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En 2018, le quotidien francophone Le courrier australien publiait une interview de Brendan Berne, l’ambassadeur d’Australie en France, remarquant que « [l]a culture du café est l’un des points que nous avons en commun, les Australiens et les Français. J’ai d’ailleurs découvert avec bonheur que le flat white arrivait en France ! » (Arguillère 2018.) Ses propos font référence à deux phénomènes distincts : d’une part, le rôle des cafés comme lieu de sociabilité dans les deux pays ; de l’autre, l’ouverture de petits établissements dénommés « coffee shops » servant des boissons qui étaient jusque-là inconnues en France, parmi lesquelles le flat white. Lieu par excellence de consommation du café en Australie, le coffee shop est une importation culturelle récente en France. À ce titre, c’est un terrain d’observation idéal des effets locaux de la mondialisation.

À l’instar de Sharon Zukin et Jean-Pierre Hassoun (2006) qui voyaient dans le petit commerce un lieu d’expérience concrète et quotidienne de la mondialisation, nous envisageons les coffee shops comme des importations culturelles répondant à des normes mondialisées. En mettant en scène un style de vie anglophone, le coffee shop parisien s’inscrit dans une histoire commerciale qui débute au 17e siècle, quand les Londoniens découvraient le café dans des cafés turcs. La mise en scène d’une culture étrangère, qu’elle soit turque, italienne ou anglo-saxonne, fait partie intégrante du processus de commercialisation du café : c’est l’une des étapes de sa valorisation. Le coffee shop parisien est conçu pour permettre l’identification, mettre en scène la mondialisation et la reconfigurer localement. La disjonction de Arjun Appadurai (1990) — ce double mouvement de diffusion globale et de diffraction locale — se joue en ces espaces traversés par de multiples flux.

Parmi les enjeux majeurs de ce processus, nous aborderons ici la place de la mobilité dans la définition de formes pointues de consommation. Car le coffee shop parisien perpétue et renouvelle les usages liés à la gastronomie française et à l’élitisme. C’est un espace social de réinvention de la tradition (Hobsbawn et Ranger 1983) où l’identité nationale s’affirme en s’appropriant et en adaptant des normes étrangères. Se pose ainsi la question des multiples points d’articulation entre local et mondial, que nous explorerons ici depuis la graine de café jusqu’à la photographie d’un flat white publiée sur Instagram. Nous livrons une analyse des coffee shops comme supports de modes de vie mobiles qui met en évidence trois processus centraux : la redéfinition des normes de consommation du café en France à l’aune d’un standard anglo-saxon ; l’affirmation générationnelle d’une identité par l’expérience de consommation différenciée ; la réinvention de l’élitisme français.

Nos données empiriques proviennent d’une vaste enquête menée entre 2015 et 2020 auprès de fondateurs et gérants de trente coffee shops du centre de Paris (3e, 4e et 11e arrondissements). La présente publication fait suite à deux autres, l’une portant sur l’entrepreneuriat anglophone mobile et connecté (Bantman-Masum 2018), l’autre sur le rôle des coffee shops dans le processus de gentrification transnationale du 11e arrondissement (id. 2019). Nos données ont été recueillies lors d’entretiens semi-conductifs et par observation participante entre 2017 et 2020. En nous basant essentiellement sur les coffee shops du Marais (quartier historique situé dans les 3e et 4e arrondissements de Paris), nous analyserons ici un commerce de l’ère des nouvelles mobilités (Sheller et Urry 2006) qui met en scène une identité culturelle et sert de support à des modes de vie mobiles (Duncan et al. 2013). Lieu d’identification et de performance culturelle et commerciale, le coffee shop parisien permet une inscription française sur une scène culinaire mondialisée. Notre travail se situe dans le cours de travaux ethnographiques qui décrivent des processus transnationaux de genèse du goût, dans le restaurant-monde (Hassoun 2014), d’adaptation locale au global (Watson 1997 ; Salazar 2015 : 18), et documentent l’épopée de la commercialisation du café (Roseberry 1996 ; Tucker 2011 ; Ellis 2014).

Notre étude donne à voir des acteurs tout à la fois contraints et désireux de se positionner dans le cadre de la mondialisation. Nos conclusions ont été partagées avec les informateurs cités dans l’article, qui les ont commentées et ont validé notre argument central selon lequel le coffee shop est un lieu de valorisation du savoir-faire de la mobilité, un mélange hybride des cultures française et anglophone qui offre une expérience de consommation cosmopolite à une clientèle mobile. À ce titre, le coffee shop donne lieu à de multiples agencements entre local et global opérés par des acteurs désireux de perpétuer la tradition française tout en la renouvelant.

