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Introduction

En 1980, lors de la campagne pour la présidence, le candidat Ronald Reagan posait la question suivante aux citoyens américains pendant un débat avec le président Jimmy Carter : « Êtes-vous dans une meilleure situation qu’il y a quatre ans? ». Cette célèbre question s’est révélée efficace sur le plan politique, et ce indépendamment de la validité des perceptions. Plusieurs électeurs ont fait la comparaison, ont déterminé que la réponse était non et ont voté en conséquence.

Dans le contexte économique, les perceptions subjectives du revenu jouent un rôle important dans les relations de travail et la satisfaction au travail. Les travailleurs qui estiment avoir déjà fait des sacrifices antérieurs en matière de salaires et d’avantages sociaux (« ont été pressés comme des citrons! ») risquent d’avoir des aspirations plus élevées lors des prochaines rondes de négociations collectives que ce n’aurait été le cas autrement. Une recherche sur la satisfaction au travail (Warr, 2007) fait état d’un certain nombre d’études approfondies qui établissent un lien indépendant positif entre les salaires et la satisfaction au travail. Les écrits pertinents en économie comportementale qui se penchent sur les raisons sous-jacentes de cette régularité empirique traitent principalement de la perception d’équité, de valeur personnelle et de réciprocité qui joue un rôle dans la négociation du salaire d’efficience (wage-effort bargaining)[1].

En retour, la satisfaction liée aux niveaux de rémunération est censée influencer le rendement au travail. Dans son étude exhaustive sur la productivité en milieu de travail, Gunderson (2002 : 29) souligne que la satisfaction face au salaire, découlant souvent de la perception qu’on est payé « équitablement », entraîne généralement des effets positifs sur les mesures objectives du rendement des employés. Dans une étude publiée à peu près à la même époque, Heneman et Judge (2000) arrivent à la conclusion suivante :

L’insatisfaction liée à la rémunération avait constamment une influence sur les changements cognitifs et comportementaux. Cela comprend les changements au niveau de la participation (rendement, engagement et confiance), les changements au niveau des résultats (négociation salariale, vol), les mesures propices au changement… et le retrait (… roulement du personnel, transfert d’emploi, travailleurs retardataires)… Du point de vue de l’organisation, ces actions ont des résultats et des conséquences indésirables. (p. 77) [traduction]

Dans la même étude, les auteurs soutiennent que des recherches rigoureuses appuient ces affirmations : « Les recherches montrent hors de tout doute que l’insatisfaction liée à la rémunération peut avoir des effets indésirables importants sur plusieurs résultats des employés. » (p. 85) [traduction libre]

Bien qu’elles aient des implications économiques, les perceptions du revenu actuel sont rarement l’objet de recherches appliquées parce qu’elles ne sont pas souvent observées dans la pratique. Il n’existe que quelques études qui traitent de l’exactitude des attentes en matière de revenu, habituellement en comparant les attentes signalées par les répondants de vastes enquêtes auprès des ménages avec les revenus signalés aux phases suivantes de la même enquête[2]. Un constat commun est que ces attentes ont tendance à être systématiquement fausses. Certaines études concluent que les sujets ont tendance à sous-estimer l’évolution future de leur revenu alors que d’autres relèvent la tendance opposée. À notre connaissance, il y a peu ou pas d’études scientifiques qui traitent de l’exactitude des perceptions actuelles ou rétrospectives du revenu par opposition aux attentes prospectives. Notre étude tente de combler ce vide.

Cette étude vise les médecins de soins primaires indépendants et non salariés dans la province canadienne de l’Ontario. Notre attention porte sur les perceptions rétrospectives du revenu sur une période récente. Dans notre analyse empirique, nous examinons leur évaluation rétrospective du revenu réalisé en comparant l’évolution réelle et l’évolution perçue du revenu au cours d’une période de référence. Contrairement à la situation d’employés salariés, la vaste majorité des répondants étaient soit travailleurs indépendants, soit membres d’un cabinet de groupe. Leurs salaires n’étaient ni contractuels ni garantis. Il est donc possible que les perceptions du revenu puissent varier par rapport à l’évolution réelle du revenu.

À notre connaissance, il s’agit d’une des premières études en relations de travail à examiner l’exactitude des perceptions sur l’évolution rétrospective du revenu dans un contexte en particulier. Pour évaluer les écarts entre le revenu perçu et le revenu réel, nous avons eu recours à une source de données unique, soit les données des déclarations de revenus. Les pénalités financières et les sanctions judiciaires de la sous-déclaration des revenus sont élevées et il n’y a jamais d’avantages associés à la surdéclaration dans les déclarations fiscales. Ces données devraient donc être exactes.

