Article body

Fondé en 2013, Françoise Stéréo est un magazine féministe accessible en ligne, à partir de son site Internet[1]. Le magazine se présente comme « une revue d’idées portée par le projet féministe », « née de la volonté d’offrir un espace d’expression à des femmes de tous horizons souhaitant s’exprimer sur des enjeux culturels, politiques, sociaux et économiques[2] ». Venant des milieux littéraire et théâtral, les éditrices à l’origine de la revue (Marie-Andrée Bergeron, Valérie Gonthier-Gignac, Catherine Lefrançois, Marie-Michèle Rheault, Djanice St-Hilaire et Julie Veillet) s’appellent elles-mêmes « les Françoise ». Entre les pages virtuelles de Françoise Stéréo, elles portent un autre nom, « Le Collectif ». Un collectif, oui, voilà un terme juste, plein de je, qui, rassemblés, portent le pronom nous.

Michel Lacroix, dans son article « Sociopoétique des revues et l’invention collective des “petits genres” : lieu commun, ironie et saugrenu au Nigog, au Quartanier et à La Nouvelle Revue française » (2012), questionne d’ailleurs cette idée d’une revue opérant systématiquement sous la forme d’un « nous spécifique, exclusif et homogène » (Lacroix, 2012 : 2). Le présent article s’incrit dans la continuité des propos de Lacroix observant un nous collectif certes, mais homogène, certainement pas.

Les discours subjectifs des Françoise, subjectifs dans la mesure où ils revendiquent, chacun à leur manière, des postures singulières, uniques et intimes, animent les divers textes publiés dans la revue. Donnant l’effet d’un vitrail, où chaque morceau porterait une couleur, une texture et une lumière différentes, la revue met en scène une pluralité de je qui, une fois regroupés, produisent un effet. Taillés tantôt à même une vitre cassée ou fissurée, tantôt dans un verre pare-balles, les articles sont tous uniques et, une fois mis en commun, ils produisent une nouvelle vision. Ensemble, ils proposent quelque chose, une sensation peut-être : une inclusivité, une sensibilité, une ouverture. Sans être propre à la revue Françoise Stéréo, le jeu qui s’opère entre collectivité et individualité apparaît plutôt comme une marque du genre pour Michel Lacroix :

Cette double signature, à la fois individuelle et commune, affichée dans la plupart des sommaires, constitue tout à la fois un trait caractéristique de la revue (et des périodiques en général), et la source d’écarts, de tensions éventuelles, entre singularité et unité, polyphonie et orthodoxie.

Lacroix, 2012 : 2

La configuration plurielle d’une revue, c’est à la fois son plus grand avantage et son plus grand inconvénient, la source de son succès ou la raison de sa perte. Pour une revue féministe, il me semble que cette tension est d’autant plus importante : si la revue a bel et bien comme objectif d’offrir une plateforme à une multitude de discours, elle doit entretenir la diversité tout en conservant une certaine cohésion. Comment amalgamer tous ces visages, ou pour filer la métaphore jusqu’au bout, comment joindre tous ces morceaux de verre, les souder pour former quelque chose de plus signifiant? Plus précisément, je m’intéresse ici à la manière dont Françoise Stéréo réunit et catalyse les discours subjectifs dans l’espace textuel. Comment la revue parvient-elle à convertir la valeur subjective des articles en une force politique qui, au-delà du discours, traverse les esprits et les enjeux? Ces questions ont orienté mon parcours de lecture de la revue, lequel, pour être sinueux, se moquant de toute chronologie, cherche simplement à offrir quelques pistes, à formuler quelques constats qui, une fois conjugués, donneront une image de l’orientation éditoriale. En m’attachant à divers éditoriaux ou articles de la revue, je présenterai d’abord une étude des divers registres langagiers exploités, puis j’analyserai la subjectivité des éditrices et des autrices, en plus d’observer l’effet du rassemblement de ces multiples je, pour enfin terminer par le rapport filial qui caractérise Françoise Stéréo.

Hybridité : langage polymorphe

S’intéresser à la qualité subjective d’un texte, à la revendication d’une voix individuelle et unique, c’est nécessairement observer les indices langagiers qui permettent de caractériser cette voix. Je me pencherai certes sur ce que disent les Françoise, mais d’abord, je souhaite m’interroger sur leurs manières de dire.