Du café français au café mondialisé

Pendant des décennies, le café français (aussi appelé bistrot et PMU) a été le lieu de consommation par excellence de la boisson éponyme ainsi qu’une vitrine de l’art de vivre français. Théâtre de vie et de sociabilité, sa devanture est reconnaissable à ses stores, ses portes vitrées, ses alignements de chaises et petites tables ; la salle, à ses tables pour deux, ses banquettes, son comptoir, ses serveurs chargés de vous trouver une table, de prendre votre commande, de vous servir et d’encaisser le montant de l’addition. Si certains établissements (comme La Coupole, Les Deux Magots ou le Café de Flore) sont cités dans les guides touristiques, ces cafés sont avant tout des institutions locales où les habitants peuvent consommer quatre boissons caféinées (le café, aussi dit express, le café noisette, le café crème, le cappuccino) au comptoir (moins cher) et en salle (deux fois plus cher), le matin dès six ou sept heures pour ceux qui partent travailler ou plus tard dans la journée en accompagnement du petit déjeuner et des repas. On y traîne, on y reste jusque tard entre amis pour y manger, y boire, y lire le journal et y regarder les matchs de foot.

De l’avis de mes informateurs, il n’est plus question de qualité du café dans ces lieux au début des années 2000. Les propriétaires des bistrots sont engagés auprès de véritables géants de la restauration, dont le Groupe Richard et le Groupe Segafredo, qui leur fournissent café et machines (le plus souvent, des Cimbali), une offre clefs en main à laquelle s’ajoutent d’autres services : financement de l’achat de stores et d’appareils de chauffage extérieur, fourniture de chaises et tables, de tasses, sucres, etc. Personne ne se soucie vraiment de la satisfaction du client qui pour un euro (modique somme qui offre cependant une marge de rentabilité au restaurateur) pourra prendre ses aises et rester attablé des heures durant. L’offre de restauration (salades, sandwichs à base de baguette, morceau de viande et frites, plat et formule du jour) n’a intégré ni la demande ancienne pour une cuisine végétarienne ni les nouvelles tendances comme le bio, le fait maison ou le sans gluten. Les serveurs ne parlent que rarement anglais et les touristes se plaignent du mauvais service.

Le prestige décroissant de ces établissements coïncide avec l’arrivée sur le marché français de géants transnationaux du café, dans un nouveau cycle de valorisation et de segmentation du marché. Le segment « café de spécialité » a été pensé comme un retour au produit noble et référencé travaillé avec maîtrise et vendu avec une marge de bénéfices très conséquente (Roseberry 1996). Tandis que l’image du café français se dégrade aux yeux des consommateurs, en particulier des touristes, deux multinationales globales — Nestlé avec sa marque Nespresso et Starbucks — se positionnent sur ce créneau rentable et initient les Français à de nouveaux produits et modes de consommation. Nespresso commercialise des machines et des variétés de grains à déguster à la maison. Starbucks — en son temps pionnier des cafés de qualité — vend dans des espaces standardisés des boissons délaissées en France (comme le café filtre ou l’espresso très allongé) mais connues de tous ceux qui voyagent ; ils encouragent aussi la vente à emporter. C’est ainsi que, sous l’influence de deux multinationales, les consommateurs français s’habituent à la commande au comptoir sans serveur et à la vente à emporter, tout en découvrant de multiples variétés de café et des machines perfectionnées permettant la confection de boissons caféinées. La consommation du café est dès lors dissociée du lieu éponyme qui perd de sa centralité.

Dans ce contexte de grande appétence pour la nouveauté, des acteurs économiques plus modestes vont venir concurrencer les cafés français : les premiers importateurs et torréfacteurs indépendants de café de spécialité. Ces nouveaux torréfacteurs (tels que La Caféothèque, L’Arbre à Café, Coutume, Lomi) commercialisent un café « haut de gamme » qu’ils présentent comme un produit gastronomique, issu d’une agriculture authentique et responsable, d’un terroir précis (single origin), travaillé par de petits producteurs. Ses hérauts mettent en avant des variétés locales (dont le prix varie d’une quinzaine à une centaine d’euros le kilo), le traitement du grain avant la torréfaction (lavé, naturel, etc.), mais aussi le savoir-faire des torréfacteurs chargés de révéler les arômes subtils d’un produit d’exception. Une organisation basée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, la Specialty Coffee Association [Association des cafés spécialisés], réunit et organise les acteurs de ce marché en mondialisant des normes gustatives. Le prix du café de spécialité cultivé dans des terroirs isolés de l’hémisphère Sud — Afrique de l’Est, Amérique latine, notamment — par des paysans souvent marginalisés dans leur propre pays s’envole. Le café de spécialité est un produit marketing, pensé par le cabinet Ogilvie & Mather dans les années 1980 en réponse à la crise du café (Roseberry 1996 : 764-767). Cette labellisation va soutenir une remarquable création de valeur au sein d’entreprises du Nord global[1].

