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Les étudiants de l’Université Laval ayant des incapacités ont accès depuis plus de quinze ans à des services et des accommodements mis en place dans un contexte d’apprentissage et d’évaluation pour compenser, sans discrimination ni privilège, leurs incapacités (ACSESH, 2017). Ces accommodements incluent notamment l’octroi de temps supplémentaire lors des évaluations, l’accès à des locaux sans distraction et l’accès à des outils informatiques spécialisés. Parallèlement, le taux d’inscription de ce groupe s’est accru significativement à partir de 2010 et il est estimé qu’il constituait approximativement 4,1 % de tous les étudiants inscrits à l’Université Laval en 2017 (ACSESH, 2015). Malgré cela, un certain scepticisme subsiste au sein des directions des facultés et des départements quant à la capacité des étudiants ayant des incapacités de réussir leur programme universitaire et leur intégration dans l’emploi. Il se manifeste par des questions telles que : « Pourquoi devons-nous accommoder les étudiants ayant des incapacités au niveau universitaire ? Est-ce que les ressources mises à leur disposition et les coûts supplémentaires engendrés produisent des résultats ? ». Inopportunément, les études de suivi des diplômés avec incapacités sont rares et fragmentaires de telle sorte que ces questions demeurent largement sans réponse. Cette étude réalisée en 2017 sous l’égide du Centre d’aide aux étudiants de l’Université Laval, propose de remédier à ce manque en explorant le statut d’emploi et les caractéristiques de l’intégration en emploi des diplômés avec incapacités de l’Université Laval.

Introduction

Dans l’économie mondiale actuelle fondée sur le savoir, l’importance de l’éducation supérieure sur le statut d'emploi, les revenus, la progression de carrière et la satisfaction professionnelle des jeunes, tant chez ceux ayant des incapacités que chez les autres, est réaffirmée de façon constante au sein de la recherche scientifique (Allen, Harris, & Butlin, 2003; Frank & Walters, 2012; Getzel & Wehman, 2005; Madaus, 2006; StatCan, 2014; Wagner, Newman, Cameto, Garza, & Levine, 2005; Walters, 2004a, 2004b). Cependant, même s’ils tirent profit de l’éducation supérieure au même titre que les autres, les étudiants avec incapacités sont susceptibles de rencontrer de plus grands obstacles (incluant des contraintes d’accessibilité aux locaux, l’absence des services, l’offre de services inadéquats, la crainte d’être stigmatisé, etc.) lors de leur intégration en emploi (Grigal, Hart, & Migliore, 2011; Nolan & Gleeson, 2016; Wilson‐ Kovacs, Ryan, Haslam, & Rabinovich, 2008; Zarifa, Walters, & Seward, 2015). Les impacts réels de ces obstacles ne font toutefois nullement consensus et, simultanément, d’autres études constatent que les diplômés, avec ou sans incapacité, accèdent à l’emploi dans les mêmes proportions (Fichten et al., 2012; StatCan, 2014). Ces résultats contrastés lèvent le voile sur le caractère fragmentaire de la connaissance de ce segment de la population universitaire. Parallèlement, la proportion démographique croissante qu’elle occupe sur les campus des universités nord-américaines (Adams & Proctor, 2010; Sanford et al., 2011) et spécifiquement de l’Université Laval, accentue l’importance d’acquérir cette connaissance. Les données recueillies par le secteur Accueil et soutien aux étudiants en situation de handicap de l’Université Laval (ACSESH) appuient ce constat et révèle une augmentation de plus de 600 % (296 vs 2100) entre 2009 et 2017 (ACSESH, 2015).

