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Cet article propose une analyse de la notion « d’autonomie » à partir de l’exemple des gestes réalisés le jour du vote par les personnes vivant avec des incapacités physiques, et plus particulièrement du moment de la signature. L’objectif sera de montrer que le handicap, par ce geste en apparence anodin, est révélateur d’une normativité créatrice d’innovation concernant la participation à la vie sociale et civique qui peut venir troubler la relation entre l’institution électorale et les personnes qui votent. Ce trouble permettra de faire apparaître les formes multiples que peut revêtir l’autonomie qui sont au moins au nombre de sept.

L’autonomie est traditionnellement perçue dans la philosophie occidentale comme la capacité à se gouverner soi-même dans ses manières de faire, d’être et dans son rapport au monde (Schneewind, 2001 [1998]). Elle est souvent envisagée comme un processus de séparation vis-à-vis de l’autre, d’une valorisation morale de l’individu et de ses compétences perçues comme intrinsèques. Or « la personne est qualifiée ou se sent autonome lorsque ses multiples délégations, associations, relations s’effacent, passent à l’arrière-plan, la soutiennent en étant devenues ou rendues invisibles, imperceptibles, négligeables et négligées, et que l’action ou la décision sont alors attribuées à la personne, autrement dit, lorsque s’opère un processus de séparation entre la personne et ce dont elle dépend » (Winance, 2007 : 91).

Les théories du care ont montré qu’une autre voie était possible (Gilligan, 2008 [1982]). Elles permettent d’interpréter l’autono-mie comme étant le produit d’un lien d’inter-dépendance (Molinier, Laugier, & Paperman, 2009). Certains voient dans cette approche le besoin de qualifier autrement l’autonomie et oppose une autonomie « relationnelle » à une autonomie « individuelle » (Ricard, 2013). D’autres considèrent que le concept d’autono-mie contient cette dimension relationnelle (Christman, 2009). D’autres encore peuvent considérer que le lien d’interdépendance est incompatible avec le concept même d’autono-mie (Pols, 2014 [2006]). Sur cette dernière perspective, Jeannette Pols envisage trois formes d’autonomie. Premièrement, l’aide à l’autonomie peut être entendue comme le respect de la vie privée de la personne, ses choix et ses intérêts individuels même si cela va à l’encontre des normes sociales. Deuxièmement, il peut également s’agir d’un savoir-faire de « base » à acquérir, à réapprendre ou à maintenir pour pouvoir agir en société sans l’aide d’un tiers. Ce type d’approche implique d’essayer autant que faire se peut que la personne fasse par elle-même : « Le soignant donne des indications verbales et agit en tant que prothèse, effectuant ce que le patient ne peut faire pour lui permettre de faire ce qu’il peut faire » (Pols, 2014 [2006] : 30). Troisièmement, l’activité sur laquelle porte l’acte d’aide peut être également envisagée comme un prérequis pour construire son projet de vie, développer ses propres potentialités et accomplir d’autres choses : sortir, aller travailler, rétablir des liens avec l’entourage... La technicité de l’acte d’aide ne porte alors pas tant sur l’activité en question (la toilette dans l’article de Jeannette Pols) que sur la capacité du professionnel à aider la personne à définir des objectifs permettant à la personne de s’intégrer dans la vie de la cité. Ces formes d’autonomie ont une conséquence sur la manière de construire la citoyenneté des personnes, en particulier les deux premiers modèles : « [les professionnels] sont là pour promouvoir la citoyenneté de la [personne] sans pour autant agir eux-mêmes comme des citoyens autonomes. Au lieu d’argumenter en faveur de leur intérêt particulier ou de s’occuper avant tout d’eux-mêmes, ce sont des professionnels qui aident d’autres personnes à devenir citoyens. Ils mettent ainsi leur propre citoyenneté entre parenthèses pour soutenir les [personnes], ce qui ne coïncide pas avec la définition de la citoyenneté, mais bien avec celle de leur professionnalisme (à moins de voir le soin en tant qu’autoréalisation) » (Pols, 2014 [2006] : 76).

En définitive, l’article de Jeannette Pols porte principalement sur les professionnels qui promeuvent ou émettent une certaine représentation de l’autonomie et il en analyse ses effets sur la citoyenneté. Si l’on se réfère au cadre d’analyse de Joan Tronto (Tronto, 2009 [1993]), il concerne donc les personnes qui fournissent une prestation d’aide (care giving). Ces prestations se font au regard : d’un cadre d’accompagnement impliquant une certaine responsabilité face aux besoins identifiés (taking care of) ; de la manière dont les pourvoyeurs d’aide et la société reconnaissent la nécessité de cet accompagnement (caring about). Une autre approche aurait pu être de s’intéresser aux attitudes et réactions des personnes qui réceptionnent l’aide. Dans ce sens, s’intéresser à la réception revient à centrer l’analyse sur les personnes qui font l’objet de prestations d’aide en pratique, d’une part (care receiving). D’autre part, en choisissant une approche sous l’angle de la réception, il est également possible de prendre en compte les effets et usages de ce concept d’autonomie, promu par la Convention des droits des personnes handicapées (CDPH), (ONU, 2006), par les personnes vivant avec un handicap (Révillard, 2020).

