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Cet ouvrage aborde l’immigration sous un angle rarement exploré par les chercheurs, les praticiens et les décideurs politiques, celui des familles immigrantes, redonnant ainsi la légitimité au groupe familial comme espace, soutien et tremplin aux changements traversés lors de la trajectoire migratoire et tout au long du processus d’adaptation. En effet, ici, la famille est présentée comme une entité en soi à prendre en compte dans les orientations, les structures et les interventions visant l’insertion des immigrants dans la société d’accueil.

Privilégiant l’angle familial, l’auteure porte un regard nouveau sur les immigrants en France et au Québec, d’une part, sur leurs modes d’adaptation, d’insertion et de citoyenneté et d’autre part, sur la diversité et la richesse des ressources et potentiels en jeu. De plus, l’auteure invite le lecteur, qu’il soit travailleur social, gestionnaire d’organismes ou décideurs d’institutions responsables de l’accueil et de l’accompagnement des immigrants, tant jeunes qu’adultes, à s’interroger sur la prise en compte de la dimension familiale dans l’intervention sociale et sur l’exploration de pistes originales et pertinentes issues de l’analyse des stratégies familiales de citoyenneté brillamment décrites dans l’ouvrage.

Le sujet traité se situe au coeur de l’immigration, des histoires de vie, de l’interculturel et il se trouve divisé en cinq chapitres. Dans la première partie, le livre rend compte des différences et des ressemblances entre deux pays, la France et le Québec, en matière d’immigration, de politiques d’intégration et des modes d’intervention sociale mis en oeuvre pour accompagner les immigrants à travers leur processus d’insertion dans la société d’accueil.

Dans un deuxième temps, l’auteure fait place au discours des familles grâce à des récits extraits de rencontres avec six familles d’origines diverses installées en France et au Québec, révélant au lecteur des trajectoires migratoires et des dynamiques d’insertion qui s’inscrivent dans des stratégies de citoyenneté au service d’un « nous familial ». Pour ce faire, la chercheure sollicite tout d’abord la sociologie en se référant aux typologies et modèles construits (concepts de changement, de transmission) et les analyses de rapports de genres et de générations. Par la suite, les perspectives de la psychosociologie, de l’histoire et de l’ethnologie aident l’auteure à illustrer l’importance des histoires familiales dans la réalisation des stratégies d’insertion et de citoyenneté.

L’analyse des histoires couvrant des groupes aux origines ethniques et aux appartenances religieuses variées ouvre sur les divers sens pris par la famille dans la migration et permet à l’auteure de construire les différentes stratégies familiales de changement et de citoyenneté par le biais de leurs composantes dynamiques : les rapports au privé et au public, la création de réseaux, l’interprétation des histoires familiales et collectives, et les trajectoires individuelles dans un parcours familial de migration.

Enfin, à l’aide de l’analyse de ces divers modèles de stratégies familiales de citoyenneté, l’auteure insiste sur l’importance relative des contextes d’accueil en différenciant les stratégies appliquées en France et au Québec, et elle propose des pistes d’intervention aux travailleurs sociaux, organismes et institutions travaillant avec les populations immigrantes, en fonction des contextes juridiques, légaux et sociaux dans les deux sociétés.

Parmi les apports de cet ouvrage, soulignons l’invitation qui est faite aux praticiens de l’interculturel à adopter un regard critique et dynamique qui prenne en compte le savoir et le potentiel des personnes immigrantes, au lieu de « problématiser » la situation vécue. Ce nouveau regard aide à ouvrir à la diversité des discours, aux stratégies élaborées et à la complexité des situations. Il permet également de s’éloigner des approches culturalistes de l’immigration et de voir les familles immigrantes comme médiatrices de changement. De plus, il offre la possibilité d’explorer des pistes originales et pertinentes pour construire des interventions innovantes en travail social et en travail communautaire.

Basé sur plus de 15 ans de recherche auprès des familles immigrantes, tant en France qu’au Québec, ce livre pose également un regard critique sur trois des différentes approches actuellement utilisées en contexte interculturel dans les deux sociétés d’accueil, soit l’intervention psychosociale, l’intervention éducative et l’intervention féministe. Par ailleurs, tout en soulignant certaines zones de malentendus entre les sociétés d’accueil et les immigrants, dans le rapport à l’histoire, au changement et au social, l’auteure se sert de ces composantes pour démontrer les forces des familles immigrantes au lieu de leurs faiblesses, ce qui représente une originalité de l’ouvrage.

À la suite de la présentation des pistes d’intervention basées sur les forces familiales acquises et développées dans la trajectoire migratoire, l’auteure trouve important de jeter un regard critique sur le concept de médiation lorsqu’il est appliqué aux familles immigrantes. Ainsi, grâce à l’analyse des parcours et des stratégies de citoyenneté de ces familles, l’ouvrage vient enrichir les débats des deux côtés de l’Atlantique en dénonçant certains effets pervers des tendances actuelles en médiation interculturelle et en remettent en question les critères de choix des médiateurs.

D’ailleurs, les titres des différentes parties du volume sont très évocateurs et stimulent le lecteur à maintenir son intérêt malgré la densité du contenu. Il est à noter qu’une certaine prudence anime la chercheure quand elle choisit de bien identifier le sens qu’elle donne aux concepts qui sont au coeur de l’immigration, tels que l’insertion et l’acculturation.

En résumé, l’auteure fait une démonstration éloquente et juste des particularités et des ressemblances de deux sociétés dans lesquelles s’établissent les immigrants, des capacités de participation des familles à leur processus d’adaptation et d’insertion sociale et des possibilités qui s’ouvrent aux choix d’action sociale. Il serait souhaitable que ces analyses et les recommandations qui en découlent puissent servir de terreau au développement de programmes de formation, de base ou continue, dans le domaine de l’intervention en contexte interculturel.