Nous avons montré ailleurs (Bantman-Masum 2018, 2019) qu’en France le circuit du café de spécialité est animé par des acteurs anglophones et binationaux aux trajectoires géographiques complexes que l’on retrouve aux deux bouts de cette chaîne commerciale. Ces petits entrepreneurs transnationaux ont importé à Paris le modèle commercial des coffee shops en érigeant la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni en modèles de référence pour une clientèle à l’origine composée de touristes et d’expatriés. L’identification du café à un espace culturel et géographique fait sens et renvoie aussi à la dimension globale des réseaux du café, liant des espaces de production, de commercialisation et de consommation (Tucker 2011) distants. Selon les époques, le café a ainsi été associé à des aires géographiques aussi diverses que l’Empire ottoman, l’Indonésie, l’Amérique latine, l’Italie ou la Nouvelle-Zélande. Chaque culture propose une innovation dans le mode de consommation du café — depuis les premiers cafés turcs jusqu’aux bars à espresso italiens (Ellis 2014).

Pourquoi, dans l’esprit des professionnels parisiens, l’espresso vient-il du Pacifique ? L’identification au monde anglophone tient beaucoup à la mobilité internationale des jeunes Français, expérience d’initiation à une scène culinaire mondialisée. Grâce aux accords de libre circulation au sein de l’Union européenne et au tunnel sous la Manche, les Français ont fréquenté assidûment Londres qui incarne, à leurs yeux, une forme d’excellence commerciale[2]. La cuisine branchée et fusion s’y affirme en valorisant non pas la tradition anglaise, mais la nouveauté et l’innovation. Les chefs médiatisés (Jamie Oliver, par exemple) y ont créé quasiment ex nihilo une scène de renommée mondiale, qui invente d’autres traditions et perfectionne le service tout en misant sur un marketing pointu et un design intérieur très soigné. La priorité donnée à la satisfaction du client, à la qualité des produits et à un service courtois fait entrer la restauration britannique dans l’économie de l’expérience. Elle s’adresse à la subjectivité du consommateur, dans une mise en scène savante qui théâtralise l’achat. L’économie de l’expérience crée de la valeur en transformant l’achat en une expérience intime, sensorielle et subjective (Pine et Gilmore 1998). L’expérience de consommation à Londres, et dans d’autres capitales anglophones, fixe de nouvelles normes, modifie les attentes des consommateurs mobiles. Ces préceptes vont être appliqués dans les coffee shops qui offrent au consommateur parisien — Français ou touriste — une expérience de consommation du café nouvelle.

L’influence anglophone en France est d’autant plus prégnante chez les jeunes générations que des accords bilatéraux stimulent la migration temporaire (de travail et de loisir) entre la France et des pays plus lointains. Les jeunes Français voyagent en Nouvelle-Zélande et en Australie, hauts lieux du café de spécialité. Grâce au Visa Vacances Travail (VVT), délivré en vertu d’un programme de mobilité d’un an maximum destiné aux jeunes[3], ils sont 3201 en 2011, 4892 en 2014, 8675 en 2015 et 7864 en 2016 à se rendre en Nouvelle-Zélande pour y travailler et la visiter[4]. Cette mobilité géographique va favoriser la diffusion de nouveaux usages. Le modèle australien du café, ce sont des coffee shops où le service du café a été poussé à la perfection, où chaque tasse est pesée au milligramme, remplie de grains triés à la main et moulus à la demande. Pour les titulaires d’un tel visa en Australie, le coffee shop sert de porte d’entrée vers la société locale à des étudiants n’ayant pas forcément goûté le café de comptoir en France.

Nombre de jeunes ayant obtenu un VTT vont ainsi travailler dans la restauration en Australie, puis réinvestir ce savoir-faire en créant le circuit du café de spécialité en France. A. (France, la vingtaine), allée en Australie pour un an, y découvre le café ainsi qu’une vocation professionnelle. Arrivée juriste, elle repart avec un diplôme en commerce, formée au métier de barista qu’elle a exercé à Paris dans un coffee shop fondé par un Franco-Britannique, puis devient formatrice en café de spécialité. O., barman italien, passe deux ans à Melbourne dont il aime le style de vie, les clients du matin arrivant des banlieues qui prennent leur café à emporter sur le chemin du travail. Sa nostalgie pour ce style de vie l’amène à traduire cette expérience dans le coffee shop qu’il fonde à Paris en 2017 avec sa compagne.

Un lieu où vivre sa mobilité

La transition vers le café de spécialité et les coffee shops est une manière d’exprimer cette expérience du monde qui prend la forme d’une savante mise en scène de modes de vie mobiles par la consommation.

Fondatrice de coffee shops dans le 3e arrondissement, N. (Française) est chanteuse lyrique et voyage à travers le monde. Elle encourage son frère E., entrepreneur resté en France, à se lancer dans le café de spécialité mais aussi à vendre des gâteaux traditionnels d’Europe de l’Est d’où ont migré leurs grands-parents. Le mélange de deux commerces — très rare en France — est la norme dans les coffee shops, qui comptent de nombreuses boutiques mixtes (café-photo, café-galerie, café-moto, café-vélo, café-yoga, café-coiffeur, etc.). Au nombre de ceux-ci, T. et son associé (France) ont ouvert fin 2018 un coffee shop dans un espace partagé par plusieurs microentreprises de coiffure, massage et yoga. T. est arrivé dans cet « espace de vie » au terme d’un périple professionnel et géographique qui le mène à la gastronomie après des études en commerce. Après avoir vécu et travaillé à l’étranger, il enchaîne les emplois saisonniers en France qui lui permettent de définir le sens de sa vie dans la mobilité.

