Article body

Introduction

Si les tensions sociales et politiques concernant la question de l’immigration et de l’intégration des nouveaux arrivants qui ont secoué le Québec ces dernières années ne sont pas nouvelles, elles sont plus que jamais d’actualité. La crise sur les accommodements raisonnables, les consultations publiques de la Commission Bouchard-Taylor, la Charte des valeurs québécoises du Parti québécois et le projet de loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares du gouvernement fédéral conservateur rappellent la virulence des débats qui se sont déroulés récemment sur la place publique. Si les débats sur la place de la diversité au sein de la société québécoise sont non seulement souhaitables mais nécessaires dans une société démocratique (McAndrew 2007), force est de constater qu’ils se sont plutôt transformés en crise du rapport à l’Autre sur le mode de la menace identitaire (Potvin 2010). Cette crise a fait ressortir les inquiétudes culturelles d’une proportion importante de Québécoises et Québécois francophones par rapport à l’immigration et plus particulièrement les inconforts identitaires portés par les classes moyennes (Labelle et Icart 2007 ; Jean et Germain 2014). Selon divers sondages d’opinion, une majorité (peu silencieuse) de Québécois « de souche » percevrait donc l’immigration comme une menace à la culture et à l’identité québécoises, ce qui concorderait avec le déclin de l’appui à l’immigration au Québec depuis 2008 (Turgeon et Bilodeau 2014). Pourtant, les attitudes par rapport à la diversité ethnique sont loin d’être partagées par tous les Québécois, comme elles sont loin d’être uniformes à travers la province. L’opinion publique sur les questions en lien avec l’immigration laissent apparaître un clivage entre la métropole québécoise et les régions éloignées, en plus du clivage Eux/Nous (Bouchard 2012). De façon intéressante, des disparités régionales se donnent à voir même dans la grande région de Montréal, où s’établissent la grande majorité des nouveaux arrivants. Un sondage d’opinion mené en 2011 auprès de près de 30 000 Québécois francophones révèle que le sentiment que l’immigration est une menace culturelle passe de la proportion la plus faible à Montréal, à une des proportions les plus élevées à Laval, deuxième plus grande ville de la province qui se trouve en banlieue nord de Montréal (Hebdos Québec 2011 ; Bilodeau et Turgeon 2014).

Ces sondages d’opinion font état d’attitudes particulièrement frileuses par rapport à la diversité ethnoculturelle. Alors que plusieurs travaux ont porté sur les attitudes face à l’apport de l’immigration à la culture québécoise, nous proposons ici plutôt un regard ethnographique sur la façon dont se jouent les rapports à la diversité dans les espaces publics urbains. Pour explorer comment se vit au quotidien la cohabitation interculturelle, du point de vue tant des citoyens « de souche » que de ceux d’origine immigrante, nous nous sommes intéressés à l’observation concrète des interactions dans deux quartiers dits de classe moyenne à majorité francophone mais qui sont en transition ethnoculturelle de la grande région de Montréal : Ahuntsic à Montréal, et Vimont-Auteuil à Laval. Ces observations ont été croisées avec les discours sur l’expérience de la diversité ethnique de jeunes familles abordées dans certains espaces publics de ces deux quartiers, puis rencontrées dans le cadre d’entrevues qualitatives approfondies. Dans cet article, nous élaborons sur les lieux de rencontre et d’apprivoisement de la différence qui ont émergé des séances d’observation ainsi que des entrevues. Ensuite, nous explorons les formes de sociabilité publique qui se déploient à l’échelle du quartier pour mettre en lumière comment les « natifs » et les résidents d’origine immigrante font leur place dans la ville.

Revue de la littérature

La littérature en études ethniques et interculturelles a traditionnellement été ancrée dans une perspective descendante « top-down » avec pour focus l’analyse des politiques de gestion de la diversité dans un contexte de transformation des États-nations (Kymlicka 2010) et des processus d’intégration à la société d’accueil (Labelle et Icart 2007). Dans cette veine, plusieurs auteurs se sont donc penchés sur les institutions qui mitigent les rapports à l’Autre et comme nous l’avons vu en introduction, sur les opinions et discours par rapport à la diversité pour rendre compte du succès (souvent de l’échec) des politiques d’intégration des immigrants (Chicha et Charest 2008). Le constat de plusieurs de ces études pointe vers des dynamiques de discrimination, d’exclusion et de ségrégation, ou tout au plus à des comportements d’intolérance et d’aversion face à la diversité (Walks et Bourne 2006 ; Letki 2008 ; Greif 2009).