Plusieurs raisons expliquent la pertinence de savoir si les médecins font une évaluation juste de leurs profils de revenu récent. Premièrement, les perceptions du revenu sont un important déterminant des niveaux de satisfaction des médecins. Bovier et Perninger (2003) citent plusieurs articles sur la satisfaction des médecins et, dans leur sondage auprès des médecins suisses, incluent des questions au sujet du prestige du revenu. Deuxièmement, les perceptions sont pertinentes pour la réforme des soins de santé primaires, qui constitue une priorité politique clé de plusieurs gouvernements canadiens[3]. La mise en place du mécanisme de financement le plus approprié pour les fournisseurs de soins primaires est une des questions politiques les plus importantes. Le modèle du paiement à l’acte prédomine en Ontario, mais l’intérêt pour d’autres modes de rémunération augmente[4]. Les gouvernements successifs en Ontario ont incité les médecins de famille à passer du paiement à l’acte à un mode de rémunération mixte, et ils leur ont assuré que la participation aux réformes entraînerait non seulement des avantages financiers, mais aussi professionnels[5]. Pour réaliser ce noble objectif, il faut que les médecins de famille croient en l’incitation financière et perçoivent également les incitatifs non financiers. S’ils sont bien informés au sujet de leurs niveaux actuels de revenu, il semble logique de supposer qu’ils seront plus susceptibles de prévoir avec justesse leur revenu futur dans le mode de rémunération actuel et donc, qu’ils seront mieux préparés à évaluer les coûts et avantages associés à l’adoption d’un nouveau modèle. Troisièmement, leur perception d’une augmentation ou d’une diminution de revenu réel est susceptible d’influencer les négociations collectives périodiques (entre le gouvernement de l’Ontario et l’Ontario Medical Association) sur l’établissement du barème d’honoraires officiel[6]. Quatrièmement, un des principaux éléments de la réforme des soins de santé primaires consiste à encourager les médecins à travailler en équipe. L’insatisfaction liée à la rémunération pourrait donc nuire à l’efficacité de ces équipes d’après les points soulevés ci-dessus.

Nous abordons trois questions empiriques. Premièrement, nous comparons la variable de l’évolution perçue du revenu à la variable de l’évolution réelle du revenu. Deuxièmement, dans la mesure où les deux variables ne correspondent pas, nous examinons si les perceptions sont supérieures ou inférieures aux valeurs réelles. Troisièmement, nous tentons de dégager des tendances liées au mode de rémunération en examinant les différences entre le groupe de médecins principalement rémunéré à l’acte et le groupe principalement rémunéré par capitation.

Notre étude révèle que les médecins de famille ont une tendance un peu surprenante à sous-estimer l’évolution réelle de leur revenu. Plusieurs sujets de l’échantillon ont vu leur revenu croître davantage qu’ils ne le croyaient pendant la période de référence. Cette perception fausse de l’évolution du revenu était plus marquée chez les sujets dont le revenu avait diminué ou peu augmenté. Néanmoins, plus l’augmentation réelle du revenu était importante, plus le sujet était susceptible de signaler une augmentation de revenu. Les médecins rémunérés à l’acte qui n’avaient pas changé de mode de rémunération étaient plus enclins à sous-estimer l’évolution réelle de leur revenu, alors que les médecins qui avaient changé de modèle y étaient moins enclins et étaient plus susceptibles d’avoir une perception juste de l’évolution du revenu ou même de la surestimer. Ce groupe avait l’opinion la plus favorable (de leur point de vue) et la plus exacte de leur profil de revenu réel.

1. Méthodologie et ensemble de données

Notre ensemble de données est tiré de trois sources reliées : un sondage spécialement conçu et deux bases de données administratives. En février 2005, un questionnaire de trois pages (voir l’annexe) a été envoyé à un échantillon de médecins de famille, tous situés en Ontario, et constitué à partir d’une population estimée à environ 10 000 médecins[7]. Nous avons identifié, individuellement, un total de 4 920 répondants potentiels qui étaient soit médecins de famille agréés soit urgentologues/médecins de famille, et nous avons déterminé le mode de rémunération de chacun. Les principaux modes de rémunération sont le paiement à l’acte, le Groupe de santé familiale, le Réseau de santé familiale, l’Organisation de services de santé et le Centre de santé communautaire[8]. Nous avons contrevérifié cette liste de médecins de famille avec la liste des réseaux de santé familiale et des groupes de santé familiale en Ontario. Le sondage a été envoyé à tous les médecins de famille exerçant dans un Centre de santé communautaire, un Réseau de santé familiale, une Organisation de services de santé ainsi qu’à une sélection totalement aléatoire de 600 médecins payés à l’acte et de 600 médecins de groupes de santé familiale pour un total de 1 793 répondants potentiels. Nous avons immédiatement éliminé 146 cas en raison du retour postal du sondage à l’expéditeur, de destinataires non admissibles au sondage ou de destinataires qui n’exerçaient pas selon un des modes de rémunération visés. La nouvelle base d’échantillonnage était de 1 647. Le taux de réponse global était de 20,1 % (332 /1 647), mais variait considérablement selon le mode de rémunération : 37,3 % pour le réseau de santé familiale, 22,3 % pour le groupe de santé familiale, mais seulement 7,7 % pour le groupe du paiement à l’acte. Bien qu’il s’agisse d’un taux de réponse généralement faible, il semble que ce soit typique des écrits sur la santé et sur les politiques de soins de santé[9].

