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Dès l’introduction, Virginie Hébert pique la curiosité du lecteur au sujet de la domination de l’anglais comme langue universelle. Elle rappelle que « 70 % de la population mondiale ne maîtrise pas » l’anglais et que sa présence sur l’Internet a diminué, « passant de 80 % du total au début des années 2000 à 25 % en 2013 » (p. 7). Avec la publication de la version remaniée de sa thèse de doctorat, Hébert contribue aux débats sur les relations – pas toujours harmonieuses – entre les langues anglaise et française, notamment la place de l’anglais dans le système d’éducation québécois, depuis la fin du dix-huitième siècle. Comptant 11 chapitres, une courte introduction et un épilogue, cette synthèse de moins de 200 pages aborde la place de l’anglais dans la société québécoise. Hébert rappelle qu’il y a eu deux principales positions à l’égard de l’anglais, de sa place dans le curriculum scolaire et de sa maîtrise par la population : l’anglais comme la « langue de Lord Durham » perçue comme une menace pour la communauté francophone et l’anglais comme la « langue de l’ouverture sur le monde ». Ces positions cohabitent, mais elles s’affrontent également à plusieurs reprises tout au long des siècles. En effet, Hébert démontre l’ancienneté du débat sur l’enseignement de l’anglais dans le système éducatif québécois. Ce débat traverse le dix-neuvième siècle et refait surface – comme en 1919 lorsque le Conseil de l’Instruction publique permet l’enseignement de l’anglais au primaire – tout au long du vingtième siècle au gré des conjonctures sociales et politiques. Comme le rappelle Hébert, l’apprentissage de l’anglais comme « outil d’accession à la globalisation » (p. 99) s’impose dans les débats publics à compter des années 1980. Dans son épilogue, Hébert rappelle que la position à l’égard de l’anglais atteste d’une « tension entre la nécessité collective d’opposer une résistance à l’anglais et une volonté en apparence irrésistible de l’apprendre » (p. 179).

Cet ouvrage rappelle que la place de l’anglais dans la société canadienne-française, devenue québécoise dans les années 1960, devient un enjeu social et politique avec la Conquête britannique. La mise en place de la gouvernance britannique oblige les élites à se questionner sur la place de l’anglais dans la société. Faut-il favoriser sa maîtrise, notamment en encourageant le système scolaire à en faire un des éléments importants dans la formation des jeunes, comme le réclament les milieux d’affaires à la fin du dix-neuvième siècle ? Après tout, la Révolution industrielle modifie les relations économiques et dicte, selon les gens d’affaires, la nécessité de maîtriser l’anglais. Comme le souligne Hébert, l’apprentissage de l’anglais est une manière de s’outiller pour « vivre de son temps ». Cette prise de position suscite de vives réactions, notamment de la part de ceux qui croient que les francophones ont l’obligation de bien maîtriser le français pour contrer les menaces de l’assimilation.

La rédaction d’une synthèse comporte toujours des défis, surtout si l’objectif est de présenter l’évolution des débats sur la place de l’anglais dans la société, le rôle du système d’éducation dans son acquisition et les acteurs sociaux qui en font la promotion ou au contraire demandent des actions pour en limiter son usage. Certes, j’aurais souhaité que l’autrice traite des conséquences des crises scolaires dans les communautés canadiennes-françaises à l’extérieur du Québec à la fin du dix-neuvième siècle. Par exemple, Hébert mentionne brièvement la crise scolaire en Ontario de 1912 à 1927, mais ne dit rien au sujet de la crise scolaire au Nouveau-Brunswick et celle au Manitoba de 1890 à 1897 qui, avec celle de l’Ontario, renforcent les convictions de ceux et celles qui définissent l’anglais comme une menace assimilationniste. Il en est de même au sujet de l’émigration des Canadiens français aux États-Unis de 1860 à 1930 et ses conséquences sur l’imaginaire et la mémoire collective au Québec. Parfois, le livre effectue des bonds dans le temps, notamment le chapitre 6 qui prend fin en 1942 tandis que le chapitre 7 débute en 1957 et se termine en 1977. Pour sa part, le chapitre 8 s’amorce en 1989. Enfin, le chapitre 7 traite de l’activisme étatique en matière d’aménagement linguistique avec l’adoption des lois 63, 22 et 101. Il mentionne également la transformation de la pensée nationaliste, notamment au cours de la Révolution tranquille. Hébert souligne, avec raison, la contribution des historiens de l’École de Montréal à la transformation du discours nationaliste en favorisant l’émergence du néonationalisme et de la notion de l’État comme acteur de l’agir collectif. Par contre, il aurait été utile de mentionner le discours de la décolonisation pendant les années 1960 et comment ce discours influence la manière de définir la société francophone, mais aussi son rapport à la langue anglaise qui devient, dans le cadre de ce discours, la langue du colonisateur. Malgré ces dernières remarques, cet ouvrage mérite d’être lu, car il constitue une contribution sur la question de l’évolution des débats linguistiques.