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Le régime international du climat se construit lentement et par étapes. Dans un contexte d’incertitudes et de controverses aigues, la première étape a consisté en l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en mai 1992. Ouverte à la signature lors du Sommet de Rio, la Convention-cadre entre en vigueur en 1994[1]. Largement ratifiée, elle compte aujourd’hui 195 Parties. Elle ne contient toutefois que des obligations très générales. En tant que Convention-cadre, elle devait être complétée par un autre instrument venant préciser les engagements de réduction des gaz à effet de serre (GES). Après cinq années de négociation, le Protocole de Kyoto[2] a été adopté le 11 décembre 1997 et est entré en vigueur le 16 février 2005. Il compte aujourd’hui 192 Parties. Mais le Protocole de Kyoto ne contenait d’engagements de réduction des émissions de GES que pour une première période se terminant en 2012, laissant la suite (qui paraissait encore bien lointaine lorsque le Protocole de Kyoto a été adopté en 1997) entièrement à construire. La forme et le contenu des engagements pour une deuxième période d’engagement restaient donc à définir. Ce chantier s’est terminé lors de la Conférence de Doha (2012) qui a permis de définir les contours de la seconde période d’engagement, tandis que les négociations du post-2020 étaient lancées l’année précédente à Durban.

Parmi les accords internationaux sur l’environnement, c’est le régime du climat qui offre l’application la plus aboutie du principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCD) affirmé comme principe 7 de la Déclaration de Rio[3]. Le PRCD est l’expression contemporaine d’une revendication ancienne des pays en développement, en faveur de l’instauration d’un nouvel ordre économique international, laquelle a marqué les années 70. Au nom de la justice et de l’équité, les pays en développement ont alors demandé, et obtenu dans certains cas, des aménagements substantiels au principe de l’égalité, des « correctifs juridiques[4] » qui leur permettent de bénéficier de régimes plus favorables.

Structuré par le PRCD, le domaine des changements climatiques en révèle aussi tout particulièrement les difficultés d’application. Ainsi, justice, équité, responsabilités communes mais différenciées sont invoquées par les uns et par les autres pour servir parfois des fins diamétralement opposées. Le Protocole de Kyoto a représenté en 1997 la cristallisation d’un accord sur ce qui était équitable parce que ressenti et analysé comme équitable alors. Le PRCD et des capacités respectives a justifié que les engagements de réduction des émissions de GES ne soient pris que par les pays industrialisés, au nom de leur responsabilité historique dans le réchauffement de la planète. Les États-Unis ne l’ont toutefois pas ratifié précisément parce qu’ils ont considéré comme… inéquitable un accord qui ne traiterait pas de manière identique les Parties[5]. Quoi qu’il en soit, la situation a depuis lors évolué, ne serait-ce qu’avec l’augmentation considérable des émissions de GES des pays émergents et en particulier de la Chine. Depuis que les négociations ont repris sur la période « post-2012 » et le contenu d’une deuxième période d’engagement, en 2005 et surtout en 2007, puis maintenant sur le post-2020 dans le cadre de la Plateforme de Durban pour une action renforcée (ADP), aucun accord n’a pu être obtenu sur ce que serait aujourd’hui ou dans cinq ans un dispositif juste et équitable.

Les négociations climatiques, qui se déroulent dans un contexte relativement difficile et tendu, achoppent précisément sur ce point[6]. Pour convaincre les États-Unis, le Canada et les grands pays émergents d’accepter de prendre des engagements, soit de transformer les promesses de la Conférence de Copenhague en engagements — les pledges en commitments — et renforcer le niveau d’ambition pré-2020 et post-2020, il convient précisément de trouver la juste balance entre la répartition des bénéfices et des charges des uns et des autres.

Ainsi, après avoir montré comment le PRCD a structuré le régime actuel du climat couvrant la période 1992-2020 (1), nous estimons qu’il sera intéressant d’analyser sa mobilisation dans les négociations en cours du post-2020 qui tentent de définir un accord équitable qui pourrait être acceptable par — et applicable à — toutes les Parties (2).

1 Le principe des responsabilités communes mais différenciées, fondement du régime international du climat durant la période 1992-2020

Le PRCD est consacré par la Convention-cadre dès 1992 (1.1). Il structure le Protocole de Kyoto en 1997 (1.2). Les décisions adoptées dans le prolongement de l’Accord de Copenhague, lors des conférences de Cancún, de Durban et de Doha, qui structurent la période 2012-2020, sont marquées par une atténuation de la différenciation (1.3).

1.1 La consécration du PRCD dans la Convention-cadre (1992)

Le PRCD est clairement consacré dans la Convention-cadre de 1992. Il est d’abord mentionné dans le préambule : « Conscientes que le caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent à une action internationale, efficace et appropriée, selon leurs responsabilités communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation sociale et économique[7] ». Puis il est repris à deux reprises dans le dispositif même de la Convention-cadre. Il figure d’abord dans les « principes ». Il est même le premier d’entre eux : « Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés Parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes[8]. » On remarquera le lien établi avec le concept d’« équité » et qu’une conséquence directe (« en conséquence ») en est tirée : les pays développés doivent être « à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes ».

Le principe figure ensuite au début de l’article 4 (1) consacré aux « engagements » communs à l’ensemble des Parties, qu’elles soient développées ou en développement. Le principe vient ici, en quelque sorte, tempérer le caractère commun de l’engagement : « Toutes les Parties, tenant compte de leurs responsabilités communes mais différenciées et de la spécificité de leurs priorités nationales et régionales de développement, de leurs objectifs et de leur situation[9] » font ceci et cela, établissent des inventaires nationaux d’émission, mettent en oeuvre des programmes nationaux d’atténuation, etc.

En pratique, la Convention-cadre utilise toute la palette des outils du droit international du développement. L’article 4 (2) précise les engagements « spécifiques » des « pays développés Parties et les autres Parties figurant à l’annexe I », soit des engagements qui ne concernent pas les pays en développement. Il se réfère notamment à des mesures d’assistance technique et financière.

De même, on retrouve le principe à l’article 7, selon lequel la Conférence des Parties : « encourage et facilite l’échange d’informations sur les mesures adoptées par les Parties pour faire face aux changements climatiques et à leurs effets, en tenant compte de la diversité de situations, de responsabilités et de moyens des Parties ainsi que de leurs engagements respectifs au titre de la Convention[10] » ou encore « facilite, à la demande de deux Parties ou davantage, la coordination des mesures adoptées par elles pour faire face aux changements climatiques et à leurs effets, en tenant compte de la diversité de situations, de responsabilités et de moyens des Parties ainsi que de leurs engagements respectifs au titre de la Convention[11] ». Même si la formulation, moins littéraire et solennelle, est un peu différente, le sens est voisin.

