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Les polluants organiques persistants (POP) sont des substances chimiques particulières. Ils possèdent une combinaison de propriétés physiques et chimiques qui fait que, une fois relâchés dans l’environnement, les POP :

  • demeurent intacts durant un laps de temps exceptionnellement long (des années) ;

  • se propagent largement dans l’environnement à travers les sols, les eaux et l’air ;

  • s’accumulent dans les tissus graisseux des êtres vivants et sont toxiques pour les humains et, plus largement, pour toute forme de vie sauvage.

Or, toutes les pollutions d’origine anthropique peuvent entraîner le rejet de POP dans l’environnement. Ainsi, après l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, le golfe du Mexique s’est retrouvé pollué par de fortes quantités de POP[1]. De même, les nombreuses exploitations artisanales de pétrole dans le delta du Niger sont une immense source de pollution aux POP.

L’ensemble de ces raisons rendait indispensable la lutte contre les rejets et la propagation de ces substances. Cependant, l’ampleur du risque de pollution est telle qu’aucun gouvernement ne pouvait agir seul pour protéger l’environnement et la santé humaine contre les POP[2]. Un premier texte intervient donc dans la matière en 1998 sous la forme d’un protocole additionnel à la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance, adoptée à Genève en 1979[3]. Ce protocole[4] ne rassemblant que peu de Parties[5], un processus de négociation a été lancé, et il devait aboutir à l’adoption d’une convention multilatérale sur les POP. Adoptée le 22 mai 2001 et entrée en vigueur le 17 mai 2004, la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants[6] est le fruit de ce processus. Cet accord requiert des Parties qu’elles prennent des mesures pour éliminer ou réduire les rejets de POP dans l’environnement. La Convention POP réunit aujourd’hui 179 Parties et est administrée par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE)[7], de même que la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination[8] et la Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable dans le cas de certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet du commerce international[9].

Une étude analogique montre que la Convention POP connaît un fonctionnement assez comparable à celui de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES)[10], principalement fondé sur un système de listes. Elle classe ainsi les POP en trois annexes différentes. L’annexe A contient les POP qui doivent être éliminés et dont la production et l’utilisation doivent donc être interdites, sauf dérogation spécifique[11] ; l’annexe B, ceux dont la production et l’utilisation doivent être restreintes[12] ; et l’annexe C, ceux dont il faut réduire les rejets non intentionnels dans le but de minimiser leur impact et permettre, éventuellement, leur élimination[13]. Lors de l’entrée en vigueur de la Convention, douze POP étaient listés en annexes : des pesticides, des produits chimiques industriels et des sous-produits. À sa 4e session, la Conférence des Parties (COP) a adopté des amendements aux annexes A, B et C, ajoutant neuf POP à la liste originelle[14]. En effet, étant un instrument dynamique destiné à répondre aux besoins de l’avenir autant que du présent, la Convention POP permet aux Parties d’appliquer les règles conventionnelles à de nouveaux produits si cela apparaît nécessaire[15].

Dans une certaine mesure, le régime POP se rapproche également de la logique du Protocole de Montréal relatif à des substances appauvrissant la couche d’ozone[16]. En effet, comme la CITES avant lui, le Protocole de Montréal fonctionne d’après un système de listes, référençant les substances dont l’utilisation est à réduire ou à proscrire[17]. La production de ces substances est également limitée ; toutefois, les Parties peuvent se transmettre certains quotas de production[18]. Souhaitant éviter cette possibilité de délocalisation de la production, la Convention POP, à l’inverse du Protocole de Montréal, limite ou interdit directement l’utilisation mais également la production de certains POP[19], et ce, sur le territoire de tous les États parties.

Aspirant à l’universalité, la Convention POP s’est heurtée, dès la phase des travaux préparatoires, à la question de la prise en considération des inégalités interétatiques. Depuis les années 90 et l’adoption de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement[20] notamment, cette question s’est en effet très souvent posée lors des négociations de conventions environnementales. Tenant à la fois aux différences de contribution des États au problème constaté et à leurs différences de capacités techniques et financières, ces inégalités ont été largement discutées en doctrine[21]. Par conséquent, point n’est besoin ici de se pencher à nouveau sur leur contenu. En revanche, il importe de retenir que les plénipotentiaires réunis à Stockholm ont eu à traiter cette question au cours de la rédaction de la Convention POP. Or, pour tenir compte de ces différences de situations nationales, les négociateurs se sont tournés vers l’un des principes phares consacré par la Déclaration de Rio de 1992 : le principe des responsabilités communes mais différenciées (PRCMD)[22].

