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Introduction

Cet article a pour objectif d’apporter une réflexion sur la pratique des psychoéducateurs et psychoéducatrices[2] à travers une critique théorique de la psychoéducation en tant que discipline. Selon les auteurs, la discipline rencontre des difficultés de définition de ses principaux concepts. Une analyse des concepts d’adaptation et d’environnement tels qu’ils sont perçus et tels qu’ils devraient être compris semble essentielle pour être utilisables dans l’accompagnement psychoéducatif. Le modèle de développement humain – processus de production du handicap (MDH-PPH) (Fougeyrollas et al., 2018) est proposé en réponse aux problématiques soulevées. L’intention de ce texte est de contribuer à une transformation des pratiques professionnelles par une analyse des fondements théoriques de ces pratiques.

La psychoéducation est une discipline large portant sur un ensemble d’individus et de milieux différents. Cependant, cet article porte davantage, voire exhaustivement, sur les personnes ayant des capacités différentes[3]. En regard à ce choix, les personnes présentant des déficiences intellectuelles, des incapacités physiques, ou des troubles sensoriels, pour ne nommer que celles-ci, se trouvent au centre des préoccupations des auteurs et, par conséquent, au coeur de ce texte.

Pour atteindre l’objectif annoncé et pour alimenter la réflexion, le Modèle de Développement Humain (MDH) est utilisé (1). Les bases historiques et théoriques de la psychoéducation et de l’accompagnement psychoéducatif sont rappelées (2). Par la suite, une problématique centrale dans l’accompagnement psychoéducatif est mise en lumière, celle de la conception actuelle de l’adaptation (3). Cette dernière invite les psychoéducateurs et psychoéducatrices à prendre en compte l’environnement de façon relative. Également, elle semble inciter la personne accompagnée à un certain conformisme. Ensuite, les impacts que ces problématiques peuvent avoir sur l’accompagnement psychoéducatif sont présentés (4). Enfin, afin de répondre à ces deux problématiques, le modèle de développement humain - processus de production du handicap (MDH - PPH) est proposé comme solution (5).

1. Le Modèle de développement humain (MDH)

Le MDH est une conceptualisation des interactions entre les différents facteurs déterminant le développement des capacités et des caractéristiques d’un individu en rapport aux habitudes de vie. Ce modèle découle des avancées dans le domaine de l’ontologie humaine à la suite de la conceptualisation du développement humain de Bronfenbrenner (1979). S’opposant à l’approche populaire bio-médicale de l’époque (Gutkin, 2009), le modèle anthropo-écologique et systémique de Bronfenbrenner place l’individu au coeur de l’environnement au sein duquel il interagit et se définit. Il exclut par le fait même la simple idée d’une réalité ontogénique indépendante de l’environnement dans lequel l’individu évolue. Cette interaction individu-environnement se retrouve donc également dans le MDH par la considération des aspects intrinsèques et extrinsèques associés à l’existence humaine (Fougeyrollas, 2010).

Dans la conceptualisation du MDH, trois facteurs déterminants influencent le développement de l’individu : Les facteurs personnels, les facteurs environnementaux et les habitudes de vie. En fonction de ces facteurs, on évalue le développement intrinsèque de l’individu en rapport à sa capacité ou son incapacité à accomplir une activité physique ou mentale, à ses valeurs, à ses préférences ou à ses caractéristiques sociodémographiques, économiques et culturelles et à l’intégrité ou la déficience de ses composantes corporelles. En ce qui concerne les composantes extrinsèques provenant des influences environnementales, elles se mesurent, en ce qui a trait aux facteurs sociaux (comme le réseau social, le système éducatif ou juridique ou encore l’organisation communautaire) et aux facteurs physiques (comme le climat, la réalité géographique, l’architecture et l’aménagement du territoire).

Un facteur personnel, environnemental ou une habitude de vie agit comme facteur de risque quand il est susceptible de provoquer une maladie, un traumatisme ou toute autre atteinte à l'intégrité ou au développement de la personne. Si ce facteur prévient une maladie, un traumatisme, etc., on dira qu’il agit comme facteur de protection. Un facteur identitaire (appartenant aux facteurs personnels) ou un facteur environnemental agit comme obstacle s’il entrave la réalisation d’une ou plusieurs habitudes de vie par ses interactions avec les facteurs personnels (les facteurs identitaires, les systèmes organiques et les aptitudes) d'une personne. Si ce facteur favorise au contraire la réalisation de l’habitude vie, il est considéré comme un facilitateur. Ainsi, la notion de facteurs personnels est divisée en facteurs de protection et facteurs de risque, ils peuvent prévenir ou au contraire causer une atteinte à l’intégrité ou au développement d’une personne. Les facteurs environnementaux peuvent constituer un obstacle ou un facilitateur à la réalisation des habitudes de vie. Un obstacle est un élément matériel ou une caractéristique de l’environnement physique ou social de la personne qui l’empêche d’effectuer ce qu’elle souhaite. Tandis qu’un facilitateur est un élément ou une caractéristique de l’environnement physique ou social de la personne qui permet à la personne d’effectuer ce qu’elle veut.