Ce qui frappe à la lecture de la revue, c’est le large registre des écritures qu’on y trouve : populaire, vulgaire, savante, décomplexée, posée, bref, un véritable buffet. « Composée de diverses formes de textes (éditoriaux, chroniques, dossiers thématiques, portraits, textes analytiques, opinions) », la revue souhaite accueillir « différents tons (personnel, humoristique, revendicateur) et « toutes les approches (analyses littéraires et linguistiques, politiques, sociologiques, philosophiques, historiques)[3]. »

La section dédiée aux éditoriaux de Françoise Stéréo constitue à elle seule un terrain très fertile pour entamer une réflexion sur la langue polymorphe des Françoise. Compilés sous l’intitulé « VIARGE! », les éditoriaux sont majoritairement rédigés par le collectif de la revue. Si, traditionnellement du moins, un éditorial se veut un endroit destiné au dialogue entre la direction d’une revue et son lectorat, il est d’autant plus pertinent d’observer comment les Françoise s’adressent à leur public. Grâce à une langue alliant à la fois le registre populaire (présence de joual, de sacres, d’expressions et de formulations communes) et le registre savant (vocabulaire riche et alambiqué, citations de sources universitaires), convoquant aussi bien l’émotion que la réflexion, le collectif met en place un discours complexe qui caractérise autant le public ciblé que les membres de la rédaction de Françoise Stéréo.

Le registre populaire du discours se manifeste dès la lecture de l’onglet « VIARGE! – Éditoriaux ». Le terme « Viarge » comporte à lui seul une connotation qui dépasse le simple langage familier. Alliant à la fois subversion et réappropriation de la figure de la Vierge, à l’instar de ce que faisait Denise Boucher dans Les fées ont soif (1978), il renvoie aussi à son usage courant, juron manifestant une émotion forte, que ce soit la colère, la frustration, le mécontentement, l’exaspération, etc. Les majuscules et le point d’exclamation relèvent pour leur part d’un désir d’extériorisation du mot au-delà de sa simple mention. Le collectif ne dit pas : « Vierge », il crie : « VIARGE! ». Il situe d’emblée sa parole dans la lignée (nous y reviendrons) de la subversion.

Dans les éditoriaux, les traces de la langue familière abondent. Du franglais aux jurons, les Françoise ne manquent pas de couleur dans leurs rubriques. L’éditorial « Punk’s not dead » du numéro consacré à la colère (no 3) collectionne les expressions qui, loin de relever de la stricte provocation, traduisent un désir de transparence : « Tu nous énarves, Tania Longpré », « Allez donc chez l’diable, les militants antichoix », « Va chier, Couillard », « On t’emmerde Gab Roy » ou encore « Décôlissez donc de nos Internets, membres de l’odieux mouvement Women Against Feminism » (Bergeron et al., 2015a). Les circonvolutions et les euphémismes n’ont pas leur place dans le type de chroniques proposées par le collectif, et encore moins dans un numéro dédié à la colère. Les Françoise s’expliquent : « Ceci pourrait être un éditorial qui problématise et analyse la colère, cela, nous sommes capables de le faire. Mais quand nous pensons à nos filles, à nos filleules et à toutes les petites Françoise du monde, ça déborde et ça nous brise parfois trop pour en parler froidement. » (Bergeron et al., 2015a) Malgré sa capacité à produire des textes rationnels et pondérés, le collectif affirme l’impossible recours à la neutralité. Ce faisant, les membres écartent d’emblée l’objectivité et sautent à pieds joints au coeur du conflit. Dans ce contexte, le langage familier, voire vulgaire, traduit une lucidité, plus encore une honnêteté qui se retrouve autant dans la voix que dans le processus de rédaction.

Cette écriture décomplexée n’est toutefois pas exclusive à Françoise Stéréo. De nombreux blogues, d’ailleurs mis en référence sur le site Web de la revue, utilisent ce registre. C’est le cas, par exemple, de Genre! ou de Hyènes en jupons. On peut penser, plus généralement, à d’autres artistes ou médias qui cultivent, eux aussi, l’honnêteté par le recours à ce type de langage, comme les artistes du groupe Les Folies passagères ou encore la page Facebook Abattoir. La revue s’inscrit dans un mouvement de revendication du langage, d’autant plus fort qu’il est très répandu.

Si l’émotivité dont fait preuve le collectif pour revendiquer sa subjectivité concorde avec l’usage d’une langue crue, le registre plus savant dont les Françoise font usage par ailleurs implique lui aussi son lot d’enjeux. Ainsi, en engageant son discours dans un registre de langue standardisé et soutenu, le collectif montre qu’il est composé de femmes éduquées, informées et est donc, en un sens, plus crédible selon des critères normatifs. Dans l’éditorial « Pas d’économie de mots devant l’économie de moyens » du numéro consacré à l’économie, c’est une voix bien différente qui se fait entendre :

Le mouvement féministe a été porteur de plusieurs revendications de nature économique : droit à la propriété, droit de disposer librement de son salaire, droit de gérer ses biens pendant et après un mariage, et plus près de nous, les questions de l’équité salariale et de l’accès aux postes de direction. Une part importante de la mobilisation féministe se joue dans le cadre imposé de l’économie libérale et du travail salarié.

