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Cet ouvrage présente des réflexions d’ethnologues sur le traitement et la maltraitance sociale des personnes qui connaissent des situations de précarité constituant, selon eux, le type même de la misère. Les auteurs de ce collectif analysent les mécanismes de domination qui se reproduisent à travers les discours sociaux et l’organisation institutionnelle et en soulignent les contradictions. Leurs travaux portent sur les personnes qui vivent dans la rue, espace où la domination sociale et le rôle du pouvoir s’exercent avec plus de visibilité. « Loin de nous d’étudier une “population” particulière sur laquelle nous ferions porter des commentaires et des analyses. À la rue, les populations sont mobiles, avec des niveaux de vie variés donnant lieu à des situations très dissemblables » (p. 7).

Ce livre est le fruit des contributions de six chercheurs français en ethnologie et membres d’un groupe de réflexion, le GREP (Groupe de recherche sur la pauvreté). Leurs travaux portent sur les enjeux sociaux des discours sur la misère (Patrick Gaboriau), les femmes en institution d’accueil (Carole Amistani), les clochards à la rue (Noël Jouenne), la mort des personnes sans domicile (Daniel Terrolle) et les institutions d’hébergement (Dominique Lebleux et Gilles Teissonnières).

Les textes présents, réunis sous le thème des « personnes sans logis » ou « sans domicile fixe », réagissent à un constat : les publications traitant de la misère sont très promptes à esquiver les rapports sociaux et la violence physique et symbolique que connaissent les personnes vivant en situation de précarité. Afin de réagir à cette situation, les auteurs proposent d’étudier directement sur le terrain les comportements, les attitudes et les valeurs de ces personnes, car elles « renvoient à la vie en chair et en os et, en dernier ressort, aux brutalités de la vie quotidienne sans lesquelles la misère humaine ne saurait se comprendre » (p. 10). Ils mentionnent que l’ethnologue doit non pas légitimer une forme ou l’autre de domination sociale mais prendre part au débat scientifique sur la question et faire une lecture critique des auteurs de ce domaine afin de formuler autrement et avec méthode ce qui prendra alors la forme d’une problématique scientifique. Cela permettra de mieux comprendre les optiques des personnes de la rue, les rapports de pouvoir, les rapports de forces et les inégalités humaines qui se jouent dans les dénominations, les « moyens d’assistance », les politiques « dites » sociales (comme si elles ne l’étaient pas toujours), le fonctionnement institutionnel et les avis théoriques sur la misère.

Les auteurs posent donc un regard critique sur l’étude des personnes en situation de pauvreté en France à travers différentes études de cas et la présentent, aujourd’hui, comme un enjeu social important. S’inspirant de la démarche foucaldienne, ils soulignent l’impropriété des termes, dénoncent les contradictions institutionnelles, révèlent les enjeux sociaux et dévoilent les orientations de savoirs préétablis qui se présentent comme vrais, comme discours savants, alors que ces constructions reposent sur des imprécisions et sur l’ignorance. Selon eux, la critique des catégories définies par les « experts » pour décrire la misère est une nécessité première, car c’est à partir d’elles que s’élaborent et se pensent les politiques sociales. Ainsi, à travers une remise en question des discours et des pratiques qui légitiment l’urgence d’agir, alors que la misère des personnes à la rue se poursuit depuis des siècles, les auteurs désirent mettre en lumière les mécanismes latents qui sous-tendent l’étude de la misère afin de mieux comprendre l’élaboration d’un savoir trop souvent basé sur des leurres, voire des mensonges, et qui sont constamment repris et reproduits.

Dans cette optique, les chercheurs travaillent à mettre en évidence les fonctions et les rôles des représentations dominantes. Cela leur permet d’éclairer les mécanismes de domination qui font apparaître la réalité sous le jour de l’objectivité, de la neutralité et même de la banalité.

Enfin, sur le thème des sans-logis, les auteurs désirent mettre en lumière deux tendances qui constituent de véritables obstacles à une meilleure compréhension de la réalité : d’une part, le recours systématique à la statistique et le souci constant du dénombrement des soi-disant « SDF » et, d’autre part, l’explication psychologisante voire « psychiatrisante » qui tend à individualiser les parcours ou à les comprendre en fonction de schémas médicaux préexistants.