Cette étude a comme objectif d’explorer le statut d’emploi et les caractéristiques de l’intégration en emploi des diplômés de l’Université Laval ayant des incapacités. En plus de considérer plusieurs indicateurs classiques tels que le taux de placement et les modalités d’emploi (intensité, continuité), elle tient compte de certaines recommandations issues de la recherche récente. Une attention particulière est ainsi accordée au caractère distinct entre les différents types d’incapacités, les secteurs d’emploi, les salaires et la satisfaction à l’emploi (Fichten et al., 2012; Uppal, 2005). Le taux de divulgation de l’incapacité et, par conséquent, l’obtention d’accommodement en emploi se démarquent également comme des considérations jugées importantes que cette étude propose d’examiner. Les questions de recherche sont :

  1. Dans quelle proportion les diplômés en situation de handicap accèdent-ils à l’emploi ?;

  2. Quelles sont les caractéristiques de ces emplois ?;

  3. Quels sont les enjeux et les difficultés vécues lors de l’intégration en emploi ?

Méthodes

Les données d’enquête ont été recueillies par un questionnaire en ligne autoadministré visant tous les diplômés de l’Université Laval ayant des incapacités et ayant été soutenus par les services d’aide entre 2007 et 2015. Le choix de cet intervalle est fondé sur l’intérêt de capturer la progression démographique récente de ce segment de la population universitaire tout en tenant compte d’une période de transition vers l’emploi d’un minimum d’un an suivant l’obtention de leur diplôme. Les diplômés ont été invités à participer à l’enquête au moyen d’un courriel personnalisé leur donnant accès au sondage en ligne. Parmi les 430 invitations qui ont été envoyées avec succès (c’est-à-dire pour lesquelles l’adresse courriel du diplômé était toujours valide), les étudiants étrangers qui sont actuellement de retour dans leur pays d’origine (à l’exception des étudiants domiciliés aux États-Unis) ont été exclus de l’analyse afin de préserver une certaine homogénéité des contextes socioéconomiques. Enfin, deux autres répondants dont certaines réponses présentaient des incohérences ont également été exclus, portant le nombre final de répondants à 78 (Tableau 1). Cet échantillon est composé de 47 femmes et de 31 hommes.

Les indicateurs clés décrivent le statut d’emploi des diplômés avec incapacités au moins douze mois suivant leur diplomation. Les variables considérées incluent le type d’incapacité, le secteur disciplinaire, la réalisation d’un stage et l’intention à la fin des études. Afin de tenir compte des préoccupations liées à la taille restreinte de l’échantillon, les types d’incapacité ont été regroupés en deux catégories (déficience et trouble) et les champs d’études ont également été regroupés en deux secteurs disciplinaires (sciences humaines et sciences et génie). Le secteur des sciences humaines inclut les disciplines du droit, des sciences sociales, de musique, des sciences de l’éducation, de la théologie et sciences religieuses, des lettres, de philosophie, d’aménagement, d’architecture, d’arts et de design. Le secteur des sciences et génie inclut les disciplines de la médecine, de la médecine dentaire, du génie, de la foresterie, de la géographie, de la géomatique des sciences de l’agriculture et des sciences de l’alimentation. Alors que certaines incapacités sont bien circonscrites, les incapacités multiples ont un caractère plus diffus puisqu’elles attribuent, à un seul individu, plus d’une déficience et/ou trouble. Selon leur type et leur prédominance chez un individu, ce dernier est classé dans l’une ou l’autre des catégories (déficience ou trouble). Afin de répondre aux questions de recherche, une préparation des données a été réalisée et les variables ont été recodées afin de permettre la réalisation d’analyses quantitatives. Une série d’analyses descriptives a ensuite été réalisée à l’aide du logiciel Microsoft Excel 2016.

Vue d’ensemble des résultats et analyse

Les répondants de la catégorie trouble constituent 73,1 % (57 / 78) de l’échantillon (Tableau 1). Parmi eux, ceux rapportant un trouble déficitaire de l’attention (TDA) sont les plus fréquents et constituent 42,1 % (24 / 57) des répondants de cette catégorie ainsi que 30,8 % (24 / 78) du total des répondants.