Bergeron et al., 2015b

Voix différente? Certes, mais en quoi? La réponse se trouve dans la diversité des discours, dans la multiplicité des femmes derrière Françoise Stéréo. La ligne éditoriale, qui favorise la subjectivité du discours, se caractérise précisément dans cette intention d’user de registres divers. Le caractère émotif, fumant même, d’un numéro comme celui sur la colère, s’il nécessite une langue plus acerbe, tranchante, trouve un contrepoids dans un numéro sur l’économie, écrit dans une langue plus normée. Attention : je n’affirme pas que la langue recherchée et normée de l’éditorial sur l’économie reflète le caractère sérieux du thème. Les Françoise vont plus loin : elles manipulent le langage, le retourne dans un véritable jeu de significations. La prose du collectif n’associe pas économie et sérieux, mais plutôt économie et prétention au sérieux. Tout se produit comme si, pour subvertir, les éditrices adoptaient la stratégie du cheval de Troie : se conformer pour ensuite renverser. Pour parler d’économie, il faut adopter son langage, revêtir ses beaux habits. Le changement de registre n’est pas strictement lié à la position du collectif : il est le produit d’une aisance, d’une maîtrise de la langue et de ses possibilités. En choisissant d’adapter son registre langagier selon les thèmes traités, le collectif montre la richesse de sa palette, émanant de la diversité de ses membres : il n’est jamais question de trancher entre la subjectivité ou l’objectivité, mais bien de choisir le ton le plus approprié. À la fois femmes et intellectuelles, êtres d’émotions et de savoirs, les membres du collectif se choisissent, tout entières, comme sujets.

Les autrices qui écrivent dans Françoise Stéréo partagent également ces allées et venues entre les registres langagiers. Dans le cinquième numéro consacré aux « Univers intimes », Vanessa Bell publie une suite de poèmes qui combinent sensibilité et vulgarité, français et anglais : « Je me déshabille à l’envers / en prenant soin de déposer avec tendresse chaque organe que tu réclames. / Et tu salives à la vue de cette table ensanglantée / dont tu ne touches pourtant rien. » (Bell, 2015a), mais aussi « Fast Foward dans ton sous-sol. / C’est noir, ça suinte, c’est humide plate. Ton lit est trempe, mais j’veux rester. » (Bell, 2015b) Ariane Lessard fait de même dans son texte « Les soeurs de ma mère », paru dans le dixième numéro intitulé Madame/Matante, en y transmettant un témoignage intime, touchant et sans détour :

Comment ça se fait que tu t’habilles de même? T’as engraissé. T’as le nez long, tu dois mentir. Pis les cheveux de Safia Nolin aussi. Ton maquillage. Tes shoe-claques. Tes talons. Trop chic. Pas assez………………………………
Elle est de celles à qui j’ai toujours voulu sortir une phrase du style : « T’es pas mon osti de mère! », en refermant la porte-patio pour aller courir dans le jardin de grand-papa.

Lessard, 2018

La revue semble rechercher une écriture impudique, mais uniquement quand cette écriture renvoie à l’expressivité du je. À chacune son texte, son expérience, son langage. Toutefois, les poèmes de Bell et de Lessard s’inscrivent dans une esthétique assez répandue dans la poésie québécoise contemporaine. C’est le cas d’autrices comme Maude Veilleux, Chloé Savoie-Bernard ou Marie Darsigny, qui conjuguent plusieurs registres et expériences. En remontant aux racines de la poésie québécoise, on trouve cette même démarche chez des poètes comme Josée Yvon et Huguette Gaulin. L’originalité des Françoise ne se situe donc pas dans les sauts langagiers ou dans leur amalgame, mais bien dans les voix elles-mêmes.

Les sauts constants que les Françoise opèrent entre les différents registres produisent également un effet sur le lecteur ou la lectrice, qui peut y trouver son compte, y reconnaître sa voix, son registre. La versatilité du registre y est d’autant plus adroite : non seulement la langue convient autant à l’énoncé qu’à l’instance énonciatrice, mais également aux destinataires. Le registre utilisé en appelle à une justesse de la voix et donc, à une volonté de dire ce qui est davantage que ce qui devrait être. Dans Françoise Stéréo, on ne recherche pas une vérité abstraite, mais bien une expérience. Informée et informative, la revue se veut un lieu d’échange, de porosité, mais, avant tout, un regroupement de subjectivités complexes qui prennent la plume afin d’exprimer un moi pluriel, collectif.

Le je comme outil de prédilection 

La variété des sujets abordés dans les divers numéros de Françoise Stéréo doit être considérée comme un aspect inhérent à la revue. Dans sa recension de l’anthologie publiée par Françoise Stéréo (2019) intitulée « Contre la solitude », Marie Parent résume la position de la revue dans le monde culturel québécois : « Si la tâche d’une revue est de nous plonger dans les débats de notre temps, Françoise Stéréo l’accomplit en nous donnant à lire les grandes questions qui traversent les féminismes contemporains. » (Parent, 2019 : 215) La mise en place de thèmes qui « traversent » ces enjeux féministes (maternité, filiation, corps, indépendance, et j’en passe) produit d’ailleurs plusieurs effets : élargissement du public, mixité, échanges, présentation de plusieurs voix, etc. À ces thèmes sont conjointement liées les diverses sensibilités qui forment la revue. En ce sens, si les numéros forment un ensemble relativement hétéroclite, qui traite de la culture populaire (nº 2), du sport (nº 6), en passant par un spécial sur la poésie jusqu’au thème de la transmission (nº 13), un mode d’expression privilégié les traverse tous : le témoignage.

