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Cet ouvrage collectif est le fruit d’un colloque international, organisé par le Centre de recherches et d’études anthropologiques de l’université et le Musée des Confluences, qui s’est déroulé en 2009 à l’université Lumière–Lyon 2. Il traite des frontières et la diversité des relations entre humains et animaux, sous l’angle d’une anthropologie de la nature qui est « nécessairement une anthropologie critique », s’inscrivant dans les débats les plus récents de la discipline (p. 1). Le livre intègre également la question des représentations muséographiques de la relation homme/animal, dont trois des auteurs sont de véritables spécialistes, et ouvre des perspectives généralistes par le biais d’anthropologues non africanistes, appelés à rédiger les prologues des trois parties de l’ouvrage afin de libérer celui-ci d’un créneau trop étroitement culturaliste.

La première partie, intitulée « Consommer l’ordinaire », est pertinemment présentée par Noëlie Vialles. L’anthropologue s’intéresse d’emblée au titre « alléchant » et à double sens de l’ouvrage « l’animal cannibal-isé » : ce dernier pouvant « désigner celui qui est transformé en cannibale, dévorant son semblable ; ou celui dont se nourrit le cannibale, qui par définition est son semblable » (p. 11). Les premiers textes interrogent les relations aux animaux au quotidien à travers le prisme de l’alimentation des bêtes. Dans quatre contextes différents, le lecteur est amené à appréhender le caractère indissociable des rôles alimentaire et social du bétail. On remarquera à cet égard la contribution de Julien Bondaz qui met à jour les enjeux symboliques d’une pratique peu interrogée : le nourrissage des carnassiers dans les zoos. Ce texte offre une vue synthétique comparative (Mali, Niger, Burkina Faso) de différentes pratiques de nourrissage, réponses à des contraintes locales liées au statut spécifique de l’animal dans chaque pays, qu’il relie aux aspects symboliques de la manipulation de la viande.

Viennent ensuite les questionnements sur l’élaboration des représentations zoologiques propres à distinguer les zoos des musées, avec le cas particulier du Duc d’Orléans et la quête des trophées de chasse, ou sur les différentes « accommodations muséales de l’imaginaire relatif aux animaux d’Afrique » (p. 4). Fort justement, Benoît de L’Estoile met ces questionnements en perspective avec les idéologies animalistes contemporaines et, de ce fait, la métamorphose des musées en « ambassadeurs de la biodiversité » qui en découle. Les textes réunis ici abordent directement et indirectement la question de l’avenir des musées d’animaux d’Afrique et des options muséographiques qui s’offrent à eux.

Enfin, les trois dernières contributions se penchent tour à tour sur les multiples modalités de création du lien avec l’animal. Maxime Michaud met en avant la difficile, et non moins passionnante, question de l’origine de l’engouement occidental pour la faune africaine. L’utilisation de l’animal, tantôt humanisé et modèle à suivre, tantôt décrié et outil de critique dans les proverbes de l’Afrique de l’Ouest, permet à Cécile Leguy d’analyser les paradoxes du recours à l’animal dans les stratégies du discours. Puis, précisant que « la prédation animale a souvent pu servir de modèle pour penser des relations sociales » (p. 186), Julien Bonhomme entraîne le lecteur dans le monde de la sorcellerie et de la contre-sorcellerie au Gabon où la prédation offre les possibilités métaphoriques permettant d’appréhender par des registres antithétiques la réalité de la sorcellerie et de ses pratiques annexes. « Digérer le sauvage », voilà la lignée de cette dernière partie.

La diversité et le mélange des approches scientifiques et professionnelles sont plaisants et pertinents, et ce d’autant plus que le décentrement est heuristique en anthropologie car il ne peut qu’étendre l’horizon réflexif du lectorat. Nuançons cependant ce propos. En effet, le lecteur s’apercevra certainement de la qualité inégale des différentes contributions, puisque certaines se limitent à une description de faits quand d’autres ouvrent des perspectives théoriques participant entièrement au débat de la discipline sur les relations entre humains et animaux. Dans un cas comme dans l’autre, l’écriture reste claire et les différents textes s’appuient sur des références bibliographiques solides.

En somme, ce livre s’adresse aussi bien au lecteur néophyte, qui cherchera à appréhender à travers divers exemples africains les interactions de l’homme et de l’animal, qu’à l’universitaire qui pourra y puiser de quoi enrichir ses réflexions sur les distinctions soumises à débat entre humains et animaux, nature et culture. On ne peut que souhaiter que cette opportune publication se prolonge avec des perspectives comparables sur d’autres régions du globe.