- Le cheminement académique

Le secteur disciplinaire des sciences humaines est représenté de façon prépondérante au sein de l’échantillon et regroupe 79,5% (62 / 78) des répondants (Tableau 2). La proportion moyenne des répondants ayant réalisé un stage est de 47,4 % (37 / 78). Le dictionnaire Larousse définit le stage comme une « période d’études pendant laquelle une personne exerce une activité temporaire dans une entreprise, en vue de sa formation ». Dans le présent contexte, il désigne une période de formation généralement facultative de plusieurs semaines durant lequel un étudiant met en application ses connaissances dans un milieu de travail avec encadrement. Parmi les répondants ayant réalisé un stage, une proportion moyenne de 24,3 % (9 / 37) a eu recours à des accommodements en cours de stage. Plus spécifiquement, elle est de 54,5 % (6 / 11) pour la catégorie déficience et de 11,5 % (3 / 26) pour la catégorie trouble. L’horaire adapté et le temps supplémentaire sont les plus fréquents et comptent pour 77,8 % (7 / 9) de tous les accommodements reçus en cours de stage. L’intention des répondants à la fin de leurs études était d’accéder à l’emploi dans une proportion de 87,2 % (68 / 78). De ce nombre, 52,6 % (41 / 78) avait l’intention de se consacrer exclusivement à l’emploi alors que le reste désirait poursuivre des études tout en travaillant. Chez les répondants de la catégorie déficience, l’intention de travailler à la fin des études est du même ordre tant chez ceux ayant réalisé un stage que chez les autres. Chez les répondants de la catégorie trouble, l’intention de travailler à la fin des études est de neuf points de pourcentage inférieur chez ceux qui ont réalisé un stage que chez les autres.

Tableau 1

Description de l’échantillon selon la catégorie et le type d'incapacité par secteur disciplinaire

Description de l’échantillon selon la catégorie et le type d'incapacité par secteur disciplinaire

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Tableau 2

Description de l’échantillon selon la catégorie d’incapacité, la participation à un stage et l’intention à la fin des études par secteur disciplinaire

Description de l’échantillon selon la catégorie d’incapacité, la participation à un stage et l’intention à la fin des études par secteur disciplinaire

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- L’emploi

La proportion des répondants en emploi est de 62,8 % (49 / 78) (Tableau 3a). Ce taux varie selon la catégorie d’incapacité, la réalisation d’un stage, l’intention à la fin des études et le secteur disciplinaire. Le taux d’emploi des répondants de la catégorie déficience est de 61,9 % (13 / 21) alors que celui de la catégorie « trouble » est de 63,2 % (36 / 57). Le taux d’emploi des répondants du secteur des sciences humaines est de 61,3 % (38 / 62) alors que celui des sciences et génie est de 68,8 % (11 / 16). Chez les répondants indiquant avoir réalisé un stage, le taux d’emploi est de 72,9 % (27 / 37) en comparaison à 53,7 % (22 / 41) pour ceux qui n’ont pas réalisé de stage. Le taux d’emploi des stagiaires est équivalent pour les deux catégories d’incapacité. Parmi les 29 répondants sans emploi, sept avaient l’intention d’occuper un emploi en fin d’étude et trois d’entre eux avaient réalisé un stage.

Tableau 3a

Taux d'emploi des répondants selon la catégorie d’incapacité, la participation à un stage et l’intention à la fin des études par secteur disciplinaire

Taux d'emploi des répondants selon la catégorie d’incapacité, la participation à un stage et l’intention à la fin des études par secteur disciplinaire

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Tableau 3b

Taux d'emploi des répondants bacheliers selon la catégorie d’incapacité, la participation à un stage et l’intention à la fin des études par secteur disciplinaire

Taux d'emploi des répondants bacheliers selon la catégorie d’incapacité, la participation à un stage et l’intention à la fin des études par secteur disciplinaire