Le sixième numéro, dédié au sport, présente une série de témoignages, de billets et de textes d’opinion qui insistent sur l’importance de l’expérience subjective. C’est le cas de l’article « Protect yourself at all times : les jeunes filles et le sport », de Vanessa Courville et de Catherine Dussault Frenette, qui raconte la relation que les deux autrices entretiennent avec le sport. En expliquant « [p]ourquoi je ne suis pas devenue sportive » (Courville et Dussault Frenette, 2016), Dussault Frenette rappelle une série d’événements traumatiques qui ont mené au rejet du sport. Courville se joint au dialogue et expose plutôt « [c]omment je suis devenue sportive » (Courville et Dussault Frenette, 2016), où elle rend compte, à son tour, de plusieurs expériences qui ont teinté son parcours de boxeuse. De leurs positions divergentes, les deux femmes font ressortir des problématiques semblables : les complexes qui les ont tourmentées, les commentaires qu’elles ont reçus, les abus qu’elles ont subis, etc. Leurs témoignages se croisent, entrent en dialogue. Ils évoquent tous deux des enjeux tout à fait similaires, et c’est à ces intersections que le discours politique surgit. Les enjeux réels et partagés par les deux femmes, l’une située en périphérie et l’autre au centre de l’institution sportive québécoise, constituent le point de départ de leur activisme. Leur appel, à la fin de leur témoignage, va d’ailleurs en ce sens :

[…] à travers ces lieux et ces moments marqués par la tradition masculine, des résistances se forment : des femmes donnent la parole à d’autres femmes, aménagent des espaces de réciprocité où se côtoient les expériences des unes et des autres. Nous appelons un monde où les filles refuseront de se taire, où la crainte de représailles n’aura plus de prise.

Courville et Dussault Frenette, 2016

En rendant publiques leurs expériences personnelles, les autrices lancent un appel à la prise de parole. Rappelons qu’il s’agit justement de la mission principale de la revue : créer un espace propice à l’expression. Le discours des autrices ne fait pas que correspondre au credo de la revue, il l’actualise, en plus d’inciter à sa reproduction.

Le onzième numéro de la revue, consacré à la nourriture, propose des textes qui font preuve d’une dynamique semblable. Encore une fois, le témoignage sert autant de point de départ à la réflexion que de borne vers laquelle la lectrice pourra retourner et, au besoin, s’y accrocher. L’article « La bouffe de chez nous » de Zishad Lak traite de « la honte qui accompagne la bouffe ethnique et l’odeur qu’elle émet, cette odeur qui est souvent associée aux sujets ethniques et dont [Lak] a toujours eu horreur après avoir mangé chez [sa] mère » (Lak, 2019). En racontant des souvenirs de jeunesse, l’autrice expose sa gêne, son malaise face à la nourriture qu’elle apportait à l’école : « J’en avais marre de me faire marquer, j’en avais marre des interrogations sur ma culture et ma bouffe. » (Lak, 2019) Pour l’autrice, la nourriture a déjà été un moteur de séparation, d’exclusion et de différence. Elle expose son cheminement par rapport à la nourriture « de chez eux » en se projetant dans l’avenir :

Je n’aperçois pas la bouffe comme une façon de transmettre ma culture à mes enfants. Mais par le biais de la bouffe, je suis arrivée à une appréciation profonde du savoir de ma grand-mère; c’est cette appréciation que je souhaite passer à mes enfants pour qu’iels puissent grandir sans la honte qui me hante.

Lak, 2019

En racontant sa propre histoire, l’autrice lève le voile sur la honte, elle expose une réalité subjective, qui, par son ancrage affectif, provoque un effet beaucoup plus large. Faisant écho au procédé employé, notamment par Courville et Dussault Frenette, l’usage d’une voix revendiquant sa subjectivité sert à l’exposition d’un enjeu politique. Lorsque le je prend la parole, il montre de manière tangible les répercussions du politique sur l’intime. Le témoignage ajoute une dimension privée à ce qui semble public, il agit à la fois comme le réceptacle et le catalyseur de l’expérience. La subjectivité est à la fois le point de départ et le point d’arrivée du discours et elle devient politique dès que l’instance énonciatrice dit « je ». Pour Hélène Wallenborn, le témoignage est double : il s’agit de « l’expression d’une expérience qui en même temps atteste ce qui s’est passé » (Wallenborn, 2006 : 121). Le témoignage s’effectue dans le temps présent, tout comme il engage une réflexion sur des événements antérieurs. Il est à la fois actuel et rétrospectif, il montre les effets d’un événement antérieur sur la personne qui témoigne actuellement. En témoignant, les autrices font vibrer la corde politique de la revue, elles exposent l’ampleur d’une problématique sociale.