En changeant l’angle d’observation, ce débat autour de l’autonomie pourrait sans doute être envisagé sous des formes plus hybrides. Dit autrement, chacune de ces conceptions philosophiques pourrait plus ou moins coexister dans une même institution. Qu’elle soit relationnelle ou individuelle, c’est aussi, mais pas seulement, le travail avec la norme en situation qui viendrait construire une certaine représentation de l’autonomie par les personnes qui reçoivent l’aide ou n’en reçoivent pas. Dit autrement, l’enjeu de l’analyse qui va suivre est moins de privilégier une approche. Elle a pour ambition de montrer comment ces approches peuvent être empiriquement et socialement incluses, voire combinées, en fonction des attentes des personnes, de leurs ressources, de leurs contraintes et de leurs incertitudes. La manière de les recevoir serait liée à la façon dont les personnes vivant avec des incapacités rendent viable leur relation aux institutions au regard de certaines manières de faire (autonomie motrice) ou d’être (autonomie décisionnelle) que ces institutions perçoivent comme différentes et déformées par rapport aux modèles que ces institutions véhiculent et construisent.

La première partie de cet article présentera la méthodologie de la recherche. Afin de pouvoir rendre compte de la valeur sociale et symbolique de l’acte de signature le jour des élections, la seconde partie s’intéressera à d’autres gestes qui permettent la réalisation de cet acte. Ce détour permettra de décrire les conditions sociales de cette autonomie au regard des deux registres qui la composent : l’un renvoie au fait de pouvoir faire ses propres choix, l’autre concerne le fait de pouvoir mettre en acte indépendamment d’autrui. Au regard de cette analyse, la troisième partie montrera, à travers l’exemple de la signature, que ces deux registres peuvent s’imbriquer et se mélanger, illustrant des conceptions différentes du rapport à l’autre. Enfin, la conclusion présentera quatre modalités relationnelles qui peuvent contribuer à des formes d’autonomie au côté des trois modèles décrits par Jeannette Pols.

Méthodologie de la recherche participative

L’analyse qui va suivre repose sur une recherche participative que j’ai réalisée avec Franck Guichet et Cécilia Lorant. Elle a été publiée en 2018 dans le cadre de l’étude Handéo. À partir de l’exemple des élections présidentielles et législatives 2017, elle avait pour objectif de mieux comprendre comment favoriser les pratiques de vote des personnes vivant avec des incapacités grâce aux aides humaines.

Cette recherche a permis d’identifier plusieurs actions pour accompagner les personnes tout au long du processus électoral, quelle que soit la déficience de la personne (Desjeux, Guichet, & Lorant, 2018). Ces actions peuvent porter sur : la sensibilisation au droit de vote et à ses enjeux ; l’explication des programmes et des professions de foi ; la vérification des inscriptions sur les listes électorales ; l’accompagnement au bureau de vote ; l’aide aux gestes relatifs au vote comme présenter la pièce d’identité et la carte électorale, prendre les bulletins, prendre l’enveloppe, aller dans l’isoloir, mettre le bulletin dans l’enveloppe, mettre l’enveloppe dans l’urne, aider au fonctionnement de la machine à voter, signer ou aider à la signature, etc. L’aide peut également porter sur l’explication des résultats des élections.

Toutes ces actions recouvrent des sens multiples : « observer les pratiques électorales par le prisme des opérations de mise en accessibilité du droit de suffrage conduit à appréhender le vote à partir de ses différentes dimensions : alternativement envisagé comme un droit à défendre, un devoir à remplir, un exercice technique à accomplir ou un choix politique à exprimer, il apparaît tour à tour sous une facette statuaire, rituelle, procédurale et conflictuelle » (Bouquet, 2018 : 59).

Pour examiner ces différentes significations, l’étude a bénéficié de l’appui d’un Comité de Pilotage qui s’est réuni à trois reprises en 2017. Il comprenait notamment des représentants des pouvoirs publics, des professionnels de l’aide à domicile et des personnes vivant avec des incapacités, dont certaines liées à une déficience motrice ou visuelle. L’implication de ces acteurs est plus particulièrement importante pour deux raisons.

Premièrement, ils ont permis d’accéder au terrain, de choisir les situations et de donner à voir plusieurs « mises en scène » de l’autonomie. L’idée de mise en scène de l’autonomie est à prendre dans le sens d’Erving Goffman, c’est-à-dire comme une métaphore théâtralisée des relations sociales au regard d’attendus, de normes et de structures sociales (1973a, 1973b [1956]). Ce cadre de l’expérience met en actes, en pensées et en mots une certaine manière de se représenter l’autonomie.