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Au sein de la tranche des répondants ayant obtenu un baccalauréat[2] au terme du cheminement, le taux d’emploi est de 65,4 % (34 / 52) et une différence de 10 points de pourcentage sépare le secteur des sciences humaines (63,4 % ou 26 / 41) de celui des sciences et génie (72,7 % ou 8 / 11) (Tableau 3b). Parmi les répondants en emploi, 6,1 % (3 / 49) sont des travailleurs autonomes. Parmi les 18 répondants sans emploi, cinq avaient l’intention d’occuper un emploi en fin d’étude et trois d’entre eux avaient réalisés un stage.

Chez les répondants en emploi de la catégorie déficience, 84,6 % (11 / 13) déclarent faire exactement ou en partie la profession pour laquelle ils ont reçu une formation (Tableau 4a). Chez ces derniers, 76,9 % (10/13) rapportent occuper un emploi permanent. L’intensité de l’emploi montre que 53,8 % (7 / 13) des répondants sont employés à temps plein (30 heures ou plus par semaine). Les motifs exprimés par les répondants pour expliquer le fait d’occuper un emploi à temps partiel sont l’incapacité dans une proportion de 66,7 % (4 / 6), l’offre insuffisante d’emploi pertinent à temps plein dans une proportion de 16,7 % (1 / 6) et par choix personnel pour les 16,7 % (1 / 6) restant. Parmi ceux ayant invoqué l’incapacité pour expliquer le fait d’occuper un emploi à temps partiel, aucun n’a déclaré avoir accès à des accommodements dans l’emploi. Cette proportion est de 12,5 % (4 / 32) supérieure chez ceux ayant déclaré occuper un emploi à temps plein.

Chez les répondants en emploi de la catégorie « trouble », 72,2 % (26 / 36) déclarent faire exactement ou en partie la profession pour laquelle ils ont reçu une formation (Tableau 4b). La proportion est plus forte chez les répondants du secteur des sciences et génie (88,9 %) en comparaison à ceux des sciences humaines (66,7 %). Dans l’ensemble, 69,4% (25 / 36) des répondants en emploi de la catégorie « trouble » rapportent occuper un emploi permanent.

Tableau 4a

Distribution des répondants en emploi de la catégorie déficience selon le lien avec la formation, la continuité et l'intensité de l’emploi par secteur disciplinaire

Distribution des répondants en emploi de la catégorie déficience selon le lien avec la formation, la continuité et l'intensité de l’emploi par secteur disciplinaire

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Tableau 4b

Distribution des répondants en emploi de la catégorie trouble selon le lien avec la formation, la continuité et l'intensité de l’emploi par secteur disciplinaire

Distribution des répondants en emploi de la catégorie trouble selon le lien avec la formation, la continuité et l'intensité de l’emploi par secteur disciplinaire

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L’intensité de l’emploi montre que 69,4 % (25 / 36) d’entre eux sont employés à temps plein (30 heures ou plus par semaine). Les motifs exprimés par les répondants pour expliquer le fait d’occuper un emploi à temps partiel sont l’incapacité dans une proportion de 36,4 % (4 / 11), l’offre insuffisante d’emploi pertinent à temps plein dans une proportion de 36,4 % (4 / 11) et par choix personnel pour les 27,3 % (3 / 11) restant.

En excluant les trois répondants en emploi qui sont des travailleurs autonomes, 39,1 % (18 / 46) ont divulgué leur incapacité à leur employeur. Chez les répondants de la catégorie « déficience », cette proportion est de 75,0 % (9 / 12) alors qu’elle est de 26,5 % (9 / 34) chez les répondants de la catégorie « trouble ». Dans l’ensemble, 8,7 % (4 / 46) d’entre eux rapportent bénéficier d’accommodements sur le lieu d’emploi. Parmi les répondants en emploi, 75,5 % (37 / 49) rapportent ne pas avoir vécu de difficultés lors de leur intégration en emploi.