Ces habitudes de vie consistent, entre autres, à se nourrir, se déplacer, communiquer ou toutes autres activités contingentes aux réalisations valorisées par l’individu ou son contexte socioculturel (Rochat, 2008).

Figure 1

Modèle de Développement Humain, RIPPH, 1998

Modèle de Développement Humain, RIPPH, 1998

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Considérant l’importance que prend l’environnement dans le processus d’ontogénèse humaine et contrairement à celle qui lui est attribuée, selon les auteurs, dans la pratique actuelle de la psychoéducation, il semble nécessaire de clarifier la définition de ce qu’est l’environnement, comment elle s’est ajustée à travers le temps et comment ce facteur influence la conceptualisation actuelle du MDH.

Selon Bronfenbrenner (1977), l’environnement est une constitution topologique de différents systèmes imbriqués les uns dans les autres. La composante environnementale se présente sous la forme du microsystème, soit les milieux interactionnels directement reliés à l’individu, telle la famille, les amis, les lieux de travail ou de loisirs. Elle est également déterminée par l’exosystème, soit certains milieux avec lesquels l’individu n’entre pas directement en contact mais qui ont toutefois un impact sur la nature même des systèmes dans lesquels celui-ci évolue. La relation entre ces différents systèmes et leurs composantes n’est pas négligeable et doit également être considérée. Ces relations sont catégorisées sous l’appellation mésosystème. Finalement, sont considérés le macrosystème et le chronosystème, soit le contexte culturel, légal, économique, politique, de même que les changements qui s’opèrent dans le temps à travers l’ensemble des niveaux du contexte environnemental.

Figure 2

Modèle Écologique du Développement Humain, Bronfenbrenner, 1977

Modèle Écologique du Développement Humain, Bronfenbrenner, 1977

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Cette définition, bien que fort pertinente, est cependant davantage portée vers les aspects relationnels de l’environnement. On le constate entre autres à travers la conceptualisation qu’offre Bronfenbrenner (1977) afin d’imager la composition des différents paliers écologiques de l’environnement. Ce dernier s’attarde fortement aux déterminants sociodémographiques de l’individu et ne considère l’environnement physique que comme une source influençant indirectement les processus sociaux. Il semble insuffisant de se limiter aux concepts de cette définition.

La taxonomie de l’environnement de Fougeyrollas et al., (2018) répond à cette problématique. En s’inspirant et en simplifiant le modèle de Bonfenbrenner, ce modèle propose de définir trois dimensions de l’environnement :

« • Le micro-environnement personnel correspond aux contextes spécifiques à la personne comme sa famille immédiate, ses proches, son domicile, son poste d’étude ou de travail, soit tous les contextes qui lui sont propres et peuvent être spécifiquement adaptés à ses besoins;

• le méso-environnement correspond à tous les contextes physiques et sociaux avec lesquels la personne interagit pour réaliser ses habitudes de vie, et qui sont conçus pour, ou présents dans, la collectivité locale d’appartenance;

• le macro-environnement réfère aux dimensions sociétales dont la composition, le développement et les modifications ne peuvent se réaliser sur le plan local d’une collectivité et concerne l’ensemble de la société tout en régulant la vie sociale de chaque citoyen. » (Fougeyrollas et al., 2018, pp. 24-25)

C’est cette conceptualisation de l’environnement, telle que celle aujourd’hui utilisée par le MDH-PPH, dont se sert cet article visant une remise en question de l’approche psychoéducative actuelle.

2. L’histoire de la psychoéducation et l’accompagnement psychoéducatif

La psychoéducation est une discipline qui s’intéresse aux personnes présentant des difficultés d’adaptation ou à risque d’en présenter. Elle est fondée dans les années 1950 par Gendreau et Guindon (Gendreau et al., 1998). Ils sont les premiers à porter intérêt aux problématiques adaptatives des personnes en difficulté. À cette époque, ils proposent une alternative aux institutions coercitives dont le but était rééducatif et non thérapeutique. Ils créent le centre de réadaptation de Boscoville et s’inspirent des concepts d’adaptation, d’assimilation et d’accommodation développés par Piaget (Gendreau et al., 2001).