Enfin, la Convention-cadre « rappelle que les impératifs de développement demeurent prioritaires, suggérant clairement qu’ils constituent un motif de non-exécution par les pays en développement de leurs obligations (article 4.7)[12] ». Sur ces bases, la Convention-cadre a été massivement ratifiée ; elle compte aujourd’hui 195 Parties, ce qui en fait l’un des accords internationaux les plus inclusifs.

1.2 Un Protocole de Kyoto structuré par le PRCD (1997)

Le PRCD est également mentionné dans le Protocole de Kyoto[13], dans lequel il vient apporter un tempérament à (conditionner ?) certains engagements pris relativement à la coopération :

Toutes les Parties, tenant compte de leurs responsabilités communes mais différenciées et de la spécificité de leurs priorités nationales et régionales de développement, de leurs objectifs et de leur situation, sans prévoir de nouveaux engagements pour les Parties qui ne sont pas visées à l’annexe I mais en réaffirmant ceux qui sont déjà énoncés au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et en continuant à progresser dans l’exécution de ces engagements afin de parvenir à un développement durable, compte tenu des paragraphes 3, 5 et 7 de l’article 4 de la Convention[14].

Le principe vient aussi apporter des tempéraments à certaines obligations à adopter dans le futur. Il est ainsi prévu que la Conférence des Parties « encourage et facilite l’échange d’informations sur les mesures adoptées par les Parties pour faire face aux changements climatiques et à leurs effets, en tenant compte de la diversité de situations, de responsabilités et de moyens des Parties ainsi que de leurs engagements respectifs au titre du présent Protocole » et « facilite, à la demande de deux Parties ou davantage, la coordination des mesures qu’elles ont adoptées pour faire face aux changements climatiques et à leurs effets, en tenant compte de la diversité de situations, de responsabilités et de moyens des Parties ainsi que de leurs engagements respectifs au titre du présent Protocole[15] ».

Ainsi, c’est toute la structure du Protocole de Kyoto qui met en oeuvre le PRCD. Au coeur du Protocole de Kyoto, les obligations de réduction des émissions de GES ne reposent que sur les pays industrialisés, listés à son annexe B. Durant la première période d’engagement, ces pays sont ainsi à « l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes[16] » pour reprendre l’expression de la Convention-cadre, et ce, en raison de leur responsabilité historique dans les changements climatiques. Les obligations des pays en développement sont très limitées et sont tempérées par le principe[17]. La réunion des Parties doit également en tenir compte dans ses décisions[18]. Les pays développés ont des obligations d’assistance financière et technique. Leurs efforts doivent être réels (les ressources doivent être « nouvelles et additionnelles », « [l]’exécution de ces engagements tient compte du fait que les apports de fonds doivent être […] de la charge entre les pays développés Parties[19] »). Le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et d’autres mécanismes financiers conventionnels sont théoriquement là pour canaliser les flux financiers et « multilatéraliser » l’aide. Il faut leur ajouter le Mécanisme pour un développement propre. Enfin, la procédure de contrôle du respect et de sanction du non-respect reflète elle aussi la différenciation, que ce soit dans son principe ou sa structure.

Lors de la Conférence de Durban, il a été décidé de continuer le Protocole de Kyoto pour une seconde période d’engagement, qui prendra fin en 2020. L’amendement à cet effet a été adopté à Doha et est en cours de ratification. Les pays en développement étaient très attachés à cette continuation et en ont fait une condition au lancement des négociations du post-2020. Cette seconde période compte toutefois moins de Parties que la première : les États-Unis, le Canada, la Russie, le Japon et la Nouvelle-Zélande n’y prennent aucun engagement. De fait, cette continuation est essentiellement symbolique. Les pays concernés représentent à eux tous moins de 13 p. 100 des émissions mondiales, qu’ils ont convenu de réduire de moins de 20 p. 100 en 2020 (par rapport à 1990). L’essentiel est en réalité ce qui se passe dans le cadre plus inclusif de la Convention-cadre, dans le prolongement de l’Accord adopté à Copenhague.

1.3 Une différenciation atténuée dans les décisions prolongeant l’Accord de Copenhague (2009-2020)

Les négociations du post-2012, ouvertes dès 2005 dans le cadre du Protocole de Kyoto[20], sont officiellement lancées dans le contexte de la Convention-cadre lors de la Conférence de Bali, en 2007. Le Plan d’action de Bali constitue l’élément central de la feuille de route des négociateurs[21]. Il prévoit l’adoption d’un accord global en 2009 définissant une

vision commune de l’action concertée à long terme, notamment à un objectif global à long terme de réduction des émissions, pour atteindre l’objectif ultime de la Convention, conformément aux dispositions de cet instrument et aux principes qui y sont énoncés, en particulier le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, et compte tenu des conditions sociales et économiques et des autres facteurs pertinents[22].

Le Plan d’action de Bali précise encore qu’il devait notamment être tenu compte des « différences existant dans la situation de chaque pays » dans la définition des engagements d’atténuation[23].

Les négociations sont difficiles et le « résultat d’un commun accord » recherché depuis la Conférence de Bali[24] ne sera obtenu finalement qu’à la Conférence de Durban en 2011, et officiellement adopté à celle de Doha en 2012[25]. Ce « résultat » s’inspire largement du contenu de l’Accord de Copenhague (2009)[26], ratifié sous forme de convention à la Conférence de Cancún en 2010, et précisé lors des Conférences des Parties ultérieures à Durban, à Doha et à Varsovie[27]. Il est à noter que la décision de la Conférence de Doha se réfère fermement et à trois reprises au PRCD, qui doit donc continuer à guider la mise en oeuvre du régime international du climat au moins jusqu’en 2020.

Les questions de la justice climatique et de l’équité ont été ardemment débattues avant et pendant ces différentes conférences. Les discussions sur le contenu et la portée du PRCD ont abordé trois questions très imbriquées : la catégorisation des États, la différenciation des actions et celle des mesures de soutien, l’assistance et le financement.

