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Introduction

L’immigration a toujours provoqué des débats de société à l’échelle nationale dans les pays d’accueil.  En 2003, Simon et Sikich (2007) ont effectué une enquête afin de connaître l’opinion publique envers l’immigration dans sept pays. À la suite de ce sondage, les auteurs ont trouvé que 62 % des citoyens canadiens conçoivent l’immigration comme étant avantageuse pour l’économie nationale. Une proportion de 29 % des citoyens canadiens accepte une augmentation de l’immigration, tandis que 39 % parmi eux préfèrent maintenir le même niveau. Ces résultats classifient le Canada et l’Australie comme étant les deux pays, parmi les sept pays sondés, les plus positifs envers l’immigration.

Du côté économique, les politiques canadiennes d’immigration ont été modifiées à maintes reprises dans le but de favoriser une intégration économique réussie. L’introduction des critères facilitant l’intégration sur le marché du travail au début des années soixante, d’une grille de sélection en 1967, et la mise en lumière du niveau de scolarité le plus élevé au début des années quatre-vingt-dix ont changé considérablement les caractéristiques des immigrants. Toutefois, les immigrants éprouvent plus de difficultés sur le marché du travail. Par exemple, le taux de chômage était de 7,8 % chez les immigrants en 2014, comparativement à 6,6 % chez les Canadiens de naissance (Statistique Canada, CANSIM, 2015). Au sujet des gains d’emploi, plusieurs chercheurs (Aydemir et Skuterud, 2004; Frenette et Morissette, 2003; Bloom, Grenier et Gunderson, 1995) ont analysé l’évolution des gains des immigrants durant les trois dernières décennies pour conclure à une dégradation des gains relatifs (par rapport aux personnes nées au Canada) de cette population. Cette dégradation des gains se manifeste dans le taux de faible revenu. En effet, et Hou (2003) ont rapporté que, selon le seuil de faible revenu (SFR), 24,6 % des nouveaux immigrants en 1980 étaient en état de faible revenu, alors que ce pourcentage a augmenté à 31,3 % en 1990 et à 35,8 % en 2000.

Dans la présente étude, nous nous intéressons à l’étude de la situation économique de cette population en nous concentrant sur l’état de faible revenu. Les mesures de l’état de faible revenu se distinguent d’autres paramètres par leur plus grande portée, car elles intègrent des changements touchant toutes les sources de revenus (Picot, 2008).

Sur le plan global, une nette divergence entre la tendance du taux de faible revenu chez les Canadiens de naissance et celle du taux chez les immigrants a été enregistrée durant les trois dernières décennies. Les deux groupes avaient des taux de faible revenu semblables en 1980 (17,2 % et 17,0 % respectivement), alors que l’écart s’est creusé au fil des années : un taux de 13,3 % chez les Canadiens de naissance en 2005 et de 21,6 % chez la population immigrante pour la même année (Picot et al., 2009).

Pour ce qui est des déterminants de l’état de faible revenu, de multiples études ont mis en évidence des facteurs qui semblent affecter la possibilité d’entrer dans un état de faible revenu (Drolet et Morissette, 1999; Morissette et Zhang, 2001; Picot et Hou, 2003; Palameta, 2004; Hatfield, 2004; Cousineau, 2009; Picot, Lu et Hou, 2009; Boulet et Boudarbat, 2010). Certains de ces facteurs sont communs entre les deux populations natives et immigrantes (le sexe, la province de résidence, l’âge, l’appartenance à une minorité visible, la composition de la famille, le statut d’étudiant, le niveau de scolarité), tandis que d’autres facteurs sont propres à la population immigrante (le pays d’origine, les connaissances linguistiques, l’âge à l’immigration et la durée de celle-ci depuis le début de l’immigration). Les études qui se sont penchées sur l’influence de ces déterminants quant au fait d’entrer dans un état de faible revenu ont montré que l’effet de certains déterminants de l’état de faible revenu est plus prononcé dans le cas de la population native. Par exemple, le fait d’être plus âgé ou de posséder un diplôme universitaire diminue considérablement la probabilité de se retrouver dans un état de faible revenu, et ce, seulement chez les natifs (Palameta, 2004; Picot et al., 2007).