Très vivace au sein des accords multilatéraux sur l’environnement (AME), le PRCMD a déjà fait couler beaucoup d’encre sur le régime international de lutte contre les changements climatiques. À l’inverse, très peu d’analyses ont été conduites sur sa portée au sein de la Convention POP, alors même que cette dernière est entrée en vigueur depuis près de dix ans. Bien qu’elle soit d’un classicisme patent, cette question est cependant d’un réel intérêt dans la mesure où les éléments de réponse dégagés pourraient apporter un nouvel éclairage sur la pratique du PRCMD en droit international de l’environnement. Aussi nous concentrerons-nous, dans la première partie, sur la façon dont le PRCMD a été consacré dans les textes du régime POP. Dans la seconde partie, nous nous pencherons sur les moyens de mise en oeuvre du traitement différencié élaboré dans ce régime.

1 La consécration du PRCMD dans les instruments du régime POP

Bien qu’elle soit plus récente, la Convention POP est aujourd’hui beaucoup moins connue que les textes du régime sur la lutte contre les changements climatiques. Du point de vue de l’étude de la différenciation en droit international de l’environnement, cette convention est pourtant d’une importance notable puisqu’elle est finalement le seul AME, en dehors des instruments portant sur le climat, à consacrer explicitement le PRCMD. Aussi semble-t-il particulièrement intéressant de se pencher sur la place réelle du PRCMD dans le régime POP et, par là même, d’étudier la formulation et l’utilisation qui en sont faites. La lecture des textes révèle que la consécration du PRCMD opérée ici diffère de celle qui apparait dans d’autres instruments (1.1). Parallèlement, au contraire de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques[23] ou du Protocole de Kyoto[24] qui s’y réfère souvent[25], la consécration du PRCMD dans la Convention POP ne s’est pas prolongée en droit dérivé (1.2).

1.1 L’adaptation du PRCMD à la Convention POP

La consécration du PRCMD dans le texte de la Convention POP résulte principalement des demandes pressantes des pays en développement (PED) allant dans ce sens. En effet, de l’avis du Groupe des 77 et de la Chine, « la convention doit comporter une section intitulée “Principes”, qui définirait les principes directeurs devant régir la convention et son évolution future. Cette section comporterait des principes internationalement reconnus, à savoir : responsabilités communes mais différenciées[26]. » Ils ajoutent que, étant donné que « les capacités varient selon les pays, il faut établir une distinction entre les obligations des pays développés et celles des pays en développement pour ce qui est des mesures à prendre pour réduire voire éliminer les polluants organiques persistants[27] ». Aussi, le PRCMD sera utilisé à diverses reprises dans les différents projets de convention établis par le Comité intergouvernemental. Il apparaît notamment dans des variantes de dispositions — comme la disposition relative à l’information, à la sensibilisation et à l’éducation du public[28] — ou dans les brouillons du préambule de la Convention[29]. Cependant, le texte conventionnel retenu par la Conférence des plénipotentiaires ne contient finalement qu’une seule mention du PRCMD, située au sein du préambule de ce qui est devenu la Convention POP. Ce paragraphe est rédigé comme suit : « Notant les capacités respectives des pays développés et en développement, ainsi que les responsabilités communes mais différenciées des États, telles qu’énoncées dans le Principe 7 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement[30]. »

Cette occurrence unique des responsabilités communes mais différenciées dans le préambule de la Convention POP peut s’analyser comme un échec de négociation pour les PED, notamment le Groupe des 77 et la Chine. En effet, ces derniers n’ont pas obtenu l’inclusion d’une « section intitulée “Principes”[31] » qui consacrerait le PRCMD et d’autres principes dans le texte de la Convention, alors même que le principe 15 de la Déclaration de Rio y est, lui, cité[32]. Ainsi, force est de constater que l’objectif que s’étaient fixé les PED concernant la consécration du PRCMD n’est pas atteint.

De façon parallèle, le cantonnement du PRCMD dans le seul préambule de la Convention POP doit également être remis en question. Par comparaison avec la CCNUCC qui consacre le PRCMD dans son article 3§1, il est possible de conclure ici à une volonté de ne pas placer le PRCMD au coeur du dispositif de la Convention POP. En effet, il est communément admis en droit international public que, tout en pouvant constituer une base d’interprétation, dans la mesure où ils font partie du contexte du traité, les préambules de convention n’ont pas force obligatoire[33]. La Cour internationale de justice (CIJ) l’a d’ailleurs affirmé en 1966, s’agissant du préambule de la Charte des Nations Unies, en précisant que celui-ci « constitue la base morale et politique des dispositions juridiques qui sont énoncées ensuite. De telles considérations ne sont pas cependant en elles-mêmes des règles de droit[34]. » De plus, la formulation retenue dans le préambule — et particulièrement l’adjectif « notant » — ne témoigne pas de « la nécessité de tenir compte dans le futur instrument du principe de responsabilités communes mais différenciées entre les différents pays[35] » dont faisaient état les PED au cours des négociations du texte. Cela renforce donc d’autant l’idée d’un échec de négociation des PED.