L’objectif des centres de réadaptation est de disposer d’un lieu structurant permettant aux intervenants d’utiliser le milieu de vie afin d’accompagner un individu « vers un meilleur équilibre face à lui-même et son entourage » (Renou, 2005, p. 38). À cette époque, les milieux de vie sont construits sur mesure afin de pallier les difficultés d’adaptation des personnes accueillies. Ils sont pensés à l’image de la société : il y a des activités scolaires, des activités de loisir et les personnes vivent dans de petites unités à dimension familiale, nommées quartiers. Ces lieux ont également leur propre système politique. L’objectif est de permettre aux personnes d’y vivre des expériences et de faire des apprentissages. L’accompagnement psychoéducatif repose sur la mise en place d’une intervention innovante, basée principalement sur ce milieu de vie construit ainsi que sur les concepts d’utilisation et de vécu partagé.

L’utilisation du milieu de vie et des expériences est une opération réalisée par les professionnels(les) qui permettent à la personne accueillie d’effectuer des prises de conscience en mettant en relation ses pensées, ses affects ainsi que ses expériences actuelles ou passées. L’utilisation est d’autant plus enrichie « par la connaissance que l’intervenant acquiert de la personne et par la qualité de la relation qu’il établit avec elle en contexte de vécu partagé » (Gendreau et al., 2001, p. 97).

Le vécu partagé constitue la base de l’intervention en internat. En effet, les personnes accueillies et les professionnels(les) vivent ensemble au quotidien. Ils prennent part aux évènements vécus par la personne accompagnée, ce qui « donne un accès direct à des évènements significatifs vécus par le sujet » (Caouette, Maltais, Guérin, 2016, p. 37) toujours dans le but de pallier les difficultés d’adaptation.

Gendreau décrit les difficultés d’adaptation comme « une perturbation grave dans les relations de l’individu avec son environnement » (Gendreau, 2001, p. 68). Il explique la notion d’adaptation par une approche écosystémique de l’accompagnement psychoéducatif qui comprend deux axes, le potentiel d’adaptation d’une personne (PAD) et le potentiel expérientiel d’un environnement (PEX).

Figure 3

L’approche écosystémique selon Gendreau

L’approche écosystémique selon Gendreau

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Dans cette approche, l’adaptation est le résultat d’un équilibre entre le PAD et le PEX. Le PAD est le « niveau de développement des moyens individuels » (Gendreau, 2001, p. 33) dont dispose une personne pour répondre à ses besoins. Ce potentiel peut être inné ou acquis. Par conséquent, la personne peut apprendre à développer son potentiel et améliorer ses capacités d’adaptation. Le PEX renvoie à l’ensemble des possibilités d’apprentissage qu’offre un environnement à une personne. C’est par l’écart significatif entre PAD et PEX, dans un environnement qui favorise cet apprentissage, qu’un individu développe ses capacités d’adaptation. Cet écart est dit non significatif lorsque l’environnement ne favorise pas ou empêche l’apprentissage. Ainsi, l’accompagnement psychoéducatif est le fait d’« aider un être global à se développer, de lui-même et par l’environnement » (Gendreau, 2001, p. 15).

Suite à la crise économique et au mouvement de désinstitutionalisation au Québec, Boscoville ferme définitivement en 1997. Depuis, des structures telles que Boscoville n’existent presque plus au Québec et le « maintien du jeune en difficulté dans son milieu ‘naturel’ » (Gendreau, 2001, p. 3) est devenu la norme. Aujourd’hui, les psychoéducateurs et les psychoéducatrices interviennent dans des cadres variés, tels les milieux scolaires, les milieux naturels ou les bureaux de consultation. Par conséquent, la psychoéducation comme discipline et la pratique psychoéducative se sont modifiées et ont remanié leurs concepts. Par exemple, le vécu, qui est moins partagé, est décliné en vécu observé, vécu rapporté et partage du vécu. Tout comme le concept de vécu partagé, celui de l’adaptation est remanié. Selon Renou (2014), « la psychoéducation comme discipline est maintenant multithéorique dans ses assises conceptuelles sur l’objet. Elle est multimodale pour ses conceptions de l’intervention. Elle est multidisciplinaire pour ses références de programmes. Elle dépend fortement de la psychologie pour ce qui relève de la connaissance de l’objet, des théories de l’adaptation et, dans une moindre mesure, des programmes éprouvés d’intervention » (p. 68). Cette approche multiple entraine des problèmes de conceptualisation et d’application associés aux deux piliers de l’accompagnement psychoéducatif : la conception de l’adaptation et la prise en compte de l’environnement.