Malgré de nombreuses recherches menées sur l’état de faible revenu au Canada, nous constatons qu’aucune étude n’a été consacrée à l’influence de la région d’origine sur la relation entre l’état de faible revenu et ses déterminants. À partir de deux types de méthodologies (régression de type probit et méthode de décomposition Blinder-Oaxaca adaptée pour modèles non linéaires), nous cherchons dans le présent article à mettre en relief l’influence de ce facteur et à répondre aux deux questions qui suivent.

Est-ce que l’état de faible revenu varie selon l’appartenance à l’un des trois groupes suivants : immigrants originaires des pays non traditionnels, immigrants originaires des pays traditionnels et Canadiens de naissance?

Au cas où l’état de faible revenu varierait selon la région d’origine, nous cherchons à savoir si le désavantage enregistré par une région donnée est expliqué par les caractéristiques moins favorables des immigrants de cette région ou plutôt par un traitement différent des immigrants de cette région sur le marché du travail. Étant donné que les études antérieures ont révélé une plus grande exposition à vivre en état de faible revenu chez les immigrants habitant au Québec que chez les immigrants habitant dans d’autres provinces (Palameta, 2004; Boulet et Boudarbat, 2010), nous comparons la situation des immigrants au Québec avec celle des immigrants en Ontario. Ainsi, nous avons posé la question suivante : quelle part de l’écart dans la probabilité d’être dans un état de faible revenu entre les immigrants habitant au Québec et les immigrants habitant en Ontario provient de différences dans les caractéristiques des deux groupes et quelle part serait due aux différences dans le traitement des deux groupes sur le marché du travail? De manière parallèle, nous expliquons l’écart de l’état de faible revenu entre les deux provinces pour les immigrants issus des pays non traditionnels.

Pour ce faire, notre article est divisé en quatre sections. Nous présentons en premier lieu les données utilisées et les analyses que nous avons effectuées. En deuxième lieu, nous exposons les principaux résultats des analyses empiriques. En troisième lieu, nous discutons de nos résultats pour enfin conclure sur les implications pour les politiques publiques.  

1. Méthodologie

Les données utilisées dans cette recherche sont tirées de l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM) effectuée par Statistique Canada en 2011. L’ENM est une enquête volontaire distribuée à 33 % des ménages canadiens. Elle a été introduite en 2010 afin de remplacer le questionnaire détaillé et obligatoire du Programme du recensement.

Plusieurs rapports ont souligné le taux de réponse moins élevé qu’en 2006 à la nouvelle enquête, comparativement au recensement (ISQ, 2015), ce qui a conduit à certaines données peu fiables. Malgré ces limites, les données de notre étude sont valides pour les types d’analyses que nous effectuons.

Concernant la population de notre étude, c’est celle que le fichier de microdonnées à grande diffusion (FMGD) englobe. Le FMGD contient un échantillon de 2,7 % de la population d’enquête, et est le seul produit permettant l’accès à des données non agrégées. L’utilisation de cette base de données garantit que les conclusions tirées de l’étude sont généralisables à l’ensemble des personnes âgées de 25 à 64 ans au Canada.

Notre modèle d’analyse n’inclut qu’une seule variable dépendante, soit l’état de faible revenu. L’état de faible revenu est mesuré selon une mesure relative dite la mesure de faible revenu (MFR). Cette mesure est un pourcentage fixe de 50 % du revenu médian corrigé en fonction de la taille du ménage (Zhang, 2010). Nous avons utilisé le seuil de faible revenu après impôt que nous présentons dans le tableau 1 pour l’année 2010.