Parallèlement à cela, d’autres chercheurs comme Amin (2002) ont plutôt porté leur attention, non pas sur les institutions, mais sur les interactions interculturelles dans des espaces de socialisation structurés : au travail, à l’école, dans les associations ou encore dans les activités sociales organisées, etc. ; l’idée sous-jacente étant que ce sont des lieux où le contact avec la différence est (relativement) involontaire, puisque ces contacts ne sont pas nécessairement recherchés, ni choisis. Pour Amin (2002) et Amin et Thrift (2012), même si ces contacts se produisent dans un contexte « contraint » (dans le sens d’encadré), comme sur un lieu de travail par exemple, les rapprochements interculturels observés sont peu durables puisque ces lieux ne sont pas réellement structurés comme des espaces d’interdépendance et d’engagement avec l’Autre. Les travaux de Valentine (2008) vont aussi dans ce sens, qui mettent en exergue que les attitudes de tolérance superficielle qui se donnent à voir dans ces espaces structurés ne se traduisent pas nécessairement concrètement dans les pratiques. Il appuie ses critiques sur des travaux empiriques visant à déboulonner ce qu’il appelle la « romantisation » des rencontres urbaines et la préconception naïve que les contacts avec l’Autre se traduisent nécessairement par l’expression de l’ouverture et du respect. À l’inverse, s’appuyant sur les apports, bien que critiqués, de la théorie du contact d’Allport (1954), il montre plutôt comment dans certains cas, les interactions interethniques peuvent renforcer les tensions et être la source d’un durcissement des attitudes et opinions face à la diversité. Pour ce dernier, il faut être prudent de ne pas prendre pour acquis la civilité face à la différence comme preuve de tolérance, de respect et d’ouverte à l’Autre. Pour reprendre l’expression de Watson (2006), il n’est pas tout de se « frotter » à la diversité à l’école ou au travail – où se performe une sociabilité de « surface » ou « d’avant-scène » (Werbner 2013) –, il faut qu’elle donne lieu à une sociabilité « d’arrière-scène » ou « sous la surface » pour parler de véritable cohabitation interethnique qui dépasse celle de « vies parallèles » (Cantle 2005). Être exposé à une diversité ethnoculturelle grandissante en contexte scolaire ne témoigne que d’une ouverture superficielle à l’Autre si les populations d’origine immigrante demeurent écartées, volontairement ou non, des instances décisionnelles, comme des comités de parents d’école, par exemple.

Plusieurs chercheurs se sont élevés face au fait qu’aucun de ces écrits ne traite vraiment de manière adéquate de la réalité quotidienne des rencontres interculturelles et du vécu de la différence dans les villes de la « super-diversité » (Vertovec 2007). Tout un pan de la littérature, connu sous le nom de multiculturalisme au quotidien, a émergé dans le but de mieux décrire comment la diversité culturelle est vécue et négociée in situ dans la vie quotidienne à travers une approche ascendante (« bottom-up »). Ce domaine de recherche vise à recentrer le regard sur les lieux du quotidien, sur ces endroits ordinaires de la vie de tous les jours où se produisent des rencontres à la fois volontaires et involontaires. Il englobe donc non seulement les espaces de socialisation structurés, mais aussi les espaces publics des villes contemporaines. Ces espaces publics comprennent une variété de lieux qui vont de la rue aux places, en passant par les parcs, les centres commerciaux, voire les équipements publics comme les arénas, les piscines et les bibliothèques. Le dénominateur commun de ces espaces est qu’ils sont des lieux de convivialité, en principe ouverts à tous.

Bien que Rosaldo (1999) ainsi qu’Amin et Thrift (2002) avancent que nous faisons fausse route à penser que la diversité est négociée dans les espaces publics urbains – puisque ces espaces sont souvent territorialisés par certains groupes particuliers – ou des espaces de transit avec très peu d’interactions entre étrangers, nous abondons plutôt dans le sens des travaux d’Ien Ang (2001, 2003) et de Wise et Velayutham (2009). Ces derniers soulignent que les rencontres interculturelles dans les espaces publics jouent un rôle particulièrement fort dans l’apprivoisement de la différence. Dans sa réponse à Land of Strangers d’Amin (2012), Wise (2013) évoque que les rencontres interculturelles dans les espaces publics du quotidien peuvent bel et bien faire émerger des affinités entre groupes, de la reconnaissance, et même des sentiments d’appartenance commune et d’attachement au lieu. Si cela ne se traduit pas toujours par des compétences interculturelles, le contact à l’altérité peut à tout le moins devenir une trame de fond à partir de laquelle se construisent les expériences urbaines. Pour reprendre les mots de Watson et Saha (2013 : 2017), la diversité en devient « un fait de la vie ». L’idée n’est pas d’embrasser la mise en contact de différents groupes comme étant une panacée vers une cohabitation harmonieuse, comme l’ont justement critiqué Amin (2002, 2012) et Valentine (2008), mais de reconnaître ces espaces du quotidien d’où peuvent émerger des relations interculturelles parfois positives, parfois négatives, parfois « neutres ». Dans cette lignée, les travaux d’Anderson (2011) remettent à l’ordre du jour l’exploration des nouvelles dynamiques de civilité. En mettant l’emphase sur ces « zones de contact » (Wise 2005 ; Hannigan 2010) – ces micro-espaces qui émergent à l’intérieur même des espaces publics urbains et où se donnent à voir à la fois des rapprochements et des pratiques de mise à distance –, il émerge un portrait beaucoup complexe et contradictoire de la façon dont se négocient la différence et le rapport à l’Autre. Comme le réitèrent Watson et Saha (2013), il n’est pas seulement question d’inclusion ou d’exclusion, de succès ou d’échec, mais d’ajustements subtils, ordinaires et silencieux à travers lesquels les différents groupes apprennent à vivre ensemble et s’exercent à « vivre-ensemble dans la différence » (Ang 2003 ; Wise et Velayutham 2009 ; traduction libre).