Bien que l’adaptation soit la notion centrale dans la conceptualisation actuelle de la psychoéducation et de l’accompagnement psychoéducatif, il est difficile d’en trouver une définition précise et consensuelle. Les définitions présentées par l’Ordre des Psychoéducateurs et Psychoéducatrices du Québec (OPPQ), tout comme le constate Renou, proviennent majoritairement du domaine de la psychologie. Il n’y a donc pas d’interprétation propre à la psychoéducation (OPPQ, 2014). Cette absence de définition propre à la psychoéducation engendre des difficultés dans l’accompagnement psychoéducatif contemporain.

3. Problématiques dans l’accompagnement psychoéducatif contemporain

Potvin (2015) définit l’accompagnement psychoéducatif comme une intervention auprès de personnes rencontrant des difficultés d’adaptation, visant à rétablir et/ou améliorer les capacités d’adaptation de la personne en interaction avec son environnement.

L’OPPQ et Renou (2005) définissent également l’adaptation comme un équilibre entre le PAD et le PEX où l’environnement a pour fonction de mettre en situation d’apprentissage la personne, de manière à ce que celle-ci augmente ses capacités d’adaptation. Cette conceptualisation pose problème, en effet l’environnement semble être considéré comme immuable, sa prise en compte est relative et les possibilités de le modifier paraissent pratiquement inexistantes.

La conception actuelle de l’adaptation semble également inviter les psychoéducateurs et psychoéducatrices à inciter les personnes accompagnées à un certain conformisme. Cette approche dans la pratique de la psychoéducation constitue une seconde difficulté.

3.a- La problématique de l’environnement et le modèle social

Suite à la disparition des internats, il semble que la prise en compte de l’environnement soit plus difficile pour les psychoéducateurs et psychoéducatrices, malgré le fait qu’ils soient outillés pour évaluer les environnements naturels où évoluent les personnes accompagnées. En effet, les professionnels de l’accompagnement ne disposent plus d’un environnement qu’ils peuvent créer entièrement et doivent composer avec des environnements variés : milieux scolaires, milieux de vie ou encore bureau professionnel. La place de l’évaluation dans leur pratique est un indicateur de cette difficulté.

L’évaluation est une activité professionnelle qui consiste à émettre un jugement clinique sur les causes des problèmes d’adaptation rencontrés par une personne. Le psychoéducateur ou la psychoéducatrice évalue les difficultés d’adaptation, les capacités d’adaptation, l’environnement de la personne ainsi que les relations entre la personne et son environnement. Il dispose de nombreux outils d’analyse et d’évaluation des difficultés et des capacités d’adaptation de la personne, tels que l’évaluation normative, l’évaluation fonctionnelle et l’observation participante. Les outils d’analyse et d’évaluation de l’environnement sont cependant plus rares que ceux destinés à l’évaluation des difficultés d’adaptation des personnes. Concrètement, les psychoéducateurs et psychoéducatrices disposent de moins d’outils pour prendre en compte l’environnement, ce qui a un impact sur la façon de concevoir l’accompagnement psychoéducatif.

Pourtant, l’environnement est une variable indispensable à prendre en compte dans l’accompagnement des personnes aux capacités différentes. Prenons l’exemple de la surdité, qui a été utilisée comme exemple paradigmatique dans plusieurs « Disabilites Studies » (Shakespeare et al., 2018) : D’un point de vue médical, la surdité est une pathologie, mais pour les personnes, cette condition est simplement une différence. La surdité est l'exemple paradigmatique d'une maladie qui, en termes médicaux, est une pathologie, mais qui, de l'avis des personnes se considérant comme Sourdes, est simplement une différence linguistique ou culturelle. Alors que le monde médical tente de « guérir » la surdité, les personnes, elles, considèrent qu'elles constituent une minorité culturelle (Shakespeare, 2005). Ces personnes peuvent alors être valorisées ou opprimées selon le potentiel de l’environnement à reconnaitre ou non les langues des signes et la culture sourde.