La tendance à une activité différentiée renvoie à l’une des questions fondatrices des études sur les modes de vie mobiles, notamment l’interrogation de Tara Duncan, Scott A. Cohen et Maria Thulemark (2013) au sujet de l’imbrication de multiples formes de mobilité mêlant travail et loisir et de leur rôle dans un processus toujours plus complexe d’identification, de définition des appartenances et des espaces. E. décrit par exemple sa clientèle coréenne hyperconnectée et prend l’exemple d’une habituée, « énorme influenceuse », qui publie sur Instagram des clichés où elle boit son piccolo (espresso surmonté d’un motif tracé au café dans la mousse de lait) sur sa terrasse avant de partir tourner une vidéo de K-pop dans le 13e arrondissement. La consommation « Instagramable » est une étape de la story, qui est elle-même une étape de la marque personnelle (personal branding) sur les réseaux sociaux. Mobilité, consommation et connectivité confèrent une fluidité nouvelle à ces processus d’identification (Sheller et Urry 2006), ici au croisement de la pop coréenne, de la culture urbaine parisienne et des standards du café de spécialité.

Comme dans l’exemple ci-dessus, la mise en scène des modes de vie mobiles fait partie intégrante du modèle d’affaires des coffee shops ; en particulier, le cyclisme y est très valorisé. On trouvera souvent des aires de stationnement pour vélo en devanture ; plusieurs coffee shops sont entièrement consacrés à cette activité, dont Le Peloton, ouvert par deux anglophones qui dirigent aussi une entreprise de cyclisme touristique. Comme le signalait James L. Watson (1997) à propos des McDonald’s de Hong Kong, l’adoption d’un nouveau type de lieu de restauration permet aussi à une clientèle jeune et à l’aise dans la mondialisation de se démarquer ; de même, Markman Ellis note que les cafés italiens du Londres de l’après-guerre étaient des lieux de ralliement d’une jeunesse très cosmopolite (2004). La fréquentation des coffee shops permet cette différenciation générationnelle et l’affirmation de valeurs nouvelles : la recherche d’un mode de vie alliant alimentation saine, connectivité et rejet de la voiture (mobilités douces).

Pour être immédiatement reconnu par cette clientèle, tout coffee shop se doit de respecter des codes précis, à commencer par le choix d’un nom poétique de préférence anglais, rarement lié au café (Alma the Chimney Cake Factory, Fragments, Fringe, Yellow Tucan, etc.). Les espaces extérieur et intérieur sont agencés selon des normes esthétiques préétablies qui permettent de les repérer sur la toile comme dans la rue. La devanture signe la singularité de l’établissement par rapport au café français : pas de rangs de chaises, mais des emplacements pour vélos, des bancs en bois, des plantes, et une pancarte en anglais avec jeu de mots ou binettes. Le menu affiché en grand derrière le bar peut être lu à travers la vitrine depuis la rue. L’espace est épuré et stylisé, d’inspiration industrielle ou scandinave : miroirs, plantes vertes, luminaires de designers, tables en bois et banquettes. L’ambiance musicale est soignée avec des listes de lecture plutôt que la radio. Sur le bar (plus bas qu’un zinc parisien) trône fièrement la machine à café — souvent surmontée de tasses de couleur pastel aux courbes calibrées. Le barista y donne à voir sa maîtrise totale des trois paramètres de l’extraction : le calibrage de la finesse du grain, la précision au gramme près du dosage des grains moulus, le contrôle de la pression et de la vitesse à laquelle le café s’écoulera dans la tasse. Il échangera à ce sujet avec ses clients qui sont aussi des aficionados. Les sacs de café de torréfacteurs indépendants doivent être visibles. La carte des boissons est partout la même, accessible aux seuls initiés, voyageurs et polyglottes. Les noms des recettes italiennes sont revisités en mêlant les langues : espresso one or two shots (italien et anglais), flat white (anglais), cappuccino (italien), chai latte (hindi et italien), macchiato, piccolo (italien) ou cortado (espagnol).