Il convient cependant de se demander si une consécration dans le corps de la Convention POP, telle que celle qui a été opérée dans la CCNUCC, aurait entraîné une différence importante pour la Convention POP. Il semble qu’une réponse négative puisse être apportée à cette question. En effet, à la différence d’autres principes du droit international de l’environnement, le PRCMD demeure un « principe-cadre[36] », soit un simple fondement philosophique, voire éthique, ayant pour rôle principal de guider la mise en oeuvre de la Convention POP et la négociation des obligations conventionnelles à développer. Son inclusion dans le corps de la Convention POP aurait certainement eu une portée symbolique pour les PED. Toutefois, si la consécration du PRCMD dans le seul préambule s’analyse réellement en un échec de négociation pour ces pays, cet échec n’entraîne, en lui-même, aucun impact négatif sur le dispositif de la Convention POP.

Au-delà de sa consécration, la formulation même du PRCMD dans la Convention POP soulève des questions plus profondes. Pour définir les responsabilités communes mais différenciées des États, la Convention POP renvoie en effet au principe 7 de la Déclaration de Rio. En un sens, ce renvoi permet donc de rattacher la Convention POP à l’esprit et à la lettre du texte de 1992, qui, bien qu’il soit non contraignant, occupe une place importante au sein du droit international de l’environnement. Ainsi, à travers cette référence, la Convention POP se réfère au « burden-sharing arrangement[37] » qui caractérise le PRCMD. Toutefois, certaines différences peuvent être notées d’un instrument à l’autre. Au niveau formel tout d’abord, le préambule de la Convention POP ne renvoie pas à la première phrase du principe 7 qui dispose que « [l]es États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre[38] », mais seulement aux deux dernières phrases relatives aux responsabilités communes mais différenciées et aux capacités respectives des États. Plus encore, ces deux dernières phrases du principe 7 précisent que « les États ont des responsabilités communes mais différenciées » et que « [l]es pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent ». L’accent est donc mis sur les responsabilités communes mais différenciées des États, les capacités techniques et financières supérieures des pays développés n’étant citées que pour renforcer le rôle premier qui leur est confié. Or, à l’inverse de la Déclaration de Rio, la Convention POP cite, dans un premier temps « les capacités respectives des pays développés et en développement[39] » puis, dans un second temps seulement, les « responsabilités communes mais différenciées des États ».

Ainsi, tout en consacrant le principe 7 de la Déclaration de Rio, la Convention POP le fait sien et met avant tout l’accent sur les différences de capacités des États avant de rappeler leurs différences de responsabilités. Cette analyse se trouve confirmée par le nombre de références qui sont faites aux capacités[40], aux situations nationales[41] et aux besoins[42] des différents États parties[43] dans les dispositions matérielles de la Convention POP, alors même que le PRCMD n’y est pas cité. De plus, la Convention POP précise bien qu’elle tient compte des capacités des PED et des pays développés. La situation spécifique de chaque État membre est donc prise en considération dans le régime.

Ces différences formelles dans la formulation du PRCMD soulèvent cependant un questionnement supplémentaire. Si l’objectif des négociateurs était de consacrer le PRCMD, pourquoi a-t-on indiqué ces différences formelles ? La réponse à cette interrogation relève en réalité de divergences existant entre la Convention POP et la Déclaration de Rio ou même la CCNUCC. En effet, la formulation du PRCMD dans la Convention POP résulte de la prise en considération de la différence de fond entre « capacité » et « responsabilité ».