Tableau 1

Mesure de faible revenu (MFR), par types de ménage, selon le revenu après impôt

Mesure de faible revenu (MFR), par types de ménage, selon le revenu après impôt
Source : Calculs de l’auteur à partir de la MFR pour les ménages de quatre personnes, fournie par Statistique Canada (2012), no 75F0002M, no 002 au catalogue

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La variable dépendante est une variable dichotomique qui prend deux valeurs : 1 si la personne est en état de faible revenu, et 0 autrement. Le modèle économétrique est comme suit :

À l’échelle des variables explicatives, nous accordons une attention particulière à la région d’origine ainsi qu’à la province de résidence[1]. Cette dernière variable permet de comparer les provinces entre elles et de prêter attention à la situation des immigrants au Québec. Pour ce qui est de la région d’origine, elle était le critère principal de sélection avant les années 1970 et a mené à la venue d’une majorité d’immigrants originaires de pays occidentaux. Des changements majeurs ont été apportés à la procédure de sélection des immigrants à la fin des années soixante, et parmi les conséquences de ces changements, nous trouvons l’augmentation des effectifs d’immigrants originaires des pays dits non traditionnels, principalement de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Asie, au détriment de ceux qui étaient originaires des pays occidentaux.

Types d’analyses effectuées

Nous avons effectué trois types d’analyses différentes. Dans la première section, les analyses visent à décrire l’échantillon utilisé et à examiner la répartition des Canadiens de naissance, des immigrants issus des pays traditionnels et des pays non traditionnels selon la variable de l’état de faible revenu.

Dans la deuxième section, nous réalisons des analyses de régression de type probit afin d’identifier les principaux déterminants de l’état de faible revenu au Canada. Nous évaluons l’association entre la région d’origine, le sexe, l’âge, le niveau de scolarité, les connaissances linguistiques, l’appartenance à une minorité visible, le statut d’étudiant, la composition de la famille, la province de résidence, le lieu d’obtention du diplôme et l’état de faible revenu au Canada. L’objectif de ce modèle est double. D’une part, il sert à déterminer l’écart de faible revenu entre les Canadiens de naissance et les deux groupes d’immigrants à l’étude, tout en contrôlant une multitude de caractéristiques associées à la probabilité du faible revenu. D’autre part, il vise à vérifier si les résidents au Québec restent exposés davantage à l’état de faible revenu que les résidents des autres provinces, considérant les différentes variables mentionnées ci-dessus.

Finalement, dans la troisième section, nous cherchons à approfondir les résultats obtenus au Québec tout en nous concentrant sur la population immigrante. Dans le but de comprendre le désavantage des immigrants au Québec, nous avons utilisé la méthode de décomposition Blinder-Oaxaca (Blinder, 1973 et Oaxaca, 1973). Cette méthode permet la décomposition des écarts de moyenne entre deux groupes en une partie expliquée par les différences entre les caractéristiques observées et en une partie inexpliquée attribuée à des différences dans le traitement des gens sur le marché du travail. Toutefois, étant donné que notre variable dépendante est dichotomique, nous utilisons la méthode de décomposition Blinder-Oaxaca pour les modèles non linéaires développés par Bauer et Sinning (2008). Cette méthode générale permet le traitement de la décomposition Blinder-Oaxaca dans le cadre d’un modèle logistique, par exemple, dans un modèle Probit. L’application sur Stata est faite selon le modèle de Sinning, Hahn et Bauer (2008)[2]. Nous répétons les mêmes analyses pour les immigrants issus des pays non traditionnels.

La décomposition Blinder-Oaxaca adaptée aux modèles non linéaires fait ressortir les mêmes problèmes qu’avec la décomposition classique. Principalement, la décomposition classique rencontre deux problèmes majeurs : le choix de la catégorie de référence pour les variables catégorielles et le choix du groupe de référence. En ce qui concerne le premier problème, il est en effet obligatoire d’omettre une catégorie de ces variables afin d’éviter la colinéarité. Bien que, généralement, le choix de la catégorie de référence affecte les résultats de la décomposition, nous avons découvert que notre modèle n’est touché que par le changement de la catégorie de référence d’une seule variable (l’âge à l’immigration). Nous allons ainsi identifier les différents résultats de la décomposition selon les catégories de référence.

En ce qui concerne le deuxième problème, la décomposition classique permet un choix entre deux groupes de référence et postule que dans le cas d’absence de discrimination, un des deux cas extrêmes sera la norme : soit que le groupe avantagé va être payé comme le groupe désavantagé, soit l’inverse. Cependant, Neumark (1988) contribue au débat sur le choix du groupe de référence tout en soulignant que la norme (ou la structure non discriminatoire des salaires) peut être calculée par la moyenne pondérée des salaires de deux groupes dans une situation discriminatoire. Cela peut être fait par une régression regroupée (pooled regression) où les deux groupes à l’étude formeront ensemble le groupe de référence.