1.3.1 La catégorisation des États

Durant les négociations qui ont précédé la Conférence de Copenhague, les pays en développement rejetaient toute différenciation entre les pays en développement (au-delà peut-être des catégories de vulnérabilité supérieure, comme les petits pays insulaires ou les pays les moins avancés) et restaient attachés à la répartition binaire des pays, en deux groupes « annexe I » et « non-annexe I ». Déjà évoquée plus haut, l’annexe I est la première annexe à la Convention-cadre, qui regroupe les États qui prennent « des engagements spécifiques » (pays industrialisés et pays dits « en transition vers une économie de marché »). Ce découpage s’est fait sur la base de l’auto-élection, dans l’ensemble sur la base de la ligne de partage Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)/non-OCDE. Comme le constate Marie-Pierre Lanfranchi, la frontière « n’est du reste pas toujours clairement établie ainsi qu’en témoignent le cas de la Turquie[28], ou celui des pays d’Europe centrale et orientale : ces derniers figurent dans les “Parties visées à l’Annexe I”, alors que les économies émergentes d’Asie ou d’Amérique latine n’y sont pas. Les cas du Kazakhstan et du Belarus ont par ailleurs rappelé que la frontière est par définition difficile à franchir[29] ». La Conférence de Bali avait ouvert des perspectives de ce point de vue. Le Plan d’action de Bali employait pour la première fois les termes pays « développés » et « en développement » plutôt que pays « visés et non visés à l’Annexe I ». Ce glissement, loin d’être anodin, rompait avec la logique de la Convention-cadre et du Protocole et pouvait permettre de structurer la négociation autour de nouvelles bases.

Le refus des pays émergents de constituer une catégorie intermédiaire ou de rejoindre l’annexe I est un moyen de s’aligner sur tous les pays en développement en matière d’atténuation, pour rejeter toute obligation de réduction des émissions de GES qui aille au-delà de l’article 4 (1) de la Convention-cadre. À l’opposé, les propositions américaines souhaitaient briser le groupe des pays non-annexe I pour que certains rejoignent ceux de l’annexe I. Ils proposaient de formuler les choses ainsi : « developped country Parties and those Parties with greather than [X] per cent of world emissions[30] ». La proposition australienne allait dans le même sens : « developing country Parties whose national circumstances reflect greater responsability or capability ».

Au final, l’Accord de Copenhague maintient la distinction entre les pays annexe I et non-annexe I, mais tantôt aussi se réfère simplement aux catégories « pays développés » et « pays en développement ». Une attention particulière est simplement accordée parmi ces derniers aux plus vulnérables (pays les moins avancés, petits États insulaires, pays d’Afrique[31]) qui sont prioritaires pour les financements[32]. On retrouve cette même ambivalence dans les décisions adoptées ultérieurement de la Conférence de Cancún à celle de Doha.

1.3.2 La différenciation des actions

Les principales divergences entre les Parties, lors des réunions précédant la Conférence de Copenhague, se sont cristallisées sur la différenciation. La question clé était celle de la création — ou non — d’un chapeau au-dessus des paragraphes 1 b) (i), portant sur les engagements et actions de réduction d’émissions des pays développés et 1 b) (ii), portant sur les actions de réduction d’émissions nationalement appropriées des pays en développement, dans le texte de l’accord final à la Conférence de Copenhague. Loin d’être anecdotique, ce point a catalysé les divergences politiques, car il revenait « à poser la question de ce qui est commun et ce qui est différencié entre les pays développés et les pays en développement[33] ». Là où certains estimaient nécessaire la construction d’un « pont » (États-Unis entre autres), un mur « pare-feu » (firewall) s’imposait pour les autres (les pays en développement).

Les négociateurs s’opposaient notamment sur l’interprétation du PRCD. Là où les États-Unis insistaient sur la responsabilité « commune », les pays en développement mettaient plutôt l’accent sur la responsabilité « différenciée ». Le principe est finalement si général — presque un oxymore — qu’il a donné lieu à des interprétations opposées. Pour les pays en développement, le Plan d’action de Bali séparait de manière étanche les engagements des uns et des autres. Pour les autres (États-Unis), les deux paragraphes reprenaient les mêmes termes qu’il convenait de ne définir qu’une seule fois (notamment « mesurables, notifiables et vérifiables » ou MRV pour measuring, reporting, verifying). Pensant notamment à la Chine, ils souhaitaient que les engagements des uns et des autres soient les plus proches possible dans leur nature juridique comme dans les mécanismes de mesure, de notification et de vérification.

Au final, l’Accord de Copenhague se réfère au PRCD dès l’article 1 : « Nous confirmons notre ferme volonté politique de lutter sans tarder contre ces changements conformément au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives[34]. » Cet accord fait deux références à l’équité (art. 1 et 2). Il accorde un calendrier assoupli aux pays en développement, « reconnaissant qu’il faudra plus de temps aux pays en développement pour atteindre le pic des émissions et en se rappelant que le développement social et économique et l’élimination de la pauvreté sont les priorités premières et essentielles de ces pays et qu’une stratégie de développement à faible taux d’émission est indispensable pour conférer à celui-ci un caractère durable[35] ». Dater le pic des émissions des pays en développement de manière précise a en effet été considéré comme inacceptable par l’Inde lors de la dernière nuit de négociations. Se référant également à plusieurs reprises à l’équité[36], les accords de Cancún ne vont pas plus loin sur le fond.

La distinction est clairement établie entre les actions des pays développés (engagements de réduction d’émissions) et des pays en développement (mesures d’atténuation)[37]. Elle se reflète à la fois dans la structure de l’Accord de Copenhague (deux paragraphes distincts leur sont consacrés) et dans son contenu. Les pays développés (« Parties visées à l’Annexe I ») peuvent notifier au secrétariat leurs engagements de réduction (« objectifs chiffrés fixés en matière d’émissions pour l’ensemble de l’économie pour 2020 ») qui sont inscrits dans le tableau figurant à l’annexe I de cet accord. Les Parties peuvent choisir l’année de référence. Quant aux pays en développement (« Parties non visées à l’Annexe I »), ils ne notifient pas d’objectif de réduction, mais simplement leurs « mesures d’atténuation appropriées au niveau national (NAMA) » qui sont consignées par le secrétariat dans le tableau figurant à l’annexe II de l’Accord de Copenhague. En outre, une référence est faite à l’article 4 (7) de la Convention-cadre :

La mesure dans laquelle les pays en développement Parties s’acquitteront effectivement de leurs engagements au titre de la Convention dépendra de l’exécution efficace pour les pays développés Parties de leurs propres engagements en ce qui concerne les ressources financières et le transfert de technologie et tiendra pleinement compte du fait que le développement économique et social et l’éradication de la pauvreté sont les priorités premières et essentielles des pays en développement Parties[38] ».

