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Les auteurs de cet essai sont trois universitaires français rattachés à l’université de Toulouse. Le premier, André Tricot, est directeur du laboratoire Cognition, Langues, Langages, Ergonomie, et s’intéresse particulièrement à l’apprentissage et à la recherche d’information dans l’environnement numérique. Gilles Sahut a, de son côté, beaucoup travaillé sur Wikipédia et sur l’évaluation des sources d’information. Quant à Julie Lemarié, elle mène ses recherches principalement sur le traitement cognitif des documents et est maître de conférences en psychologie cognitive et en ergonomie. Dans cet ouvrage, les auteurs ont la volonté de présenter une théorie du document unifiée. Ils désirent développer cette théorie en considérant l’évolution contemporaine des technologies de l’information et de la communication, ainsi que de son effet sur ce qu’ils nomment la révolution documentaire.

Dans le premier chapitre, on nous présente les deux fonctions du document qui sont celles de mémoire et de communication. En effet, le document nous permet de pallier les lacunes de la mémoire humaine ou encore de suppléer au manque de connaissance par la transmission de l’information. Cette partie renferme plusieurs exemples d’outils développés au fil des âges afin d’imiter la mémoire humaine ou d’organiser les connaissances. Les liens sémantiques, aussi appelés hypertextes, sont très présents dans le monde numérique, et ce sont ces liens qui permettent de se rapprocher le plus de la façon dont fonctionne notre mémoire. En complément, afin de ne pas noyer l’usager dans une masse d’information, il est nécessaire d’ajouter une certaine organisation, par l’indexation, par l’application du genre au document et par l’utilisation de quelques critères rationnels et conventionnels, tels que l’ordre alphabétique ou le regroupement thématique.

Les quatre chapitres suivants se penchent sur quatre caractéristiques que les auteurs appliqueront au document et à l’information, soit : la pertinence, la quantité, la qualité et la manière. Ces attributs sont issus des maximes conversationnelles que H. Paul Grice a publiées en 1975 dans sa théorie de la communication.

La pertinence est définie comme une réponse à un déficit de connaissance dans un contexte précis. Du point de vue de l’auteur d’un document, celui-ci est reconnu comme portant une intention de communication ou de mémoire. Lors de la rédaction, l’auteur répond à des questions potentielles, tout en tenant compte de son auditoire, du moyen de communication et de la façon dont l’information sera recherchée. Le désir de transmettre l’information de manière intelligible est manifeste de la part de l’auteur. Puisque le destinataire est préalablement défini, un document qui répond au besoin informationnel d’une personne peut être inutile à une autre. La personne en recherche d’information se soumet à différentes étapes de sélection et d’évaluation de l’information disponible. Ce processus est donc fondamentalement subjectif et il est étudié à partir de la perspective du lecteur-utilisateur. Les auteurs font remarquer que la venue du Web ajoute un nouvel élément qui fait augmenter artificiellement la pertinence : la notion de popularité.

La subjectivité se trouve également dans la quantité documentaire (tout comme dans les deux autres caractéristiques, nous le verrons), car la nouveauté et le coût d’une information dépendent de l’utilisateur. Il importe de balancer l’effort demandé par le gain d’information en fonction de la quantité et la qualité de l’information récoltée. Les auteurs soulignent que, de tout temps, les humains ont progressé en optimisant ce rapport bénéfice/coût dans l’acquisition de connaissances. Cet aspect rationnel est l’un des volets de la théorie de la fouille d’information dont les auteurs discutent ensuite. Ils abordent finalement les concepts d’obésité, de bruit et de couverture documentaires, trois enjeux particulièrement discutés dans la recherche d’information par le biais des technologies numériques.

Le troisième chapitre aborde la question de la qualité documentaire. Pour qu’un document assure ses fonctions de mémoire et de communication, le lecteur doit pouvoir avoir confiance, le considérer fiable. Dans ce chapitre, sont présentées de nombreuses études qui ont touché les thèmes de la confiance, de l’autorité et de la crédibilité, ainsi que des recherches concernant les comportements informationnels des individus. On y explique que le jugement de la qualité d’une information par un usager repose sur divers facteurs : ses propres connaissances, ses compétences informationnelles, sa capacité de planifier, de contrôler et de réguler le processus de recherche d’information (compétences métacognitives), ainsi que sur des facteurs sociaux et démographiques. On y conclut que, avec la généralisation des communications électroniques, il est plus que jamais nécessaire de former les jeunes aux compétences informationnelles.