À partir d’une taille d’échantillon total de 332 suite à la compilation de la base de données, nous avons éliminé 60 observations qui présentaient des valeurs manquantes ou aberrantes sur l’évolution réelle du revenu au cours de la période de référence de 2000-2004. Les sujets supprimés présentaient une augmentation de revenu dépassant 150 % ou une baisse de revenu dépassant 50 %, attribuable le plus souvent au fait que le sujet n’avait pas travaillé une année complète la première ou la dernière année ou les deux années (2000 ou 2004) de la période de référence. Au moins la moitié de ces répondants étaient de nouveaux diplômés en 2000 et ne travaillaient donc pas encore à temps plein. Nous nous retrouvons avec 272 observations pour l’échantillon de répondants actifs, soit 27 pour le paiement à l’acte, 92 pour les réseaux de santé familiale, 107 pour les groupes de santé familiale, 25 pour les centres de santé communautaire et 21 pour les organisations de services de santé.

Notre sondage contient des renseignements sur les heures de travail, le niveau de satisfaction général au travail, le type de mode de rémunération et la satisfaction à son égard. Nous obtenons également des données sur les caractéristiques géographiques et démographiques, l’année au cours de laquelle le répondant a commencé à exercer selon ce mode de rémunération en question et l’année où il a commencé à exercer la médecine. Il existe un indicateur dérivé pour déterminer si le répondant a changé ou non de mode de rémunération.

Pour nos besoins, la question la plus pertinente du sondage est la suivante : « Croyez-vous que votre revenu net réel (déduction faite de l’inflation et des dépenses) a augmenté, diminué ou est demeuré à peu près le même au cours des cinq dernières années? ». Cela soulève la question de savoir si le répondant ajuste son évaluation pour tenir compte de tout changement du nombre d’heures de travail. En raison des restrictions sur la confidentialité, nous ne disposons pas de microdonnées sur le nombre d’heures travaillées ou la quantité d’effort consentie. Cependant, les données globales pour tous les groupes de médecins, sauf pour le groupe rémunéré à l’acte, n’indiquent pas d’augmentation signalée de l’effort de travail durant la période de référence. Les groupes non rémunérés à l’acte ont réagi au changement de mode de rémunération tel que prévu, c’est-à-dire en voyant moins de patients par jour (Green et al., 2009). Il y a des preuves que la plupart des répondants ne modifient pas leurs heures de travail de façon importante.

Un autre problème soulevé est la possibilité que les répondants aient stratégiquement sous-estimé leur évaluation dans le but de donner au gouvernement, leur partenaire de négociation, l’impression qu’ils recevaient auparavant de faibles augmentations. Les médecins avaient toutefois été informés que leurs réponses seraient vérifiées par recoupement avec leurs données fiscales. Nous pouvons espérer que cela les aura incités à une divulgation plus exacte à ce sujet.

Les sondages remplis ont été reliés, de façon anonyme, aux données fiscales par l’intermédiaire d’un cabinet d’experts-comptables. Nous combinons tous les revenus d’un travail indépendant, déclarés sous forme de revenu d’entreprise ou de revenu professionnel, avec le revenu d’emploi pour arriver au revenu net annuel, et nous le convertissons en dollars de 2004 en appliquant l’indice des prix à la consommation de l’Ontario. Nous disposons pour chaque répondant des données sur le revenu des années 2000 à 2004 déclarées à l’Agence du revenu du Canada.

Pour déterminer dans quelle mesure notre échantillon de répondants est représentatif de la population globale de médecins de famille en Ontario, nous avons comparé les moyennes des caractéristiques suivantes : âge, sexe, nombre d’années depuis l’obtention du diplôme, formation à l’étranger ou non, exercice en milieu rural ou non, nombre total de consultations, nombre de consultations à l’urgence, nombre de consultations en cabinet et montant total de paiements facturés au ministère de la Santé et des Soins de longue durée. Ces chiffres sont présentés au tableau A2. Les valeurs moyennes des médecins des réseaux de santé familiale (comparer les colonnes 4 et 9) et des médecins des groupes de santé familiale (comparer les colonnes 3 et 8) sont à peu près semblables pour l’échantillon et la population, ce qui indique que les sujets de l’étude sont assez représentatifs de la population de médecins de famille de l’Ontario. Il y a cependant quelques différences : nos répondants sont un peu moins susceptibles d’avoir été formés à l’étranger et un peu plus susceptibles d’exercer en milieu rural (dans le cas du groupe de santé familiale), mais les indicateurs de charge de travail sont assez semblables. En revanche, les différences sont plus marquées entre notre échantillon de médecins rémunérés à l’acte et la population globale de ce groupe (comparer les colonnes 2 et 7). Notre échantillon est considérablement plus jeune et moins expérimenté et une proportion plus faible a été formée à l’étranger et travaille en milieu urbain.

2. Résultats

La première tâche empirique consiste à comparer l’évolution réelle et l’évolution perçue des revenus pour déterminer si elles concordent. Nous employons plusieurs outils statistiques différents à cette fin. La distribution de l’évolution réelle est représentée dans le graphique 1 sous forme de trois diagrammes des fréquences relatives. Ces variables sont représentées pour chacun des trois groupes de sujets qui sont classés selon leur réponse à la question sur l’évolution perçue des revenus : augmentation, diminution ou aucun changement. Le pourcentage d’évolution réelle du revenu est présenté de façon continue dans l’axe horizontal et la fréquence dans l’axe vertical. La ligne verticale marque le point d’augmentation nulle. Si les perceptions tendaient à être exactes, la distribution pour les sujets qui percevaient une augmentation est fortement orientée vers la droite et pour ceux qui percevaient une diminution, vers la gauche. La distribution des sujets qui croyaient être à peine parvenus à suivre l’inflation est concentrée autour de zéro.