Cette manière de mettre en scène les signes de l’autonomie ne serait pas moins ou plus authentique qu’une autre personne. La métaphore de la théâtralisation ne vient pas dénoncer un monde qui serait fictif par rapport à un autre qui serait réel. Elle vient mettre en lumière le caractère construit de nos relations sociales qui s’inscrivent dans une diversité de petits mondes et univers sociaux, et qui en même temps les animent. Dit autrement, il existerait d’autres manières de mettre en oeuvre l’autonomie, et donc de la jouer, ainsi que d’autres manières partagées d’élaborer les signes, les codes et les règles de l’autonomie et de la participation à la vie sociale et civique.

Le comité de pilotage a ainsi permis d’analyser vingt et une situations. Du fait de sa composition et de l’objectif de l’étude, il y a une surreprésentation de personnes vivant avec des incapacités physiques et accompagnées par un tiers. L’analyse qui va suivre s’intéressera plus particulièrement à huit de ces situations qui concernent une personne avec une déficience motrice ou visuelle. Sept d’entre elles bénéficient de la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) « aide humaine ». Parmi ces situations, trois personnes sont accompagnées par un intervenant professionnel pour aller voter, quatre autres sont accompagnées par un proche aidant familial, une personne se rend au bureau de vote à la fois avec un proche aidant et un intervenant professionnel. Deux des personnes bénéficient d’une mesure de tutelle avec un maintien de leur droit de vote.

Deuxièmement, les membres du comité de pilotage ont permis de problématiser l’importance de la promotion de l’autonomie dans l’accompagnement au vote au regard des remontées de terrain. Premièrement, le comité de pilotage a insisté sur la difficulté à connaître la législation pour savoir qui pouvait aider ou non à voter. Deuxièmement, il a souligné l’importance que l’aide au vote ne se traduise pas systématiquement par une aide humaine, mais sur des aménagements qui permettent à la personne de voter « en autonomie », c’est-à-dire seule pour réaliser par soi-même son projet civique. Troisièmement, le comité de pilotage a insisté sur l’importance de « faire avec » et non « à la place de » en valorisant le fait d’être acteur de son accompagnement. Quatrièmement, il a accentué le fait qu’il s’agissait d’un droit, non d’une obligation, et qu’il fallait donc pouvoir respecter son libre choix de voter ou de ne pas voter.

Ces conceptions de l’autonomie font écho aux trois modèles décrits par Jeannette Pols. L’aller-retour entre le comité de pilotage, les entretiens et les observations réalisés ont servi à analyser de manière inductive la réception de ces idéaux par les personnes vivant avec des incapacités. Le comité de pilotage a ainsi contribué à donner une certaine ligne d’analyse pour articuler les effets et l’appropriation de ces conceptions de l’autonomie dans la pratique électorale. Il y a donc un double mouvement d’analyse : en permettant d’ancrer le questionnement dans le terrain et d’en dégager un questionnement interprétatif, le comité de pilotage a également amené à éprouver des formes d’hypothèse qu’il avait pu formuler donnant une part de contingence déductive à l’approche (Balsev, & Saada-Robert, 2006). Il a contribué à doter l’équipe de chercheurs d’un capital de réflexions le contraignant à discuter ses résultats ; il lui a également permis d’obtenir d’autres résultats en proposant un cadre suffisamment souple, qui tolère une part de « bricolage », de contingence et d’incertitudes (Schwartz, 1993). Ce travail de collaboration n’est pas directement visible dans l’analyse qui va suivre, mais il est détaillé de cette manière afin d’expliciter l’arrière-plan qui l’a soutenue.

Des formes d’autonomies dépendantes des contraintes, des ressources et des incertitudes des personnes

Les différentes personnes rencontrées ont toutes exprimé le souhait de voter. Cependant, ces attentes se matérialisent différemment selon leurs contraintes, leurs ressources et leurs incertitudes.

En termes de contraintes, les entretiens et les observations ont révélé plusieurs difficultés auxquelles étaient confrontées les personnes vivant avec des incapacités qui se sont rendues au bureau de vote lors des élections présidentielles et législatives de 2017 en France. Par exemple, l’urne peut être trop haute, le tiers peut ne pas être autorisé à accompagner la personne dans l’isoloir, l’absence de communication verbale d’une personne peut être assimilée à une déficience intellectuelle qui peut elle-même être assimilée à une impossibilité de voter ; il peut ne pas y avoir d’isoloir adapté pour les personnes vivant avec un handicap moteur ou il peut exister un isoloir adapté, mais il ne serait pas indiqué par un repère qui le différencierait des autres isoloirs.

