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Tiré d’un colloque interuniversitaire intitulé Dieu à l’école. Éducation et religion en Europe du Nord-Ouest et en Amérique du Nord de 1800 à nos jours, organisé par la professeure Imelda Elliott et tenu à l’Université du Littoral-Côte d’Opale en 2007, le présent ouvrage a la qualité (et le défaut) de ratisser encore plus largement que son titre ne le laisse croire. En effet, non seulement la thématique de l’ouvrage (soit la place de la religion au sein de l’école occidentale au cours des deux derniers siècles et du présent) est particulièrement vaste, mais la vingtaine de spécialistes qui l’analysent au sein de cet ouvrage le font à travers la lorgnette de différentes disciplines scientifiques, dont l’histoire (et l’histoire de l’art), la sociologie, les sciences juridiques et les langues-civilisations.

Considérant la complexité inhérente aux divers enjeux liés à la place de la religion à l’école et le rôle particulier du droit en tant que révélateur des politiques nationales en la matière, il ne nous semble pas faire de doute que des juristes québécois intéressés par de telles questions pourront trouver leur compte dans un ouvrage aussi éclaté que celui proposé par les professeurs Lalouette et al. En effet, malgré la très grande variété d’angles d’analyse utilisés dans l’ouvrage, les principaux enjeux contemporains liés à la large problématique de l’ouvrage − qui nous semblent avoir été fort bien circonscrits par les codirecteurs lorsqu’ils écrivent ceci en introduction (p. 6) : « Le temps passant, divers exemples le montrent, des interrogations surgissent : peut-on enseigner la morale sans aucun fondement religieux ? Et l’exclusion de la religion ne contribue-t-elle pas à détruire tout un pan de la culture ? Comment restaurer celle-ci sans réintroduire celle-là ? Comment passer de l’enseignement de la religion à l’enseignement du fait religieux ? » – ne peuvent être abordés sans un certain apport transdisciplinaire.

Pour autant, les articles susceptibles de nourrir plus directement une réflexion juridique sur les enjeux liés à la situation québécoise et canadienne – incluant notamment la récente mise en place du programme Éthique et culture religieuse (ECR) au sein des écoles primaires et secondaires québécoises − sont assez peu nombreux au sein de cet ouvrage, se résumant à quatre textes dont nous tenterons de résumer ici les grandes lignes.

Mireille Estivalès, professeure de sciences de l’éducation et théologie à l’Université de Montréal, est l’auteure de l’article intitulé « L’enseignement sur les religions à l’école à l’épreuve du pluralisme culturel en France et au Québec » (p. 79-90), dans lequel elle se livre à une analyse comparative des contextes québécois et français en ce qui concerne l’enseignement « sur les religions », dans la foulée du choix fait par le gouvernement québécois de laïciser le milieu de l’éducation publique à la fin des années 90, ce qui le rapprochait de facto du modèle prévalant en France. Outre les éléments comparatifs, l’intérêt de cet article nous semble découler du choix fait par l’auteure de défendre une vision de ce que devrait être l’enseignement du fait religieux dans un État pluraliste, vision qu’elle résume notamment en conclusion lorsqu’elle écrit (p. 90) :

Dans les deux sociétés, une bonne formation des enseignants constitue un enjeu essentiel à la réussite d’un enseignement sur les religions. Développer les connaissances des élèves, élargir leurs horizons, les ouvrir sur le monde, et former des futurs citoyens, responsables et avertis dans une société pluraliste, capables de développer leur esprit critique et de bâtir leurs propres jugements dans l’écoute et le respect de la multitude des points de vue possibles, telles sont quelques-unes des fonctions fondamentales de l’école. L’enseignement sur les religions, que ce soit en France ou au Québec, doit pouvoir y contribuer.