Graphique 1

Estimation par noyau de l’évolution réelle en % (2000-2004) par évolution perçue

Estimation par noyau de l’évolution réelle en % (2000-2004) par évolution perçue

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Conformément aux attentes, la distribution des répondants qui signalent une augmentation de revenu se situe à droite des distributions des répondants qui perçoivent que leur revenu est demeuré le même ou qu’il a diminué pendant la période de 2000 à 2004. Néanmoins, il y a un nombre non négligeable de médecins (dans la queue de gauche) qui signalent une croissance de revenu négative. La distribution pour ceux qui ne signalent pas d’évolution importante est relativement symétrique autour de zéro, comme prévu, mais une queue de droite non négligeable signifie que quelques-uns ont en fait réalisé des hausses appréciables. Il est peut-être surprenant de voir que la distribution des répondants qui percevaient une baisse ne s’éloigne pas de façon significative de celle des répondants qui estimaient que leur revenu était demeuré stable. Elle est fortement désaxée vers la droite, ce qui indique une augmentation de revenu pour une grande majorité d’entre eux malgré leur croyance du contraire.

Le graphique 2 repose sur les mêmes données, mais présente une autre perspective. Il s’agit d’un diagramme qui montre, au moyen de barres, l’évolution réelle du revenu en pourcentage pour les trois groupes (ceux qui percevaient une évolution négative, positive ou aucun changement). Environ la moitié des sujets dont le revenu réel avait augmenté de 10 % à 30 % ne percevait aucune augmentation et 42 % des sujets dont le revenu réel avait légèrement augmenté, de moins de 10 %, croyaient que leur revenu avait diminué. En contrepartie, tous les écarts ne représentaient pas des sous-estimations. Bien plus de la moitié des répondants ayant enregistré une croissance négative de revenu réel croyaient avoir au moins maintenu le même revenu ou que celui-ci avait même augmenté.

Graphique 2

Part des groupes d’évolution perçue du revenu par bandes d’évolution réelle du revenu

Part des groupes d’évolution perçue du revenu par bandes d’évolution réelle du revenu

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Tableau 1

Évolution réelle du revenu, évolution perçue du revenu et écarts entre les deux

Évolution réelle du revenu, évolution perçue du revenu et écarts entre les deux

Note : Les zones grises indiquent une perception juste.

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Nous avons mené des tests statistiques élémentaires pour valider ces conjectures. Chez le groupe de 67 médecins de famille n’ayant pas perçu d’évolution, la moyenne d’échantillon de l’évolution réelle du revenu était de 9,3 % avec un écart-type de 27,76 %. La statistique « t » est de + 3,39, ce qui entraîne le rejet de l’hypothèse nulle d’une moyenne de zéro et suggère une tendance centrale à sous-estimer les gains réalisés. Chez le groupe de 75 médecins de famille qui avaient perçu une baisse de revenu, la moyenne d’échantillon de l’évolution réelle du revenu était de 6,47 % avec un écart-type de 26,67 %, soit presque exactement la même valeur que celle du groupe précédent. La statistique t est de + 3,08, ce qui entraîne le rejet de l’hypothèse nulle d’une moyenne de zéro et suggère également une tendance centrale à sous-estimer les gains réalisés. La similarité apparente de ces deux distributions (le revenu réalisé de ces deux groupes) nous a mené à appliquer le test de Wilcoxon pour observations appariées. La valeur de z estimée est de 0,67 et la valeur de p est de 0,50, et nous ne pouvons donc pas rejeter l’hypothèse nulle d’égalité.

Chez le groupe des 130 médecins de famille qui percevaient une évolution positive, la moyenne d’échantillon de l’évolution réelle du revenu était de 28,17 % avec un écart-type de 35,68 %. Pour un test unilatéral afin de rejeter l’hypothèse nulle d’absence d’évolution, la valeur critique de la moyenne de l’échantillon serait de 5,12 %. Selon le test t normalisé, ce groupe n’a donc pas présenté de tendance à sous-estimer contrairement aux deux autres groupes de médecins de famille.

Nous avons ensuite appliqué le test de Wilcoxon pour observations appariées afin de vérifier l’hypothèse que la distribution du revenu réel est similaire à celle du revenu perçu pour l’ensemble de l’échantillon. La valeur z estimée était de – 7,83 avec une valeur p de 0, et les signes négatifs l’emportent largement sur les signes positifs. Nous en concluons que les distributions sont bien distinctes avec une tendance centrale à sous-estimer les revenus réels.

En plus de l’analyse graphique et statistique, nous présentons les densités conjointes de ces deux variables sous forme de tableau (tableau 1). La variable de l’évolution perçue est alignée horizontalement et celle de l’évolution réelle est alignée verticalement. Comme le revenu réel est présenté de façon continue, alors que le revenu perçu l’est de façon distincte seulement, nous avons comprimé la première variable en format comparable de manière à pouvoir présenter une densité conjointe. Si le revenu réel augmente (diminue) de plus de 10 % en valeur réelle, nous estimons que le revenu réel a augmenté (diminué); autrement, nous estimons que le revenu est demeuré constant au cours de la période[10]. Afin de quantifier l’exactitude des perceptions du revenu, nous avons créé un certain nombre de variables dérivées. Les sujets sont considérés comme sous-estimant l’évolution de leur revenu si l’évolution perçue est inférieure à l’évolution réelle. Ils sont considérés comme surestimant l’évolution du revenu si l’évolution perçue est supérieure à l’évolution réelle. Si l’évolution perçue s’aligne sur l’évolution réelle, le sujet est considéré comme ayant une perception juste.