Les capacités, les priorités et les besoins des États parties peuvent être qualifiés de critères factuels de différenciation, c’est-à-dire d’éléments qui justifient, de par leur existence même, le développement d’un traitement différencié. Les « capacités » (entendre les capacités techniques, technologiques, financières, humaines, etc.) des États étant inégales, il faudra tenir compte de ce fait dans la répartition de leurs obligations. Historiquement, la prise en considération de ces éléments a été au point de départ du développement de « ce qui finira par être connu comme le traitement différencié[44] ». En effet, construire des obligations juridiques qui seront appliquées en fonction des capacités, des besoins ou des priorités des États ouvre la voie à la mise en place des systèmes d’obligations pluriels, soit les fondements mêmes du traitement différencié[45]. Toutefois, de très nombreux AME, y compris les plus récents, y ont recours, car ils permettent de se concentrer sur les inégalités de développement des États tout en évitant de se pencher sur la question des responsabilités largement intégrée dans le PRCMD.

Les responsabilités des États — et particulièrement les responsabilités historiques des États développés — ont en effet été amplement débattues au cours des négociations de la Déclaration de Rio[46] et plus encore dans le régime sur la lutte contre les changements climatiques[47]. Toutefois, elles constituent également un point d’achoppement entre PED et pays développés, ces derniers refusant de considérer les responsabilités historiques comme le fondement des responsabilités communes mais différenciées et préférant se pencher sur les différences de contributions actuelles à la dégradation environnementale. Ainsi, la Déclaration de Rio reste très nébuleuse et n’intègre aucun élément temporel, se référant seulement à la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial et aux pressions que les sociétés des pays développés font peser sur l’environnement[48]. Les États-Unis ont par ailleurs transmis une note interprétative dans laquelle ils précisent qu’ils refusent toute interprétation du principe 7 qui aurait pour objet de reconnaître une responsabilité internationale des États dans la formulation du PRCMD[49]. Parallèlement, ce dernier, tel qu’il est contenu dans la CCNUCC, ne se réfère pas non plus aux responsabilités historiques des États, la plupart des pays développés s’y étant fermement opposés. Or, il n’existe pas, dans le régime POP, d’argument relatif aux responsabilités historiques des pays développés. Les débats ayant précédé l’adoption de la Convention POP montrent bien que les thèmes de négociation principaux concernaient le contrôle des POP, le principe de précaution ainsi que l’assistance financière et technique[50]. De fait, la question des responsabilités historiques n’apparaît à aucun moment dans les rapports du Comité de négociation intergouvernemental chargé d’élaborer une convention sur les POP[51]. Compte tenu de l’effacement de cette problématique historique dans le domaine des POP, le débat politisé autour du PRCMD tel qu’il existe dans le régime de lutte contre les changements climatiques ne s’est donc pas développé. Aussi, l’aspect « responsabilité » du PRCMD n’a pas été réellement mis en avant dans la Convention POP. À l’inverse, l’aspect principal de la différenciation que les PED souhaitaient voir développer dans le régime POP avait trait à l’assistance, ce qui justifie que l’accent a été mis sur les différences de capacités des États[52]. La Convention POP a donc conçu sa propre approche du PRCMD, différente des exemples précédents de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto. Le compromis trouvé entre l’objectif de protection de l’environnement et la prise en considération de la situation des PED et exprimé par le PRCMD est maintenu, mais selon une formulation différente, adaptée au contexte de la Convention POP.

Le PRCMD tel qu’il est consacré dans la Convention POP montre donc certaines spécificités lorsqu’on l’analyse à la lumière de la Déclaration de Rio ou de la CCNUCC. L’accent est mis sur la prise en considération des différences de capacités des États et sur l’assistance, tandis que l’on constate un effacement certain de la notion de responsabilités qui est finalement peu pertinente dans ce régime. La prépondérance des critères factuels de différenciation et cet effacement sont d’ailleurs renforcés par l’absence notable de références aux responsabilités communes mais différenciées dans les décisions de la COP.

1.2 L’absence du PRCMD du droit dérivé de la Convention POP

L’étude d’un AME, quel qu’il soit, ne peut se passer de l’examen du produit normatif de ses organes. Les décisions de la COP sont ici particulièrement intéressantes à étudier dans la mesure où ce sont elles qui vont témoigner des questions que soulève l’application du traité ainsi que de la pratique actuelle des principes contenus dans le texte de la Convention POP.

En matière de responsabilités communes mais différenciées des États toutefois, le juriste ne peut qu’être frustré par l’étude du droit dérivé de la Convention POP. En effet, sur les quelque 160 décisions adoptées lors des six COP qui se sont tenues entre 2005 et 2013, aucune ne fait référence au PRCMD. Pour autant, de nombreuses décisions font référence aux capacités[53], aux besoins[54] ainsi qu’aux priorités[55] des États membres de la Convention POP. Du point de vue de la consécration du PRCMD, le droit dérivé s’inscrit donc parfaitement dans la ligne tracée par la Convention et se concentre sur la notion de capacités des États plutôt que sur celle de responsabilités.