Montréal, un contexte métropolitain en changement

La métropole montréalaise constitue un observatoire de choix pour explorer l’expérience de la diversité ethnique, comme le démontre relativement la longue tradition de recherche dans ce domaine (Germain et al. 1995 ; Germain 2013a, 2013b)[1]. Montréal est une ville cosmopolite où se côtoient des personnes d’une diversité ethnique et socioculturelle sans pareil. La super-diversité montréalaise a peu d’équivalent ailleurs au Canada. À cet égard, elle est différente de celles des villes de Toronto et de Vancouver qui, malgré une présence immigrante plus prononcée, ne présentent pas une immigration aussi diversifiée quant aux pays d’origine de leurs habitants (Apparicio et al. 2007).

De plus, la fluidité de son immigration complexifie la compréhension du rapport à l’Autre dans l’espace de la ville de Montréal (Leloup 2015). C’est que les immigrants sont aujourd’hui plus nombreux à quitter les quartiers centraux de l’île de Montréal pour s’établir en périphérie (Statistique Canada 2011[2]). Rompant avec la tradition des quartiers centraux, qui sont les principales, sinon exclusives zones d’accueil des premières générations d’immigrants, les banlieues rassemblent de plus en plus des populations mixtes d’un point de vue social et (Charbonneau et Germain 2002 ; Guay et Hamel 2004). Phénomène récent et somme toute peu documenté, on assiste à un étalement spatial de l’immigration dans la région métropolitaine de Montréal (Institut de la statistique du Québec 2016). Laval arrive en tête de lice, et sa popularité ne se dément pas auprès des immigrants, s’avérant le choix de 40 % d’entre eux contre seulement 16 % des non-immigrants (Turcotte et Vézina 2010). Rappelons pourtant qu’à Laval, selon le Sondage Hebdos Québec (2011), 48 % des répondants ont répondu par l’affirmative à l’énoncé « L’immigration est une menace à la culture québécoise ».

La fluidité de l’immigration dans la région métropolitaine de Montréal se donne à voir à l’échelle des quartiers, dont plusieurs sont devenus multiethniques, au moins sur les îles de Laval et de Montréal (Germain 2013a). Nous avons donc choisi deux quartiers : l’un à Montréal, Ahuntsic, un quartier résidentiel péricentral situé au nord-ouest de l’île de Montréal, en bordure de la Rivière-des-Prairies ; et l’autre à Laval, Vimont-Auteuil, un quartier typique de banlieue nord-américaine. Ces deux quartiers offrent une comparaison intéressante à plusieurs égards. Quartiers de classes moyennes[3] en plein essor, ils connaissent tous deux des transformations rapides de leur population. Une population jadis vieillissante, majoritairement de petites classes moyennes francophones, laisse aujourd’hui place à l’arrivée de jeunes familles de même qu’à des personnes issues de l’immigration (respectivement 27 % et 16 % d’immigrants en 2006[4]). Autrefois relativement homogènes sur le plan de la composition ethnique, ils deviennent ainsi aujourd’hui de plus en plus multiethniques. Ahuntsic accueille aujourd’hui une immigration récente diversifiée en provenance notamment de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ainsi que des Antilles. Quant à Vimont-Auteuil, il comprend une population immigrante aux origines ethniques extrêmement variées : de l’Europe – principalement de l’Italie –, de l’Afrique du Nord, de l’Asie et du Moyen-Orient ainsi que de l’Amérique latine (Saint-Pierre 2011).

Méthodologie

Nous proposons ici un regard ethnographique sur la façon dont se jouent au quotidien les rapports à la diversité dans les espaces publics de ces deux quartiers[5]. Nous avons donc tenté de capter les modes de sociabilité publique in situ, en observant comment des utilisateurs de ces lieux se comportent lorsqu’ils partagent un même espace. Des séances d’observation selon une grille d’analyse des espaces publics ont été menées pendant plus d’un an, entre mai 2011 et août 2012. Les lieux publics suivants ont fait l’objet d’observation : parcs, centres et rues commerciales, ventes-trottoirs et marchés saisonniers, fêtes et événements de quartier, bibliothèque, aréna, centre sportif, culturel et communautaire, pataugeoire, piscine et terrains de sport, ainsi les Maisons de quartier et Maisons de la famille. De plus, 51 entrevues approfondies ont été menées à Ahuntsic et Vimont-Auteuil auprès de familles de classe moyenne usagères de ces espaces publics : 27 entrevues avec 20 familles d’origine québécoise et 7 familles d’origine immigrante à Ahuntsic ; 24 entrevues avec 12 familles d’origine québécoise et 12 familles d’origine immigrante à Vimont-Auteuil. Ces familles étaient recrutées pour une entrevue approfondie lors des séances d’observation dans les espaces publics ainsi que lors d’activités organisées dans les deux quartiers respectifs. Dans la mesure du possible, les entrevues étaient effectuées simultanément auprès des deux parents. D’une durée moyenne de 75 minutes, les entrevues[6] portaient sur leur parcours résidentiel, les usages du quartier, les rapports au voisinage, les images et représentations du quartier de même que sur les changements relatifs à la composition sociale et ethnique, ainsi que sur la satisfaction résidentielle générale et les perspectives de mobilité. Précisons qu’afin de faciliter la présentation des résultats, nous avons classé nos interlocuteurs en deux catégories, natifs et immigrants, étant donné que peu de jeunes familles sont d’origine immigrante ou sont des minorités visibles dans ces quartiers qui n’ont pas une longue tradition d’accueil de l’immigration. Lorsque les propos des répondants sont rapportés, des pseudonymes sont utilisés.