À ces nombreux témoignages se greffe le poids du collectif propre au médium de la revue. Chacune des prises de parole possède certes une valeur qui lui est propre, mais l’effet du collectif lui confère une plus-value, laquelle l’inscrit dans une visée qui perce le politique. Si les Françoise font l’éloge des diverses expériences qui forgent la revue, elles soulignent également l’importance des voix qui, pour diverses raisons, se font muettes. Dans le numéro 8 de la revue, portant sur les femmes dans le milieu scientifique, le collectif rappelle que toutes les expériences se valent, même les plus silencieuses :

Soulignons, entre autres, le courage des femmes qui ont dénoncé les agressions sexuelles survenues dans les résidences de l’Université Laval à la mi-octobre. Pensons aussi à celles qui ont choisi de se taire ou qui se sentent incapables de crier. Elles ne sont pas moins courageuses et leur douleur n’en est pas amoindrie. Que vous criiez votre douleur ou que vous la viviez en silence, sachez que nous vous croyons.

Bergeron et al., 2016

Dans un travail de légitimation des voix, les membres de la revue ne saluent pas uniquement celles qui se font entendre, mais également celles qui, étouffées, n’en sont pas moins concernées par ces questions. Dans son article « Quand je lis je m’inventesuivi de d’elles et autres textes de Suzanne Lamy; Cartographie de l’amour décolonial de Leanne Betasamosake Simpson », Camille Toffoli avance qu’en revendiquant une singularité qui lui est propre, l’instance d’énonciation ne s’adresse plus à un Autre abstrait, mais bien à un autre je : « Par le choix d’une écriture qui instaure un rapport d’altérité, ou qui refuse certains codes, on fait le pari de parler aux siens et aux siennes plutôt qu’à l’Autre, de s’inventer plutôt que de se conformer. » (Toffoli, 2019 : 24). C’est entre ces deux instances subjectives, ces deux référents pour reprendre les termes de Suzanne Lamy (2017 [1984]), que se construit l’échange. L’élaboration d’un discours qui permettrait une certaine identification doit lui-même provenir d’une instance subjective, d’un je identifiable. La proposition de Toffoli est vérifiable dans les articles publiés dans Françoise Stéréo. Le témoignage s’inscrit dans un processus de constitution ou, plus encore, d’invention des voix qui forment une communauté, un collectif hétéroclite dont les membres s’interpellent les unes les autres. À cet égard, le second terme du titre de la revue est évocateur, tel qu’on le souligne dans le prospectus : « Stéréo, quant à lui, renvoie à la prise de parole, la résonance, l’idée de se faire entendre et la pluralité des voix. » (« À propos », Françoise Stéréo, [En ligne])

À ce stade, il importe de considérer l’ensemble des articles publiés dans les divers numéros. Oscillant entre l’essai et le témoignage, les articles sont relativement uniformes dans la mesure où la quasi-totalité des textes regorge d’expériences subjectives. L’unicité du corpus, paradoxalement défini par une variété de voix, se trouve justement dans la reconnaissance systématique d’une figure auctoriale. Bien que le je essayistique tende souvent vers une langue plus universitaire[4], il n’en demeure pas moins un hybride entre le je pensant et le il réflexif. Ayant pour objectif d’offrir une réponse éclairée à une polémique qui a eu lieu dans le milieu littéraire quelques mois avant la sortie du numéro[5], le texte d’Ariane Gibeau, tout en faisant référence à plusieurs féministes (Isabelle Boisclair, Anne-Marie Dardigna, Martine Delvaux, Lori Saint-Martin et autres), se termine tout de même sur une note davantage personnelle :

Je nous souhaite de reconnaître enfin le travail mené par les critiques littéraires féministes depuis plusieurs décennies (et ses transformations au fil du temps). Je nous souhaite de poursuivre le débat sans attaque diffamatoire ni textes calomnieux. Surtout, je nous souhaite que la démission de Vanessa Courville ne soit pas vaine. Qu’elle nous fasse avancer, plutôt.

Gibeau, 2019

Ces souhaits annoncent une continuité à l’écriture, un futur. Comme l’interpellation directe de Courville et de Dussault Frenette, ou encore celle du collectif de la revue, on incite directement à la prise de parole. Pour les autrices et auteurs de Françoise Stéréo et ses membres, la subjectivité ne possède pas d’équivalent, elle a une valeur propre.