- La recherche d’emploi

Parmi les répondants sans emploi qui rapportent ne pas poursuivre d’études, 57,1 % (8 / 14) disent se consacrer à la recherche d’emploi. Parmi tous les répondants qui rapportent ne pas poursuivre d’études, 26,9 % (14 / 52) rapportent avoir eu (ou avoir actuellement) de la difficulté dans leur recherche d’emploi (Tableau 5). Cette proportion est de 30,6 % (11 / 36) chez ceux de la catégorie « trouble » par rapport à 18,8 % (3 / 16) chez ceux de la catégorie « déficience ». Le manque d’expérience de travail est la principale difficulté à laquelle ils rapportent être confrontés. Les données recueillies indiquent que 9,6 % (5 / 52) des répondants en emploi ont eu recours à un service d’aide lors de leur recherche d’emploi. Ces derniers proviennent exclusivement de la catégorie « trouble ». Chez les répondants ayant obtenu de l’aide, 60 % (3 / 5) rapportent avoir été soutenus par le Service de placement de l’Université Laval lors de leur recherche d’emploi et ces derniers occupent tous actuellement un emploi.

Tableau 5

Distribution des répondants qui ne poursuivent pas d’études selon la difficulté rencontrée lors de la recherche d'emploi et le soutien obtenu par secteur disciplinaire

Distribution des répondants qui ne poursuivent pas d’études selon la difficulté rencontrée lors de la recherche d'emploi et le soutien obtenu par secteur disciplinaire

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Discussion

Cette enquête, réalisée par le biais d’un sondage en ligne auto-administré, a permis de rejoindre 430 étudiants de l’Université Laval ayant des incapacités et ayant obtenu leur diplôme entre 2007 et 2015. Parmi ces derniers, 78 diplômés ont répondu au sondage. Cet échantillon constitue approximativement 10 % de tous les étudiants ayant des incapacités inscrits au cours de la période visée. Les types d’incapacité rapportés par les répondants témoignent de la proportion croissante des troubles (73,1 %). Parmi les diplômés analysés, une proportion de 66,7 % a obtenu un baccalauréat au terme du cheminement universitaire. Les 33,3 % restant ont obtenu, pour leur part, soit un diplôme ou certificat de 1e cycle (ne menant pas à l’acquisition d’un grade), un diplôme de 2e cycle ou un diplôme de 3e cycle. L’analyse effectuée tient compte de l’ensemble des diplômés, quel que soit le diplôme obtenu.

Le taux d’emploi global des répondants de cette enquête est de 62,8 % et similaire à celui de la moyenne obtenue auprès de 1725 diplômés, sondés lors de l’enquête de relance 2014-2015 des Services de placement de l’Université Laval (SPLA, 2016). Ces résultats suggèrent que les obstacles accompagnant généralement des incapacités ont été presque entièrement compensés par l’échantillon étudié. Chez les répondants titulaires d’un baccalauréat, le taux d’emploi est de 65,4 % et également similaire à celui de l’ensemble de la population universitaire québécoise ayant obtenu un baccalauréat (MEES, 2016). Au sein de la tranche des répondants ayant obtenu un diplôme de 2e cycle, il est de 85,7 %, soit six points de pourcentage supérieur à celui de la population étudiante universitaire québécoise ayant obtenu une un diplôme de 2e cycle (MEES, 2016). Ces taux élevés d’emploi appuient le constat d’une influence positive des études universitaires sur le placement des diplômés avec incapacités (Allen et al., 2003; Frank & Walters, 2012; Getzel & Wehman, 2005; Madaus, 2006; StatCan, 2014; Wagner et al., 2005; Walters, 2004a, 2004b; Zafft, Hart, & Zimbrich, 2004).