Lieux de rencontres et d’apprivoisement de la diversité dans la ville

Nous proposons tout d’abord d’explorer la nature des rapports à la diversité, les lieux de côtoiement – et d’évitement – interculturels, ainsi que les formes de sociabilité publique qui se déploient à l’échelle du quartier. Avant de présenter les espaces du quartier qui sont le théâtre d’interactions interculturelles, il apparaît important de revenir brièvement sur les réactions face à la diversité ethnique croissante du quartier.

Mentionnons également que les familles interrogées évoquent peu la diversité ethnique de prime abord en entrevue. On aborde plus volontiers d’autres types de changement liés à la composition démographique du quartier en mettant l’emphase sur la transition générationnelle (« les jeunes familles remplacent les vieux ») plutôt que sur la transition ethnoculturelle. Ce n’est que lorsque l’on questionne lors des entrevues les répondants directement sur la diversité ethnoculturelle que ces derniers la commentent de façon prudente, généralement dans un mode très « politiquement correct ». Ce qui ressort le plus est alors la réaction de surprise face à une présence immigrante inattendue, tant de la part des Québécois natifs que des populations immigrantes. « J’ai été surprise de voir à quel point il y avait des ethnies, c’est très multiculturel », dira par exemple une femme d’origine polonaise mariée à un Algérien, installée avec leurs deux enfants à Vimont-Auteuil. Pour certains répondants, c’est en leur demandant d’évoquer l’origine ethnique de leurs voisins qu’ils réalisent avec un certain choc la présence d’un groupe ethnoculturel précis ou bien le caractère multiculturel de leur quartier. C’est le cas de Jacinthe et Jacques, tous deux originaires du Québec, résidents de Vimont-Auteuil.

Jacques : Eux à côté, elle est Italienne et lui il est Grec. Les autres à côté, ce sont des Italiens. En face aussi.

Jacinthe : Eux-autres c’est des Chiliens. Wow, dans le fond, je réalise que c’est vraiment diversifié !

Cette réaction de perplexité vient notamment de l’absence d’expériences antérieures de la diversité, soit dans les quartiers de résidence précédents, soit dans les lieux habités au cours de l’enfance.

À date, ça ne me dérange pas, mais c’est différent. Il y a beaucoup d’ethnies. Je suis pas habituée, moi qui viens du Saguenay. Ce n’est pas grave, mais tu sais j’ai pas vécu ça quand j’étais petite. Dans Petite Patrie, où j’habitais avant, c’est très, très Québécois puis Français même. Tu sais, ça fait, c’est nouveau.

La prise de conscience face à la diversité, mentionnée par cette Québécoise récemment installée à Ahuntsic, et dont plusieurs ne semblaient pas se formaliser outre mesure, est tout de même accompagnée par des sentiments de réticence ou de malaise qui émergent de situations concrètes d’interactions dans certains espaces du quartier.

Le rôle des parcs dans l’apprentissage de la différence

Les parcs de quartier apparaissent comme des lieux privilégiés dans l’expérience de la diversité et l’apprivoisement de la différence, ce qui n’est pas étranger au fait que les parcs occupent une place particulièrement centrale dans la vie des familles avec de jeunes enfants. Il n’en demeure pas moins que les fréquentes visites aux parcs, que ce soit pour les modules de jeux, les équipements sportifs ou les activités récréatives qui y sont organisées, sont pour bon nombre de familles un endroit stratégique de mise en présence des populations natives avec celles issues de l’immigration. Sylvianne, québécoise d’origine récemment installée à Ahuntsic avec ses deux enfants, souligne :

Moi dans ma tête, les gens qui habitaient Ahuntsic c’était un petit peu comme l’extension de Laval. C’est assez blanc et homogène dans les manières de penser, dans les manières de faire. Mais en étant confrontée au quartier, bien finalement je me rends compte que non, tu as quand même une certaine diversité, ne serait-ce que pour la population, tu as quand même des gens qui viennent de différents pays et ça on trouvait ça intéressant. Quand on va au parc ici, bien c’est des gens qui viennent de partout. Alors j’étais contente de ça en le voyant, mais je ne le savais pas avant d’emménager ici.

La présence immigrante est particulièrement remarquée dans les parcs de deux quartiers à l’étude. Un père, natif du Québec, se présentant comme un usager régulier des parcs ahuntsicois, commente la scène suivante : des modules de jeux d’eau bondés par une foule mixte du point de vue ethnique par un suffocant samedi après-midi.

J’ai remarqué que les Québécois, on reste dans notre cour, on n’utilise peu les parcs comparativement aux immigrants qui sont beaucoup plus présents dans les lieux publics. Peut-être parce qu’on a notre propre cour arrière privée, alors que les immigrants sont plus souvent dans des petits appartements surpeuplés, sans terrain privé et c’est pourquoi ils ont davantage tendance à se retrouver dans les espaces publics. Je trouve ça plate mais je pense que les Québécois ont perdu l’habitude de se rencontrer dans les parcs.