Ces repères codifiés rattachent le coffee shop au modèle mondialisé omniprésent sur Instagram et Tripadvisor. Des tutoriels diffusés sur YouTube expliquent d’ailleurs comment prendre des clichés qui permettront une identification rapide du commerce par le moyen d’éléments aisément reconnaissables : photos du bar en contre-plongée, perspective de la salle, gros plan sur le motif d’un flat white ou sur une table éclairée d’un rayon de soleil, etc. Les clients sont biberonnés au wifi et aux réseaux sociaux ; les gérants communiquent sur la Toile où s’affichent les horaires d’ouverture, les notifications de fermeture et même les annonces de recrutement. Les propriétaires sont unanimes sur ce point : le succès d’un coffee shop doit autant au savoir-faire du barista qu’à la bonne gestion de sa réputation en ligne. Ce type de marketing en ligne s’est développé sous l’égide de petits entrepreneurs étatsuniens, canadiens, australiens et néozélandais (Bantman-Masum 2018). Y. (Franco-Anglais) s’est servi d’une page Facebook avec des milliers de mentions j’aime comme démonstration de faisabilité pour convaincre son banquier de lui accorder un prêt pour lancer son entreprise. Les réseaux sociaux donnent une grande visibilité aux coffee shops : rien d’étonnant à ce que tous les gérants publient quotidiennement, et au moins de manière hebdomadaire, sur Instagram.

Bien qu’acteurs d’une consommation connectée et mobile, les professionnels ne sont pas forcément à l’aise avec tous ses effets. Comme leurs homologues étrangers, les coffee shops parisiens servent d’espaces de travail secondaires aux pigistes et travailleurs mobiles (Di Marino et Lapintie 2017). Or, l’omniprésence de l’ordinateur portable — signe extérieur d’un mode de vie mobile — prend le pas sur le fait de socialiser qui constituait, il y a peu encore, la pratique dominante dans les cafés (Nurliani Lukito et Puspita Xenia 2017). Les gérants (y compris ceux qui sont anglophones) ont tendance à restreindre l’usage des ordinateurs dans la salle, pas seulement pour rentabiliser l’occupation des tables le midi et les fins de semaine. Car le coffee shop parisien ne veut pas devenir un espace de travail partagé mais plutôt perpétuer la tradition nationale, la vocation sociale du café français où l’on se retrouve pour discuter autour d’un verre (Zukin et Hassoun 2006).

La connectivité recèle de mauvaises surprises : clients égarés par une erreur de géolocalisation de Google qui comparent les photos du commerce en ligne avec la devanture puis s’en vont ; mauvais avis en ligne sur Tripadvisor qui peuvent aussi saper la réputation d’un lieu. Depuis une décennie, la technologie numérique oriente les clients agissant comme des prosommateurs (prosumers) par le biais de sites qui informent et désinforment tout à la fois, composant une image subjective (souvent ethnicisée) des commerces et quartiers (Zukin et al. 2015). Entre eux, les baristas échangent autant sur la qualité des espressos, des grains, la qualité de la torréfaction que sur l’authenticité des coffee shops, le décalage entre la popularité en ligne (qui peut être manipulée en faisant appel à des professionnels) et la réalité du service dans l’établissement. Ils font preuve de distance critique quant à la consommation connectée et plaisantent au sujet de voyageurs par procuration (armchair travellers) publiant des messages enthousiastes sur Internet alors qu’ils ne quitteront jamais l’Australie pour venir boire un latte à Paris. S’ils se sont habitués à ce que les clients leur indiquent ce qu’ils souhaitent commander en leur montrant des photos tirées d’Instagram, une certaine perplexité demeure face à la disproportion entre la réalité d’un lieu et sa réputation en ligne. Sans parler du stress créé par la concurrence à outrance générée par Tripadvisor qui recense en février 2020 plus de 17 000 restaurants et cafés à Paris intra-muros.

L. (Français), ancien gérant d’un coffee shop très réputé du Marais, racontait qu’il servait parfois des princesses arabes arrivant en Uber après avoir repéré le lieu sur Internet : « Ce n’est pas un lieu pour des princesses, ici », disait-il en contemplant d’un air navré le modeste local situé au sous-sol. Ce malaise vis-à-vis de la connectivité tient aussi à ce que nombre de fondateurs de coffee shops sont des entrepreneurs de style de vie (lifestyle entrepreneurs), qui sont

motivé[s] en premier lieu par une stratégie de vie […], préoccupé[s] davantage par l’accomplissement de soi et les conséquences de [l’]activité professionnelle à la fois sur le plan social, familial et environnemental […] que par le gain économique. Ce n’est ni un entrepreneur par nécessité ni un rentier qui travaille pour occuper son temps libre, il a une autre vision de l’action d’entreprendre ancrée dans des valeurs sociales […].

Gomez-Breysse 2016 : 232

T. (Français, la trentaine) est le fournisseur attitré de café d’E. Après avoir vécu au Canada une dizaine d’années, il a fondé une entreprise de torréfaction franco-espagnole qui se fournit auprès de petites coopératives de producteurs de café biologique du Sud global. S’il partage son temps entre plusieurs continents, il met sa mobilité au service d’un modèle économique solidaire puisqu’il achète le café à un prix trois fois supérieur à celui du marché et accompagne ses partenaires sur le marché du café de spécialité. On doit donc parler de modes de vie mobiles au pluriel, car les coffee shops servent de support à des projets de vie et à des modèles économiques très hétérogènes.

