Article body

Dans, Making : Anthropology, Archaeology Art and Architecture, Tim Ingold s’intéresse à l’aspect de la mise en pratique, à savoir au comment faire, à la confection, à la réalisation, et au devenir, d’où le titre Making attribué à l’ouvrage. Plus particulièrement, l’auteur argumente qu’il existe une correspondance entre la personne qui fait un objet et l’objet qui est en train de se faire confectionner, et ce, autant en anthropologie qu’en archéologie, en art et en architecture. Par conséquent, ces quatre disciplines deviennent des façons de penser en pratiquant différemment au lieu d’être des disciplines qui font en pensant (p. xi). Cette thèse est supportée de diverses façons tout au long de l’ouvrage.

Ingold reste fidèle à son argumentaire introduit dans les livres précédents. Sur le plan méthodologique, il réfute l’idée que l’ethnographie est la méthodologie de l’anthropologie. Étant donné qu’il n’existe pas de différence entre la théorie d’une discipline et sa méthode, l’anthropologie et l’ethnographie constituent toutes les deux une théorie et une méthode d’apprentissage différente. Selon Ingold, on est en anthropologie lorsque l’apprentissage se fait auprès des gens et avec eux. L’effet de l’apprentissage anthropologique est celui de transformation qui est prolongée dans le temps. Tandis que l’ethnographie consiste pour sa part à étudier les gens. Il s’agit de recollection du passé de style documentaire. Bien qu’il y ait une transformation, celle-ci n’est pas intégrée dans les pratiques quotidiennes et ne vient pas influencer une personne de la même façon. L’auteur précise donc que Making est une oeuvre anthropologique et non ethnographique.

De manière similaire avec l’argumentation exposée sur le plan méthodologique, Ingold fait la distinction sur le plan théorique entre une vision hylémorphisme et une vision morphogénétique du monde. Selon la première, l’artéfact est la confection matérielle d’une idée ou encore de la conscience du producteur. Par conséquent, le producteur devient le Dieu créateur de l’objet. Il choisit, dirige, contrôle tous les aspects de la production matérielle de l’artéfact. Selon la vision morphogénétique, le producteur est mis au même rang que l’artéfact : il fait partie du monde. De façon plus spécifique, le producteur accompagne les objets dans son processus de transformation. L’artéfact n’est donc pas l’idée en soi du producteur, mais plutôt l’engagement que prend le producteur avec les matériaux qu’il utilise. Pour comprendre la production d’un artéfact, il devient par conséquent important d’analyser et de comprendre l’engagement du producteur (p. 22).

Ingold présente plusieurs exemples d’une analyse morphogénétique du monde à l’aide d’activités pratiques, comme la fabrication d’un marteau (chap. 3), ou la construction d’une maison (chap. 4). Bien que fabriquer ces deux artéfacts relève de processus complètement différents, ils ont en commun l’utilisation du corps, qui, lors de conception des objets, doit faire face à des circonstances spécifiques. Ingold expose ainsi à la fin du chapitre 5 que l’humain semble être pris entre capturer des rêves et façonner des matériaux (p. 73).

Dans le chapitre 6, l’auteur poursuit la discussion en considérant comment l’humain comprend les caractéristiques physiques du monde qu’il habite, tandis qu’il explore plus en profondeur par la suite l’importance du corps dans la construction de l’objet. De façon plus spécifique, il met en lumière la différence entre interaction et correspondance, prenant l’exemple de la parole et du toucher.

Ingold conclut que les lignes entre l’image que se fait le producteur et celle du monde matériel ne devraient pas être dessinées de façons séparées, mais plutôt en s’entrecroisant. En effet, faire et connaître est un processus continuel qui ne trouve jamais de fin. Les êtres humains, comme les matériaux, font partie du monde : ils sont dans le monde dans un processus de devenir.

Making… s’adresse autant aux gens qui s’intéressent à l’anthropologie, qu’à l’archéologie, à l’art et à l’architecture. Tout au long du livre, Ingold met en opposition deux concepts, qu’il clarifie en les illustrant avec des exemples. Pour ce qui est de sa structure, chacun des 9 chapitres peut être lu indépendamment sans que ne se perde l’argument central à l’ouvrage. Bien qu’il soit accessible à des lecteurs de tous niveaux, une compréhension de base de l’anthropologie et/ou de la philosophie s’avère nécessaire afin de mieux apprécier sa valeur théorique. Enfin, Making… intéressera particulièrement les anthropologues désireux de trouver d’une façon originale et nouvelle d’approcher leurs recherches.