Les parcs ressortent comme des lieux de mise en présence entre des gens issus de divers milieux socioéconomiques, mais aussi ethnoculturels qui autrement se voisinent peu. L’observation des contacts sociaux dans les parcs du quartier laisse toutefois penser que cette mise en présence ne débouche pas toujours sur des interactions interculturelles significatives. Irène, native du Québec, qui habite à Vimont-Auteuil, partage ses réflexions quant à l’expérience de la diversité dans les parcs :

Quand je vais au parc avec mes enfants, y’a vraiment beaucoup de femmes arabes voilées. Tu sens la différence. Est-ce que je les aurais plus approchées si elles avaient été Québécoises ? Je sais pas. Sûrement. En tout cas, je pense pas qu’on se serait invités à souper [rires]. Veut, veut pas, on a le même réflexe : c’est qu’on est moins à l’aise avec ces gens-là.

Bien que l’on se côtoie dans les parcs, des différences dans les usages et dans les rapports au temps entre les différents groupes peuvent agir comme un obstacle aux interactions interculturelles. Par exemple, nous avons observé que les horaires de fréquentation des parcs font en sorte que même si ces espaces rassemblent des usagers d’origine ethniques multiples, ils ne donnent pas toujours lieu à des contacts interculturels, comme le montre la citation suivante de Myriam, native du Québec, mère de deux enfants à Ahuntsic.

Mais même au parc, quand, quand on y va, admettons, de trois à cinq, c’est très québécois. Après ça, les Québécois, bien on s’en va souper, puis, t’as les autres [parlant de la population immigrante] qui arrivent, souvent, c’est complètement une autre heure, on n’a pas le même horaire. C’est vraiment drôle.

Ces différents horaires au parc fait non seulement en sorte que l’on se côtoie moins, mais aussi que les occasions de contacts interculturels ne sont pas nécessairement favorisées. Les observations menées dans les parcs, en plus des rapports différenciés au temps, mettent en évidence que les rapports à l’espace ne sont pas les mêmes pour tous les groupes en présence. C’est-à-dire qu’on remarque une segmentation spatiale des publics selon l’origine ethnique.

Plus spécifiquement, les familles d’origine immigrante semblent avoir tendance à occuper l’espace des parcs en groupe, ce qui donne lieu notamment à de grands rassemblements autour de BBQ les fins de semaine, alors que les populations natives viennent seules, en famille ou en plus petits groupes. Le caractère festif de ces regroupements familiaux anime certes ces espaces, souvent peu occupés dans le cas de Vimont-Auteuil, mais peut aussi générer un sentiment d’envahissement par des usagers qui peinent à trouver leur place. Cette appropriation de l’espace par certains groupes n’est pas sans causer des tensions, surtout lorsqu’elle engage des marqueurs religieux. Jeanne, native du Québec, mère d’une fillette, raconte un épisode qui s’est passé dans un parc ahuntsicois à proximité qu’elle fréquente régulièrement.

Ce qui m’inquiète, bien tu sais, c’est sûr que c’est beaucoup Québécois ici, mais, tu sais, je sens que de plus en plus, y’a des ethnies-là qui, qui déménagent ici. J’ai rien contre là, je dis pas ça comme ça mais, tu sais des affaires qui peuvent me déranger, mais là c’est un peu personnel. Des fois quand je vais au parc, mon Dieu je sais pas, c’est le ramadan, je sais pas quelle religion que c’est là, mais des fois ils se, ils se garrochent au parc, puis c’est comme si j’étais une intruse au parc. C’est des choses ça qui peuvent me déranger, mais moi, je m’en laisse pas imposer. Des fois je suis avec mon chien puis, eux-autres ils me regardaient en voulant dire, va te promener ailleurs. Un jour, je leur ai dit « Regarde, le parc, c’est à tout le monde ».

Le port du voile est un marqueur religieux qui semble causer maints inconforts. Il faut par contre souligner que ce qui irrite n’est pas tant le fait que plusieurs femmes d’origine arabo-musulmane portent le voile, mais plutôt le symbole d’oppression qui y est associé.

L’ambivalence face à la diversité, surtout religieuse, et aux incertitudes qui y sont reliées ne sont pourtant pas partagées par tous. Les enfants des ménages interrogés sont loin d’avoir les mêmes appréhensions que leurs parents face à la diversité ethnoculturelle. À l’inverse, les enfants agissent souvent comme instigateurs de contacts sociaux dans les parcs du quartier, sans égard aux distinctions socioéconomiques, ethniques ou linguistiques. Ils apparaissent comme étant des acteurs de premier plan, quoique très souvent oubliés, dans l’expérience de la diversité ethnoculturelle, ce qui confronte bien plus d’un parent, à l’instar de Julie, cette mère native du Québec, qui habite à Ahuntsic.

Blanc, jaune, noir ou vert, voile pas voile, ma fille, elle va vers tous les enfants au parc. Elle prend ses jouets avec elle et dis au p’tit garçon ou à la p’tite fille : veux-tu jouer avec moi ? Même s’ils comprennent pas le français, quand c’est pour jouer, c’est comme un langage universel.