Ainsi, il est possible d’estimer deux régressions (la régression classique et la régression regroupée), et de produire trois normes : la structure salariale au Québec, la structure salariale en Ontario et la structure salariale calculée par la moyenne pondérée des salaires de deux groupes dans une situation discriminatoire. En ce qui concerne l’interprétation, il est relativement simple de choisir une référence et d’interpréter les résultats en conséquence. Toutefois, la régression regroupée permet la décomposition de l’écart en trois parties :

  1. Productivité : la partie de l’écart expliquée par les caractéristiques observables retenues lorsque l’échantillon, lui-même, est le groupe de référence.

  2. Avantage : le poids de la partie inexpliquée en Ontario dans l’écart de la probabilité d’être dans un état de faible revenu lorsque l’échantillon, lui-même, est le groupe de référence.

  3. Désavantage : le poids de la partie inexpliquée au Québec dans l’écart de la probabilité d’être dans un état de faible revenu lorsque l’échantillon, lui-même, est le groupe de référence.

Comme l’objectif de la décomposition consiste à réaliser une comparaison interprovinciale et à comprendre la situation des immigrants au Québec, nous allons interpréter les résultats selon la structure salariale au Québec. Quant à elle, la régression regroupée serait considérée comme une mesure d’appui en ce qui a trait au poids de la partie inexpliquée dans chaque province.

2. Résultats

2.1 Statistiques descriptives

Selon le tableau 2, les immigrants ont un taux de faible revenu plus élevé que celui des natifs, et l’écart est statistiquement significatif [3]. Ce sont les immigrants issus des pays non traditionnels qui sont les plus désavantagés, avec un taux de faible revenu de 19 %, contre 11,4 % chez les immigrants issus des pays traditionnels.

Tableau 2

L’état de faible revenu chez les personnes âgées de 25 à 64 ans, 2011

L’état de faible revenu chez les personnes âgées de 25 à 64 ans, 2011

Note : * significatif au seuil de 5 %.

Source : Estimations de l’auteur à partir des fichiers de microdonnées à grande diffusion de l’ENM 2011

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Le tableau 2 révèle que l’échantillon retenu comprend 479 278 personnes, dont près de 75 % sont des Canadiens de naissance. De cet échantillon, les immigrants issus des pays traditionnels représentent près de 6 % et les immigrants issus des pays non traditionnels représentent 19 % environ. De plus, l’échantillon retenu afin d’examiner la situation de faible revenu chez la population immigrante comprend 118 680 immigrants.

Dans le cas des deux populations à l’étude, la province de résidence la plus représentée dans l’échantillon est l’Ontario (tableau 3). Par ailleurs, la plus grande proportion des répondants sont des personnes vivant en couple, titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires et ayant déclaré l’anglais comme la langue qu’ils connaissent assez bien pour soutenir une conversation.

Du côté de l’âge à l’immigration, près de 34 % des immigrants issus des pays non traditionnels sont arrivés alors qu’ils étaient âgés de 20 à 29 ans, tandis que près de 47 % des immigrants issus des pays traditionnels sont arrivés avant l’âge de 15 ans. Un autre constat qui ressort du tableau 3 concerne la durée depuis l’immigration. Comme on pouvait s’y attendre, les immigrants originaires des pays non traditionnels sont plus représentés dans les vagues des 20 dernières années, alors que les immigrants originaires des pays traditionnels étaient plus représentés dans les vagues arrivées depuis plus de 20 ans.

Tableau 3

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

Tableau 3 (continuation)

Statistiques descriptives

Tableau 3 (continuation)

Statistiques descriptives
Source : Estimations de l’auteur à partir des fichiers de microdonnées à grande diffusion de l’ENM 2011

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Ces premiers résultats confirment que l’écart de faible revenu entre les immigrants et les natifs subsiste et ne représente pas un changement par rapport au début des années deux mille. Cet écart demeure-t-il présent lorsque nous contrôlons pour un ensemble de caractéristiques associées à l’état de faible revenu?