Les NAMA sont par là, dans leur ensemble, conditionnées au soutien des pays développés.

Si la distinction est clairement établie entre les engagements des pays en développement et des pays développés, le « deal » entre les États-Unis et les pays émergents a conduit ces derniers à faire des concessions sur la vérification et la transparence. Une distinction demeure de ce point de vue entre pays développés et en développement, mais elle est atténuée. S’agissant des pays développés, « [l]es réductions opérées et les moyens de financement fournis par les pays développés seront mesurés, notifiés et vérifiés conformément aux lignes directrices existantes et à celles que pourrait adopter la Conférence des Parties, la comptabilisation de ces objectifs et de ces moyens de financement devant être rigoureuse, fiable et transparente[39] ». S’agissant des pays en développement,

[l]es mesures d’atténuation prises par les Parties non visées à l’annexe I seront mesurées, notifiées et vérifiées au niveau national, le résultat obtenu étant présenté tous les deux ans dans leurs communications nationales. Les Parties non visées à l’annexe I communiqueront des renseignements sur la mise en oeuvre de leurs mesures dans les communications nationales, des dispositions étant prises en vue de consultations et d’analyses au niveau international selon des lignes directrices clairement définies permettant de respecter la souveraineté nationale[40].

La référence à des lignes directrices internationales représente une réelle concession, même si elle est immédiatement suivie de la mention de la souveraineté nationale. Lorsque ces actions auront besoin d’un soutien, elles seront « consignées dans un registre ». Elles seront alors contrôlées internationalement : « Les mesures d’atténuation appropriées au niveau national qui bénéficient d’un appui seront mesurées, notifiées et vérifiées au niveau international conformément aux lignes directrices adoptées par la Conférence des Parties[41]. » Ainsi, un contrôle fort des NAMA ne peut être opéré que si elles sont financièrement soutenues par les pays développés. Les pays en développement ont obtenu que les financements du Nord soient conditionnés à la transparence de leurs actions.

Les accords de Cancún, auxquels la décision de la Conférence de Doha se réfère, ne font que prolonger l’Accord de Copenhague de ce point de vue. La décision de la Conférence de Doha reste entièrement structurée par cette distinction entre les « engagements ou initiatives » des pays développés Parties et les NAMA des pays en développement Parties. Ces derniers ne sont qu’incités à réduire leurs émissions puisque la décision « [e]ncourage de nouveau les pays en développement Parties qui le souhaitent à élaborer des stratégies de développement à faibles émissions et favorisant la résilience face au climat, selon leur situation nationale, en reconnaissant la nécessité d’une aide financière et technique de la part des pays développés Parties pour l’élaboration desdites stratégies[42] ». Force est de reconnaître toutefois que la différenciation, si elle demeure réelle, est bien moindre que dans le régime établi en 1992 et en 1997. En effet, les « engagements ou initiatives » des pays développés prendront la forme de « mesures d’atténuation », tandis que les « mesures d’atténuation » des pays en développement relèveront forcément d’« engagements ou initiatives »… Au final, les uns et les autres font librement des promesses, dont la réalisation fait l’objet d’un contrôle MRV, même si ce dernier varie en intensité[43]

1.3.3 Les mesures de soutien, d’assistance et de financement

Durant la Conférence de Copenhague, les pays en développement, et notamment les pays africains, ont réclamé des financements très élevés (1 p. 100 ou 5 p. 100 du RNB consacrés à l’aide publique au développement), bien au-delà de ce que proposaient ou pouvaient proposer les pays développés, lesquels peinent à atteindre l’objectif de 0,7 p. 100 pourtant établi de longue date par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de nombreuses grandes conférences onusiennes.

L’Accord de Copenhague consacre l’engagement collectif des pays développés à apporter des ressources nouvelles et additionnelles (« [u]n financement accru, nouveau et additionnel, prévisible et adéquat ainsi qu’un meilleur accès à celui-ci devraient être fournis aux pays en développement[44] »). Le mécanisme financier « précoce » (fast start) est lancé avec 30 milliards de dollars pour la période 2010-2012, « en les répartissant de manière équilibrée entre l’adaptation et l’atténuation[45] ». De fait, à compter de 2020, l’Accord de Copenhague prévoit un financement de 100 milliards de dollars par an.

Ces éléments figurent également dans les accords de Cancún[46], qui établissent le Fonds vert pour le climat promis à Copenhague, lequel a été opérationnalisé à Varsovie. Il a alors été désigné comme entité chargée d’assurer le fonctionnement du mécanisme financier de la Convention-cadre[47], tandis qu’il était décidé qu’une part appréciable des nouveaux moyens multilatéraux de financement de l’adaptation devrait être acheminée par son intermédiaire. En revanche, aucune décision ni aucun engagement n’ont pu être pris à ce moment quant aux sources, publiques ou privées, le contexte de la crise de la dette en Europe et aux États-Unis expliquant aisément la réticence des pays développés à s’engager à fournir des ressources publiques comme l’exigeaient les pays en développement. À la Conférence de Doha, les pays développés ont été invités à présenter leurs stratégies pour tenir leurs engagements et encouragés à augmenter leurs efforts à plus court terme, sur la période 2013-2015, en maintenant au moins le niveau des financements dits « précoces » alloués pour la période de 2010-2012 en application de l’Accord de Copenhague (30 milliards sur 3 ans). L’année précédente, à la Conférence de Durban, en 2011, il avait été décidé de lancer un programme sur les financements à long terme pour accroître la mobilisation de sources de financement après 2012 et analyser les solutions possibles pour mobiliser des ressources à partir d’une grande variété de sources, publiques et privées, bilatérales et multilatérales, y compris des sources innovantes. Mais ce programme, de nature plutôt technique, n’a pu être clôturé à la Conférence de Doha en 2012, les pays en développement insistant pour qu’il prenne un relief plus politique. Il a donc été prolongé jusqu’à la Conférence de Varsovie, en vue notamment d’alimenter un dialogue ministériel sur les moyens nécessaires pour atteindre l’objectif de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020.