Comme on le voit dans la dernière colonne de la première rangée, la moyenne de l’évolution réelle est de + 17,5 % avec un important écart-type de 33 %. Les sujets qui pensaient avoir reculé au cours de la période de référence (première colonne) avaient plutôt tendance à avoir mieux réussi qu’ils ne le croyaient car ils avaient réalisé, en moyenne, un gain en valeur réelle de 6,5 %. Il y a, comme prévu, un lien positif entre l’évolution perçue et la moyenne d’évolution réelle (allant de gauche à droite dans la rangée 1).

La deuxième section du tableau 1 consiste en une matrice qui présente la distribution conjointe entre l’évolution réelle du revenu (présentée dans les bandes horizontales) et l’évolution perçue du revenu (présentée dans les bandes verticales). Pour chaque bande, la première rangée indique les fréquences brutes, la deuxième rangée les fréquences relatives et la troisième rangée les fréquences conditionnelles par rangée. Les cases de la diagonale correspondent aux 129 médecins (47 % de l’échantillon) dont les perceptions sont justes selon notre calcul. Les cases hors diagonale représentent les cas où la perception ne correspondait pas à la réalité. Les cases au-dessus de la diagonale représentent les 54 cas de surestimation (20 % de l’échantillon). Presque la moitié de ce groupe percevait une augmentation, mais avait en fait un revenu constant. Les cases au-dessous de la diagonale représentent les 89 cas de sous-estimation (33 % de l’échantillon). Soixante d’entre eux (plus des deux tiers) percevaient une baisse de revenu alors que ce n’était pas le cas dans la réalité (en fait, 27 avaient enregistré une augmentation) et près d’un tiers percevaient un revenu constant alors qu’en fait, leur revenu avait augmenté.

Dans la bande supérieure de la matrice, parmi les 43 médecins de famille dont le revenu avait en fait diminué (15,8 % de notre échantillon), environ 35 % percevaient une augmentation et 30 % ne percevaient pas de diminution. Notre calcul de la proportion de sujets ayant une perception fausse conditionnelle à un recul réel de revenu, qui doit nécessairement être une surestimation, est donc de 0,65. La bande du milieu représente les sujets qui n’ont pas enregistré d’augmentation ou de recul significatif de revenu. Il y avait presque autant de sujets qui surestimaient l’évolution de revenu que de sujets qui la sous-estimaient. Notre estimation (très approximative) de la probabilité d’une perception fausse conditionnelle à un revenu réel presque constant est de 0,70. Dans la bande inférieure de la matrice, parmi les 145 médecins de famille dont le revenu avait en fait augmenté (53,3 % de notre échantillon), environ 61 % percevaient une augmentation. Notre estimation (très approximative) de la probabilité d’une perception fausse conditionnelle à une augmentation réelle du revenu, qui doit nécessairement être une sous-estimation, est de 0,36.

Pour résumer l’analyse présentée au tableau 1, il suffit de dire qu’il y avait plus de médecins qui sous-estimaient l’évolution de revenu que de médecins qui la surestimaient (32 % de l’échantillon comparativement à 20 %, alors que 47 % avaient une perception juste). Parmi ceux dont le revenu était demeuré à peu près constant, le nombre de médecins qui surestimaient et qui sous-estimaient était relativement équilibré. Les médecins dont le revenu avait bel et bien augmenté étaient beaucoup moins susceptibles de surestimer ou de sous-estimer comparativement aux médecins des deux autres groupes. Nous avons testé l’hypothèse nulle selon laquelle il n’y a pas de lien entre ces deux variables à l’aide du test du chi carré de Pearson pour l’indépendance des deux variables croisées. Elle est rejetée au niveau de confiance de 99 % et plus[11]. L’interprétation est que malgré la preuve de perceptions fausses (situées dans les éléments hors diagonale), dont plusieurs sous-estimations, ces perceptions ne sont pas produites de manière totalement aléatoire.

Un des facteurs qui pourrait possiblement contribuer au décalage entre l’évolution perçue et réelle du revenu est le degré de variabilité des revenus, ce qui complique probablement leur évaluation précise. Pour étudier cette possibilité, nous avons calculé le coefficient de variation (écart-type relatif) du revenu annuel de chaque sujet au cours de la période de référence. Le coefficient de variation moyen est de 0,13, 0,16 et 0,17 pour les perceptions sous-estimées, les perceptions justes et les perceptions surestimées respectivement, ce qui suggère un degré de variabilité du revenu moindre pour la perception sous-estimée.