2.2 Déterminants de l’état de faible revenu au Canada 

Pour une interprétation plus aisée des résultats, nous les avons transformés en effets marginaux. L’effet marginal à la moyenne mesure l’effet d’un changement unitaire dans une variable sur la probabilité de se trouver dans une situation de faible revenu. Les variables sont évaluées à leur moyenne et, dans le cas d’une variable dichotomique, l’effet marginal à la moyenne mesure le changement discret dans la probabilité en question quand la valeur prise par cette variable passe de 0 à 1.

Les résultats exposés au tableau 4 révèlent que le fait d’être immigrant originaire des pays non traditionnels augmente la probabilité d’être dans un état de faible revenu, toutes choses étant égales par ailleurs, de 3,9 points de pourcentage par rapport aux Canadiens de naissance. Cependant, le fait d’être immigrant originaire des pays traditionnels diminue la probabilité d’être dans un état de faible revenu, toutes choses étant égales par ailleurs, d’un point de pourcentage par rapport aux Canadiens de naissance.

Les analyses de type probit permettent de dégager un autre constat principal. Il en ressort que ce sont les résidents du Québec qui sont les plus à risque d’être dans un état de faible revenu. Le tableau 4 montre que, par rapport aux provinces atlantiques et toutes choses étant égales par ailleurs, la probabilité est diminuée de façon significative dans toutes les provinces (Ontario, Colombie-Britannique et les provinces des Prairies), à l’exception du Québec.

Pour comprendre le désavantage des immigrants au Québec, nous les comparons aux immigrants en Ontario tout en suivant la méthode de décomposition Blinder-Oaxaca (1973) telle qu’adaptée aux modèles non linéaires par Bauer et Sinning (2008).

Tableau 4

Les déterminants de l’état de faible revenu selon la région d’origine, le sexe, le groupe d’âge, le niveau de scolarité, les connaissances linguistiques, la province de résidence, la minorité visible, le statut d’étudiant et le pays d’obtention du diplôme, Canada, 2010

Les déterminants de l’état de faible revenu selon la région d’origine, le sexe, le groupe d’âge, le niveau de scolarité, les connaissances linguistiques, la province de résidence, la minorité visible, le statut d’étudiant et le pays d’obtention du diplôme, Canada, 2010

Tableau 4 (continuation)

Les déterminants de l’état de faible revenu selon la région d’origine, le sexe, le groupe d’âge, le niveau de scolarité, les connaissances linguistiques, la province de résidence, la minorité visible, le statut d’étudiant et le pays d’obtention du diplôme, Canada, 2010

Note : * significatif au seuil de 5 %; ** significatif au seuil de 10 %.

Source : Estimations de l’auteur à partir des fichiers de microdonnées à grande diffusion de l’ENM 2011

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2.3 Décomposition de l’écart de l’état de faible revenu entre le Québec et l’Ontario

Comme nous l’avons expliqué dans la section méthodologie, la méthode de décomposition Blinder-Oaxaca (1973), telle qu’adaptée aux modèles non linéaires, permet la décomposition de l’écart dans l’état de faible revenu entre le Québec et l’Ontario de trois différentes façons. En effet, les résultats de la décomposition changent selon le groupe de référence pris en considération. Étant donné que nous nous intéressons à la situation au Québec, nous prenons comme norme principale la structure salariale au Québec. De plus, nous interprétons la partie inexpliquée produite par la régression regroupée, et qui permet la détermination des poids des parties non expliquées au Québec et en Ontario lorsque l’échantillon, lui-même, est le groupe de référence.

Dans le cas de la population immigrante, la différence brute entre l’état de faible revenu en Ontario et celui au Québec est de 8,3 points de pourcentage. Dans le cas des immigrants issus des pays non traditionnels, la différence brute entre les deux provinces est de 8,9 points de pourcentage (tableau 5).