L’absence notable de consécration du PRCMD dans les décisions adoptées par la COP ne signifie pas pour autant que celui-ci a totalement disparu des négociations sur les POP. En effet, certains rapports de COP font état de débats sur la question du PRCMD. Ainsi, « certains représentants avaient vigoureusement préconisé l’inclusion de la notion de responsabilités communes mais différenciées ; tandis que d’autres, même s’ils étaient favorables à ce principe en général, doutaient qu’il soit judicieux de l’inclure dans les procédures proposées[56] ».

Deux sessions plus tard, la COP se trouve à nouveau devant la question de la portée du PRCMD. Le représentant de la République islamique d’Iran déclare alors que « [l]’élimination de la menace que faisaient peser les polluants organiques persistants passait par des actions concertées et spécifiques fondées sur le principe de responsabilités communes mais différenciées prôné par la communauté internationale[57] ». À la suite de cette affirmation, le représentant préconise que des ressources appropriées soient mobilisées au niveau multilatéral pour obtenir des résultats efficaces dans la réduction des risques que présentent ces produits chimiques et demande « instamment de poursuivre la coopération et de faire preuve de souplesse pour que la réunion en cours soit couronnée de succès[58] ». Le message semble clair ici. Bien que la place du PRCMD dans les textes soit minime, les PED tentent néanmoins de le mettre au centre du régime et réclament, de fait, la fourniture d’une assistance de la part des pays développés. La dernière phrase du représentant iranien semble d’ailleurs laisser planer la menace d’un blocage des négociations si ces demandes ne sont pas prises en considération.

Plus tard encore, un représentant « s’est félicité de l’esprit de coopération qui avait prévalu dans le passé, exprimant l’espoir que le principe de responsabilités communes mais différenciées continuerait d’être appliqué lors des futures négociations[59] ». Un autre représentant déclare enfin « que le projet de décision que préparerait le groupe de travail devrait comporter l’énonciation de principes déjà bien établis, notamment le principe de responsabilités communes mais différenciées[60] ». Cette idée est reprise par le représentant de l’Indonésie, parlant au nom d’une majorité des Parties de la région de l’Asie et du Pacifique, qui déclare que « le projet de décision globale devrait rappeler les principes énoncés dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et qui sous-tendaient les conventions de Bâle, de Rotterdam et de Stockholm, notamment le principe des responsabilités communes mais différenciées[61] ». Cette demande des PED restera pourtant lettre morte et aucune des trois décisions globales adoptées dans le contexte des conventions de Bâle, de Rotterdam et de Stockholm ne fait référence au PRCMD.

L’absence de consécration du PRCMD dans les décisions adoptées par la COP n’empêche donc pas celui-ci d’être au coeur d’un certain nombre de débats.

Loin d’apporter de nouveaux éléments probants, l’analyse du droit dérivé de la Convention POP vient au contraire confirmer les conclusions tirées de l’étude de cette dernière. D’un point de vue formel, le PRCMD n’est donc jamais consacré dans les décisions de la COP ; une absence qui fait écho à celle qui a été constatée dans le dispositif de la Convention POP. Pour ce qui est du fond, les décisions de la COP, comme la Convention, mettent l’accent sur des critères factuels justifiant le développement d’un traitement différencié tels que les capacités, les besoins et les priorités des États. Ainsi, le régime POP n’accorde pas au PRCMD la consécration conventionnelle qui a pu lui être reconnue dans le régime international sur les changements climatiques.

L’inclusion du PRCMD dans le préambule de la Convention POP n’est cependant pas remise en cause. De plus, une analyse de la portée du PRCMD dans ce régime ne peut se réduire au seul examen de ses consécrations textuelles. En effet, l’absence du PRCMD du corps et du droit dérivé de la Convention POP ne donne lieu pas pour autant à une différenciation pratique inexistante ou, du moins, faiblement prononcée. Aussi convient-il d’analyser avec précision la mesure dans laquelle le traitement différencié impacte les obligations de la Convention POP.

2 La mise en oeuvre de la différenciation dans le régime POP

Les moyens de mise en oeuvre du traitement différencié présents dans la Convention POP sont sensiblement les mêmes que ceux qui se trouvent dans les autres AME développant une différenciation. Cependant, si l’on compare la Convention POP et les instruments sur le climat, seuls autres accords consacrant expressément le PRCMD, il apparaît rapidement qu’ils sont moins poussés dans le cas de la Convention POP. Ainsi, on ne trouve pas, au sein de cette dernière, de traitement différencié dans les obligations centrales du traité, mais uniquement des possibilités de dérogations et des normes contextuelles de différenciation (2.1). En revanche, les mécanismes d’assistance classiques au profit des PED sont, eux, bel et bien mis en place par la Convention POP et témoignent de l’intégration réelle de la différenciation dans ce régime (2.2).