Finalement, la quatrième caractéristique abordée par les auteurs est la manière documentaire. Ils la définissent comme étant la mise en forme d’un document, ainsi que ses caractéristiques en termes de média et de modalité de présentation (Tricot, Sahut, Lemarié, 2016, p. 119). Ces éléments remplissent plusieurs fonctions sur le plan de la compréhension de l’information, par la sélection, par les diverses organisations et structurations de l’information, de même que par leur aide au repérage et à la navigation. Les auteurs soutiennent que l’utilisation de différentes modalités de présentation (le couplage graphique et le commentaire audio, par exemple), ainsi que la mise à profit de l’effet multimédia (l’utilisation conjointe d’images et de texte) favorisent l’apprentissage et l’acquisition de connaissances.

En conclusion, les auteurs reviennent sur les deux fonctions initiales du document, la mémoire et la communication, qui restent les mêmes malgré les impacts de la révolution documentaire. En effet, le document se substitue toujours aux défaillances de la mémoire humaine et demeure l’expression d’une relation entre un auteur et un lecteur. C’est cette relation qui, en fin de compte, comporte les différentes caractéristiques précédemment abordées. Les auteurs soulignent au passage que ces deux fonctions en génèrent une troisième, une fois le document soumis à une certaine distance temporelle ou spatiale. En effet, le passage des années et un possible déplacement physique confèrent aux documents une nouvelle fonction, qui est celle de preuve, fonction que les archivistes connaissent bien.

Cet essai bénéficie d’une présentation claire et simple, en plus d’être illustré de nombreux encadrés et schémas. Les résumés de chacun des chapitres confirment la volonté des auteurs d’en faire un ouvrage de référence pour les étudiants en science de l’information. Il comporte une bibliographie généreuse, se sert de nombreux exemples de la littérature scientifique et utilise plusieurs cadres théoriques. Il s’agit à cet égard d’une synthèse plus que d’une théorie. Puisque les caractéristiques du document définies par les auteurs sont de nature passablement subjective, l’analyse est souvent faite du point de vue du lecteur-utilisateur. À cet effet, plusieurs sections abordent les études faites auprès des utilisateurs en ce qui a trait à la recherche d’information et aux comportements informationnels.

Nous sommes en présence ici d’une démonstration très théorique où la définition du document est beaucoup plus près des sciences de la communication que des sciences de l’information telle que généralement appliquée en archivistique. La théorie défendue par les auteurs se synthétise difficilement et comprend de nombreux éléments complexes à résumer. Ce texte présente une exploration de plusieurs volets d’un même objet, mais qui demeurent assez dissociés tant dans leur présentation que dans leur définition. Le fil conducteur demeure principalement la relation entre le diffuseur et le consommateur d’information par le biais de documents.

L’approche fonctionnelle, comme son nom l’indique, définit le document par sa fonction plutôt que par la forme ou par la matérialité. Ce choix des auteurs, de présenter un contenu théorique de haut niveau, ne peut donner d’outils pratiques à court terme. Par exemple, il n’aidera pas l’archiviste à faire la distinction entre données et documents ou à agir sur leur conservation. Néanmoins, cela n’était probablement pas l’intention des auteurs, si on se fie à leur parcours professionnel, principalement axé sur les sciences de la communication et sur la psychologie cognitive.

Dans cette optique et avec ce facteur en tête, l’ouvrage présente tout de même une réflexion intéressante au sujet des impacts du numérique, comme la relation changeante à l’information dans sa sélection, sa quantité et sa consommation, ainsi que les changements dans les comportements informationnels. Il est encore possible de creuser plus loin cette théorie, qui est une amorce de réflexion de l’aveu même des auteurs. La présentation des différentes relations de la triade auteur-document-lecteur est très éclairante et bien illustrée ; elle intéressera ceux et celles qui se penchent sur les processus d’accès à l’information. Cet essai demeure néanmoins une source d’éléments très pertinents afin d’appréhender les changements (ou l’absence de changements) qui s’opèrent actuellement dans la gestion des documents numériques.