Nous nous sommes ensuite intéressés aux associations statistiques entre le mode de rémunération et l’évolution réelle du revenu, l’évolution perçue du revenu et l’écart entre les deux. Ces corrélations sont présentées au tableau 2 et révèlent plusieurs tendances étonnantes. Comme le révèle la première colonne, les médecins rémunérés à l’acte étaient les plus nombreux à connaître une baisse de revenu (23,3 %), les moins nombreux à connaître une augmentation (40 %) et, (avec le groupe des centres de santé communautaire), avaient l’augmentation moyenne en pourcentage la plus faible (rangée 4). En comparaison, les médecins des réseaux de santé familiale (deuxième colonne) étaient très peu nombreux à connaître une baisse de revenu (15,1 %), les plus nombreux à connaître une augmentation (67,4 %) et avaient l’augmentation moyenne en pourcentage la plus élevée à 26,3 % (rangée 5). La situation des médecins des groupes de santé familiale (colonne 4) est à mi-chemin entre ces deux cas extrêmes.

Tableau 2

Évolution réelle, évolution perçue et écarts par mode de rémunération

Évolution réelle, évolution perçue et écarts par mode de rémunération

Note :

  • PAA=Paiement à l’acte

  • RSF=Réseau de santé familiale

  • GSF=Groupe de santé familiale

  • OSS=Organisation de services de santé

  • CSC=Centre de santé communautaire

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Tableau 3

Évolution perçue du revenu et perceptions fausses de l’évolution réelle du revenu

Évolution perçue du revenu et perceptions fausses de l’évolution réelle du revenu

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Comme le montre la rangée 7, les médecins rémunérés à l’acte étaient les plus nombreux à percevoir une baisse de revenu (53,3 %) et les moins nombreux à percevoir une augmentation (26,7 %). De nouveau, la tendance est à l’opposé pour les sujets des réseaux de santé familiale, avec 79,1 % qui percevaient une augmentation (rangée 9), alors que les valeurs des médecins des groupes de santé familiale se situent entre celles des médecins rémunérés à l’acte et des médecins des réseaux de santé familiale.

Les chiffres de la dernière section du tableau 2 indiquent les écarts entre l’évolution réelle et perçue du revenu. Cette variable dérivée utilise une valeur de -1 en cas de perception sous-estimée, de 0 en cas de perception juste et de +1 en cas de perception surestimée. Les médecins rémunérés à l’acte étaient les plus susceptibles de sous-estimer l’évolution réelle de leur revenu (c’était le cas pour la moitié d’entre eux) et avaient une faible probabilité relative de surestimation, alors que les médecins des réseaux de santé familiale avaient de loin la plus faible probabilité de sous-estimation et la plus forte probabilité de surestimation. Parmi les 139 médecins de famille principalement rémunérés à l’acte, soit le groupe du paiement à l’acte combiné aux groupes de santé familiale, l’erreur réelle moyenne était de -0,251 et la statistique t, de -3,86 (pour une hypothèse nulle de moyenne zéro). Pour le reste des médecins de famille rémunérés soit par capitation ou salaire, la valeur est de 0 pour une distribution totalement symétrique (27 sujets ayant une perception surestimée et 27 sujets ayant une perception sous-estimée)[12].

Dans les colonnes de droite, l’échantillon est divisé entre les médecins de famille qui ont changé de mode de rémunération et ceux qui n’ont pas changé. Les médecins qui ont changé de mode de rémunération sont plus susceptibles d’avoir connu une augmentation réelle du revenu (ils ont enregistré une augmentation moyenne de 20,2 % comparés à une augmentation de 8,8 % pour ceux qui n’ont pas changé de mode de rémunération); plus susceptibles de percevoir une augmentation (53,1 % contre 30,2 %); moins susceptibles de sous-estimer l’évolution de leur revenu (29,7 % contre 42,9 %) et plus susceptibles de la surestimer (22 % contre 12,7 %).

Ce qui ressort du tableau 2, en gros, c’est que les médecins exerçant au sein des réseaux de santé familiale (dans lequel le nouveau mode de rémunération par capitation prédomine) et ceux qui ont changé de mode de rémunération ont tendance à avoir un point de vue beaucoup plus positif au sujet de l’évolution de leur revenu; ils sont beaucoup moins susceptibles de sous-estimer cette évolution et sont un peu plus susceptibles de la surestimer. Ce profil diffère nettement de celui des médecins qui ont conservé le mode de paiement à l’acte traditionnel. Les tests du chi carré sur l’existence d’un lien statistique entre, d’une part, le mode de rémunération et, d’autre part, les trois variables liées au revenu (évolution réelle, évolution perçue et écart entre les deux) rejettent l’hypothèse nulle d’indépendance dans chaque cas.

Nous avons ensuite examiné la possibilité que des facteurs autres que le mode de rémunération soient associés à nos variables d’évolution perçue du revenu et d’exactitude des perceptions. Au tableau 3, nous présentons un certain nombre de corrélations de ces deux variables en fonction d’une série de variables démographiques et de variables liées à la pratique : âge, sexe, emplacement géographique (population urbaine ou rurale de patients); expérience (décennie pendant laquelle la formation médicale a été obtenue); degré de satisfaction à l’égard du modèle de pratique actuel et degré de satisfaction à l’égard de la situation professionnelle en général. Les résultats sur l’évolution perçue du revenu figurent à la gauche et ceux sur l’écart ente l’évolution perçue et réelle du revenu sont à la droite. Les écarts relevés ne sont pas significativement différents de zéro du point de vue statistique pour certaines variables croisées, notamment le sexe, le milieu rural ou urbain, l’âge et la décennie au cours de laquelle la formation a été obtenue. Les écarts sont significatifs pour la variable de l’exactitude de la perception du revenu chez les médecins qui ont modifié leurs fonctions (mais pas forcément le mode de rémunération de la pratique principale) en faisant du travail au service d’urgence, etc. Les médecins qui avaient abandonné une fonction ou modifié leurs fonctions étaient plus susceptibles de surestimer l’évolution de leur revenu.