2.1 L’absence de différenciation dans les obligations centrales du régime POP

Dans le régime sur les changements climatiques, la mise en oeuvre du PRCMD s’est traduite par la création d’« une échelle plurielle de droits et d’obligations aptes à servir de réceptacle à une perspective universelle ou du moins “universaliste”[62] ». Le PRCMD est donc devenu le fondement de véritables systèmes normatifs différenciés[63]. Force est de constater que la Convention POP ne développe pas une telle différenciation dans les obligations centrales. À l’inverse, la plupart des articles précisant les obligations qui seront mises à la charge des États s’adresse à « Chaque partie », y compris les articles relatifs au contrôle ou à l’interdiction, ou aux deux à la fois, de la production et de l’utilisation des POP.

S’inspirant sans doute de l’exemple du Protocole de Montréal, la Convention POP met en place un système de dérogations spécifiques pour les substances inscrites aux annexes A et B. Ainsi, pour chaque substance indiquée en annexe, des possibilités de dérogations spécifiques sont définies par la COP concernant sa production ou son utilisation. L’examen des demandes de dérogations est fondé sur toutes les informations disponibles et notamment sur un rapport soumis par la partie qui demande la dérogation, ce rapport devant expliquer en quoi celle-ci est nécessaire[64]. La COP a également compétence pour décider de la prorogation d’une dérogation spécifique, le délai maximal étant de cinq ans[65]. Quand bien même l’initiative de l’inscription appartiendrait aux États parties, la procédure de demande et d’extension d’une dérogation est donc encadrée par la COP qui examine le bien-fondé de chacune des demandes et reste maîtresse du délai de dérogation accordé aux États. Enfin, il convient de noter que la plupart des substances mentionnées dans l’annexe A ne souffrent aucune dérogation. Ainsi, au lieu d’obligations strictement différenciées, la Convention POP ménage des possibilités d’assouplissement pour les obligations applicables à toutes les parties.

Le parallèle avec le Protocole de Montréal n’est cependant pas absolu. En effet, contrairement au régime sur la protection de la couche d’ozone qui n’accorde cette possibilité qu’aux seuls PED, la Convention POP autorise « toute partie » à faire enregistrer une ou plusieurs dérogations spécifiques[66], y compris donc des États développés. Il s’agit là d’une différence importante entre les mécanismes de dérogations de ces deux AME. Or, cette différence fait écho à la prise en considération, par la Convention POP, des capacités respectives des PED et des pays développés, quand le Protocole de Montréal ne s’intéressait qu’aux premières. Une nuance est cependant apportée quant à l’extension des dérogations dans la mesure où il est prévu que, lorsqu’elle décide de proroger une dérogation spécifique, la COP « prend dûment en compte la situation particulière des Parties qui sont des pays en développement ou à économie en transition[67] ».

La pratique n’a pas modifié la procédure de dérogation. Le critère principal de justification de la dérogation demeure sa nécessité[68], que la demande soit faite par un PED ou par un État développé. Plusieurs critères procéduraux ont en revanche été ajoutés concernant l’extension des dérogations. Par exemple, une extension de dérogation ne sera accordée aux PED et aux États à économie en transition que s’ils ont effectivement réclamé une assistance technique et financière destinée à limiter le plus possible la durée de l’extension demandée[69]. Aucune différenciation n’a donc été réintégrée à la procédure de dérogation par la pratique et l’idée principale du régime POP est de limiter au maximum les dérogations et leurs extensions.

Si elle ne contient aucune différenciation quant à ses obligations centrales, la Convention POP développe en revanche un second type de norme qu’utilisent souvent les AME : les normes contextuelles de différenciation[70]. Celles-ci sont destinées à être appliquées par l’ensemble des Parties. Toutefois, par une référence à un critère factuel de différenciation, elles peuvent être interprétées différemment par les États destinataires. Ainsi, les activités d’information, de sensibilisation et d’éducation du public sont mises à la charge de toutes les parties « dans la mesure de [leurs] moyens[71] ». Il en va de même pour les activités de recherche-développement et de surveillance, également appliquées par les États en fonction de leurs moyens et en tenant compte des besoins particuliers des PED et des pays à économie en transition[72]. Enfin, les arrangements permettant à la COP de conduire l’évaluation de l’efficacité de la Convention POP devraient être mis en place par les États parties « selon leurs moyens techniques et financiers[73] » et peuvent être complétés « compte tenu des différences entre régions et de leurs capacités[74] ».