Les répondants de la catégorie « trouble » ont un taux d’emploi légèrement supérieur à celui de la catégorie « déficience » (63,2 % vs 61,9 %). Ce constat diverge de celui observé par Migliore et al. (2009) qui observent que le taux d’emploi de la catégorie « déficience » était supérieur à celui de la catégorie « trouble » (Migliore, Butterworth, & Hart, 2009). Le taux d’emploi des répondants varie également en fonction du secteur disciplinaire. La différence de huit points qui sépare le taux d’emploi des répondants du secteur des sciences humaines (61,3 %) de celui des sciences et génie (68,8 %), diverge de la proportion constatée pour l’ensemble de la population universitaire québécoise titulaire d’un baccalauréat ou d’une maîtrise, qui donne un avantage de 6,7 points de pourcentage au secteur des sciences humaines (71,9 % vs 65,2 %) (MEES, 2016).

Une proportion de 75,5 % des répondants en emploi rapporte occuper un emploi dont le lien avec la formation reçue est fort. Ce constat témoigne d’un choix judicieux du champ d’études en regard aux possibilités d’emploi ainsi qu’à la capacité d’occuper un emploi malgré une incapacité. La proportion élevée d’emploi à temps plein (65,3 %) suggère que leur incapacité ne les contraint pas à un travail occasionnel et à des emplois précaires. Malgré cela, cette proportion d’emploi à temps plein demeure inférieure d’approximativement 20 % à celle de la population universitaire québécoise (MEES, 2016). Ce résultat concorde à celui observé par Zarifa et al. (2015) qui constate que les diplômés universitaires (tous cycles) ont moins de chances d’être employés à temps plein s’ils ont une incapacité (Zarifa et al., 2015). Les motifs exprimés par les répondants de cette enquête pour expliquer le fait d’occuper un emploi à temps partiel varient selon la catégorie d’incapacité. Chez les étudiants de la catégorie « déficience », l’incapacité est mentionnée dans une proportion de 66,7 % par rapport à 36,4 % chez les étudiants de la catégorie « trouble ». Cette observation suggère qu’une proportion importante des motifs découle de facteurs circonstanciels (par exemple : offre d’emploi insuffisante) ou de choix personnels délibérés (sans lien avec l’incapacité), et ce, particulièrement chez les étudiants de la catégorie « trouble ».

Au niveau salarial, les données recueillies remettent en question l’intuition selon laquelle les diplômés universitaires ayant une incapacité seraient plus pauvres que leurs pairs sans incapacité. La comparaison du salaire brut annuel moyen des répondants aux données populationnelles de Statistique Canada, permet de constater que plus de 50 % d’entre eux rapportent des revenus supérieurs au salaire brut annuel moyen québécois qui est estimé à 45,000$ (StatCan, 2016). En examinant les salaires annuels bruts moyens des répondants titulaires de baccalauréat et travaillant à temps plein, nous constatons que plus de 50 % d’entre eux rapportent des revenus supérieurs à leurs pairs de l’ensemble du Québec (MEES, 2016). Ces résultats concordent aux observations de Zarifa et al. (2015) qui révèlent que la différence de revenu entre les diplômés universitaires réguliers et ceux avec incapacités n’est pas significative (Zarifa et al., 2015).

Une forte majorité de répondants (75,5 %) rapporte ne pas avoir vécu de difficulté lors de leur intégration en emploi. Cette proportion est équivalente, quel que soit la catégorie d’incapacité. Les résultats obtenus montrent que moins de 10 % des répondants ont eu recours aux services d’aide au placement, une proportion faible par rapport à celle de la population étudiante générale de l’Université Laval qui était estimée à 18 % en 2015-2016 (SPLA, 2016). L’absence de mention d’utilisation d’autres types d’aide au placement suggère une aide à la recherche d’emploi globalement peu sollicitée par les étudiants avec incapacité En plus de rapporter une proportion moins grande de difficulté lors de leur intégration en emploi, les répondants de cette enquête qui ont réalisé un stage rapportent un taux d’emploi de 19,2 points de pourcentage supérieur à leurs pairs.