En d’autres mots, les enfants ne se soucient guère de l’origine ethnique des autres enfants qu’ils côtoient au parc ou à l’occasion d’activités sportives. Si certains parents ont parfois quelques réticences « à laisser [leurs] enfants jouer avec n’importe qui », comme le mentionne une mère de famille à Vimont-Auteuil, une majorité de ménages valorisent l’apprentissage de la diversité par leurs enfants. Cependant, certaines sensibilités sont exacerbées quand il question de divergences dans l’éducation des enfants et de la surveillance de ces derniers dans les espaces publics.

Jules : Il y a beaucoup de Maghrébins au parc. Bien déjà on est probablement les seuls à jouer avec nos enfants. Généralement, y’a une grosse troupe d’adultes, et puis, les enfants sont partis partout, laissés à eux-mêmes.

Adèle : Des situations… Dans le carré de sable, tu sais, j’arrive avec les enfants, j’amène des jouets, puis, finalement, on se fait envahir par pleins d’enfants qui ont, que leurs parents leur ont pas amené de jouets, ou, tu sais, c’est juste des façons d’élever, d’élever les enfants qui sont différentes.

Cet échange entre un couple mixte, Adèle (Québécoise) et Jules (Français), exemplifie bien certaines différences culturelles dans la façon d’éduquer et d’encadrer les enfants qui peuvent être l’objet de frictions.

Faire sa place dans la ville : sociabilité publique et participation citoyenne

Nous avons abordé les lieux de côtoiement où la surprise face à la diversité peut être testée, négociée. Dans la présente section, nous explorons comment sont gérés les contacts face à la diversité dans la ville. Nous soulignons particulièrement le rôle de la sociabilité publique et de la participation citoyenne comme permettant de dépasser certaines frictions observées dans les espaces publics.

Les ambivalences observées quant à la croissance de la diversité ethnique reflètent avant tout des incertitudes face à la nouveauté, incertitudes qui ne sont pas uniquement le lot des natifs, mais aussi des populations immigrantes. Comme le mentionne Sonia, mère de trois enfants d’origine marocaine rencontrée à Vimont-Auteuil qui travaille activement auprès d’organismes venant en aide aux nouveaux arrivants, la méconnaissance de la diversité :

Ça touche tout le monde, tant ma communauté que les Québécois. Ça prend un peu d’effort des deux côtés […] Tout mon travail a toujours consisté à créer ce rapprochement-là, cette interconnaissance. J’essaie vraiment de mettre des traits ou des ponts entre tout le monde. Mais il y a encore beaucoup, beaucoup de chemin à faire. Beaucoup d’incompréhension et de méconnaissance.

À cet égard, de par leur présence plus récente, les nouveaux arrivants provenant d’Afrique du Nord (immigration majoritairement musulmane) ou d’Asie du Sud-Est semblent soulever plus d’inconforts, ainsi que le souligne cette répondante native du Québec qui habite à Vimont-Auteuil :

Les gens d’origine grecque, Italiens, les Haïtiens, les Portugais, ça fait longtemps qu’ils sont établis aussi. Moi je te dirais que là y’a de plus en plus de gens d’origine, des Libanais, des Marocains, des Pakistanais, y’en a de plus en plus, puis on a le même réflexe : c’est qu’on est moins à l’aise avec ces gens-là. C’est juste une nouvelle communauté que tu connais pas, que t’es pas habitué à côtoyer, puis, tu es bien curieux, mais gêné en même temps.

La difficulté d’entrer en contact avec l’Autre, relatée tant par les natifs que par les populations issues de l’immigration, semble plus souvent qu’autrement être le fait d’une sociabilité publique différente. L’apprentissage et la maîtrise de ces codes sociaux et des façons de faire sont nécessaires pour entrer en contact avec l’Autre sans heurt, comme le mentionne cette mère marocaine, rencontrée à Vimont-Auteuil :

Parce que nous c’est dans la culture là, on a vécu comme ça au Maroc, le voisinage, ça apporte beaucoup. Les gens sont chaleureux, même dans la rue, s’ils vous connaissent pas, ils peuvent vous parler, si vous êtes avec un enfant, ils peuvent l’embrasser [rires], donc, c’est... très différent ! [rires]. En fait, c’est sûr, ici, ils vont être choqués : « Touchez pas à mon enfant ! » [rires].

Pour Nawel, d’origine algérienne, père d’une petite fille née au Québec, et sa femme française, les interactions interculturelles peuvent devenir tendues lorsqu’elles exposent des codes de sociabilité divergents dans les rapports à autrui.

C’est pas facile parce quand on est immigré, on se sent un peu intimidé. On ne sait pas vraiment comment vivent les gens du pays. Il y a des codes. C’est plein de codes qu’il faut apprendre et on y va vraiment à tâtons au départ […] Au Québec, le social il est différent. Les gens sont discrets au Québec, c’est comme s’ils ne veulent pas te déranger. Mais pour beaucoup d’immigrants, ils pensent : « Ah ils sont froids ! » Mais c’est comme ça. Ils ne veulent pas te déranger. Parce que dans d’autres sociétés, c’est plus : « Salut, tu vas bien ? »

Les opinions négatives face à la diversité exprimées par certains répondants sont souvent tempérées par des contacts interethniques positifs. C’est le cas de Sandro, d’origine italienne, installé à Vimont-Auteuil. Après une sortie particulièrement tranchée : « Faut faire attention avec ce monde-là [les Arabes]. Personnellement, je n’ai pas eu d’expériences avec eux-autres, je ne peux pas vraiment en parler, mais j’en ai entendu parler », il se remémore pourtant une expérience positive de la diversité : « Un de mes voisins arabes est venu fermer notre porte de garage qu’on avait laissé ouverte alors qu’on était partis pour la fin de semaine. Ça, c’était vraiment gentil de sa part ». Pour que les opinions négatives soient révisées à la lumière d’expériences positives de la diversité, il faut qu’il y ait des espaces de contacts et d’échanges interculturels.