L’intérêt premier de ces normes contextuelles de différenciation est que, par leur référence aux capacités, aux besoins et aux priorités des États, ces normes permettent d’obtenir un plus grand consensus étatique que la notion souvent controversée de responsabilité. En effet, elles permettent de tenir compte du désir des pays développés de voir tous les États engagés dans les mêmes obligations, et, dans le même temps, reconnaissent la situation et les besoins des PED, la lutte contre la dégradation environnementale n’étant pas une priorité pour la plupart d’entre eux[75]. Ainsi, « la répétition d’un nombre de phrases très similaires, telles que reconnaissant les “besoins et circonstances spéciaux des […] pays en développement parties”, et prenant en considération les “nécessités spécifiques” […] de ces États, permet aux États parties d’adopter une approche plus intégrée et plus holistique des problèmes environnementaux[76] ».

Si elle ne développe pas de différenciation sur les obligations centrales du régime POP comme ont pu le faire la CCNUCC et le Protocole de Kyoto concernant les quotas d’émissions carbonées, la Convention POP instaure en revanche les mécanismes classiques d’assistance aux PED tels que l’assistance technique et le transfert de technologie.

2.2 La présence des mécanismes d’assistance au profit des PED

Le développement des mécanismes d’assistance au profit des PED répond à la « reconnaissance du fait que chacun porte une responsabilité pour faire face aux problèmes environnementaux globaux à une reconnaissance du fait que certains membres de la communauté internationale sont bien mieux placés que d’autres pour fournir les ressources nécessaires pour répondre à ces problèmes[77] ». Les mécanismes d’assistance combinent ainsi un standard éthique universel et une acceptation pragmatique des différences qui existent entre les États[78]. De fait, l’un des éléments du PRCMD qui conduit à affirmer la responsabilité des pays développés dans l’effort international en faveur du développement durable est constitué par les techniques et les ressources financières supérieures dont ils disposent. Ainsi, les mécanismes d’assistance technique et financière au bénéfice des PED sont directement issus du PRCMD, et il n’est donc pas étonnant de les trouver au coeur du dispositif de la Convention POP. À ce titre, un représentant étatique a rappelé lors d’une COP tenue récemment que « la fourniture de ces ressources était une obligation au titre de la Convention et un élément essentiel du principe de responsabilités communes mais différenciées[79] ».

Parallèlement à la consécration du PRCMD, le préambule de la Convention POP fait également état de la nécessité de « renforcer leurs moyens nationaux de gestion des substances chimiques, grâce notamment au transfert de technologie, à la fourniture d’une aide financière et technique et à la promotion de la coopération entre les Parties[80] », en tenant compte de la situation et des besoins particuliers des PED, des pays les moins avancés (PMA) et des pays à économie en transition. Découlant directement de ces dispositions du préambule, deux articles de la Convention POP sont entièrement consacrés à l’assistance technique (art. 12) et aux ressources financières (art. 13).

L’article 12 met à la charge des parties une obligation de coopération pour fournir une assistance technique et technologique aux PED et aux pays à économie en transition afin qu’ils soient en mesure de s’acquitter de leurs obligations[81]. Cette assistance doit entraîner un renforcement des capacités des États bénéficiaires afin de leur permettre de satisfaire à leurs obligations[82]. L’article 12 précise en outre qu’une attention particulière doit être accordée aux besoins des PMA et aux petits États insulaires en développement lorsque des décisions sur l’assistance technique seront adoptées [83].

L’article 13, quant à lui, précise que chaque Partie s’engage à fournir un appui et des incitations financières pour l’atteinte de l’objectif de la Convention POP[84]. Cependant, les pays développés fournissent « des ressources financières et additionnelles pour permettre aux Parties qui sont des pays en développement ou à économie en transition de couvrir la totalité des surcoûts[85] » causés par l’application de la Convention POP. Il y a donc ici une réelle obligation différenciée qui est mise à la seule charge des pays développés. Enfin, la disposition concernant l’attention particulière qui doit être accordée aux besoins des PMA et aux petits États insulaires en développement est reprise dans les mêmes termes[86].