Lorsque nous prenons la structure salariale au Québec comme référence, nous trouvons que, dans les cas de deux groupes à l’étude, la grande partie de la différence brute de la probabilité de se trouver dans un état de faible revenu est attribuable à des modifications des coefficients estimés, et non des caractéristiques de l’échantillon. En effet, 76,8 %[4] de l’écart de faible revenu entre la probabilité en question chez les immigrants au Québec et celle chez les immigrants en Ontario s’explique par les écarts de coefficients si nous supposons que les deux groupes d’immigrants n’avaient pas des caractéristiques différentes. Dans le cas des immigrants issus des pays non traditionnels, 67,5 %[5] de l’écart entre la probabilité au Québec et en Ontario s’explique par les écarts de coefficients si nous supposons que les deux groupes d’immigrants n’avaient pas des caractéristiques différentes. En d’autres termes, si les immigrants de deux provinces étaient identiques d’un point de vue de leurs caractéristiques observées, l’écart de la probabilité en question serait encore de 6,3 points de pourcentage chez les immigrants et de 6 points de pourcentage chez les immigrants issus des pays non traditionnels.

De son côté, l’incidence des particularités spécifiques des membres de chaque groupe sur l’écart entre les deux provinces est de 23,2 % dans le cas de la population immigrante et de 32,5 % dans le cas des immigrants issus des pays non traditionnels. Ceci signifie que si les différences dans les caractéristiques des immigrants au Québec avec les caractéristiques des immigrants de l’Ontario disparaissaient, l’écart de la probabilité de faible revenu entre les deux provinces serait diminué de 1,9 point de pourcentage chez la population immigrante et de 2,9 points de pourcentage chez les immigrants issus des pays non traditionnels.

La régression regroupée vient confirmer le poids important de la partie non expliquée au Québec. En effet, dans le cas où nous prenons une nouvelle structure salariale comme référence, et qui est la structure salariale d’un groupe composé des immigrants québécois et ontariens (ou des immigrants issus des pays non traditionnels au Québec et en Ontario, lorsque c’est le groupe des immigrants issus de pays non traditionnels qui est à l’étude), nous trouvons que près de 23 % de l’écart dans la probabilité de l’état de faible revenu entre les deux provinces est dû à la partie non observée au Québec, alors que seulement près de 3 % du même écart est dû à la partie non expliquée en Ontario.

Tableau 5

Décomposition de l’écart entre l’Ontario et le Québec sur le plan de la probabilité de l’état de faible revenu au Canada (25-64 ans), 2010

Décomposition de l’écart entre l’Ontario et le Québec sur le plan de la probabilité de l’état de faible revenu au Canada (25-64 ans), 2010

Note : * significatif au seuil de 5 %; entre parenthèses, sont indiquées les erreurs types(le nombre de réplications est de 1000).Variables contrôlées dans le modèle : genre, âge, niveau de scolarité, connaissances linguistiques, composition de la famille, minorité visible, âge à l’immigration, durée depuis l’immigration, pays d’obtention du diplôme, statut d’étudiant et région d’origine [6].

Source : Estimations de l’auteur à partir des fichiers de microdonnées à grande diffusion de l’ENM (2011)

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3. Discussion

Les analyses avaient pour but d’arriver à une meilleure compréhension de l’association entre la région d’origine et l’état de faible revenu au Canada. Premièrement, les analyses de régressions soutiennent que l’écart de faible revenu entre les immigrants et les natifs subsiste, et que cet écart demeure, même lorsque nous contrôlons pour une multitude de caractéristiques associées à la probabilité du faible revenu. Parallèlement, les immigrants issus des pays non traditionnels ressortent comme le groupe le plus touché par l’état de faible revenu.

Deuxièmement, les résultats soutiennent que les résidents du Québec sont plus susceptibles de vivre dans un état de faible revenu que les résidents de l’Ontario. La décomposition de l’écart de faible revenu entre les immigrants au Québec et les immigrants en Ontario à un écart attribué aux caractéristiques individuelles et à un écart attribué au traitement dans le marché du travail montre que la forte probabilité de se trouver dans un état de faible revenu au Québec est due en grande partie au traitement que subissent ces immigrants sur le marché du travail; les différences dans les caractéristiques de deux groupes d’immigrants ne sont responsables que d’environ 23 % de l’écart dans la probabilité de vivre dans un état de faible revenu entre les deux provinces. Dans le cas des immigrants issus des pays non traditionnels, seulement 32,5 % de l’écart entre la probabilité d’être en état de faible revenu au Québec et en Ontario est expliqué par les différences dans les caractéristiques de deux groupes. La plus grande part de l’écart est expliquée par les coefficients estimés : l’écart de la probabilité en question serait encore de 6 points de pourcentage si les deux groupes d’immigrants avaient les mêmes caractéristiques. Telle est d’ailleurs la contribution majeure de cette recherche que de déterminer le poids des caractéristiques individuelles des immigrants dans l’écart entre la probabilité d’être dans un état de faible revenu au Québec et celle en Ontario.