Les capacités différentes sont traditionnellement perçues comme des conditions pathologiques auxquelles la médecine doit trouver un traitement. Mais dans les années 1980 les personnes ayant ces capacités différentes se sont réunies à travers divers mouvements associatifs, revendiquant leur égalité des droits et des chances, obligeant ainsi les politiques à différencier capacités différentes et handicap. Le handicap étant alors compris comme la résultante d’une interaction entre une personne et ses caractéristiques et un environnement et ses caractéristiques. Cette façon de conceptualiser le handicap est le modèle social du handicap. Il montre à quel point la prise en compte de l’environnement est primordiale dans l’accompagnement des personnes ayant des capacités différentes.

Dans le modèle social du handicap, les personnes avec des capacités différentes peuvent rencontrer des difficultés à participer comme elles le souhaiteraient à la vie sociale, du fait de l’organisation de l’environnement au sens large (Marissal, 2009). C’est alors une situation de handicap. Selon Marissal, la manière de concevoir le handicap et sa gestion politique ont connu une importante évolution, voire une révolution, au cours des cent dernières années, conduisant à une modification du regard porté par la société sur la question du handicap et, en particulier, sur la question de la responsabilité du handicap. La responsabilité de la situation de handicap n’est donc plus sur la personne mais sur la société. Dans les années 1980, la triade de Wood est le premier modèle à illustrer ce changement de paradigme en entamant, malgré l’absence d’influence environnementale concrète au sein du modèle, une discussion quant à la relation entre un individu, ses capacités et sa participation sociale. Le modèle distingue trois niveaux : les déficiences, qui sont une perte ou une altération des fonctions physiologiques, les incapacités qui sont des difficultés à réaliser des actes de la vie courante et le désavantage social qui est l’impossibilité d’assumer un rôle social considéré comme normal en fonction de certaines caractéristiques de la personne (Wood, 1980).

Lorsque l’environnement est mal organisé, les personnes aux capacités différentes en subissent les conséquences en étant discriminées ou en ne pouvant pas réaliser leurs habitudes. Selon Charles Gardou (2012) si la société est mal organisée, c’est parce qu’elle est construite relativement à une norme implicite, soit celle de la personne dite « normale ». Il défend d’ailleurs l’idée d’une société plus inclusive. Dans le modèle social, l’intégration et l’inclusion sociale sont différenciées. L’intégration étant le fait de placer un élément extérieur (la personne ayant des capacités différentes) à l’intérieur d’un système préexistant (la société). La personne doit alors « d’une manière assez proche de l’assimilation, se transformer, se normaliser et s’adapter ou se réadapter » (Gardou, 2012, p. 37). En d’autres termes, la personne ayant des capacités différentes doit se conformer aux environnements de la société dans laquelle elle évolue. À l’inverse, l’approche inclusive, c’est lorsque l’organisation sociale change son fonctionnement, s’adapte, se modifie, de manière à permettre aux personnes ayant des capacités différentes de réaliser ce qu’elles souhaitent. Ainsi, une situation de handicap est à considérer dans un environnement social qui « n’est pas donné mais construit » (Gardou, 2012, p. 141). Le modèle social du handicap invite à repenser l’environnement et la société de façon à ce que ceux-ci soient plus inclusifs.

Au regard de ces éléments, il parait que l’accompagnement psychoéducatif soit centré sur la personne et moins sur l’environnement et l’interaction avec celui-ci. La pratique semble devenir davantage évaluative et normative des personnes, ce qui peut mener à une conception conformiste de l’adaptation. En effet, la pratique s’organise autour d’outils d’évaluation de plus en plus nombreux et d’interventions planifiées à l’intérieur de programmes préétablis. L’utilisation et la façon dont est actuellement caractérisée l’adaptation témoignent de la situation actuelle.

3.b- La problématique du conformisme et la théorie de l’autodétermination

La façon dont sont conceptualisées certaines notions de la psychoéducation par Puskas et al. (2012) et Renou (2005) nous interrogent quant à la place de l’autodétermination (Walker et al., 2011) dans l’accompagnement psychoéducatif, L’activité des psychoéducateurs et psychoéducatrices s’organise en huit opérations professionnelles qui sont l’observation, l’évaluation et la pré-intervention, la planification, l’organisation, l’animation, l’utilisation, l’évaluation post-situationnelle et la communication (Gendreau, 2001). L’utilisation est une opération rétroactive axée sur le vécu de la personne qui lui permet de revenir sur des expériences passées afin d’en avoir une perception plus adéquate. Elle aide la personne à réaliser ce qui est appris de façon à pouvoir le généraliser à différentes situations. Elle est aussi comprise comme ayant pour visée « une augmentation de l’adaptation d’un sujet à son environnement » (Puskas et al., 2012, p. 97). Étant donné son caractère adaptatif unidirectionnel, cet objectif, bien que nécessaire, est insuffisant.