Dans les deux quartiers à l’étude, nous remarquons que bien que les familles rencontrées sont de grandes utilisatrices des équipements du quartier (installations sportives, organismes communautaires, bibliothèque organisant des activités éducatives), les populations natives et d’origine immigrante ne semblent pas s’impliquer dans les mêmes organismes, ni fréquenter les mêmes activités, à l’exception des activités sportives. De la même façon que les publics des parcs ne se distribuent pas spatialement de façon uniforme dans l’espace, la clientèle des organismes communautaires ne reflète pas la diversité ethnoculturelle du quartier. Par exemple, Annie-Ève, mère à la maison de trois enfants, très impliquée auprès de l’organisme pour les familles d’Ahuntsic Autour du Bébé, souligne la difficulté de recruter des gens issus de l’immigration pour s’impliquer dans l’organisme, ne serait-ce même que pour participer aux ateliers. Elle déplore que « c’est toujours les mêmes qui s’impliquent », soulignant plus tard que c’est « un p’tit coqueron d’amis, c’est pas mal toutes [sic] des Québécois ». Ce qui n’est pas surprenant, quand on réalise par la suite qu’aucune des familles immigrantes à Ahuntsic ne connaissait cet organisme pourtant très actif dans le quartier. Cela ne veut pas dire pour autant que ces dernières sont désengagées de leur milieu, mais plutôt que leur implication bénévole et communautaire se fait ailleurs.

Si la majorité des familles rencontrées s’impliquent peu dans les organismes du quartier, elles ne sont pas désengagées de leur quartier. Nabia, originaire du Maroc et mère de deux enfants, raconte l’anecdote suivante pour parler de son sentiment d’appartenance à Ahuntsic :

Je vais vous dire un petit truc assez banal… la parade d’ouverture du Festival Juste pour rire, il y avait des chars allégoriques de plusieurs arrondissements et quand c’est arrivé, c’était marqué Ahuntsic, on s’est mis à crier, c’était assez stupide mais on a comme… Bon, c’est notre quartier ! C’est sûr c’est des petits détails, mais à chaque fois que je parle… ah ! Moi mon quartier est tranquille, on essaie de le vanter et c’est comme… on appartient maintenant depuis 7 ans à ce quartier. C’est pour ça qu’on cherche à acheter ici, même si c’est vraiment, vraiment pas facile.

Sonia, cette femme d’origine marocaine susmentionnée, persiste, même si sa fille et elle ont fait l’objet de commentaires haineux et racistes, car elle est attaché à sa vie ici.

Je me suis déjà fait dire des choses comme : « Retourne chez toi sale arabe », mais j’ai envie de leur dire : « Mais je suis chez moi ! Le Québec est mon chez moi. Laval, c’est chez nous maintenant ».

Une autre femme native évoque elle aussi son appartenance pour expliquer pourquoi elle ne déménagerait pas ailleurs qu’à Montréal.

Je suis une « born and raised Montrealer », je veux pas m’en aller de Montréal. […] La réalité, c’est que, y’a beaucoup, beaucoup de Québécois qui quittent la ville de Montréal actuellement, puis, c’est plate parce que, quand même Montréal, ce sont des Montréalais qui l’ont fait, puis là bien, Montréal se dissout de ses premiers Montréalais. Fait que moi je voulais pas m’en aller. Moi je suis d’ici, puis je veux pas m’en aller d’ici.

L’apprentissage et la gestion de la diversité ne se font pas sans heurt, comme le montrent bien ces citations. Pourtant, le sentiment d’appartenance à la société québécoise – qu’elle soit d’accueil ou d’origine – et l’attachement aux lieux du quotidien permettent de tempérer les inconforts générés par la cohabitation avec la différence et semble constituer le prisme par lequel se traduisent la citadinité, l’engagement politique ainsi que l’identité citoyenne, aussi bien des natifs que des populations issues de l’immigration.

Conclusion

L’expérience de la diversité dans deux quartiers dits de classe moyenne, Ahuntsic (à Montréal) et Vimont-Auteuil (à Laval), ne semble pas être aussi négative que ne le laissent penser les récents débats et sondages d’opinion. En s’intéressant plutôt à la façon dont la diversité culturelle est vécue et négociée in situ dans la vie quotidienne de familles de « souche » et d’origine immigrante avec de jeunes enfants, nous avons plutôt montré que la convivialité l’emporte sur l’aversion face à la différence, même si certaines modalités d’ajustement face à la diversité ethnoculturelle, mais aussi socioéconomique, religieuse, sont notées. Comme le notent Watson et Saha (2013), l’évolution de la composition ethnique dans les grandes villes engendre inévitablement des ambivalences, des contestations, des conflits, des inégalités et des accommodements.

