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Au cours des dernières décennies, l’Assemblée nationale du Québec a causé de nombreuses déceptions en demeurant muette sur le rôle juridique des beaux-parents[1]. Ceux-ci sont pourtant de plus en plus nombreux au sein des familles québécoises. Confrontés à cette nouvelle réalité, les tribunaux ont eu recours aux outils juridiques dont ils disposaient afin de permettre aux beaux-parents[2] de bénéficier d’attributs de l’autorité parentale et de droits de garde[3]. L’action des tribunaux ayant cependant été limitée par les litiges qui leur ont été soumis et par l’imagination des parties, certaines questions sont restées sans réponse, comme la possibilité d’ordonner aux beaux-parents de verser des aliments en faveur de l’enfant de leur (ancien·ne) conjoint·e. La Cour d’appel du Québec a démontré une certaine ouverture sur le sujet dès 2007[4], sans toutefois trancher directement la question. Le Comité consultatif sur le droit de la famille, pour sa part, a suggéré à l’Assemblée nationale, dans son rapport de 2015, d’adopter des dispositions permettant de rendre de telles ordonnances[5]. Le silence s’est prolongé sur la colline Parlementaire.

Il ne faudrait pas conclure de ce mutisme que le fait de rendre des ordonnances contraignant un beau-parent à débourser des aliments est impossible au Québec. En effet, si l’Assemblée nationale n’a pas tranché la question, le Parlement canadien s’est prononcé sur la situation des couples mariés. Ainsi, dans la Loi sur le divorce, il a prévu qu’une ancienne épouse ou un ancien époux peut être enjoint·e de verser des aliments en faveur de l’enfant pour qui il ou elle tient lieu de parent[6].

L’articulation du régime fédéral rencontre cependant quelques embûches du fait que le montant des aliments se calcule en fonction des lignes directrices provinciales. Celles-ci ne prévoyant pas explicitement qu’un beau-parent puisse avoir à payer des aliments, les tribunaux ne peuvent donc pas se fier à des directives claires lorsqu’ils sont invités à calculer le montant des aliments. De surcroît, si l’Assemblée nationale choisissait d’adopter les suggestions du Comité consultatif en attribuant une obligation alimentaire aux beaux-parents en union de fait, l’incertitude émanant des lignes directrices provinciales toucherait une part plus importante encore de la population québécoise.

Le présent article porte sur le calcul des aliments versés par les beaux-parents en droit québécois. Il se divise en quatre parties. Dans la première, j’explique dans quelle mesure les beaux-parents québécois peuvent être tenus de fournir des aliments en vertu de la doctrine in loco parentis. Dans la deuxième partie, je détaille la méthode prévue en droit privé fédéral pour calculer les aliments payables par un beau-parent tenant lieu de parent. Dans la troisième, j’émets l’hypothèse selon laquelle le droit civil québécois préconise une approche synchronique de calcul des aliments payables par le beau-parent. Enfin, dans la quatrième partie, je propose de calculer les aliments payables par le beau-parent selon une approche étapiste. Ainsi la pension alimentaire versée par le beau-parent serait-elle complémentaire de celle qui est déjà versée par les parents. Les parents rempliraient une obligation primaire, et le beau-parent, une obligation secondaire.

1 La doctrine in loco parentis en droit québécois

Au Québec, les couples mariés sont soumis à la doctrine in loco parentis. Elle s’applique à toute personne mariée qui, sans être le parent d’un·e enfant, s’est comportée comme si elle lui tenait lieu de parent. On parlera alors d’une personne ayant agi in loco parentis. Notons que la question n’a pas encore été tranchée en ce qui concerne les couples québécois non mariés[7].