Les financements étaient donc un sujet sur lequel des résultats importants étaient attendus à la Conférence de Varsovie, au moins sur le plan politique. Les pays en développement veulent alors des garanties sur le fait que les financements des pays développés apporteraient des ressources accrues, nouvelles, additionnelles, adéquates et prévisibles, d’une part, et sur les modalités pour atteindre l’objectif de mobilisation de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, d’autre part. À la Conférence de Varsovie, plusieurs réunions, y compris au plus haut niveau, y ont été consacrées. Le G77 et la Chine (groupe des pays en développement) ont réclamé que soit posé un objectif de 70 milliards de dollars par an d’ici 2016, tout en précisant que les financements publics devaient en constituer l’essentiel. Les pays du Nord peinent à s’engager sur ces deux tableaux. Une récente étude émanant des World Research Institute et Institute for Global Environmental Strategies est venue montrer juste avant la Conférence de Varsovie que si les pays du Nord ont déclaré avoir versé 35 milliards de dollars entre 2010 et 2012 pour aider ceux du Sud à faire face au réchauffement, montants supérieurs aux promesses de financements précoces, ces sommes correspondent en partie à de l’argent « recyclé », alors que les financements promis devaient être « neufs ou additionnels[48] ».

Au final, à la Conférence de Varsovie, les pays du Sud n’ont pas réussi à imposer une date et un montant — ils demandaient 20 milliards — pour une première levée de fonds destinée au Fonds vert. Aucun objectif intermédiaire n’est non plus acté dans la décision, qui réitère simplement l’engagement en faveur des 100 milliards en 2020 et se réfère aux sources aussi bien publiques que privées pour sa mise en oeuvre. Mais les pays en développement ont obtenu que soit retiré « subject to the availability of financial resources[49] » qui affaiblissait l’engagement des pays du Nord, un engagement politique. Par ailleurs, une référence est faite à la transparence dans la mise en oeuvre. Elle répond à la demande des pays du Sud, qui espèrent garantir ainsi que les financements seront réellement neufs ou additionnels. En effet, les mécanismes de suivi de l’aide des pays du Nord mis en place dans le domaine climatique ne cessent de se renforcer. Ils exercent même un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’aide au développement, domaine hautement sensible marqué jusqu’ici par une absence totale de transparence.

Un autre point important de négociation à la Conférence de Varsovie a été la création d’un mécanisme international sur les « pertes et préjudices ». Il s’agit là d’une revendication forte des pays du Sud qui voient dans l’établissement d’un tel mécanisme la concrétisation d’une certaine justice climatique et exigent la réparation de dommages qui, pour l’essentiel, sont causés par les émissions historiques — donc des pays du Nord — et touchent les pays du Sud. Bien des pistes ont été évoquées, aboutissant à la création de mécanismes ambitieux, y compris juridictionnels ou quasijuridictionnels. Après des discussions très rudes, la Conférence de Varsovie a bien adopté un mécanisme — le Mécanisme de Varsovie —, mais le dispositif est très modeste, bien loin des revendications des pays du Sud. Il devra néanmoins être revu en 2016.

S’il reste à déterminer dans quelle mesure les transferts seront à la hauteur des promesses, force est ainsi de constater que le PRCD continue d’avoir un rôle structurant et de produire, s’agissant des mesures de soutien, d’assistance et de financement, des conséquences importantes.

2 Quelle place pour le principe des responsabilités communes mais différenciées dans le futur régime international du climat post-2020 ?

La 17e Conférence des Parties, à Durban, lance « un processus en vue d’élaborer au titre de la Convention un protocole, un autre instrument juridique ou un texte convenu d’un commun accord ayant valeur juridique, applicable à toutes les Parties[50] ». À cette fin, il est créé un groupe de travail spécial de la plate-forme de Durban pour une action renforcée (AWG-ADP[51]), qui « mènera à bien ses travaux dans les meilleurs délais au plus tard en 2015[52] » afin qu’un nouveau protocole, instrument juridique ou texte convenu ayant valeur juridique puisse être en vigueur en 2020[53].

La décision 1/CP.17 de la Conférence de Durban[54] qui constitue la feuille de route des négociateurs n’effectue aucune différenciation entre groupes de pays. Elle ne se réfère pas non plus au PRCD. Au contraire, elle précise que le futur instrument sera « applicable à toutes les Parties » et qu’il convient « que toutes les Parties fassent le maximum d’efforts en faveur de l’atténuation[55] ». Pour certains, cette omission aurait certes une signification politique, mais peu de conséquences juridiques, du fait que le processus lancé à la Conférence de Durban a lieu « au titre de la Convention[56] ». Mais paradoxalement, comme le souligne Thomas Deleuil, bien qu’il ait été aux fondements de la Convention-cadre, le PRCD a contribué, par la suite, à gripper les négociations du post-2012[57].

Dans un contexte international marqué par l’augmentation rapide de leurs émissions de GES, les pays émergents, et une bonne partie des pays en développement, restent attachés au PRCD et mettent l’accent plutôt sur leur droit au développement et la responsabilité historique des pays du Nord — dont les émissions ont globalement tendance à diminuer (2.1). Mais émerge un nouveau groupe de négociation, formé par des pays en développement d’Amérique latine, lesquels tentent de contribuer à relever l’ambition internationale en prônant une nouvelle interprétation du PRCD (2.2).

2.1 L’évolution de la position traditionnelle des pays en développement sur le PRCD

Une analyse des soumissions présentées par les pays en développement dans le cadre de la Plateforme de Durban permet de conclure que tous sont d’accord sur le fait que le nouveau régime du climat doit se construire dans le respect des principes de la Convention-cadre de 1992, et en particulier du PRCD. Mais elle met aussi en évidence les différentes interprétations du contenu dudit principe.

