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Comme son titre le mentionne, ce livre contient six courtes études anthropologiques. L’ethnologue et architecte français Patrick Pérez souhaitait rendre ses réflexions plus accessibles en les regroupant dans un même ouvrage, elles qui portent toutes sur les Hopi d’Arizona, groupe amérindien sédentaire de la grande famille culturelle pueblo. S’intéressant aux diverses dimensions de l’espace en milieu amérindien, Pérez propose donc ici une anthropologie de l’espace hopi.

Dans le premier texte, Pérez étudie la représentation contemporaine des ruines pueblo que l’on trouve disséminées un peu partout en Arizona et au Nouveau-Mexique. Certains de ces anciens villages datent du XIIe siècle de notre ère. On y voit que ces sites regagnent en importance depuis quelques années en vertu de leur caractère religieux ancestral. Par la suite, dans le second texte, l’objectif est de « comprendre quelle est la place de l’image dans la culture hopi et de quels enjeux elle est l’objet » (p. 38). C’est que depuis les années 1920, les Hopi interdisent aux photographes non Amérindiens de saisir sur pellicule leurs rituels religieux. Si honorable soit-elle, cette restriction a malheureusement contribué à la « muséification » de la culture hopi en la fixant quelque part au XIXe siècle. Dans sa troisième étude, Pérez s’intéresse à la gestuelle des Hopi, aspect plus personnel de leur espace. Une étude ethnographique de l’importance du geste dans la culture hopi, avec toute sa variété (gestes ordonnés chez certains danseurs et désordonnés chez d’autres lors des rituels, mouvements faciaux timides dans la population en général, fabrication traditionnelle de pots par les femmes, etc.), lui fait découvrir une psychologie de vie « qui relie parole et surface du corps à un intérieur » (p. 59). Dans l’étude suivante, l’auteur se penche sur les temporalités des paysages hopi. Hormis les prouesses organisationnelles que nécessite la vie dans une région aussi austère que l’Arizona, les Hopi ont depuis longtemps développé une cosmologie adaptée aux caprices du territoire, une sorte de « hopitude », qui permet notamment de gérer la planification et le contenu des rituels religieux. Dans la cinquième étude, on voit comment le sexe et le genre sont au coeur de la répartition des tâches chez les Hopi, mais plus encore, comment leurs catégories « se retrouvent projetées dans les représentations du territoire » (p. 89). Par exemple, dans la société traditionnelle hopi « [l’]espace domestique peut être découpé […] selon différentes sphères de la parenté qui renvoient en fait à des genres un peu particuliers. Ainsi les champs travaillés par les hommes sont toujours la propriété de “ceux de l’épouse” ; le village est à “ceux de la mère” et à “ceux de l’épouse” » (p. 95), etc. Enfin, dans sa dernière étude, Pérez prend un chemin quelque peu différent et se lance dans une réflexion où il démontre comment l’ethnologie a fourni des données complémentaires à l’archéologie des ruines anasazi du Nouveau-Mexique. En se servant de travaux ethnologiques et ethnographiques réalisés sur les Hopi depuis la fin du XIXe siècle, Pérez cherche à comprendre comment les Anasazi réussirent à construire des bâtiments requérant la mobilisation de générations entières, il y a de cela plusieurs siècles.

Dans un contexte de revendications territoriales, le cas des Hopi d’Arizona est des plus intéressants en ce sens que les ruines qui se trouvent à l’extérieur de leurs réserves semblent constituer des arguments de poids dans un processus de rétrocession de « terres amérindiennes ». Or, malgré le fait que les Hopi peuvent aisément prouver leur présence millénaire dans certaines régions du sud-ouest américain, les choses ne sont pas plus simples pour autant. Comme pour bien d’autres groupes amérindiens des États-Unis, le recours à l’argument religieux pour recouvrer des terres est devenu un véritable fer de lance pour les Hopi en raison de la quantité impressionnante de sites ancestraux, jadis lieux de culte, qui ponctuent les environs de leurs réserves. Il faut savoir que la promulgation du Indian Religious Freedom Act (1978) et du American Graves Protection and Repatriation Act (1990) a incité plusieurs communautés amérindiennes à faire usage de la religion comme motif de revendications territoriales. Un problème, dénoté par l’anthropologie, se pointe toutefois à l’horizon dans le cas des Hopi, et des Pueblo en général, car « depuis de nombreuses années, nous avons pu noter comment les pétroglyphes, dont la signification s’est largement perdue depuis longtemps, sont sur-interprétés […] » (p. 35). Malgré cela, pour Pérez, les combats menés par les Hopi devant les tribunaux puisaient leur source bien plus dans une dynamique spatiale traditionnelle que dans un quelconque opportunisme offert par les lois de 1978 et 1990, ses six études sur l’espace hopi étant là pour l’attester. En d’autres mots, décoder ce que représente l’espace pour les Hopi, c’est comprendre également leur histoire, car celle-ci s’articulait selon un cadre davantage spatial que temporel. Et ce trait culturel n’a jamais disparu complètement.

Bien que Les Indiens Hopi d’Arizona ne constitue pas un ouvrage particulièrement étoffé et novateur en soi, Patrick Pérez parvient dans ses six courtes études à saisir une série de composantes importantes de l’espace hopi en plus de bien faire ressortir certaines problématiques contemporaines qui touchent ce peuple. Il aurait toutefois été intéressant de bénéficier de quelques cartes géographiques pour mieux situer les communautés hopi, question de mieux comprendre, par exemple, la dimension de leurs revendications territoriales. Pour conclure, mentionnons que ce petit livre intéressera peu les spécialistes du sujet – à l’exception peut-être du dernier chapitre –, mais qu’il en sera autrement pour ceux et celles qui sont moins familiers avec l’histoire et la culture hopi.