En termes de ressources, certains électeurs ont décidé de se rendre au bureau de vote en étant accompagnés par une tierce personne. Cet accompagnant peut-être un membre de l’entourage (la fille, la mère, le père…), un intervenant professionnel (un auxiliaire de vie, un éducateur...), une connaissance (un ami, un voisin) ou un bénévole d’une association. La personne peut également solliciter l’aide d’un membre du bureau de vote. Ce recours à un tiers révèle un rapport différent concernant les domaines que couvre l’autonomie :

« L’auxiliaire de vie joue son rôle : elle tend ma carte d’électeur et ma carte d’identité aux organisateurs et si j’ai besoin d’aide je lui demande. Elle est là pour ça. Ensuite, je vais dans l’isoloir avec ma fille, sans l’auxiliaire de vie. Ma fille vote pour moi, puis elle met l’enveloppe dans l’urne ».

Personne vivant avec handicap moteur. Extrait de carnet de terrain, 7 mai 2017

À partir de cet exemple, on comprend que l’acte de vote superpose au moins deux registres de l’autonomie : le fait de compenser une limite strictement physique (impossibilité de donner sa carte) et le fait d’accompagner une décision. Ce second registre peut impliquer de compenser une limite physique (mettre l’enveloppe dans l’urne), mais il inclut également un partage du choix politique avec une tierce personne. Dans cet exemple et dans le cadre des élections, l’autonomie motrice relève du registre professionnel et l’autonomie décisionnelle relève de la sphère privée. Toutefois, ces deux registres ont tendance à se confondre comme le montre l’exemple ci-dessous :

« C’est moi qui présente la carte d’identité et la carte d’électeur de ma maman. Ensuite, je prends les bulletins et l’enveloppe et une fois dans l’isoloir, je lui ouvre bien l’enveloppe pour que ma mère puisse y mette facilement le bulletin. C’est elle qui le plie et qui le met dans l’enveloppe. Elle pourrait voter toute seule, mais si jamais le bulletin tombe par terre ou que l’enveloppe se froisse, elle se retrouverait en difficulté. De plus, l’urne est très haute pour permettre à ma mère d’y glisser l’enveloppe. L’organisateur du scrutin m’a dit qu’il ne pouvait absolument pas prendre l’enveloppe pour la mettre dans l’urne car il n’en a pas le droit. C’est donc moi qui ai pris l’enveloppe de ma mère pour la mettre dans l’urne, sans aucune contestation de la part de l’assesseur. Je pense au contraire que ça l’arrangeait que je puisse le faire ».

Proche aidante. Extrait de carnet de terrain, 23 avril 2017

L’absence de proche aidant ou, à l’inverse, d’accompagnant professionnel favorise ce mélange de registres de l’autonomie. Cette absence vient finalement brouiller un peu plus cette frontière entre ce qui relève du professionnel, du familial et du personnel d’une part, et ce qui est du ressort de la responsabilité individuelle et de la responsabilité collective finançable par une aide sociale d’autre part. Cet exemple montre également une difficulté à connaître le droit malgré la présence numérique ou imprimée du Code Electoral dans le bureau de vote ou la transmission de circulaires : dans cet exemple, l’urne transparente est trop haute pour que la personne puisse mettre le bulletin elle-même ce qui ne devrait pas être le cas si elle était mise à une hauteur « accessible aux personnes en fauteuil roulant »[2]. Cet exemple montre également des tensions entre des articles législatifs : l’organisateur du bureau de vote (le président) ne se considère pas autorisé à mettre le bulletin dans l’urne conformément à l’article L. 62 du Code Electoral ; parallèlement, l’article L. 64 du Code Electoral prévoit que la personne vivant avec une « infirmité certaine » puisse être aidée dans ce geste par un autre « électeur de son choix ». Pour contourner cette tension juridique, une autre alternative aurait également été de proposer ou de demander à un autre membre du bureau de vote de réaliser le geste. Dans tous les cas, ce manque de connaissances ou ces tensions juridiques participent également au brouillage des différents registres de l’autonomie. Plus subtilement, l’intromission du handicap dans l’institution électorale participe d’un certain trouble dans le déroulement de la procédure et la réalisation des gestes. L’interaction et l’interrelation de ces deux mondes sociaux produisent des incertitudes qui font naître un ensemble de micro-contraintes. Mises bout à bout, ces incertitudes et ces contraintes peuvent augmenter la charge mentale et être source de renoncement pour la personne vivant avec des incapacités :

« Je n’ai pas osé voter pendant longtemps. Je ne savais même pas que je pouvais venir avec mon aide à domicile dans l’isoloir. […] C’est compliqué car avec mon handicap, j’ai l’impression que je dois justifier de ma capacité à voter. Et je ne sais pas toujours ce que je peux faire ou non ».

Personne vivant avec un handicap moteur. Extrait de carnet de terrain, 19 octobre 2018

« Ça m’est arrivé de ne pas aller voter car aucun geste n’est simple le jour du vote : dès fois on me demande de montrer ma carte d’invalidité, j’ai déjà dû négocier pour que mon aide à domicile m’accompagne dans l’isoloir, ça m’est arrivé qu’on refuse de m’abaisser l’urne, etc. Au final, j’ai toujours pu voter si je le voulais, mais pas toujours simplement ».