Les explications de la situation économique des immigrants se rapportent à plusieurs cadres théoriques. D’une part, le cadre économique du capital humain s’inspire de l’approche néoclassique et postule que, dans un contexte de compétition parfaite et d’accès à toutes les informations nécessaires, un salarié peut déterminer la nature de son offre de travail par l’acquisition et la gestion de son capital humain. Dans le cas des immigrants, nous pouvons mentionner notamment l’expérience de travail, la formation et la connaissance des langues officielles comme étant les trois facteurs qui influencent le plus leur cheminement professionnel dans le pays d’accueil. D’autre part, le cadre institutionnaliste remet en cause l’existence d’un marché unique du travail et ajoute que les institutions existantes ont une influence sur la régulation du marché du travail. Les théories qui s’inspirent de ce cadre, comme la théorie de la segmentation du marché du travail (Doringer et Piore, 1971), la théorie de la discrimination systémique (Chicha, 1989) ainsi que la théorie du capital social (Bourdieu, 1986) permettent d’apporter une meilleure explication de l’écart entre deux personnes ayant les mêmes caractéristiques.  

En ce qui concerne le capital humain, les résultats de recherches précédentes (Morissette et Zhang, 2001; Picot et Hou, 2003) démontrent que l’éducation est associée de façon plus importante à la probabilité de se trouver dans un état de faible revenu chez les immigrants issus des pays non traditionnels comparativement aux Canadiens de naissance et aux immigrants issus des pays traditionnels. Plusieurs explications sont possibles dans le cas des immigrants détenant des diplômes étrangers. Certaines études, comme celle de Ferrer, Green et Riddell (2006), soutiennent l’existence d’écarts entre les compétences de ce dernier groupe et celles des personnes nées au Canada, et que ces écarts dépendent du pays où les immigrants ont acquis leur capital humain. D’autres études, comme celle de Chiswick et Miller (2007), plaident l’existence d’un caractère propre de tout capital humain, ce qui crée un problème de transférabilité du capital humain sur le plan international. Dans le cas des immigrants détenant des diplômes canadiens, l’étude de Boulet et Boudarbat (2010) confirme que, à l’échelon des études postsecondaires, un diplôme canadien ne procure pas autant d’avantages aux immigrants arrivés à l’âge adulte qu’aux Canadiens de naissance.

Pour ce qui est de la structure du marché du travail, le Canada se caractérise par un modèle de relations industrielles commun inspiré du Wagner Act et par une influence du modèle américain sur les politiques sociales et économiques (Lapointe et Bach, 2016). Toutefois, le Québec se caractérise par une configuration propre, due à des singularités historiques et institutionnelles, et qui se traduit par un rôle actif de l’État et une forte influence des organisations syndicales (Grant, 2003) qui ont comme principale mission la protection de leurs membres.

Quant au capital social, il semble que le réseau social joue un rôle crucial dans la réussite économique. Contrairement à l’hypothèse néoclassique suggérant que l’information est parfaitement accessible sur le marché du travail, il semble que l’information est partielle, coûteuse, et que son accès est inégalitaire. Ainsi, il existe un écart entre l’information reçue par l’immigrant et l’information pertinente (Béji et Pellerin, 2010); ce qui affecte l’intégration sur le marché du travail.

Les résultats de la décomposition Blinder-Oaxaca (1973), adaptée au modèle non linéaire, indiquent que la partie importante des écarts entre la probabilité de l’état de faible revenu au Québec et en Ontario n’est expliquée ni par le capital humain ni par les caractéristiques personnelles. Nous avons également pris en considération la région d’origine dans les analyses de décomposition, ce qui réduit l’effet de la différence dans la composition de l’immigration, selon les caractéristiques ethnoculturelles. Donc, l’écart serait dû avant tout aux différences provinciales quant aux facteurs institutionnels non observables, comme la structure du marché du travail québécois et la discrimination.  