2.1.1 Le consensus autour du respect du PRCD

Dans le cadre de travaux du Groupe de travail ADP, tous les pays en développement sans exception se montrent attachés au PRCD et des capacités respectives, perçu comme un élément fondamental du régime international du climat. Dans cette perspective, certains ont réaffirmé la nécessité de pleinement respecter les principes de la Convention-cadre et « en particulier » le PRCD et l’équité[58]. Les pays les moins avancés, de leur côté, ont réaffirmé leur plein support aux principes de la Convention-cadre et en particulier au PRCD et des capacités respectives et à l’équité[59] qui doivent, selon eux, guider les Parties dans la mise en oeuvre de l’objectif « ultime » de la Convention de stabilisation des GES (art. 2)[60]. Pour eux, « en ce sens, les nouveaux résultats des négociations doivent être fondés sur les principes de la Convention[61] », au premier rang desquels le PRCD[62]. Pour le Groupe africain, l’accord, pour être applicable à toutes les Parties, devra être guidé par la science, l’équité, les responsabilités communes mais différenciées et les capacités respectives, la responsabilité historique, tout en prenant en compte les circonstances nationales, et le développement qui constitue une priorité pour les pays en développement[63]. Les termes employés par la décision qui crée la Plateforme de Durban servent d’argument à une telle position lorsqu’ils précisent « lancer un processus en vue d’élaborer au titre de la Convention[64] ». Certains pays en développement en déduisent l’obligation de respecter les principes de la Convention-cadre, malgré l’absence d’affirmation explicite desdits principes. Dans cette perspective, même si le texte de la Conférence de Durban ne s’y réfère pas explicitement, « l’expression “au titre de la Convention” réaffirme implicitement et reconnaît tous les principes et dispositions de la Convention, y compris en particulier les principes d’équité et des responsabilités communes mais différenciées[65] ». À ce propos, le groupe Like-Minded a fait observer que « [a]u regard de son sens ordinaire et de son contexte, conformément aux règles d’interprétation des traités de la Convention de Vienne sur le droit des traités, l’expression “au titre de la Convention” signifie que le résultat des négociations doit être fondé sur, adhérer à et refléter les dispositions et principes de la Convention[66] », en particulier l’équité et le PRCD mais aussi l’article 4 de la Convention-cadre, ou encore les résultats du Plan d’action de Bali, aussi bien dans le cas du Protocole que de la Convention-cadre. Les décisions du Groupe de travail ADP sont venues confirmer cette approche : « Considérant que les travaux du Groupe de travail spécial de la Plate-forme de Durban pour une action renforcée sont guidés par les principes de la Convention[67] », ce qui a été rappelé récemment lors de la Conférence de Varsovie en décembre 2013[68]. Plus loin encore, d’autres pays en développement considèrent que non seulement le Groupe de travail ADP doit conduire ses travaux à la lumière des principes de la Convention-cadre, mais que ceux-ci doivent être les piliers du nouveau régime international du climat, en particulier le PRCD et les capacités respectives[69].

Ce consensus des pays en développement sur la nécessité de respecter le PRCD révèle certaines divergences lorsqu’il s’agit de définir son contenu.

2.1.2 Les différences quant au contenu du PRCD

Actuellement, l’interprétation du contenu du PRCD divise non seulement les pays développés et les pays en développement, mais aussi ces derniers entre eux, car, pendant que certains s’attachent au contenu original du principe, très lié à la responsabilité historique, d’autres en font une interprétation plus en accord avec le niveau d’ambition que devrait atteindre le futur régime du climat.

Ainsi, les premiers considèrent que, dans l’état actuel des négociations et du cadre de travail de l’ADP, il n’y a nul besoin de réinterpréter, de réécrire ou de renégocier le PRCD[70]. L’Inde insiste sur le fait que les décisions de la Conférence des Parties sur la Plateforme de Durban doivent être prises « au titre de la Convention » et que cela signifie être « conformes, adhérer à, refléter tous les principes et dispositions de la Convention, sans réinterpréter la Convention, ni ses principes ou ses annexes[71] ». Singapour, de son côté, affirme que les négociations ADP « ne sont pas un exercice de réécriture des principes et dispositions de la Convention-cadre[72] ».

Les seconds, bien au contraire, manifestent leur volonté d’avancer vers un degré d’ambition plus élevé, qui se traduirait nécessairement par une réinterprétation du PRCD. Selon cette perspective, la Convention-cadre est un instrument vivant qui doit être interprété de façon dynamique ; les principes qui y sont consacrés doivent être interprétés de façon à permettre son application effective. Ceci seul permettrait, selon ces pays, d’atteindre l’objectif ultime de la Convention-cadre posé dans son article 2 qui est de « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique[73] ».

Cette optique exige, d’une part, de rompre avec le paradigme qui justifie le fait que les pays en développement n’aient pas d’obligations de réduction de leurs émissions de GES et, d’autre part, de construire un nouvel ordre international qui reconnaisse plusieurs catégories d’États, ayant des obligations différenciées, définies en fonction de leur capacité, de leur vulnérabilité et de leur responsabilité[74]. Nous avons vu plus haut, à ce propos, que la différenciation entre les pays listés à l’annexe I de la Convention-cadre et les pays qui n’y figurent pas a été progressivement diluée à partir de la Conférence de Copenhague, afin que les pays non-annexe I en viennent à s’engager dans l’atténuation de leurs émissions de GES et à se soumettre à un contrôle du respect de leurs « promesses[75] ».

Cette seconde approche est défendue particulièrement par un nouveau groupe de négociation, formé par des pays en développement appartenant au G77, né pendant la Conférence des Parties de Doha. Il s’agit de l’Asociación Independiente de Latinoamerica y el Caribe ou AILAC, qui réunit le Chili, la Colombie, le Pérou, le Costa Rica, le Panamá et le Guatemala. Ce groupe propose de dépasser les positions traditionnelles défendues par le G77, qui ont d’ailleurs favorisé la polarisation actuelle. Cette situation s´explique en partie par les caractéristiques particulières de ces pays s’agissant de leur politique économique, de leur croissance économique, de leur politique sur les changements climatiques et leur vulnérabilité aux impacts des changements climatiques, lesquelles les éloignent des positions traditionnelles du G77. En ce sens, il est nécessaire par exemple de rappeler que le Chili appartient à l’OCDE depuis 2010 et qu’il est, de ce fait, à présent un pays OCDE sans obligations d’atténuation.

Ainsi, le consensus atteint par les pays en développement autour du respect du PRCD est marqué par un fort contraste s’agissant de son contenu et, plus précisément, concernant l’interprétation de chacun des éléments présents dans la Convention-cadre lorsqu’elle affirme qu’« [i]l incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciés et de leurs capacités respectives[76] ».

2.2 La nécessaire réinterprétation du PRCD

Le PRCD se construit à partir de deux éléments : l’aspect commun et l’aspect différencié, en lien avec l’équité et les capacités respectives des États. L’apport de la nouvelle approche de certains pays en développement, prêts à réinterpréter le PRCD, tel qu’il a été consacré par la Convention-cadre, consiste à diminuer l’écart entre les positions des pays développés et des pays en développement, dans un contexte où tous les pays feraient des efforts en matière d’atténuation et d’adaptation, en fonction de leur capacité, de leur vulnérabilité et de leur responsabilité. L’objectif est d’augmenter l’ambition des pays en vue d’atteindre l’objectif ultime de la Convention-cadre, à travers la réinterprétation de chacun des éléments du PRCD.