Personne vivant avec un handicap moteur. Extrait de carnet de terrain, 19 octobre 2018

Ce manque de connaissance ou ces tensions juridiques peuvent également participer à une certaine approximation avec la règle juridique qui pourrait amener à invalider un vote ou une élection en cas de contestation de la procédure électorale (Lopez, 2013) :

« Un des assesseurs est venu me voir, et il m’a dit que si j’avais besoin d’aide, c’est lui qui m’aiderait pour voter. Il m’a ensuite demandé pour qui je voulais voter pour qu’il puisse mettre le bulletin dans l’enveloppe. Et le pire dans tout ça, c’est qu’il ne me comprenait pas à cause de mes difficultés d’élocution ! J’ai donc dû dire mon choix à mon auxiliaire de vie qui l’a dit à l’assesseur. C’était n’importe quoi. Il a mis le bulletin dans l’enveloppe devant moi, mais pas dans les conditions de l’isoloir : on était à l’écart des gens, personne ne nous entendait ni ne nous voyait, mais nous n’étions pas dans un isoloir. Ensuite, l’assesseur a mis l’enveloppe dans l’urne, puis il a signé pour moi ! »

Personne vivant avec un handicap moteur et des difficultés d’élocution. Extrait de carnet de terrain, 21 mai 2017

« J’étais assesseur dans un petit village (c’était avant la loi de 2005). C’était une mère connue dans le village, plutôt de milieu modeste. Elle est venue avec sa fille avec un handicap mental important. Elle a pris un bulletin pour elle et pour sa fille, a mis chacun des bulletins dans des enveloppes dissociées et a voté pour elle et sa fille. Je n’étais pas très à l’aise, mais nous n’avons rien dit, on a laissé faire. Je pense que sa fille n’aurait pas dû pouvoir voter ».

Assesseur, Extrait de carnet de terrain, 26 décembre 2018

On voit dans cette première partie que l’autonomie est conditionnée à un ensemble de contraintes et de ressources, mais aussi d’incertitudes, notamment concernant la connaissance du code électoral et des normes juridiques. Cet ensemble amène à penser différemment la relation à l’autre et à l’institution, pouvant aller jusqu’à mettre en péril le processus électoral. Par exemple, on peut voir que l’une des formes que peut prendre l’autonomie en appelle à une « responsabilité partagée » autour d’accords plus ou moins tacites et consentis avec autrui.

La signature de la liste d’émargement révélateur d’un jeu avec les normes sociales

Derrière cette question du recours à un tiers, se cache également une conception différente de l’autonomie concernant le rapport à l’autre, dans la manière d’établir une relation avec autrui, mais également en opposition à autrui, pour autrui ou sans autrui. Pour approfondir l’analyse de ces relations, il est proposé de s’intéresser plus particulièrement à la signature de la liste d’émargement.

Pour certaines des personnes interrogées, être autonome veut dire pouvoir faire seule les choses. Lorsque la personne ne fait pas appel à un tiers, cela peut se traduire par une recherche de mise en conformité du handicap à un environnement qui reste décalé par rapport à la situation :

« Je signe moi-même le registre mais ça ne ressemble à rien : ma signature ne correspond pas à celle qui est sur ma carte d’électeur. Ceci dit, les organisateurs du scrutin sont plutôt tolérants avec ça ».

Personne vivant avec handicap moteur. Extrait de carnet de terrain, 23 avril 2017

Afin de se conformer à la norme de signer soi-même avec sa main et un crayon, certaines personnes tendent à tordre leur handicap pour s’aligner sur la gestuelle et les techniques du corps prescrites par cette norme électorale, au risque de se mettre dans une position inconfortable. Elles vont mettre en place des stratégies pour « recouvrir » leur différence en essayant de suivre une règle intériorisée (Winance, 2019 : 42).

Toujours dans cette logique d’une autonomie individuelle, le recours à un tiers est une manière de déplacer l’action. Il ne s’agit plus d’essayer d’adapter le handicap à l’environnement, mais d’inverser la dynamique. Le tiers aidant peut alors avoir comme mission de modeler les conditions matérielles pour que la personne puisse réaliser seule la signature :

« Pour signer le registre, ce n’est pas pratique, il faut un peu de bidouille pour tourner le cahier, bien positionner sa main et pour qu’il tienne le stylo ».

Maman d’un jeune homme myopathe en tutelle. Extrait de carnet de terrain, 31 mai 2017

« Pour la signature ce n’est pas facile car il s’agit d’une petite case. La dame (l’assesseur) met un carré rouge pour que je puisse voir où il faut signer ».