Pour ce qui est de la mise en oeuvre, la COP assure l’examen de l’efficacité du mécanisme de financement[87] et le respect des dispositions de la Convention POP relatives à l’assistance. De nombreuses décisions ont ainsi été adoptées sur les questions d’assistance technique et d’assistance financière lors de chaque session de la COP[88]. Si ce grand nombre de décisions témoigne du fait que les mécanismes d’assistance constituent une part considérable du traitement différencié, tel qu’il a été mis en oeuvre dans la Convention POP, la portée réelle de ces obligations d’assistance peut être remise en question. Concernant l’assistance technique par exemple, la seule obligation réellement développée est une obligation de coopération et non une obligation directe d’assistance ou de transfert de technologie[89], ce dernier n’intervenant que le cas échéant[90]. De même, l’engagement mis à la charge des parties de fournir un appui et des incitations financières est à réaliser dans la mesure de leurs moyens[91], ce qui n’indique aucun seuil d’obligation. La seule obligation directe est finalement celle qui est mise à la charge des pays développés concernant la fourniture de ressources financières nouvelles et additionnelles.

Ces dispositions sont cependant renforcées par les liens établis entre assistance et exécution de leurs engagements par les PED. Ainsi, l’article 12 de la Convention POP précise que les Parties reconnaissent que la fourniture en temps utile d’une assistance technique appropriée est essentielle pour l’application de la Convention POP[92]. L’article 13, quant à lui, dispose que « [l]a mesure dans laquelle les pays en développement Parties s’acquitteront effectivement de leurs engagements au titre de la Convention dépendra de la mesure dans laquelle les pays développés Parties s’acquitteront effectivement de leurs engagements au titre de la Convention en ce qui concerne les ressources financières, l’assistance technique et le transfert de technologie[93] ».

Si le maintien du PRCMD dans le seul préambule de la Convention POP a pu être analysé comme une prétention des PED n’ayant pas abouti, il n’en va pas de même pour les questions d’assistance. En effet, au-delà de l’inclusion de ces mesures d’assistance dans la Convention POP, les PED souhaitaient « qu’il soit prévu une disposition, concise et précise, indiquant l’existence d’un lien direct entre la mise en oeuvre de la Convention par les pays en développement et la fourniture, par les pays développés, de la technologie, du savoir-faire, de l’équipement et des ressources financières que cela suppose[94] ». Cette demande des PED de lier l’exécution de leurs obligations à l’obtention d’une assistance a donc bel et bien abouti et témoigne de l’importance de l’assistance dans la mise en oeuvre du traitement différencié dans le régime POP.

Conclusion

La Convention POP est aujourd’hui l’instrument incontournable de la lutte contre les rejets de POP dans l’environnement, et, compte tenu de la toxicité de ces substances, elle apparaît comme un élément extrêmement précieux de l’arsenal conventionnel du droit international de l’environnement. S’inscrivant dans le mouvement actuel vers une gouvernance globale des problèmes environnementaux, les synergies construites avec les conventions de Bâle et de Rotterdam permettent d’ailleurs une action globale contre les pollutions.

Seul instrument conventionnel en dehors des traités sur les changements climatiques à consacrer explicitement le PRCMD, la Convention POP développe bel et bien une certaine différenciation entre les PED et les pays développés parties. Plus encore, elle a su créer une différenciation qui lui est propre, destinée à servir au mieux ses objectifs conventionnels. Ainsi, les obligations centrales du traité étant applicables à toutes les parties sans distinction, aucune différenciation n’y est intégrée et un système de dérogations permet aux États de bénéficier d’une certaine flexibilité. Parallèlement, pour soutenir les PED parties dont la situation particulière est dûment considérée, des mécanismes d’assistance complets sont institués par la Convention POP. Réalisant un équilibre entre des obligations centrales communes et la prise en considération des différences de capacités des États, le principe 7 de la Déclaration de Rio tel qu’il est formulé par la Convention, apparaît donc parfaitement adapté au contexte du régime POP. Par conséquent, celle-ci s’inscrit dans la droite ligne des autres AME, notamment du Protocole de Montréal.

Lorsqu’elle se penche sur le PRCMD, la doctrine environnementale actuelle donne généralement la part belle à l’étude du régime international de lutte contre les changements climatiques. Or, force est de constater que le PRCMD n’entraîne pas ici les conséquences qu’il implique dans cet autre régime. Cependant, la prééminence de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto en la matière conduit souvent à conclure que le régime POP n’opère qu’une consécration minimale du PRCMD. Il convient donc se garder de la comparaison climatique qui ne peut que biaiser le débat et, de fait, ne rend absolument pas compte de la portée réelle du PRCMD dans le régime institué par la Convention POP.