Plusieurs patrons de coffee shops ont reparamétré le modèle standard du coffee shop. O. (Italienne, la trentaine) a travaillé plusieurs années à Sydney et Melbourne comme barista, et son café à base de grains latino-américains mélange les traditions française, italienne et australienne : passé par une machine à café La Marzocco, son espresso est servi en une minute dans des tasses fabriquées dans l’usine de sa ville de naissance, le tout au prix habituel du café parisien (un euro et vingt centimes), soit deux fois moins que dans les coffee shops des alentours. F. (Australien, la quarantaine) dit volontiers que son coffee shop est une formule hybride, avec un « concept fort » affiché sur la vitrine : « coffee, food, photography [café, nourriture, photographie] ». En plus d’offrir du café de spécialité, il utilise son espace pour présenter des magazines photo étrangers bon marché (un type de publication inconnu en France). Il communique avec des éditeurs et artistes étrangers sur Instagram et son commerce sert de point de ralliement à des amis anglophones venant d’horizons divers. Chaque pratique de mobilité (diffusion de la culture photographique australienne, présence en ligne et réseautage) renforce la cohérence identitaire et l’attrait commercial de son entreprise.

L’élitisme et le nationalisme comme expressions de la glocalisation

Les pratiques observées dans les coffee shops du Marais sont à l’image d’aspirations concrètes, mais contradictoires : d’une part, définir une identité décloisonnée par la consommation dans un coffee shop, synonyme de mobilité, et, de l’autre, faire vivre une certaine idée de la tradition française et de la convivialité. L’évolution des normes de service illustre à merveille la manière dont s’opère le compromis entre local et global. Les fondateurs anglophones de coffee shops parisiens se présentent souvent comme des étrangers affligés par le mauvais café servi dans les bistrots par des serveurs français râleurs et désagréables. Ils ont imposé un service à l’anglo-saxonne en engageant des serveurs étrangers, très instruits, qui doivent servir avec le sourire et échanger poliment avec les clients. Mais comme le service est compris dans le prix en France, les anglophones ne sont pas parvenus à y imposer la culture du pourboire, ni même à placer des pots à pourboire sur les comptoirs. Loin de se plaindre du service agréable et du délicieux café de spécialité, les clients français attendent cependant d’un café qu’on puisse s’y restaurer le midi pour une somme modique. Il faut donc leur proposer un repas cuisiné à un prix accessible (moins de quinze euros, café compris). Les coffee shops ont dû s’adapter et servir à manger, mais ils proposent des muffins, des gaufres, des pancakes…

Ce processus d’hybridation dans la restauration n’est pas propre à la France ou aux coffee shops puisqu’il a été observé en Asie dans de petits commerces qui, eux aussi, fusionnent culture locale et globale (Hattori et al. 2016 : 171 ; Yu et al. 2016 : 74). Comme dans le cas des McDonald’s de Hong Kong décrits par Watson, les coffee shops sont populaires parce qu’ils correspondent à une amélioration de l’offre existante. La carte souvent bio ou végane répond à une méfiance grandissante vis-à-vis de l’industrie agroalimentaire et véhicule des valeurs similaires à celles de l’association italienne Slow Food (Siniscalchi 2014). C’est un des lieux de ralliement des nouveaux gastronomes français, étrangers, locaux ou cosmopolites qui veulent retravailler la tradition culinaire en fonction de nouvelles normes qualitatives.

Ainsi se rejoue à notre époque la genèse de la réputation culinaire de la France, indissociablement liée à l’invention du restaurant à la fin du 18e siècle, puis à sa découverte au début du 19e siècle par des Anglo-Saxons admiratifs qui voyaient dans ces nouvelles pratiques une expression du caractère national (Spang et Muller 2014 : 12-13). Dans un mouvement inverse néanmoins similaire, les nouveaux acteurs de la restauration française veulent se positionner sur une scène culinaire mondialisée et ultra-hiérarchisée. La valeur de chacun s’affiche en ligne dans les classements de Tripadvisor et se mesure sur une échelle globale. En 2010, les pionniers du café de spécialité parisien ont organisé la première compétition pour baristas français, le First Frog Fight (Brones et Hargrove 2015 : 61-73). A. (Française, la vingtaine) garde un souvenir émerveillé de son premier concours de latte art — maîtrise des techniques de dessin à la mousse de lait — où s’affrontent les meilleurs baristas parisiens. A. est happée par ce domaine pointu, ambitieux, et deviendra plus tard championne de France de latte art.