Personne vivant avec une déficience intellectuelle et avec des troubles visuels. Extrait de carnet de terrain, 27 juin 2017

Une autre manière de mettre en scène cette autonomie individuelle, est de s’extraire du modèle normatif de la signature avec la main ou de l’utilisation du stylo du bureau de vote. Le handicap est aussi un potentiel pour ouvrir les techniques corporelles envisageables, proposer d’autres formes de gestuelle et réinventer les normes de l’action en fonction de la situation (Winance, 2019). Dès lors, plutôt que de transformer l’environnement ou d’essayer de conformer le handicap de la personne à l’environnement, le handicap devient une ressource qui sert à innover et inventer d’autres manières de faire seul, avec l’aide ou non d’un tiers :

« Je vote avec mes auxiliaires de vie, mais il ne faut pas que ce soit quelqu’un de nouveau : il faut que la personne puisse m’aider à signer avec la bouche en me mettant le stylo dans la bouche et en le tenant si besoin. Ce n’est pas très pratique, mais ça me permet de signer moi-même. Le stylo avec lequel je signe est un stylo que j’ai acheté exprès pour signer avec la bouche ».

Personne vivant avec un handicap moteur et des difficultés d’élocution. Extrait de carnet de terrain, 21 mai 2017

Ces arrangements peuvent être perçus comme des bizarreries ou quelque chose de sale, voire interprétés comme une « faute » sociale, c’est-à-dire un écart trop important à la norme. Mais quelles que soient les stratégies mises en place, ces exemples traduisent une volonté, de la personne elle-même ou son proche aidant, de pouvoir faire seule l’action. Pour cela, l’aide à domicile peut être une condition préalable à la réalisation de l’acte de signature, et plus globalement de s’auto-réaliser comme citoyen (par exemple, c’est elle qui mettra le crayon dans la bouche). L’acte de signature peut être perçu comme une aptitude de base que la personne doit savoir faire par elle-même (c’est notamment l’exemple de la maman d’un jeune myopathe). Il peut également être entendu comme relevant du registre privé et d’un acte qui lui appartient personnellement ou, tout du moins, qui ne se partage pas avec des inconnus (c’est l’interprétation que l’on peut avoir lorsque la personne dit qu’il ne faut pas que cela soit de nouvelles aides à domicile qui l’accompagnent pour aller voter). On voit ici que les extraits de terrain présentés ci-dessus permettent de faire des liens interprétatifs avec les trois modèles de l’autonomie décrits par Jeannette Pols (2014[2006]). Il s’agit de signaux qui pourraient être qualifiés de faibles. Ceci s’explique en partie par l’angle de la recherche qui portait spécifiquement sur le recours aux aides humaines et la manière dont elles pouvaient favoriser les pratiques de vote des personnes vivant avec des incapacités. Mais l’apport du comité de pilotage sur les caractéristiques d’une autonomie qui valorise le fait de pouvoir s’accomplir, agir et choisir par soi-même a permis de consolider ces indices de manière suffisamment importante pour renvoyer à la description plus détaillée des formes d’autonomie selon Jeannette Pols et qui ont été présentées succinctement en introduction.

Pour d’autres personnes, l’autonomie correspond au fait de pouvoir accéder au domaine de la vie sociale dont il est question, ici le vote, que l’acte ait été fait avec la personne ou à sa place. Dans ces situations, « l’autonomie émerge et repose sur les interactions avec les autres » (Winance, 2019 : 47) :

« C’est soit ma fille, soit l’auxiliaire de vie qui signe le registre. Quand on doit signer pour moi, je demande à ce qu’on écrive mon nom en majuscule »,

Personne vivant avec handicap moteur. Extrait de carnet de terrain, 7 mai 2017

« Au moment de passer à la signature, la présidente demande à Mme R. et à sa fille leur lien de parenté. Mme R. lui répond : ‘’c’est ma fille’’. La présidente ne demande pas de justificatif et tend le stylo à la fille de Mme R. »

Personne vivant avec handicap moteur. Extrait de carnet de terrain, 23 avril 2017

Comme pour l’autonomie individuelle, cette autonomie reposant sur des composantes plus relationnelles peut aussi s’appuyer sur la situation de la personne vivant avec des incapacités pour réinventer et réinterpréter la norme comme, par exemple, celle de signer avec un crayon la liste d’émargement :

« Pour la signature, j’utilise un tampon, et c’est l’accompagnant qui l’appose là où je dois signer ».

Personne vivant avec handicap moteur. Extrait de carnet de terrain, 2 juin 2017

Cette réinterprétation et arrangement ne remettent pas en cause la norme juridique. Mais le droit ne constitue qu’un des registres normatifs qui contribuent à organiser un certain ordre social et à réguler les activités électorales. En ce sens, cet exemple illustre bien une renégociation de la norme en situation, c’est-à-dire dans un espace-temps d’actions dans lequel les acteurs interagissent concrètement et jouent socialement les uns avec les autres en fonction de leurs attentes, de leurs contraintes, de leurs ressources et de leurs incertitudes. Cette renégociation est une manière d’étendre les formes d’autonomie. Elle montre que l’autonomie « individuelle » comme l’autonomie « relationnelle » recèlent un potentiel pour produire de nouvelles manières de faire, de bricoler et de s’accommoder les uns avec les autres et de faire société. Les extraits de terrain montrent qu’il est d’ailleurs difficile de dissocier pleinement ces deux « mises en scène ». Si l’on prend l’ensemble des gestes qui peuvent être réalisés le jour du vote, l’effet combinatoire de ces conceptions de l’autonomie apparait encore plus nettement :

« Je prends deux bulletins. Je donne le bon bulletin à mon père pour qu’il m’aide à le mettre dans l’enveloppe et l’autre je le jette à la poubelle. Après, je vais vers l’urne pour voter. J’ai des difficultés à mettre le bulletin dans la fente de l’urne : si je le mets de travers, ça ne va pas fonctionner. J’ai des problèmes de vue depuis que je suis né. Dans ce cas, les personnes du bureau de vote m’aident pour le faire glisser dedans.»

