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Organisé en trois parties, « la musique des musiques », « la culture autrement » et « lire-écrire », cet ouvrage collectif voudrait dresser un tableau des pratiques culturelles des jeunes. Mais la première lecture donne une impression de grande hétérogénéité, en particulier la seconde partie regroupant des papiers sur un jeu télévisé français, sur la fréquentation du Musée de la Civilisation à Québec ou sur la pratique du carnaval au Brésil pour ne prendre que trois exemples. Dans l’introduction, Maryse Souchard, consciente de cette diversité, tente de regrouper ces contributions sous le thème de « culture de grande consommation ». Certains papiers de la partie consacrée à la lecture et à l’écriture semblent un peu décalés par rapport aux attentes du lecteur : les formes de témoignage social dans l’oeuvre de jeunesse de l’écrivain québécois Michel Tremblay (Denis Saint-Jacques), le rôle de Christian Dotrémont dans le mouvement des surréalistes-révolutionnaires (Damien Grawez) ou les formes d’engagement féminin de Flora Tristan (Stéphane Michaud) ont un côté historique qui pourra dérouter un lecteur s’attendant à des témoignages sur les pratiques contemporaines de la jeunesse.

Cependant cet ouvrage a le grand mérite de montrer aussi que les jeunes, contrairement à l’image qui leur est souvent attribuée, sont profondément intéressés par la politique au sens premier du terme, la vie de la cité, de la société dans laquelle ils vivent ou d’une société idéale qu’ils se donnent le moyen de rêver ou de créer à certaines occasions. La contribution de Stéphane Wahnich et Virginie Wathier sur « les Eurockéennes, un monde à part », met en avant quelques fondements de cette société parfaite : il s’agit de vivre en société dans un lieu où les jeunes sont intégrés et écoutés. L’engagement collectif qui motive et mobilise les jeunes s’épanouit dans les concerts et les festivals qui représentent des lieux de partage de valeurs et de renforcement des liens affectifs (David Perchirin sur le rôle de la pratique musicale dans la construction de l’identité). La musique peut alors être vue comme un vecteur de socialisation mais aussi de développement de l’identité personnelle (Roger Chamberland sur les spectacles des sous-cultures punk). L’engagement politique des jeunes se traduit par les valeurs qu’ils mettent en avant, la solidarité, la liberté, la tolérance, le respect de la différence, la lutte contre les injustices. L’article de Marie-José Des Rivières, Marie-Hélène Bolduc et Sandra Saint-Laurent sur le rapport des jeunes avec le Musée de la Civilisation montre leur intérêt pour des expositions temporaires (comme celle qui était consacrée à la guerre) et à propos desquelles ils peuvent exprimer sur des cahiers mis à leur disposition leur révolte et leurs espoirs pour un monde futur, que ce soit leur avenir propre ou l’avenir de l’humanité.

Ce besoin de se faire entendre se retrouve dans leurs différentes expressions musicales : ainsi le rap est devenu de nos jours plutôt une complainte constatant l’isolement de l’individu, un discours d’exclus, qu’un cri de révolte comme pouvait l’être le rap des débuts ou le rock des générations précédentes (Maryse Souchard). Certaines pratiques culturelles deviennent alors à la fois partie prenante des discours de revendication identitaire et de résistance face à certaines institutions (Valentina Garcia Plata sur l’évolution du rock madrilène de 1975 à 1982, Floriane Gaber sur les arts de la rue). La lutte pour leur intégration reste un leitmotiv du discours jeune.

Bien que la musique puisse être considérée comme le paradigme de la culture jeune, l’écrit joue aussi un rôle important : l’enquête de Nicolas Robine (pratiques de lecture des jeunes) nous fait prendre conscience de l’importance de cette activité et du fait qu’un lien social peut se créer autour de la circulation de livres. La lecture de bandes dessinées, de science-fiction ou de fiction romanesque contribue au développement de l’imaginaire de cette société idéale à laquelle aspirent les jeunes. Mais ce n’est pas uniquement dans la fiction que les jeunes puisent leurs idées : Véronique Nguyën-Duy note que l’actualisation qu’ils font de symboles de générations passées (habillement hippie, re-création de festivals mythiques comme « Woodstock en Beauce ») n’est pas qu’un mouvement passéiste mais fait partie intégrante du processus de construction de l’être jeune, tout comme peut l’être le recours à la renaissance patrimoniale (Tony Focaci sur la langue et le chant corse).

Cet ouvrage est donc riche et offre de nombreuses pistes de recherches pour des études ultérieures même si on peut regretter l’absence de certaines études sur des pratiques très actuelles comme les rave, les jeux vidéo ou les jeux de rôle.