En outre, il serait opportun que les structures de défaisance, bien que souvent administrées par le secteur public, soient considérées comme des créanciers privés, et par conséquent fassent parties de ces comités, dès lors qu’à l’origine les titres ont été achetés par des structures privées. Ainsi, les conflits d’intérêt seraient réduits. En effet, si les structures de défaisance, notamment allemandes, avaient accepté d’apporter les obligations publiques grecques qu’elles détenaient au rachat de dette effectué par la Grèce en décembre 2012 pour un montant de 31,9 milliards d’euros et une décote de 64,2 %, alors l’objectif d’endettement fixé à 120 % du PIB à l’horizon 2020 aurait été maintenu; sans leurs concours il monte à 126,6 %.

Conclusion

L’objectif d’une restructuration de dette souveraine est de rétablir la soutenabilité de celle-ci à moyen/long terme. Dans le cadre de la Grèce, la restructuration de la dette souveraine détenue par les créanciers privés à conduit à effacer 107 milliards d’euros, soit 53,5 % de la valeur nominale et 70 % de la valeur actualisée. Pour que l’opération soit considérée comme un succès, à savoir ramener le niveau d’endettement à 120,5 % du PIB d’ici 2020, il fallait obtenir l’accord de 95,7 % des porteurs. Spontanément, le taux de participation a été de 83,5 %, niveau inférieur à celui nécessaire, par conséquent le gouvernement grec a décidé d’insérer rétroactivement les CAC dans ses contrats obligataires, afin de contraindre les créanciers récalcitrants d’accepter l’offre.

La restructuration de la dette souveraine grecque a montré la difficulté de coordonner les créanciers privés, partant elle justifie le bien-fondé de l’utilisation des CAC. En effet, le principe de la majorité qualifiée élimine les stratégies dissidentes. La nécessité des CAC étant actée, il faut dorénavant réfléchir aux formes de CAC à adopter dans les obligations souveraines européennes. La section 3 de cet article débouche sur deux recommandations. La première est l’harmonisation des contrats obligataires. Les obligations doivent être régies par la même loi, la britannique, et comporter le même nombre de provisions, lesquelles doivent être identiques. Ainsi, les contrats deviennent un standard de marché, éliminant les divergences d’interprétation, lesquelles sont susceptibles d’accroître le coût d’emprunt. Deuxièmement, nous préconisons l’instauration de comités de créanciers pérennes afin de faciliter les discussions entre les porteurs et l’État lors d’une procédure de restructuration. En outre, il nous paraît judicieux que chaque État membre se dote d’un comité de créanciers privés, y compris les structures de défaisance, lequel serait constitué de créanciers domestiques, mais également qu’il existe un comité de créanciers européens. Ces deux propositions constituent une voie possible d’amélioration du fonctionnement des CAC.