2.2.1 L’aspect commun du PRCD

Comme nous l’avons rappelé plus haut, la Convention-cadre prévoit des obligations communes à toutes les Parties, ainsi que des obligations d’atténuation à l’égard exclusif des pays développés, listés dans son annexe I. Or, dans le cadre de la Plateforme de Durban s’est posée la question d’un élargissement des obligations de réduction des émissions de GES à tous les pays, une option que la plupart des pays en développement, et en particulier les économies émergentes, refusent. Cette idée d’obligations « pour tous » découlerait précisément des termes employés dans les décisions de la Conférence de Durban. À ce propos, Singapour a affirmé que « le PRCD est au coeur de la Convention. Conformément au PRCD, toutes les Parties ont un rôle à jouer en combattant les changements climatiques et par là ont une responsabilité commune. L’idée d’un accord global “applicable à toutes les Parties” telle qu’affirmée dans la décision 1/CP.17 à Durban, est fondée sur le principe d’une “responsabilité commune”[77] ».

À mi-chemin entre ces deux perspectives, il a été proposé une voie intermédiaire qui nous invite à nous rappeler du sens originel du PRCD, en tant qu’instrument d’action, permettant de créer les conditions nécessaires pour atteindre l’objectif de la Convention-cadre et éviter d’en faire un refuge ou un prétexte pour l’inaction[78]. Il s’agit de faire en sorte que tous les pays assument des obligations d’atténuation : « des obligations communes reflétées par l’adoption d’engagements juridiquement obligatoires pour toutes les Parties[79] », dans le contexte d’un « nouvel accord juridiquement contraignant[80] », au regard du niveau de vulnérabilité, de responsabilité et des capacités des pays, comme nous l’expliquerons plus loin à propos de l’aspect différencié du PRCD. Cette idée est partagée par d’autres pays qui considèrent que les principes de la Convention-cadre ont été définis pour faciliter une action renforcée de toutes les Parties et qu’ils ne peuvent constituer un prétexte pour justifier l’inaction[81].

Cette idée lancée par l’AILAC est partagée par d’autres groupes de négociation constitués de pays en développement, tels que l’environment group[82], avec une nuance, car, selon ce dernier, les pays développés ont un rôle de leader à jouer dans la réduction des GES[83].

Or, pour impliquer tous les États dans le nouveau régime climatique, il serait nécessaire, tout d’abord, de répondre à certaines questions : quel type d’obligation doit assumer chaque État et sous quelle forme ? Comment chaque pays peut-il identifier le type d’obligation qu’il doit assumer, de façon individuelle ou commune ? Comment harmoniser les obligations des États et leurs responsabilités et capacités[84] ? Cette approche s’inscrit dans la recherche d’une justice climatique, laquelle ne pourra être atteinte, selon l’AILAC, que dans la mesure où tous les pays seront parties à la solution[85].

Ainsi, le concept des responsabilités communes tel qu’il a été conçu dans le cadre du régime international du climat, s’ouvre aujourd’hui à la possibilité que tous les pays, et non plus seulement les pays développés appartenant à l’annexe I, assument des obligations de réduction de leurs émissions de GES au-delà des engagements volontaires. Ceci s’explique par le fait qu’à travers ce moyen il serait, en principe, possible d’atteindre l’objectif ultime de la Convention-cadre, tel que consacré à son article 2. En même temps, il a été précisé comment doit être interprété l’aspect différencié du PRCD et, dans ce cadre, il a été revendiqué le besoin de placer l’adaptation au même niveau que l’atténuation, étant donné que les effets du réchauffement climatique sont déjà observables et particulièrement dans les pays les plus vulnérables.

2.2.2 L’aspect différencié du PRCD

Dans le contexte de la Convention-cadre, la responsabilité différenciée du PRCD était définie en fonction de la contribution des États aux changements climatiques et de leur capacité à adopter des mesures d’atténuation[86]. À travers la reconnaissance par les pays développés de leur contribution aux menaces environnementales globales, la communauté internationale cherchait à attirer les pays en développement, pour les associer à la construction du droit international de l’environnement dans un objectif d’efficacité[87]. En contrepartie de leur participation, ils recevaient de l’assistance et du transfert de technologie.

Selon ce point de vue, le traitement différencié s’expliquait par leur responsabilité dans l’apparition du phénomène de réchauffement du globe ou responsabilité historique, et par leur capacité à assumer des mesures de réduction des émissions de GES. La responsabilité historique met l’accent sur le devoir de préserver les intérêts des générations futures, conformément à la définition communément admise du développement durable et à l’un des principes à travers lequel ce dernier trouve application : le principe du pollueur-payeur[88]. Ainsi les pays les plus riches, ayant contribué au réchauffement climatique, ont-ils été inclus dans l’annexe I du Protocole de Kyoto. Quant à la capacité des États, elle a été conçue en fonction de leur niveau de développement.

Le changement du contexte international, dans lequel les pays en développement et plus précisément les économies émergentes apportent une contribution plus importante qu’auparavant au réchauffement de la planète, conduit à s’interroger sur le besoin d’aller au-delà de la distinction traditionnelle « annexe I » et « non-annexe I » pour reconnaître plusieurs catégories d’États avec différents types d’obligations de réduction d’émissions de GES.

Dans le contexte de la Plateforme de Durban, les pays développés soutiennent cette vision, tandis que les grands pays émergents manifestent toujours leur attachement à la distinction entre « annexe I » et « non-annexe I ». L’Inde affirme ainsi que, concernant l’atténuation, elle pense que cette distinction doit être maintenue conformément aux principes de la Convention-cadre. Pour elle, « toute autre approche impliquerait de réinterpréter la Convention et aboutirait nécessairement à revisiter toutes les catégories et classifications de la Convention[89] ». Pour le Brésil, « [é]tant placé sous les auspices de la Convention, conformément à la décision 2/CP.18, l’accord de 2015 doit pleinement refléter les principes et dispositions de la Convention, y compris le PRCD et des capacités respectives, tout comme la distinction juridique entre les engagements des pays Annexe I et non-Annexe I[90]. » Dans cette perspective, la Chine a ainsi affirmé que « [l]a dichotomie entre les pays développés et en développement est au fondement même du régime de la Convention, et toutes les tentatives de modifier les Annexes de la Convention ou de re-catégoriser les pays développés et en développement retardera les progrès dans le processus de la Plateforme de Durban, sans résultat possible[91] ». Une telle position est justifiée par la responsabilité historique des pays développés et le droit à l’accès équitable au développement durable[92] : « Pour une atténuation effective et ambitieuse, les Parties de l’Annexe I doivent continuer à prendre des objectifs quantifiés de limitation et réduction de leurs émissions, tandis que les Parties non-Annexe I prendront des actions d’atténuation nationalement appropriées[93]. » Les pays développés et même les pays les moins avancés, quant à eux, souhaitent que les grands pays émergents prennent des engagements en matière d’atténuation, au nom de leur contribution actuelle mais aussi future aux changements climatiques.