Personne vivant avec une déficience intellectuelle et avec des troubles visuels. Extrait de carnet de terrain, 27 juin 2017

Cet exemple montre les arrangements possibles entre une autonomie qui promeut la compétence et la capacité à réaliser par soi-même les gestes techniques de la citoyenneté et une autonomie qui repose sur l’interdépendance des acteurs et qui peut impliquer une certaine passivité pour certains actes ou certaines situations. Il montre la manière dont les personnes fabriquent des formes d’autonomie hybride et qu’elles en fragmentent le sens pour le rendre viable au regard de la situation ainsi que des contraintes, des ressources et des incertitudes qui la composent. On peut également voir dans cette forme mouvante de l’autonomie un décrochage entre la manière dont elle est promue par la CDPH (qui pose l’« autonomie individuelle » dans les principes généraux de la convention) et les formes plurielles qu’elle peut prendre en termes de réception.

Conclusion

Cet article montre deux « mises en scènes » de l’autonomie : des êtres rationnels dont les manières de faire, les valeurs et les opinions sont pensées comme des attributs individuels construits par la personne elle-même ; des êtres relationnels pris dans un jeu d’interactions et d’interlocutions les uns avec les autres recherchant la mise en relation ou au contraire l’évitant. Ces mises en scènes peuvent se décliner d’au moins sept façons. En cohérence avec l’article de Jeannette Pols, il a été montré que l’autonomie « individuelle » peut prendre au moins trois formes. L’analyse fait également apparaître des modalités de relations diverses pour construire l’autonomie. On peut au moins en identifier quatre.

Premièrement, la relation peut se faire à partir du souci de l’autre, des contraintes de la personne et de l’expérience qu’elle fait de son handicap. Cette relation pour autrui transparait notamment lorsque l’aidant apporte son soutien à l’autonomie décisionnelle d’une personne. On décèle, en creux, à l’analyse des extraits de terrain, une présence discrète qui participe à invisibiliser les efforts et le travail accompli pour répondre aux aspirations de la personne. On peut également remarquer ce type de relation dans le discours de la proche aidante qui accompagne sa mère : elle cherche à répondre aux besoins de sa mère, voire à les anticiper, tout en préservant une image positive, sa « face » dirait Erving Goffman (1967 : 9).

Deuxièmement, cette relation pour l’autre peut également être une traduction institutionnelle de la manière dont on se représente la personne vivant avec des incapacités sans pour autant s’appuyer sur son vécu ou son expérience. C’est ce type de relation qui semble se nouer lorsque qu’une personne explique qu’un des assesseurs est venu la voir en lui disant que si elle avait besoin d’aide, ce serait lui qui l’aiderait pour voter. Mais, l’assesseur ne comprenant pas la personne à cause de ses difficultés d’élocution, c’est finalement l’aide à domicile qui a dû prendre le bulletin pour le mettre dans l’enveloppe. Cet exemple traduit, de la part de l’assesseur, une forme de pitié ou de charité à l’égard de la personne vivant avec des incapacités dans la mesure où il perçoit l’autonomie de cette personne comme nécessairement dépendante de l’institution qu’il représente. Il propose une solution plaquée sur ses propres représentations d’une personne en fauteuil. Or, l’exemple montre que la personne peut voter sans l’aide de l’assesseur grâce à son aide à domicile.