Globalement, la divulgation de l’incapacité n’est pas la norme lors de l’intégration en emploi des répondants. Alors que tous avaient divulgué leur incapacité en cours de cheminement universitaire, moins de la moitié (39,1 %) l’ont divulgué une fois en emploi. Il existe toutefois des différences importantes du taux de divulgation selon la catégorie d’incapacité. Chez les répondants de la catégorie « déficience », cette proportion est de 75,0 % alors qu’elle se limite à 26,5 % chez ceux de la catégorie « trouble ». Ce faible taux de divulgation, spécifiquement auprès des étudiants universitaires ayant un trouble d’apprentissage, a également été observé par Madaus (2008). Parmi l’ensemble des répondants de la catégorie « trouble », approximativement deux tiers n’ont divulgué leur incapacité qu’une fois l’emploi obtenu. Cette observation suggère que lorsqu’ils ont une incapacité « invisible », les candidats préfèrent établir une relation de confiance avec leur employeur avant de la divulguer. Ce résultat appuie les conclusions de Nolan & Gleeson (2016) selon lesquelles la divulgation est une préoccupation de premier ordre pour les diplômés, particulièrement ceux dont les incapacités sont invisibles. Elles suggèrent leur crainte d’être stigmatisés et discriminés sur cette base, créant ainsi des barrières additionnelles à leur participation à part entière au monde du travail (Nolan & Gleeson, 2016).

Une proportion de 8,7 % des répondants en emploi rapportent bénéficier d’accommodements. Chez ces derniers, la proportion d’accommodements reçus pour la catégorie « déficience » est de huit fois supérieure à la catégorie « trouble ». Madaus a également observé que seulement 12 % des 500 diplômés universitaires sondés dans le cadre de ses recherches ont formulé une requête d’accommodement (Madaus, 2008). Ce constat suggère que le besoin d’accommodement pour les étudiants en situation de handicap lors du cheminement universitaire s’expliquerait davantage par les contraintes qui s’appliquent aux modalités d’enseignement et d’évaluation. L’absence de ces contraintes une fois en emploi permettrait à ces mêmes étudiants de performer en emploi sans accommodement ou presque. Dans ce contexte, il apparaît essentiel de demeurer sensible à la distinction entre une mesure d’accommodement souhaitable au plan académique et une mesure d’accommodement souhaitable au plan de l’emploi.

Limites et implications pour la recherche future

La principale difficulté rencontrée lors de la réalisation de cette recherche est celle de retracer et de contacter les diplômés qui ne sont plus inscrits à l’Université Laval. Cette difficulté découle de l’absence de suivi systématique une fois qu’ils ont quitté l’université, tant pour les diplômés avec incapacités que pour les autres. De plus, étant donné le caractère facultatif de la divulgation d’une incapacité, il est vraisemblable qu’une proportion de diplômés avec incapacités ayant fréquenté l’Université Laval sans toutefois obtenir le soutien des services d’aide, ait échappée à la population cible de la présente étude. Il en résulte la capture d’un échantillon de taille réduite, rappelant l’importance d’une interprétation prudente des résultats de cette recherche.

Au moment d’interpréter les résultats de cette recherche, certaines questions ont également émergées. Parmi elles, la satisfaction des diplômés avec incapacités en regard de l’emploi, leur progression et l’identification des types d’accommodements obtenus pourraient contribuer à déconstruire le paradigme déjà fragilisé selon lequel les diplômés avec incapacités accèderaient à des emplois moins intéressants et seraient moins aptes à progresser que les autres. Pour cela, le développement d’un volet qualitatif complémentaire qui approfondirait le contexte d’emploi des diplômés auprès d’un échantillon ciblé et dans une perspective de plus longue durée pourrait s’avérer pertinent.