Selon l’ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec (OPPQ), l’adaptation est également l’ensemble des habiletés conceptuelles, sociales et pratiques appris par la personne qui lui permet de fonctionner au quotidien et de « s’adapter au monde extérieur » (Renou, 2005, p. 136). Dans cette conception, il semble y avoir une demande à l’endroit de la personne accompagnée de régler son comportement en accord avec son environnement de façon à ce que son comportement soit acceptable par la société. Ce conformisme « ne saurait en soi constituer en psychoéducation une fin » (Puskas et al., 2012, p. 115), cependant il est considéré comme pouvant être « une étape » (idem) dans l’accompagnement psychoéducatif.

Cette compréhension semble avoir un potentiel pervers d’injonction au conformisme auprès de la personne accompagnée. Pourtant, l’accompagnement psychoéducatif est supposé aider les personnes accompagnées à développer leur autodétermination. En effet, Selon Puskas et al. (2012), le psychoéducateur ou la psychoéducatrice « doit laisser place à la créativité et au besoin d’affirmation » (p. 115) de la personne et l’accompagner à faire des choix au quotidien.

L’autodétermination est l’ensemble des « habiletés et aptitudes, chez une personne, lui permettant d’agir directement sur sa vie en effectuant librement des choix non influencés par des agents externes indus » (Wehmeyer et al., 1996, traduit par Lachapelle et Wehmeyer, 2003, pp. 208-209). Il s’agit d’agir en tant qu’agent causal de sa vie, en être acteur, dans le but d’améliorer sa qualité de vie. Les capacités d’autodétermination sont positivement associées à la participation sociale (Walker et al., 2011) et à la qualité de vie (Lachapelle et al., 2005). L’autodétermination sous-entend une présomption de compétence de chacun; toute personne, quelle que soit sa situation et ses caractéristiques, est experte de sa propre vie et est en mesure de construire la vie qu’elle souhaite avoir en fonction de ses valeurs et de ses préférences. Les exigences et les normes sociales et environnementales ne sont pas des facteurs prioritaires dans le développement des compétences et habiletés des individus. Cette conception s’oppose en soit au concept du conformisme social. Étant donné les bienfaits associés au développement de l’autodétermination, cette approche devrait être favorisée dans l’accompagnement psychoéducatif.

4. Conséquences sur l’accompagnement psychoéducatif

Considérant l’existence d’une relation bidirectionnelle entre environnement et développement de l’autodétermination des personnes (Wehmeyer et Bolding, 1999), les conséquences des conceptualisations de l’environnement et de l’adaptation sur l’accompagnement psychoéducatif sont importantes.

L’environnement peut faciliter ou freiner le développement des capacités d’autodétermination des personnes. En effet, les occasions d’autodétermination ainsi que les quatre piliers de l’autodétermination dépendent de l’environnement (Smith et al., 2005). Ces occasions sont les situations où les personnes ont la possibilité de faire des choix, de prendre des décisions, d’essayer, de s’engager dans une action, d’exprimer une préférence, de demander de l’aide. Le développement de l’autodétermination est lié aux occasions offertes par l’environnement (Wehmeyer & Palmer, 2003). Plus l’environnement offre d’occasions, plus la personne est en mesure de développer ses capacités d’autodétermination. Les piliers de l’autodétermination sont la normalisation, la valorisation des rôles sociaux, l’intégration et la participation sociale (Wehmeyer, 1996). La normalisation est définie par Nirje (1969) comme le fait de rendre « disponible à toutes les personnes qui ont des incapacités ou des handicaps intellectuels ou autres, des habitudes et des conditions de vie quotidiennes qui sont aussi près que possible que celles présentes dans la communauté »[4] (p. 181). Bien que ce concept ait été un appel au conformisme, aujourd’hui il s’agir de normaliser les conditions de vie de la personne, c’est à dire de faire en sorte qu’elle puisse avoir accès aux mêmes services et milieux que tout le monde. En 1983, Wolfensberger propose de remplacer le principe de normalisation par celui de valorisation des rôles sociaux, définie comme étant « la mise en valeur, le maintien et la défense de rôles sociaux valorisés pour des personnes (…) en utilisant le plus possible des moyens culturellement valorisés » (1991, p. 53). Elle permet le développement des compétences de la personne et également le rehaussement de son image sociale dans son environnement. L’intégration sociale implique que la personne est en interaction et partie prenante de son environnement (Carrier & Fortin, 2001). Tandis que la participation sociale implique que la personne soit en mesure de réaliser des activités socialement valorisées, par elle-même et par la société. La personne est intégrée à la société et y apporte une contribution. La mise en perspective de ces différents apports théoriques montre à quel point l’environnement et l’autodétermination sont des notions étroitement liées et permet d’affirmer que la prise en compte de l’environnement est indissociable de la promotion de l’autodétermination des personnes et inversement.