Ces deux visions opposées constituent actuellement une grande barrière pour avancer, dans les négociations concernant le climat, vers une solution efficace au réchauffement de la planète. D’autres pays en développement, ayant faiblement contribué au problème climatique mondial, tels que ceux de l’AILAC, soutiennent, malgré ce fait, l’idée d’établir une nouvelle catégorisation d’États pour laquelle la différence serait définie en fonction du niveau de développement des pays, des circonstances spéciales, des priorités, des besoins du développement, de la capacité, de la responsabilité et la vulnérabilité face aux impacts des changements climatiques[94].

L’AILAC reconnaît aussi le besoin d’inclure la responsabilité historique, présente et future. La responsabilité historique n’est alors qu’un critère, parmi d’autres, à prendre en compte pour définir les obligations des uns et des autres au coeur du futur régime climatique. Elle ne pourrait plus alors, à elle seule, causer l’échec de futures négociations, au moins dans le cadre de la proposition de l’AILAC.

Quant à la vulnérabilité des États, l’AILAC propose très fermement d’inclure un chapitre consacré à l’adaptation dans le nouveau protocole, nouvel instrument juridique ou texte convenu d’un commun accord ayant valeur juridique. Il a été rappelé le progrès qu’a représenté la Conférence de Cancún de ce point de vue, en décidant de la création d’un cadre institutionnel pour l’adaptation, d’un comité chargé de promouvoir la mise en oeuvre des actions d’adaptation dans le contexte de la Convention-cadre et du Fonds vert pour le climat. Cela a été perçu comme un moyen d’équilibrer les rapports entre l’adaptation et la mitigation[95]. Le cadre de l’adaptation de la Conférence de Cancún prévoit l’adoption de plans nationaux d’adaptation destinés à identifier les besoins d’adaptation et à inciter au développement de stratégies dans cette matière. Dans cette perspective, l’AILAC considère comme nécessaire que le nouveau régime climatique comprenne des engagements en matière de mise à disposition de ressources financières, des structures solides et permanentes et de support pour l’adaptation des Parties, en accord avec les circonstances nationales, les priorités des pays et leurs besoins spécifiques[96].

À cet effet, il serait nécessaire de prendre en compte certains éléments tels que la quantification du niveau de vulnérabilité et d’exposition des pays, les options d’adaptation, le coût des actions d’adaptation, de manière à identifier les mesures les plus effectives et les alternatives gagnant-gagnant (win-win). Ainsi, l’AILAC place l’adaptation sur un pied d’égalité avec l’atténuation, dans un contexte où tous les pays augmenteraient leur niveau d’ambition et leurs engagements de réduction des émissions de GES, dans l’optique d’une plus grande justice climatique. Il s’agit d’un point de vue partagé par d’autres États tels que le Koweit qui recommande que l’ADP conduise à un accord global, permettant aux pays de contribuer à l’effort d’atténuation en fonction des circonstances nationales[97].

Le PRCD est l’un de piliers fondamentaux du régime international du climat. Il a permis initialement de construire un cadre juridique où la plupart des pays du Nord et du Sud ont trouvé leur place, mais il est aujourd’hui un facteur important de blocage des négociations du futur protocole, instrument juridique ou texte convenu d’un commun accord ayant valeur juridique qui sera aux fondements du régime post-2020. La polarisation entre les pays qui invoquent le besoin d’établir des obligations d’atténuation des émissions de GES pour tous, d’une part, et les pays qui défendent une distinction binaire entre pays développés et en développement, cette dernière protégeant les grands pays émergents, d’autre part, pourrait signifier un nouvel échec pour les négociations internationales du climat. Mais une troisième voie est actuellement proposée dans le cadre de la Plateforme de Durban. Il s’agirait de reconnaître des obligations d’atténuation des émissions de GES pour tous, en vue de relever le niveau d’ambition et d’être réellement en mesure d’atteindre l’objectif « ultime » de la Convention-cadre. De telles obligations devraient être définies notamment en fonction de la responsabilité historique et actuelle, de la vulnérabilité, des circonstances spéciales, des priorités des pays. En même temps, il serait nécessaire de faire une place au cadre juridique international de l’adaptation au même niveau que les questions d’atténuation.

La 19e Conférence des Parties, qui s’est tenue en novembre 2013 à Varsovie, en Pologne, a confirmé que l’Accord de Paris reflétera une plus grande symétrie des obligations du Nord et du Sud que dans le régime actuel et a fortiori passé du climat. Selon la décision adoptée sur l’ADP, le futur régime climatique se construira par la définition, au niveau national, des « contributions » de chaque Partie, lesquelles contributions seront communiquées aux autres Parties. Il n’y a plus de distinction entre les Parties annexe I et non-annexe I, ce qui peut être perçu comme le fruit d’une stratégie des négociateurs pour amener l’ensemble des grands pollueurs mondiaux sur un terrain commun où chacun serait censé assumer des obligations de réduction de ses émissions. Mais cette symétrie des obligations n’a jusqu’à présent été obtenue qu’au prix d’un affaiblissement très marqué des engagements internationaux des uns et des autres. Il n’est pas anodin de ce point de vue que dans cette décision les commitments initialement prévus (engagements) soient devenus de simples « contributions[98] ». Déterminées nationalement et souverainement, ces « contributions » seront bien entendu, en pratique, très différentes. On peut se demander dès lors si, ainsi construit par l’addition de contributions nationalement déterminées, le régime pourra répondre aux idéaux de justice et d’équité qui sont au coeur du PRCD et des capacités respectives, tellement mobilisé par les Parties dans les négociations. La Conférence de Varsovie témoigne, de ce point de vue, de la crise du multilatéralisme dans la résolution des problèmes globaux et du retour des souverainetés nationales. Les négociations climatiques font ici écho à celles conduites de manière tout aussi chaotique au sein de l’Organisation mondiale du commerce, également minées par les revendications d’équité des pays du Sud dans un contexte financier, économique et social qui a considérablement évolué depuis les années 60 qui avaient vu l’insertion dans le General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) d’une Partie IV autorisant un traitement différencié des pays en développement.