La relation avec les deux variables sur la satisfaction est présentée dans les dernières sections du tableau 3, et les résultats sont peu surprenants. Les médecins qui percevaient que leur revenu avait diminué étaient moins satisfaits que ceux qui percevaient qu’il était demeuré constant, et les médecins qui percevaient que leur revenu avait augmenté étaient plus satisfaits que ceux qui percevaient qu’il était demeuré constant. Les médecins qui sous-estimaient l’évolution réelle du revenu étaient moins satisfaits que ceux qui la surestimaient. L’hypothèse nulle d’indépendance statistique entre ces deux mesures de la satisfaction et a) l’évolution perçue du revenu et b) l’exactitude de ces perceptions est rejetée dans les quatre cas[13].

La dernière partie de l’analyse statistique comprend une équation de régression multivariée. La variable endogène est l’évolution perçue du revenu, et la principale variable explicative est l’évolution réelle du revenu sous forme continue. Nous nous attendons à un coefficient positif mesurant l’ampleur de la relation. Les effets de toutes les autres variables explicatives sur l’évolution perçue du revenu sont interprétés selon le principe ceteris paribus, c’est-à-dire en maintenant fixe la variable de l’évolution réelle du revenu. À titre de variable explicative, nous avons également inclus une mesure de la dispersion (coefficient de variation) du revenu réel de chaque médecin au cours de la période de 2000 à 2004. Toute perception fausse à l’intérieur de ce cadre est reflétée dans les termes résiduels. Plus l’ajustement est grand pour cette équation de régression, plus l’exactitude globale des perceptions est élevée. La spécification est un modèle de probit ordonné pour les trois résultats : perception d’augmentation (valeur la plus élevée), de diminution (valeur la plus faible) et de constance (valeur intermédiaire)[14].

Ces résultats de régression sont présentés au tableau 4. La première des deux spécifications comprend la variable de l’évolution réelle du revenu sous forme de série de variables nominales pour laquelle la catégorie omise est le revenu constant. Ces résultats sont présentés dans les deux premières colonnes. La deuxième spécification comprend l’évolution réelle du revenu sous forme continue, et ces résultats sont présentés dans les deux dernières colonnes. La variation de spécification n’a presque pas d’impact sur les coefficients estimés des variables explicatives restantes. Globalement, la capacité d’explication de l’équation de régression est faible, ce qui reflète nos résultats antérieurs sur l’importance de ces perceptions fausses. Plusieurs des coefficients estimés ne sont pas significatifs. Nous nous limiterons à commenter les résultats importants. Nous avons obtenu un effet positif prévu de l’évolution réelle du revenu en pourcentage sur l’augmentation perçue du revenu. L’impact de la variabilité du revenu réel, telle que mesurée par le coefficient de variation, est positif, ce qui laisse entendre que les médecins ayant un degré de variabilité plus élevé sont plus susceptibles d’avoir une perception positive de l’évolution de leur revenu. En maintenant constante la décennie au cours de laquelle la formation a été obtenue, les médecins avaient tendance à avoir des opinions moins positives au sujet de l’évolution perçue de leur revenu. En maintenant l’âge constant, les médecins formés dans les années quatre-vingt-dix avaient tendance à avoir une opinion moins positive au sujet de l’évolution perçue du revenu comparativement à ceux formés dans la décennie antérieure. Comparés aux médecins de famille rémunérés à l’acte, les médecins travaillant au sein de réseaux de santé familiale et d’organisations de services de santé sont plus susceptibles d’avoir une perception positive de l’évolution de leur revenu. Nous n’avons pas relevé d’effet significatif pour les médecins qui ont changé de mode de rémunération principal au cours de la période de référence.

Tableau 4

Résultats de régression pour l’évolution perçue du revenu net (2000-2004)

Spécification probits ordonnés

Résultats de régression pour l’évolution perçue du revenu net (2000-2004)

Note : * statistiquement significatif au niveau de 5 %.