L’autodétermination n’est pas un processus d’adaptation à son environnement dans le sens du conformisme abordé précédemment. Il s’agit d’un processus dans lequel la personne agit comme agent causal de sa vie afin d’en améliorer sa qualité. Tel que mentionné plus tôt, être l’agent causal de sa vie signifie que la personne est actrice de celle-ci, elle identifie ses préférences, les exprime et agit en conséquence. Ainsi, il y a des comportements autodéterminés qui ne sont ni adaptés ni conformes aux attentes de l’environnement ou de la société. Cela est d’autant plus vrai, par exemple, pour les personnes ayant des capacités restreintes à communiquer verbalement. Un comportement considéré comme non adapté, tel un cri dans une salle de restaurant, peut être autodéterminé si ce dernier a pour objectif de communiquer un désir, un souhait ou un mécontentement, de manière à rétablir la situation et d’améliorer sa qualité de vie. Pour ce faire, la personne dispose d’un pouvoir sur sa vie ou, du moins, sur les dimensions de sa vie qui lui sont importantes (Abery & Stancliffe, 2003). Elle peut être amenée à prendre des décisions qui sont potentiellement à risque ou difficilement acceptables par la société. Enfin, les personnes ayant des capacités différentes exercent souvent leur autodétermination dans des mouvements de défense de leurs propres droits. Être acteur de sa vie, exprimer ses préférences, avoir du pouvoir sur sa vie, s’engager dans des actions militantes constituent des actions d’autodétermination qui ne sont pas en accord avec la notion de conformisme soulevée plus tôt.

Au regard de ces éléments, il semble primordial que les psychoéducateurs et psychoéducatrices prennent plus en compte l’environnement, autant social que physique, comme une variable modifiable, un outil de travail permettant à la personne ayant des capacités différentes de réaliser les activités de la vie courante qu’elle souhaite.

En réponse à ces aspirations, les auteurs proposent l’utilisation du MDH-PPH.

5. Conclusion : Le modèle MDH-PPH

Le MDH-PPH est un modèle interactif qui permet de concilier les approches réadaptatives et celles du modèle social du handicap. Il est issu d’une trentaine d’années de réflexion sur la conception du handicap. Pour s’éloigner du modèle médical, Philip Wood définit le handicap dans les années 1980 comme un désavantage social, c’est à dire comme l’incapacité ou la réduction de capacité à remplir un rôle social considéré comme normal. Cependant, les progrès ne sont pas suffisants car dans ce modèle, l’environnement n’existe pas en tant que tel, par conséquent, et le handicap demeure lié à la condition personnelle uniquement.

Le Comité québécois sur la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH) fondé en 1986 (devenu le Réseau internationale sur le Processus de production du handicap (RIPPH)) avaient justement pour but de dénoncer l’absence de l’environnement dans le modèle de Wood. L’OMS lui donne donc la responsabilité de réviser de la Classification Internationale des Déficiences, Incapacités et Handicaps (CIDIH ou CIH, OMS, 1980). En 1989, le comité propose les concepts « d’habitudes de vie » et de « facteurs environnementaux », négligés jusque-là (Fougeyrollas et al., 1998). La dimension des facteurs environnementaux est introduite dans un modèle conceptuel pour la première fois, illustrant ainsi « la relation d’interaction entre les déficiences, les incapacités et les obstacles environnementaux et définissant les situations de handicap comme le résultat de cette interaction » (Fougeyrollas et al., 2018, p. 7).