L’une des questions les plus discutées par nos informateurs est celle du positionnement commercial du coffee shop et de son élitisme. Fin 2018, nous abordons cette question avec E. Selon lui, la plupart des propriétaires de coffee shops sont « des snobs », alors qu’il se définit comme un entrepreneur de banlieue (provenant certes d’une famille « avec du potentiel ») qui a découvert le café de spécialité. De son point de vue, le problème fondamental du secteur est que le café de spécialité demeure un produit rare qui existe en quantité limitée (« comme la coquille Saint-Jacques »). Sa valeur est fixée par le marché et augmente avec la demande. Ce produit est par essence impossible à démocratiser. Il fallait donc des entrepreneurs disposant du capital culturel, social et économique nécessaire pour porter ces établissements. T., son torréfacteur, tient début 2020 un discours aux antipodes : selon lui, il n’y a pas de pénurie de café de spécialité, mais plutôt une difficulté à pénétrer un marché structuré selon les normes gustatives de l’Association des cafés spécialisés (SCA) et dominé par un petit nombre d’exportateurs extrêmement puissants. Le snobisme du café de spécialité, c’est surtout les dictats de l’industrie agroalimentaire, qui crée de la valeur en tuant la différence.

L’image élitiste du café de spécialité a facilement conquis la haute gastronomie française. Fin 2018, le chef étoile Alain Ducasse vient d’acquérir un atelier de torréfaction de café où il vend l’une des tasses les plus chères de Paris. Loin de constituer une rupture, l’appropriation du café de spécialité par une figure de la haute cuisine française illustre la dynamique sociale qui sous-tend l’essor du coffee shop et le rattache à l’univers du bar, du vin et de la gastronomie — sphères préalablement revues et corrigées par des professionnels mobiles. Le café de spécialité s’inscrit dans la mouvance de la bistronomie (fusion de la cuisine bistrot et de la gastronomie) inventée par Yves Camdeborde qui, en 1992, quitte les cuisines de l’Hôtel de Crillon pour fonder son propre restaurant, La Régalade, dans un quartier bon marché. Une fois sortie des palaces, sa cuisine issue du terroir renoue avec la tradition française en offrant une expérience gastronomique à un prix abordable. En quelques années, la bistronomie s’est internationalisée et, sous l’impulsion de chefs étrangers, a permis l’émergence d’une nouvelle scène culinaire branchée. Ses chefs ont remis le fait maison, le terroir et les produits frais à l’honneur, en mêlant les influences. La bistronomie fusionne local et global et triomphe quand Le Chateaubriand (où un chef espagnol et des investisseurs français retravaillent les plats classiques avec des ingrédients venus des quatre coins de la planète) ouvre à Paris en 2006. Le Chateaubriand devient le restaurant le plus branché de la capitale. L’influence de Camdeborde comme inspirateur et formateur de chefs est considérable et dépasse largement les frontières de l’Hexagone puisque, dans son sillage, de nouveaux restaurants de chefs anglais, américains, australiens (mais aussi japonais, coréens, etc.) affluent à Paris où ils ouvrent de nouveaux bistrots revisitant les classiques (voir figure 1).

Fig. 1

Réseau social

Réseau social

Une carte partielle des relations entre les chefs-mentors de la bistronomie parisienne et leurs protégés [Social Network. A Partial Map of Paris Bistronomy’s Interconnected Chef Mentors and Their Protégés].

Source : SIGAL J., 2015, Bistronomy. Recipes From the Best New Paris Bistros, New York, Random House, p. 24-25.

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Bistronomie et café de spécialité sont reliés socialement et culturellement par le biais d’un réseau de chefs et d’entrepreneurs désirant mettre Paris au niveau de Londres, New York et Hong Kong. Déterminés à renouer avec les grandes heures du rayonnement gastronomique français, ils souhaitent briller au-delà de la France et du guide Michelin sur la scène culinaire mondiale. J. (Franco-Irlandais, la trentaine) qui un temps travailla dans le domaine du vin aux États-Unis ouvre en une décennie un restaurant bistronomique servant du café de spécialité, un coffee shop, une brûlerie de café, un second coffee shop qui est aussi une boulangerie bio. Il décrit son cercle d’amis et d’associés en citant pêle-mêle ses associés, des baristas, des critiques et autres professionnels de la restauration, tous issus de la diaspora anglophone et actifs à Paris. Les réseaux d’E. et de T. sont tout aussi tentaculaires : ils vont des producteurs de café aux clients en passant par des dizaines de baristas et propriétaires de coffee shops, en croisant les réseaux de la bistronomie.

L’émergence de cette scène culinaire française internationalisée en dit long sur l’avantage stratégique qui découle des modes de vie mobiles mêlant transnationalisme, réseautage et connectivité. De manière très intéressante, ce nouvel élitisme gastronomique se loge aussi dans les discours et pratiques de ses acteurs : disposer de relais influents en France et dans les pays d’origine, avoir la capacité de renouveler le vocabulaire de la cuisine et créer des tendances culinaires, respecter la tradition tout en la renouvelant. La sophistication langagière, de l’affichage des connaissances sur le café à la pratique sophistiquée du marketing chez les acteurs des coffee shops, notamment lors des séances de dégustation de café de spécialité (cupping), est particulièrement marquée.