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3. Limites de la recherche

D’abord et avant tout, il y a le faible taux de réponse expliqué en détail plus haut, en particulier pour les médecins rémunérés à l’acte. Un désavantage connexe est la petite taille de l’échantillon et la probabilité qu’il soit, au mieux, seulement partiellement représentatif. Un examinateur a soulevé la possibilité que la déflation de l’évolution réelle du revenu nominal (représentant le chiffre rapporté), pour tenir compte de l’inflation des prix à la consommation, puisse générer une erreur de mesure dans notre seconde équation de régression étant donné que cette mesure est incluse en tant que variable exogène. Or, cet effet stochastique pourrait être interprété comme étant une erreur de mesure classique, ce qui voudrait dire que le coefficient estimé est exposé au biais d’atténuation. Si c’est le cas, nous sous-estimons l’ampleur de ce coefficient qui est néanmoins statistiquement supérieur à zéro. Nous arrivons à la conclusion qu’il y a une corrélation positive entre l’évolution perçue et réelle du revenu. Le même examinateur a également exprimé des réserves quant à notre utilisation de l’indice des prix à la consommation de l’Ontario pour établir la mesure de l’évolution réelle du revenu en faisant valoir que les médecins risquent de ne pas consommer le même panier de biens que la population générale. D’après notre expérience en exercice de la médecine de famille et en formation de nouveaux médecins à l’exercice de la médecine en Ontario, nous soutenons que l’utilisation de l’indice des prix à la consommation de l’Ontario pour mesurer l’évolution de leur pouvoir d’achat est intuitive. De plus, il n’y a pas de déflateur (coefficient d’actualisation) basé sur les habitudes d’achat selon la profession.

Un autre examinateur a soulevé le point à savoir qu’il est difficile de distinguer les suppositions des vraies croyances dans notre sondage rétrospectif qui pose la question une fois seulement. Si l’on était capable de suivre l’évolution de ces perceptions de façon longitudinale et de les comparer à l’évolution réelle, on pourrait alors déterminer s’il existe des biais à long terme dans les perceptions sur le revenu. Nous sommes d’accord que la nature strictement transversale et rétrospective de l’ensemble des données (à l’exception notable de la série sur le revenu réel) est loin d’être idéale. Des données longitudinales issues d’un panel permettraient des inférences sur la manière dont les perceptions sont susceptibles de s’adapter dans le temps. Toutefois, il serait très coûteux de recueillir cet ensemble de données et on aurait probablement le même problème du faible taux de réponse.

Conclusion

Nous avons présenté des preuves statistiques à l’appui de trois propositions. Premièrement, que les médecins de famille ont tendance à faire des erreurs lorsqu’ils se rappellent les faits sur l’évolution de leur revenu sur une période antérieure. Deuxièmement, ces perceptions ont tendance à être liées au mode de rémunération qu’ils ont choisi. Troisièmement, ces perceptions reflètent une sous-estimation plus souvent qu’une surestimation. Une légère majorité (53 %) de médecins de notre échantillon avait une perception fausse de l’évolution de leur revenu au cours de la période de 2000 à 2004. Il y avait plus de médecins qui sous-estimaient (33 %) l’évolution réelle de leur revenu que de médecins qui la surestimaient (20 %). Il y avait des perceptions fausses tant chez les médecins qui avaient connu une augmentation que ceux qui avaient connu une diminution du revenu réel au cours de la période de référence. Dans le second groupe, 65 % s’en étaient mieux tirés en réalité qu’ils ne le croyaient, comparativement à 52 % du premier groupe qui avaient été plus durement touchés qu’ils ne le croyaient. Toutefois, leurs perceptions sont loin d’être entièrement aléatoires puisqu’il existe une corrélation positive statistiquement significative entre l’évolution réelle et l’évolution perçue du revenu, comme on pouvait s’y attendre. Notre interprétation privilégiée (fondée sur les entretiens menés sur le terrain) est que les médecins de famille de notre échantillon réagissent comme le veut la théorie (Green et al., 2009) à la structure incitative intégrée à leur mode de rémunération, mais qu’ils sont moins conscients de leur « situation financière » s’ils ont atteint leur niveau de salaire de reserve (défini comme le salaire minimum qu’ils sont prêts à accepter).

Les deux groupes de médecins de famille rémunérés entièrement ou principalement selon le système de paiement à l’acte avaient tendance à sous-estimer davantage l’évolution réelle de leur revenu que les médecins des groupes rémunérés par capitation ou salaire. Pour l’ensemble de l’échantillon, plus le revenu varie au cours de la période de référence de 2000 à 2004, plus le sujet est susceptible de percevoir une augmentation et moins il est susceptible de sous-estimer l’évolution réelle du revenu. Les médecins de famille qui perçoivent une diminution ou qui sous-estiment l’ampleur de l’évolution de leur revenu sont moins susceptibles d’être satisfaits de leur modèle de pratique actuel et de leur situation professionnelle en général. Les médecins qui avaient changé de mode de rémunération avaient tendance à connaître une augmentation de revenu et étaient plus susceptibles de percevoir une évolution positive de revenu. Ces résultats sont tout à fait compatibles avec l’objectif du gouvernement de les inciter à adopter un nouveau mode de rémunération.

Ces résultats pourraient s’appliquer au contexte d’un gouvernement ou d’une grande compagnie d’assurance qui paye des professionnels indépendants comme des médecins, des dentistes, des physiothérapeutes, des avocats, des travailleurs sociaux et des conseillers pour traiter ou conseiller des clients. Nous avons soulevé la possibilité qu’au moins une forte minorité des fournisseurs de services ait tendance à avoir des perceptions fausses au sujet de l’évolution récente de leur revenu réel. Dans le cas de sous-estimations, cela pourrait avoir des répercussions négatives sur leur satisfaction et leur moral. Il pourrait également y avoir des conséquences sur la négociation du barème des honoraires en ce sens que les associations professionnelles pourraient adopter des positions de négociation indûment agressives.