« La conscience féministe se trouve sans répit du côté de la création[6] »

Le corpus des Françoise ne se limite pas à la présentation de témoignages et d’articles essayistiques. En effet, la revue propose également des textes qui, bien qu’ils abordent des sujets semblables, se trouvent davantage du côté de la création ou de la théorie. La cohabitation des textes de création et de théorie n’est certainement pas spécifique à la revue (voir Possibles ou Liberté), mais elle s’inscrit plus spécifiquement dans une longue lignée de publications féministes. Nombreux sont les échos au travail effectué, entre autres, dans le classique féministe québécois La théorie, un dimanche qui combine les deux modes d’écriture. Six femmes de lettres présentent deux textes chacune, « […] un dans lequel chacune [d’elles] fait le point sur une problématique qui la touche particulièrement » et un autre « texte de fiction inédit […] qui rend compte de son travail d’écriture » (Bersianik et al., 2018 : 20). Dans le même ordre d’idées, Suzanne Lamy crée en 1984 le terme « théorie-fiction ». La « théorie-fiction » implique une hybridation des points de vue, une symbiose entre les deux pôles (Lamy, 2017 [1984]). Françoise Stéréo poursuit ainsi une démarche qui jumelle voix théorique et voix créatrice, démarche qui caractérise également le parcours féministe des femmes en littérature.

Dans son essai À propos du style de Genette (2018), David Turgeon déconstruit l’intentionnalité du style du théoricien de la littérature Gérard Genette. Tout au long du texte, Turgeon s’applique à retourner la prose de Genette, à en extraire une intention stylistique et donc, la manifestation d’une subjectivité. Turgeon explique ensuite ceci : « […] la posture théorique est avant tout un style comme un autre qui préconise certaines figures et qui en évite d’autres, elle est la blouse du laborantin qui témoigne du sérieux de son entreprise […] » (Turgeon, 2018 : 28-29). La métaphore de Turgeon est habile puisqu’elle renvoie au caractère artificiel de l’objectivité. Se situant dans une perspective semblable, le deuxième numéro de Françoise Stéréo, consacré à la « Culture pop », présente des textes qui jouent sur les registres de la subjectivité et de l’objectivité. Par exemple, Isabelle Boisclair signe l’article « Pour ne pas chanter idiote : quand les Cultural Studies et la perspective féministe se marient », lequel, bien qu’en apparence plus théorique, présente une subjectivité qui ne peut être ignorée lorsque l’autrice se permet une expression du genre : « On a de quoi déprimer longtemps, mes ami-e-s » (Boisclair, 2014). La rupture de ton dont use Boisclair rappelle, en quelques mots, que l’instance énonciatrice elle-même est multiple. À l’inverse de l’article de Boisclair, une production comme « Patriarcalin jogge torse nu » de Toony, une bande dessinée en quatre cases, est ludique dans sa forme artistique, combinant visuel naïf et texte bref. Si la posture théorique est ici moins patente, la bande dessinée exprime tout de même une connaissance des enjeux du double standard, de l’hypersexualisation et de la masculinité toxique.

Le texte de Boisclair et la bande dessinée de Toony figurent tous deux dans le même numéro, dans une combinaison de postures et de savoirs, dans un ensemble qui regroupe à la fois la créativité et la théorie. La revendication d’un moi écrivant et celle d’une posture créatrice s’agencent dans le corpus pour former un tout sensible. L’indissociabilité entre un texte et sa subjectivité traverse l’ensemble de la revue. De façon sous-jacente, cette ligne directrice met le lectorat en garde : un texte qui prône l’objectivité n’a pas qu’un caractère objectif.

À ma grand-mère, à ma mère, à ma soeur, à ma fille, à nous[7]

Françoise Stéréo propose un discours hétérogène et protéiforme qui prend racine dans les diverses subjectivités qui définissent la revue. Ce rassemblement crée une sorte de microcosme qui, à l’image d’un sous-champ, constitue un endroit où la prise de parole est accueillie et ainsi légitimée. Dans son ouvrage Ouvrir la voie/x (2004), Isabelle Boisclair montre comment le milieu littéraire féministe au Québec s’est développé pendant la seconde moitié du xxe siècle. Les diverses actrices du champ littéraire auront, au cours des années 1960 à 1990, « […] aménag[é] un sous-champ spécifique, un espace de position réservé, pour émettre clairement leur désir d’accéder à une participation pleine et entière dans la dynamique du champ et valoriser leurs productions » (Boisclair, 2004 : 46). En d’autres termes, le sous-champ renvoie à un safe space où sont accueillies les voix des femmes, un espace qui favorise le développement des idées. S’il est vrai que les femmes ont intégré petit à petit le champ littéraire, le sous-champ, lui, demeure un espace plus flexible et ouvert aux minorités, et ce, encore aujourd’hui. Le safe space, l’« endroit sécuritaire », est primordial au développement et à l’avancement du discours parce qu’il permet une liberté d’action et de pensée nécessaire à la création et à la réflexion.

À la lecture des Françoise, un élément du discours général ne manque pas de me surprendre. De numéro en numéro, l’appel à la collectivité prend une tournure particulière. Le safe space se meut en une communauté et, comme des spectres, les mères, les grands-mères et les soeurs jaillissent des témoignages. Dans un texte sur sa grand-mère, Marie-Michèle Rheault évoque une femme, sa grand-mère, la « première femme-bedeau de son village, c’est pas rien! » (Rheault, 2014) :

Elle panse et soigne. Elle range, lave et repasse (autrefois les vêtements de sa famille, aujourd’hui la chasuble du curé), elle donne tout son temps. Elle n’a toujours pas de salaire. Les femmes au foyer en auront-elles un jour? Mais la différence réside dans l’oeil de ses pairs. Aujourd’hui, au sein de sa communauté, on applaudit son travail. On l’admire pour ses connaissances et pour ce qu’elle fait. On comprend ses responsabilités et on respecte son autorité.