Troisièmement, l’autonomie peut se construire en opposition à un acteur ou une institution qui élabore des relations à l’encontre du handicap, ou tout du moins, qui définit des relations sans le prendre en compte. L’absence d’aménagement ou les conditions législatives pour accompagner une personne dans les gestes électoraux peuvent relever de ce type de modalité relationnelle. L’exemple de la personne qui utilise un tampon pour signer pourrait être interprété comme une forme de « récalcitrance » vis-à-vis d’une institution qui ne montre pas de prise en compte de sa situation (Winance, 2016 : 12). Elle est récalcitrante car en utilisant un tampon, elle produit une réponse inattendue par l’institution, elle montre une capacité à ne pas se conformer aux attentes de l’institution, voire à ses normes juridiques. En France, l’article L. 62-1 du Code électoral précise que « le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l'encre en face de son nom sur la liste d'émargement ». Il laisse un flou interprétatif sur ce qui peut être entendu par signature ou sur le vecteur qui servira à utiliser l’encre. Par exemple, la signature peut être entendue comme une marque graphique distinctive et personnelle. Mais la loi ne précise pas si elle doit être manuscrite. Cette pratique ne répond pas tout à fait non plus à la dérogation prévue par l’article 64 du Code électoral qui précise que lorsqu'un électeur se trouve dans l'impossibilité de signer, l'émargement prévu par […] l'article L. 62-1 est apposé par un électeur de son choix qui fait suivre sa signature de la mention suivante : " l'électeur ne peut signer lui-même ". Or ce n’est pas non plus exactement ce protocole qui est suivi puisque cette mention n’est pas précisée. Aussi, cette personne montre bien une forme de récalcitrance en utilisant un tampon, marquant ainsi une opposition, une lutte et un rapport de force contre l’institution. Ce rapport de force n’est pas symétrique puisqu’une personne (ici celle qui représente l’institution) peut retirer davantage que l’autre, mais où, également, cet autre n’est jamais totalement démuni face à l’institution. Il y a vraisemblablement une forme de « résistance » (Winance, 2016 : 12), c’est-à-dire un travail intérieur, un travail sur soi ; mais pas uniquement. La récalcitrance traduit également une relation de pouvoir qui « n’est pas quelque chose qui s’acquiert, s’arrache ou se partage, quelque chose qu’on garde ou qu’on laisse échapper ; le pouvoir s’exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles » (Foucault, 1994 : 794).

Quatrièmement, une autre modalité relationnelle contribuant à l’autonomie des personnes est celle de la relation avec autrui. Il s’agit, par exemple, de la dynamique d’entraide entre pair (Gardien, 2017). Cette dynamique peut se faire de manière informelle au détour d’interactions et de partages d’expériences. Elle peut aussi se faire de manière formelle dans des lieux et des moments consacrés à des prises de parole entre personnes qui ont des expériences comparables ou qui partagent des situations perçues comme similaires. Dans les deux cas, ces relations décrivent une solidarité réciproque avec autrui autour d’intérêts, d’idéaux ou de difficultés communes. À travers les extraits de terrain, on peut aussi considérer que cette relation avec autrui peut se retrouver avec d’autres acteurs que les pairs. Le laisser faire de certains assesseurs qui pourrait amener à invalider un vote ou une élection en cas de contestation de la procédure électorale montre que les représentants de l’institution ne cherchent pas nécessairement à contraindre les personnes. D’une certaine manière, ils redéfinissent un cadre avec autrui à l’intérieur duquel les personnes concernées ont une certaine liberté d’action au regard des savoirs qu’elles produisent à partir de leur expérience et d’une responsabilité partagée. Dans ces exemples, à la frontière de la légalité, on voit la difficulté à tendre pleinement vers ce type d’autonomie. Elle impliquerait de déplacer notre centre de référence en ne partant pas du postulat du soi, mais de la relation à l’autre et de l’altérité d’autrui. La manière dont nous recevons, percevons et entendons les souffrances, la fragilité et les fautes de l’autre seraient, ainsi, à penser au regard de la relation à l’autre. On voit que la responsabilité peut dépasser le cadre purement juridique au profit d’une responsabilité plus morale à l’égard de l’autre qui, lui-même, a une responsabilité morale à notre égard, responsabilité pour laquelle nous sommes également responsables (Lévinas, 1981).

Ces différents modèles d’autonomie (individuelle ou relationnelle) ne se valent pas. Certaines formes d’autonomie relationnelle peuvent être enfermantes pour la personne si le lien d’interdépendance n’est pas adapté. L’autonomie individuelle peut aussi être dégradantes pour autrui s’il n’est pas pris en compte dans la manière de construire sa subjectivité, c’est-à-dire si l’autre est uniquement considéré comme une fonction, un instrument, un objet ou une prothèse nécessaire à une autonomie pensée uniquement à partir de soi. Cette valeur dépend de la situation dans laquelle ces formes sont mobilisées. Elles montrent la pluralité et la diversité de leur réception en termes d’usage et de pratiques, mais aussi en termes d’effet sur la citoyenneté des uns et des autres. Enfin, leur coexistence peut apparaître comme paradoxale. Les personnes peuvent en appeler à leur propre citoyenneté au détriment de celle de la personne qui les aide à devenir citoyen et qui, pour ce faire, mettent leur propre citoyenneté en suspens. Elles peuvent également continuer à revendiquer une autonomie « individuelle » dans la tradition de la philosophie morale en dépit de certains environnements sociaux qui valorisent la modernité des relations, notamment en développant des modèles émergeant de relation avec autrui, de savoirs expérientiels et d’entraide entre pairs. Tout l’enjeu, pour la suite, est ainsi de comprendre comment les autonomies, dans leur diversité, fabriquent les personnes et permettent, ou non, de trouver un équilibre complexe dans nos relations les uns avec les autres.