Le cupping est une dégustation de café de spécialité qui respecte un format imposé par la SCA : le protocole est préétabli, des gestes techniques à réaliser en passant par les termes utilisés pour parler du café jusqu’aux critères d’évaluation (le café est noté au moyen d’un formulaire en anglais édité par la SCA). Lors des sessions auxquelles nous avons assisté, les participants semblaient rivaliser d’ingéniosité langagière pour décrire les arômes du café. Ils n’ont pas 30 ans mais parlent du café avec la langue subtile des amateurs de vin, discutant sucrosité, acidité, amertume, notes boisées, terre, corps, rondeur, longueur en bouche, etc. La langue est recherchée, car la dégustation de café de spécialité permet d’aiguiser son palais, mais aussi d’affiner sa capacité à discourir sur le café, une étape clef du processus de valorisation. Mais les participants utilisent aussi le cupping comme un forum de distinction sociale : la séance menace de virer au concours d’éloquence, reproduisant ainsi les normes compétitives de l’école française ; la formatrice doit rappeler aux participants que les cafés d’exception sont de grands crus qui ne peuvent pas, par définition, être mal notés.

Les normes globalisantes de la SCA participent à la production locale du statut social de ceux qui les manient, les adoptent, les adaptent, les instrumentalisent, les détournent de leur finalité originelle, voire même les contestent ou les dévalorisent. Les professionnels du café issus d’autres pays utilisent un vocabulaire plus accessible pour parler du café — notamment A. et S. (Colombiens), eux-mêmes importateurs et torréfacteurs de café. Tous les baristas parlent de café avec passion, à l’image de A. (Slovaque) qui exprimait sa fascination pour l’immense diversité aromatique des grains de café. Mais les Français mobilisent les normes de la SCA pour se distinguer socialement. Le coffee shop parisien offre un espace de (re)production du statut social à ceux qui le fréquentent. Cette stratégie est rendue possible par le prestige énorme de la cuisine, coeur (ou ventre) de la culture française et élément clef de son rayonnement international. Cette fabrique de l’élitisme à l’oeuvre dans le coffee shop n’a rien de factice : elle signale l’adaptation nationale à la mondialisation.

Ce qui s’apparente à première vue à un processus inéluctable d’unification d’un marché et d’uniformisation du goût (par le biais de la SCA) a permis localement une évolution des croyances et des pratiques, une montée en gamme qui rassemble des individus acquis aux principes d’élitisme, de sélection, d’excellence, qui revendiquent un attachement au terroir, à la tradition, ce qui disqualifie ceux qui se contentent du mauvais café, de la malbouffe ou de la médiocrité globalisée. Tout en se positionnant sur le créneau de l’excellence nationale, les coffee shops parisiens réaffirment l’identité nationale, ce qui imprime un caractère conservateur au cosmopolitisme — comme familiarité avec de multiples traditions culinaires (Salazar 2015 : 52-61). À l’heure du détricotage des superstructures du libre-échange, le coffee shop reflète les dynamiques opposées mais parallèles de la mondialisation et de la démondialisation : on y perçoit l’expression d’un nationalisme et, simultanément, la mise en scène de modes de vie mobiles qui traduisent paradoxalement le rejet du modèle dominant. Que cette tendance s’exprime jusque dans un commerce qui constitue une importation culturelle ne lasse pas d’interroger.

Conclusion

Notre analyse des coffee shops parisiens a mis en évidence l’importance des modes de vie mobiles dans l’émergence d’une nouvelle culture du café à Paris. Nous avons décrit des acteurs qui cherchent à inscrire la France sur une scène culinaire mondialisée, en créant des cafés pour des clients hyperconnectés désirant mettre en scène leurs valeurs dans la consommation. Ces lieux sont le théâtre quotidien de pratiques de loisir et de travail qui s’imbriquent et se renforcent mutuellement : utilisation de téléphones intelligents et ordinateurs portables, affirmation d’une identité découlant de pratiques de mobilité (cyclisme, voyages, connectivité, réseautage, etc.), communication intensive en ligne, inspiration anglophone qui s’inscrit dans l’histoire du café en Europe et dans les Amériques. Le café de spécialité s’est fait une place à Paris en permettant l’inscription de la France sur une scène culturelle mondialisée.

Ce modèle d’affaires est celui d’une économie de l’expérience qui reproduit en France des codes de consommation du café en vigueur en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou au Canada. Les coffee shops sont donc des espaces de production d’une identité contemporaine, mobile, qui donne lieu à des arrangements subtils allant du retour à l’élitisme à la défense des acteurs les plus vulnérables de la mondialisation. Car les fondateurs de coffee shops sont des entrepreneurs de style de vie animés par des préoccupations gastronomiques, sociétales et culturelles, voire politiques. Dans leurs commerces se construit un compromis délicat entre le global et le français, qui commence comme une ouverture à la mondialisation, mais peut aussi exprimer son rejet. Un compromis plus fragile que jamais, qui va jusqu’à la revendication nationaliste, un énième compromis avec l’échelle globale, qui passe par une contestation ambiguë, de nature à rendre caduque toute forme de conclusion définitive sur le sujet.