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Fruit d’un programme de recherche visant à « appréhender la réalité de l’allaitement en Afrique de l’Ouest dans sa complexité (p. ii), les dix-neuf chapitres de ce volumineux ouvrage sont subdivisés en quatre parties (Ethnographie de l’allaitement au Burkina Faso ; l’allai-tement pathologique et le traitement de l’allaitement dans le système de santé ; l’allaitement dans le contexte du VIH ; la prévention et la transmission du VIH par l’allaitement). Les responsables de la publication ont collaboré, à titre individuel ou conjointement, à onze chapitres du livre. La participation de Desclaux et Taverne, tous les deux médecins et anthro-pologues, ne s’est donc pas limitée à assurer la publication de ces résultats de recherche ; ils s’y sont largement impliqués.

Exception faite de deux textes touchant le Rwanda et l’Afrique du Sud, les analyses sont centrées sur le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Elles visent à couvrir les dimensions les plus fondamentales des problèmes liés à l’allaitement et à la transmission du VIH, qu’elles soient épidémiologiques et de santé publique ou associées aux pratiques sociales et culturelles. Les deux premiers chapitres, l’introduction de Desclaux et celui de van de Perre sur les ques-tions épidémiologiques situent clairement les préoccupations et les enjeux liés au rapport entre allaitement maternel et VIH, tant du point de vue anthropologique que médical.

Vient ensuite une série de cinq textes présentant l’ethnographie de l’allaitement dans certaines populations du Burkina Faso (mossi, bobo madare et peul). Ces analyses visent à montrer comment les pratiques de l’allaitement maternel sont « un lieu d’expression de l’ensemble des valeurs sociales en vigueur » (p. 84), comme le souligne Taverne. En montrant l’attention accordée à cet aspect de la fonction reproductrice des femmes, en le liant à l’ensemble des pratiques qui entourent les soins aux nourrissons, les rapports à la sexualité, les conceptions de la féminité ou du corps féminin, les auteurs font ainsi ressortir les enjeux sociaux et culturels attachés à l’allaitement. Ils permettent aussi d’inférer les implications potentielles que l’apparition du VIH peut avoir dans ce contexte.

Les quatre chapitres de la deuxième partie de l’ouvrage sont consacrés au Burkina Faso. Ils portent sur les pathologies liées à l’allaitement maternel, sur la présence du sida et ses conséquences soit en ce qui concerne l’allaitement lui-même, soit dans le fait que des bébés deviennent orphelins à la suite du décès de leur mère atteinte du sida. Les différentes analyses mettent l’accent sur les comportements qui sont induits par la peur de la transmission du sida dans des contextes sociaux et culturels qui, traditionnellement, faisaient que d’autres femmes que la mère pouvaient nourrir un bébé. On insiste aussi sur les liens que les représentations populaires établissent entre lait et sang permettant, si on ne s’arrête qu’à cette seule dimension, de constater que les campagnes de prévention du sida rejoignent plutôt aisément ces conceptions populaires (chapitre VIII).

Cela ne règle pas pour autant la situation des bébés orphelins qui requiert des solutions nouvelles, familiales ou institutionnelles (recours aux dispensaires, aux pharmacies, ainsi qu’aux substituts de lait maternel). Ces mesures risquent d’entrer en contradiction directe avec les programmes de promotion de l’allaitement maternel, comme l’a constaté Desclaux pour le Burkina Faso (chapitre XI).

La troisième section réunit quatre textes mettant plus directement l’accent sur l’allai-tement dans le contexte de séropositivité des mères et permettant de comparer entre elles les pratiques d’allaitement, mais aussi les réactions des systèmes de santé publique dans le domaine de la prévention. Les recherches effectuées à Kigali, Abidjan et Bobo-Dioulasso montrent la diversité des comportements et des attitudes envers la séropositivité et le risque de transmission lié à l’allaitement. C’est l’occasion de rappeler une fois encore que « les perceptions de l’allaitement et du lait maternel déterminent les attitudes en matière de prévention » (p. 365). Et d’insister également sur le fait que les stratégies et les choix d’allaitement en cas de séropositivité varient inévitablement en fonction des contraintes particulières (économiques, de pression sociale) rencontrées par chaque femme, conjuguées, à l’occasion, à leur volonté propre.

La quatrième partie du volume consacre les quatre derniers chapitres à la notion de risque dans la transmission du VIH mère-enfant et aux interventions de santé publique en matière de prévention. Les auteurs, particulièrement Desclaux (chapitre XVII) insistent sur l’absence de visibilité de la maladie dans les programmes de santé publique durant une certaine période et sur les orientations d’intervention différentielles en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. La situation en Afrique du Sud ajoute un élément de comparaison à ce qui est décrit pour l’Afrique de l’Ouest. Cette analyse montre à nouveau que les informations diffusées dans les centres de santé publique conservent la même orientation fortement axée sur l’allaitement maternel, occultant du même coup le contexte de séropositivité croissante des mères et les risques de transmission qu’il entraîne.

Le dernier chapitre, écrit par les deux responsables de la publication, fait le point sur l’ensemble des problèmes liés à la transmission du VIH lors de l’allaitement maternel. Les auteurs y proposent une série de mesures destinées à assurer une meilleure prévention de la maladie chez les nourrissons.

Cet ouvrage aborde un thème qui demeure trop souvent négligé dans les analyses produites sur la transmission du VIH. Les diverses analyses couvrent le lien séropositivité et allaitement maternel en détails et sous des angles multiples. Par ailleurs, au fil des textes, plusieurs auteurs soulignent le rôle joué par les pères dans les prises de décision concernant l’allaitement, surtout si des complications surgissent. Il aurait probablement valu la peine d’inscrire de façon plus singulière et explicite l’intervention auprès des hommes, maris et pères, parmi les mesures de prévention de la transmission du VIH par allaitement.

Avant de clore ce compte rendu, il m’est par ailleurs difficile de passer sous silence la piètre qualité de la mise en forme de ce texte par la maison d’édition. Le document est parsemé de coquilles, de défauts de mise en page. Ces textes auraient mérité plus de soin.