Rheault, 2014

Dans un magnifique texte, plein de nuances et d’émotion, l’autrice oscille entre la fierté qu’elle éprouve pour son aïeule et la consternation. La figure filiale confère au témoignage à la fois profondeur et sensibilité. Je pense aussi à l’article de Lak analysé précédemment, dans lequel l’autrice en arrive à vouloir transmettre à ses enfants le sentiment de fierté qu’elle éprouve pour sa grand-mère.

Notion centrale en études féministes, la filiation entre autrices se manifeste notamment par des relations qualifiées de « maternelles » et de « sororales ». Alors que ces liens abondent dans les textes, cette délimitation des frontières de l’imaginaire littéraire féministe – ou imaginaire de la filiation, selon la formule d’Évelyne Ledoux-Beaugrand dans Imaginaire de la filiation : héritage et mélancolie dans la littérature contemporaine des femmes (2018) –, peut s’appliquer à d’autres agentes de la chaîne du livre féministe. De génération en génération, les écrivaines ont utilisé la fiction pour former un réseau social intertextuel. Cette filiation, les Françoise y adhèrent, à l’instar des autrices des générations antérieures.

Dans le tout premier éditorial de la revue, le collectif se situe explicitement dans la lignée féministe :

Les féminismes sont nombreux; Françoise Stéréo entend faire résonner les voix d’un mouvement pluriel et pourra être un lieu de débat. Le flambeau que nous ont passé nos mères et nos grands-mères n’est pas éteint. Nous comptons le lever bien haut pour éclairer la pensée des unes et les préjugés des autres.

Bergeron et al., 2014

L’évocation des figures maternelles illustre la poursuite d’un combat déjà entamé et, plus encore, l’inscription dans une longue lignée de femmes qui ont fait l’expérience des mouvements féministes. Dans son essai Le corps à corps avec la mère, Luce Irigaray (1981) insiste sur l’importance d’accorder une valeur bidirectionnelle à la relation mère-fille : « Il nous faudra faire le deuil d’une toute-puissance maternelle (le dernier refuge) et établir avec nos mères un rapport de réciprocité de femme à femme, où elles pourraient aussi éventuellement se sentir nos filles. » (Irigaray, 1981 : 86) Lori Saint-Martin emprunte la même logique dans Le nom de la mère : mères, filles et écriture dans la littérature québécoise au féminin (2017) lorsqu’elle appelle à une reconsidération de la relation mère-fille, d’un point de vue féministe en « […] [insistant] sur l’importance de la non-hiérarchisation, de la sororité entre les deux femmes, du comaternage en quelque sorte, fondé sur un échange de rôles fluide […] » (Saint-Martin, 2017 [1999] : 41).

Françoise Stéréo place justement la filiation sous la bannière de la réciprocité, autant sur le plan vertical – de mère à fille – qu’horizontal – de soeur à soeur. À cet égard, l’intégration dans une filiation, d’autant plus lorsqu’elle est explicite, se fait dans une optique de continuation des idéaux féministes, mais aussi de réactualisation et de remodulation des concepts. Il est intéressant de considérer que les Françoise ne se limitent pas aux générations de mères et de grands-mères, ni même à celle de leurs soeurs : elles interpellent également les suivantes. Dans l’éditorial « Punk’s not dead », les membres du collectif font une « Dédicace spéciale à [leurs] filles et [à leurs] filleules » (Bergeron et al., 2015a). Par cette mention, les membres tendent la main à la prochaine génération, pour prolonger la filiation.

Le titre de la revue s’inscrit dans cette dynamique filiale. Au prénom énigmatique, Françoise, le collectif fournit une explication dans la section « À propos » du site Web de la revue : Françoise était le pseudonyme de Robertine Barry, femme de lettres et une des pionnières du journalisme québécois. C’est aussi un prénom de femme qui traverse les générations et qui est porté par plusieurs figures intellectuelles fortes (« À propos », Françoise Stéréo). Le titre de la revue traduit ainsi un désir d’inscription dans une réalité intergénérationnelle qui, de Françoise en Françoise, se perpétue. D’ailleurs, la chronique « On est toutes des Françoise » fait l’éloge de quelques-unes de ces Françoise qui ont marqué l’histoire des femmes : Françoise Sagan, Françoise David ou encore Françoise Hardy. À cet héritage, il faut ajouter que « Française » s’écrivait autrefois « Françoise ». Un lien s’établit entre les générations, comme si, grâce à la langue, la filiation s’opérait. Les Françoise, par leur prénom, portent le phénomène de transmission, l’évolution de la langue et des idées.