Il importe de mentionner également que les immigrants, face aux nombreuses barrières qui entravent l’investissement de leur bagage de compétences et d’habiletés, sacrifient la qualité de leur emploi pour intégrer le marché du travail et s’assurer ainsi d’avoir un emploi stable. Comparativement aux Canadiens de naissance, une faible transition vers les emplois de qualité est enregistrée chez les immigrants, mais aucune barrière n’entrave leur accès à des emplois subalternes (Skuterud et Su, 2010). Il se peut aussi que les immigrants sous-estiment eux-mêmes leurs compétences et acceptent des emplois sous-qualifiés (Benjamin et al., 2002 : 351). Les employeurs renforceraient ces attitudes, car celles-ci leur permettraient de maximiser leurs profits.

Conclusion

En identifiant les facteurs responsables de la situation désavantageuse des immigrants au Québec par rapport aux immigrants en Ontario, nos résultats pourraient inspirer plusieurs suggestions dans le domaine des politiques publiques. Rappelons que le Québec a l’exclusivité de la sélection, entre autres, des candidats faisant partie de la catégorie économique (Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2014). La sélection de cette catégorie se fait selon un système de points, et qui est différent de la grille de sélection fédérale, notamment en ce qui concerne la valorisation des facteurs liés au marché du travail, comme la formation, les compétences linguistiques et la mobilité professionnelle (Citoyenneté et immigration Canada, 2003). D’où l’importance de la comparaison des caractéristiques des immigrants québécois avec celles des immigrants ontariens.

Globalement, la grille de sélection au Québec répond aux besoins de la province en matière d’immigration. La dotation des immigrants au Québec par les caractéristiques de leurs homologues immigrants en Ontario, sélectionnés selon la grille canadienne, permet de réduire la probabilité de se trouver dans un état de faible revenu de près de 2 points de pourcentage dans le cas de la population immigrante et de près de 3 points de pourcentage dans le cas des immigrants issus des pays non traditionnels. Cependant, dans les deux cas, les facteurs institutionnels non mesurés seraient à l’origine de la grande partie des différences entre le Québec et l’Ontario. Ce qui revient à dire que les changements à la grille de sélection des immigrants en vigueur au Québec auront un effet limité quant à l’atteinte de l’égalité de revenu entre les immigrants et les natifs. L’attention devrait être portée vers les politiques d’intégration des immigrants sur le marché du travail québécois.

Le processus d’intégration actuel ne semble pas offrir une solution efficace, et plusieurs études ont soulevé les facteurs affectant la situation économique des immigrants, comme la reconnaissance des compétences professionnelles étrangères (Houle et Yssaad, 2010; Ziestsma, 2010), et l’implication des employeurs dans le processus de sélection et d’intégration économique (Grant, 2005; Bourgeois et al., 2006). La situation économique des immigrants devrait préoccuper tous les acteurs puisque, dans les années à venir, le marché du travail au Canada dépendra largement de la main-d’oeuvre immigrante.

Si cette étude possède une très bonne validité externe, il importe de souligner qu’elle comporte principalement deux limites. La première limite concerne son caractère transversal, qui a empêché l’examen de plusieurs aspects du faible revenu, comme de passer à l’état de faible revenu, la durée de cet état et le fait d’en sortir. L’étude de ces aspects nécessite en effet des données longitudinales. La deuxième limite est liée à la méthode de décomposition Blinder-Oaxaca (1973). De fait, cette décomposition de l’écart entre les provinces reflète l’effet des facteurs institutionnels non observables, et ce, tout en supposant de connaître tous les déterminants de l’état de faible revenu. Or, notre étude s’attarde sur les déterminants socioéconomiques, mais il se peut que d’autres caractéristiques, comme l’expérience professionnelle acquise avant l’immigration, puissent expliquer en partie cet écart. Ainsi, nos conclusions sont limitées par les variables sur lesquelles nous avons porté notre attention dans le cadre de cette étude.