Pour naviguer dans la cité, les habitants doivent apprivoiser la diversité qui compose leur monde, car elle est devenue une condition essentielle de la vie métropolitaine. Cela n’empêche pas les jeunes familles rencontrées d’être perplexes face à cette diversité ethnoculturelle croissante, comme nous l’avons analysé brièvement ici et plus en détail ailleurs (Jean et Germain 2014). Cette perplexité émane principalement du fait que la diversité se donne maintenant à voir dans des quartiers de la ville reconnus pour être assez homogènes. À cela s’ajoute une relative absence d’expériences antérieures de contacts avec l’Autre sur lesquelles les familles peuvent s’appuyer pour gérer certains malaises ou réticences face à une diversité faisant désormais partie intégrante de leur quotidien. Il en découle une certaine forme d’ambivalence face à la diversité qui fait en sorte que bien des répondants, qu’ils soient natifs ou d’origine immigrante, ne sont pas encore sûrs de quel côté finira par pencher la balance dans leurs contacts avec l’Autre. Dans son étude auprès de ménages de classe moyenne supérieure à Boston, Tissot (2014) montre de façon similaire l’ambivalence de ces ménages dans la façon dont ils valorisent la diversité, tout en essayant de la contrôler. Face à cette ambivalence, nous réitérons l’importance de créer des espaces publics favorisant les rapprochements interculturels sur un mode d’interdépendance et d’engagement avec l’Autre.

Les résultats de cette enquête de terrain vont dans le sens des travaux ethnographiques qui, comme ceux d’Anderson (2011), se soucient d’explorer de nouvelles dynamiques de civilité et tendent à donner raison à Wise (2013) plutôt qu’à Amin (2012). À savoir, nous souscrivons à la thèse de Wise (2013) en avançant que les rencontres interculturelles dans les espaces publics continuent de jouer un rôle particulièrement fort dans l’apprivoisement de la différence. Les espaces publics, en fonctionnant comme des « zones de contact » (Wise 2005 ; Hannigan 2010), illustrent bien la complexe dynamique entre rapprochements et mises à distance qui façonne le rapport à la différence et à la diversité. À cet égard, nous avons observé que les espaces publics, plus particulièrement les parcs de quartier, sont des lieux particulièrement privilégiés dans l’expérience de la diversité. À l’inverse des écoles et des services de garde, la diversité dans les parcs apparaît, somme toute, apprivoisée. Cependant, afin que les parcs soient le théâtre d’interactions interculturelles, et non pas uniquement de coprésence sur le mode de l’indifférence ou de l’inattention civile (Goffman 1963) tel que le stipule la thèse des « vies parallèles » (Cantle 2005), nous avançons que les parcs doivent être bien équipés en installations sportives et en modules de jeux, et être animés par des activités organisées. Ces dernières, tout comme les actions des organismes communautaires, doivent être variées afin d’attirer différents publics, et ce, dans le but de dépasser certains obstacles à la cohabitation interethnique.

Un de ces obstacles est exemplifié par le fait que les natifs évoquent la facilité avec laquelle ils entrent plus facilement en contact dans les espaces publics avec d’autres natifs qu’avec les populations immigrantes. Nous avons montré comment certaines divergences d’usages dans les parcs et des rapports au temps différenciés font en sorte que même si l’on se côtoie dans les espaces publics, les ponts entre natifs et population issue de l’immigration demeurent difficiles à construire. Nous avons également montré que la maîtrise différentielle des codes sociaux et des compétences interculturelles (Wise 2013) en usage dans les espaces publics, notamment en ce qui a trait à l’éducation des enfants – on l’aura vu avec l’exemple du partage des jouets et de la surveillance des enfants dans les espaces publics – peut être à l’origine de tensions. Nous tenons toutefois à réitérer que la difficulté d’entrer en contact avec l’Autre, qui est d’ailleurs regrettée de part et d’autre, n’est pas tant le fruit d’opinions négatives face à la diversité que le fait d’une sociabilité publique différente. Par exemple, ce qui parfois peut être perçu comme de la froideur, de la méfiance ou du rejet de la part des natifs envers les populations issues de l’immigration n’est parfois que l’expression d’une « friendly distance » (distance amicale, Crow et al. 2002), une posture normative dans les rapports à l’Autre en public qui prévaut dans la communauté d’accueil. De plus, les tensions entourant l’apprivoisement de la différence semblent également être exacerbées lorsque des marqueurs religieux tel que le port du voile sont impliqués.

L’expérience de la diversité, centrale à la vie urbaine, est marquée tant par des inconforts que par des rapprochements. À cet égard, l’échelle locale semble être un terreau particulièrement fertile à l’apprivoisement de la différence, puisque c’est souvent à ce niveau que les inconforts sont gérés et les rapprochements facilités. Pour cela, la vie de quartier doit être animée par des activités programmées dans les espaces publics et supportée par des réseaux communautaires permettant l’exercice de la citoyenneté, tant des natifs que des immigrants. Ainsi, les villes ont un rôle à jouer dans l’intégration et la gestion de la diversité pour une cohabitation urbaine inclusive.