Par une habile capacité à poursuivre le travail, mais aussi à le réinventer, les membres du collectif, dans un texte intitulé « Héritage sans testament », font honneur aux propos d’une autre Françoise, Françoise Collin, pour qui « [l]a filiation est un art de tenir le fil et de casser le fil » (Collin, 1986 : 112). La filiation avec les figures féministes antérieures n’agit pas comme une garantie de succès, mais bien comme un point d’appui, un point de départ. Si le féminisme a vu ses contours s’élargir au fil du temps, au prix d’intenses luttes portées par différents courants, et qu’il est aujourd’hui pluriel, il est primordial pour les membres de Françoise Stéréo d’assurer une production qui reflète ces diverses tendances. Cette continuité est présentée par Ledoux-Beaugrand comme une forme de mémoire, elle-même modifiée par le désir de reconduire ou de refouler certains aspects de la lignée : « De pair avec l’exigence de sauver quelque chose du passé va la certitude que de cette entreprise de sauvetage rien d’entier et d’intact ne pourra être retrouvé, que des bribes et des fragments à partir desquels il faudra repriser, rebroder, retisser quelque chose de nouveau. » (Ledoux-Beaugrand, 2018 : 107) C’est dire que les membres de la revue assurent une filiation avec les autres penseuses, autrices, lectrices et féministes avant elles, mais qu’elles ne reproduisent pas pour autant ces figures. Le souci de « repriser, rebroder, retisser quelque chose de nouveau », dont parle Ledoux-Beaugrand, renvoie directement à la mission fondatrice de la revue.

La pluralité des féminismes vient toutefois avec son lot de complexité. En ce sens, bien que les Françoise tentent de réunir un grand nombre de voix, celles-ci restent marquées par une certaine homogénéité, ce qui découle sans doute du fait que le projet de fonder une revue « part d’amitiés féministes, selon Marie-Andrée Bergeron. Je veux dire qu’à la base on est des amies[8] ». Dans son article évoqué plus haut, Marie Parent écrit :

Dès les premières pages, Marie-Andrée Bergeron souligne que les « Françoise sont encore très cisgenres, hétéros et blanches » et invite ses amies à faire de la revue un espace plus inclusif, constat bienvenu, qui trahit probablement le manque de diversité général de la scène intellectuelle au Québec. Il devient par contre assez curieux de voir les autrices « dévoiler leur privilège » les unes après les autres au fil des pages […], comme si ce rituel constituait une formule magique pour effacer le malaise de prendre la parole à partir d’une position considérée comme dominante.

Parent, 2019 : 216

Dans l’éditorial du onzième numéro, soit un numéro ultérieur à la parution de l’anthologie, Laurence Simard émet à ce propos une remarque fort intéressante : « Les absences dans ce numéro, et dans l’ensemble de la revue, reflètent certainement nos propres angles morts, et notre insuffisance à aller chercher d’autres voix. » (Simard, 2019) Repoussant la mention de « privilège » comme une manière de conforter et de justifier le discours, Simard, plutôt que de reconnaître sa position sans agir en conséquence, souligne les manquements du comité de rédaction, pas seulement son incapacité à rechercher d’autres discours, mais bien son insuffisance. En considérant leur faute initiale, les Françoise se portent vers l’avenir; elles envisagent l’amélioration plutôt que la complaisance. L’objectif n’est pas de remonter le fil de la filiation à chaque discours, mais bien de continuer à le tisser, ou même de le rompre si nécessaire… Mais si le fil venait à se briser, afin d’embrasser un féminisme actuel, peut-être faudrait-il se tourner vers un autre prénom que Françoise? Un prénom qui ne trahirait pas d’emblée l’hégémonie blanche? Certes, il s’agit d’une possibilité, mais l’intégration de nouvelles voix, celles de femmes de couleur parmi les Françoise m’apparaît d’autant plus signifiante : la filiation reconnaîtrait son point de départ, tout en acceptant de se renouveler, de changer, de s’ouvrir. À l’image du terme « femme » qui continue de se réinventer, de se redéfinir, le terme « Françoise » a certainement le potentiel de le faire. S’il est vrai que la revue Françoise Stéréo est, pour l’instant du moins, majoritairement blanche, cisgenre, hétéro, j’observe néanmoins une volonté de changement, une ouverture qui, je le souhaite, cessera bientôt d’être un projet.

La revue change, s’adapte. Elle est instable et explosive, mais, mieux encore, elle évolue. Elle bouge au rythme des subjectivités qui y prennent part et qui, je crois, sauront se renouveler. Avec le temps, elle se transformera peut-être davantage, elle sera peut-être plus présente, plus complexe, plus diversifiée. L’avenir nous dira si elle saura s’adapter assez rapidement, si elle saura aller chercher ces voix manquantes. Chose certaine, la revue, si elle porte déjà beaucoup, a le potentiel de résonner encore plus fort. Les voix de Françoise Stéréo me rendent plus bruyante, elles me confirment que cet article, je peux, du haut de mon expérience, l’écrire au je.