Figure 4

Modèle de développement humain – processus de production du handicap, RIPPH, 2018

Modèle de développement humain – processus de production du handicap, RIPPH, 2018

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Le modèle MDH-PPH est un outil qui permet de prendre en compte l’environnement de façon dynamique et complète, puisqu’il permet d’évaluer l’impact de celui-ci sur la situation de la personne qui suit un accompagnement psychoéducatif. Il ne place pas la responsabilité du handicap sur la personne, mais sur l’interaction entre une personne et son environnement. Ainsi, deux personnes présentant les mêmes capacités différentes pourront se trouver ou non en situation de handicap en fonction de l’environnement dans lequel elles évoluent. Il s’agit d’un modèle positif qui sort du modèle médical et de l’approche diagnostique.

Avec les outils d’évaluation dont disposent les psychoéducateurs et psychoéducatrices, ceux-ci pourraient avoir tendance à se trouver dans une démarche plus diagnostique qu’une démarche d’accompagnement. Le PPH outille les professionnels(les) à identifier le profil global de la personne en situation de vie dans son environnement quotidien. Il considère les situations de vie dans leur contexte humain et matériel et permet de faire la distinction entre les capacités et incapacités de la personne accompagnée et le résultat de l’interaction entre la personne et son environnement et les conséquences sur les activités sociales et quotidiennes de la personne. Cela permet de comprendre que la réalisation d’une habitude de vie, comme se rendre à une activité de loisir, est situationnelle et ne dépend pas seulement des caractéristiques ou capacités de la personne.

Avec le MDH-PPH, l’accompagnement psychoéducatif des personnes ayant des capacités différentes est conceptualisé de façon écosystémique et interactionniste. Le psychoéducateur ou la psychoéducatrice doit se décentrer de la personne et la considérer comme étant en interaction constante avec un environnement (matériel, physique, humain et social) constamment en changement. De ces interactions peuvent naître des freins ou des facilitateurs au développement de ses capacités d’autodétermination. Le psychoéducateur ou la psychoéducatrice doit alors accompagner la personne accueillie à se percevoir comme actrice de son environnement et comme ayant une influence sur celui-ci. Ce modèle et son application répondent aux problématiques soulevées dans cet article puisqu’ils permettent de prendre en compte l’environnement dans son ensemble et dans toute sa malléabilité et qu’ils s’éloignent des concepts conformistes de l’adaptation par la promotion de l’autodétermination dans la réalisation des habitudes de vie.

Considérations et recommandations

Les professionnels(les) de la santé et de l’accompagnement interviennent régulièrement auprès de personnes rencontrant des enjeux d’adaptation et de participations sociales qui se manifestent dans leurs différents milieux de vie. Ils sont amenés à intervenir au sein de milieux de plus en plus variés avec des clientèles multiples. L’adaptation étant la notion centrale autour de laquelle s’organise les interventions des psychoéducateurs et psychoéducatrices, selon les auteurs, il serait nécessaire pour la profession de clarifier le concept d’adaptation. Comme vu précédemment, il n’existe pas de conception de l’adaptation propre à la psychoéducation ce qui engendre des difficultés dans l’accompagnement psychoéducatif.

Les auteurs recommandent de conceptualiser l’adaptation dans une perspective interactionniste entre la personne et son environnement. Ainsi, les objectifs d’adaptation devraient permettre de viser la réalisation optimale des habitudes de vie et par conséquent la réduction des situations de handicap, et les interventions devraient porter sur la personne et sur son environnement. Il s’agirait alors d’accompagner la personne à développer ses capacités fonctionnelles et de mettre en place des facilitateurs environnementaux en proposant des transformations de cet environnement (à la fois micro et méso) afin de mieux répondre aux capacités et réalités identitaires de la personne.

Pour cela, les auteurs encouragent une exploration et une utilisation variée du MDH-PPH afin de mieux comprendre et surtout, conceptualiser le développement humain et l’écologie des différentes pathologies et situations de handicap qui le caractérise. Bien que ce modèle soit particulièrement associé au monde du handicap, le MDH-PPH est utilisé dans divers domaines s’éloignant de l’application initiale et typique du modèle, tel le domaine des problèmes de santé mentale. Ce faisant, il ouvre aux professionnels de multiples opportunités de résoudre les situations de handicap, soit en améliorant les capacités individuelles, soit en modifiant des éléments environnementaux. De fait, il invite les professionnels(les) à chercher dans l’environnement tous les leviers qui faciliteront la participation sociale de la personne, qu’importe ses capacités/incapacités.

Enfin, au-delà de l’intervention individuelle, il semble aux auteurs qu’il serait important que la discipline qu’est la psychoéducation fasse une réflexion plus collective sur les facteurs contextuels favorisant l’accroissement de la participation sociale des personnes ayant des capacités différentes qu’elle accompagne.