Brigitte Caulier, professeure d’histoire socioreligieuse à l’Université Laval, nous livre quant à elle un texte intitulé « Langues et religions à l’école publique québécoise » (p. 147-160) au sein duquel elle présente le processus historique de sécularisation de l’école publique québécoise dont le point culminant est, à son avis, l’imposition d’un programme d’enseignement du fait religieux commun − le programme ECR − aux membres des deux principaux groupes religieux présents au Québec, les catholiques et les protestants. À son avis, les choix de diviser les commissions scolaires en fonction d’un critère linguistique, plutôt que religieux, et l’incidente imposition du programme ECR aux écoles québécoises marquent « l’aboutissement de la déconfessionnalisation d’un système scolaire public structuré au xixe siècle, sous le signe de la bi-confessionnalité, catholique et protestante, qui recoupait alors des divisions linguistiques, mais qui posait le problème de l’intégration des enfants juifs et des écoliers protestants francophones ou catholiques anglophones » (p. 148).

Le troisième texte nous semblant plus directement pertinent pour un juriste québécois intéressé par la problématique de la place de la religion à l’école a été écrit par Arnaud Decroix, chercheur associé au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal et s’intitule : « Le système éducatif canadien face aux revendications de nature religieuse : quelques considérations de nature juridique » (p. 287-297). Cet article essentiellement descriptif se résume à un portrait très sommaire des principaux droits et obligations de deux grandes catégories de personnes fréquentant les établissements scolaires canadiens − soit les élèves et les enseignants – à la lumière du principe de neutralité religieuse de l’État canadien, constitutionnalisé par une interprétation négative de la liberté de conscience et de religion protégée par l’article 2 (a) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le principal intérêt de cet article peut sans nul doute être rattaché aux passages où l’auteur nous rappelle que, considérant la récente modification de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui a permis au Québec de procéder à la déconfessionnalisation de son système scolaire public, « il n’existe pas de modèle canadien en ce qui concerne la place de la religion à l’école » (p. 297).

Finalement, le professeur Jean-Paul Willaime, également directeur de l’Institut européen en sciences des religions, nous présente un texte (p. 299-311) abordant l’impact (uniformisant ?) des structures européennes et de la Convention européenne des droits de l’Homme sur les différents modèles nationaux de gestion du pluralisme religieux au sein des établissements scolaires et dont le titre est : « Y a-t-il une européanisation de l’enseignement relatif à la religion ? ». L’auteur y déploie une analyse d’une étonnante richesse pour un texte aussi court, dans laquelle il regroupe les approches nationales relatives à l’enseignement de la religion à l’école en trois grandes catégories, à savoir les pays où : 1) il n’y a pas d’enseignement disciplinaire du fait religieux (France, Hongrie) ; 2) il y a un enseignement confessionnel des religions (Autriche, Belgique, Chypre, Espagne, Grèce, Malte, Pologne, Portugal, République tchèque) ; et finalement 3) il y a un enseignement non confessionnel de la religion (Danemark, Royaume-Uni, Suède) (p. 305 et 306). Pour Willaime, le facteur d’européanisation se mesure à la fois dans : 1) l’évolution des cours de religions confessionnels nationaux, qui « subsistent, mais évoluent sous une double contrainte : sociologique avec la pluralisation religieuse et philosophique des sociétés européennes […], juridique avec l’importance, dans les textes juridiques internationaux, en particulier dans la Convention européenne des droits de l’homme, du principe de non-discrimination pour raisons religieuses » (p. 309 et 310) ; et 2) « le développement d’enseignements non confessionnels des religions par des approches séculières et pluridisciplinaires des faits religieux » (p. 310).

En bout de course, il nous semble que l’ouvrage Les religions à l’école en est un de référence particulièrement pointu en raison de sa trame générale extrêmement vaste, tant du point de vue de la période temporelle couverte, des champs de spécialisation des différents auteurs que de l’éventail des nations analysées. En ce sens, il s’adresse bien davantage à un public hautement spécialisé sur les problématiques liées à la place de la religion au sein des écoles occidentales qu’à tous les autres qui, pour trouver leur compte, gagneront à consulter d’abord la table des matières.