Être un beau-père ou une belle-mère n’implique pas forcément d’agir in loco parentis. Un certain seuil d’engagement dans la vie de l’enfant doit être atteint[8]. En 1999, la Cour suprême du Canada a établi, dans l’arrêt Chartier c. Chartier, les éléments à prendre en considération :

La question de savoir si une personne tient lieu de parent doit être tranchée à la lumière de l’ensemble des facteurs pertinents, examinés objectivement. Ce qu’il faut déterminer, c’est la nature du lien. La Loi sur le divorce ne fait aucune allusion à une quelconque expression formelle de la volonté. L’accent mis sur le caractère volontaire et sur l’intention dans Carignan était inspiré de l’approche de common law analysée précédemment. Il s’agissait d’une erreur. Le tribunal doit déterminer la nature du lien en examinant un certain nombre de facteurs, dont l’intention. L’intention ne s’exprime pas seulement de manière explicite. Le tribunal doit aussi déduire l’intention des actes accomplis et tenir compte du fait que même les intentions exprimées peuvent parfois changer. Le fait même de fonder une nouvelle famille constitue un facteur clé appuyant la conclusion que le beau-parent considère l’enfant comme un membre de sa famille, c’est-à-dire comme un enfant à charge. Parmi les facteurs à examiner pour établir l’existence du lien parental, signalons les points suivants : L’enfant participe-t-il à la vie de la famille élargie au même titre qu’un enfant biologique ? La personne contribue-t-elle financièrement à l’entretien de l’enfant (selon ses moyens) ? La personne se charge-t-elle de la discipline de la même façon qu’un parent le ferait ? La personne se présente-t-elle aux yeux de l’enfant, de la famille et des tiers, de façon implicite ou explicite, comme étant responsable à titre de parent de l’enfant ? L’enfant a-t-il des rapports avec le parent biologique absent et de quelle nature sont-ils ? L’expression de la volonté du beau-parent ne peut être assortie de restrictions relatives à la durée, et elle ne peut faire l’objet d’autres conditions ou réserves, même si une telle intention est manifestement exprimée. Dès qu’il est établi que l’enfant doit être considéré, dans les faits, comme un enfant à charge, les obligations du beau-parent envers lui sont les mêmes que celles dont il serait tenu à l’égard d’un enfant issu du mariage, en ce qui a trait à l’application de la Loi sur le divorce. À ce stade-ci, le beau-parent ne fait pas que contracter des obligations. Il acquiert également un certain nombre de droits, tel le droit de demander éventuellement la garde ou des droits de visite, comme le prévoit le par. 16 (1) de la Loi sur le divorce.

Néanmoins, toutes les relations adulte-enfant ne permettront pas de conclure que l’adulte tient lieu de parent à l’enfant. Chaque cas doit être tranché selon ses faits propres et il doit être établi en preuve que l’adulte s’est comporté de manière à tenir lieu de parent à l’enfant[9].

Dès 2000, la Cour d’appel du Québec a cependant mis en garde les tribunaux : la notion de parentalité in loco parentis devait être interprétée de manière restrictive en droit civil puisque ce serait une notion de common law[10]. Depuis, les tribunaux québécois n’attribuent le statut de personne in loco parentis que dans des situations exceptionnelles[11].

L’argument de la Cour d’appel a suscité l’étonnement du côté de la doctrine. Le professeur Dominique Goubau rappelle que « la Cour suprême avait précisément pris grand soin de souligner que l’expression “tenir lieu de père ou de mère” de la Loi sur le divorce ne peut être associée au mécanisme in loco parentis de la common law[12] ». En effet, les mécanismes de la parentalité in loco parentis prévus dans la Loi sur le divorce ont été développés de façon à s’appliquer d’une manière égale aux juridictions de common law et de droit civil, et à se distinguer ainsi de ceux de l’ancienne doctrine de common law. Par exemple, là où l’ancienne doctrine permettait la reconnaissance d’une relation in loco parentis sur une base volontaire, de sorte qu’il était possible pour un beau-parent d’y renoncer, la nouvelle doctrine s’intéresse plutôt à la nature de la relation, à savoir si le beau-parent a réellement agi en tenant lieu de parent, accordant ainsi moins de considération aux expressions formelles de la volonté, ne permettant donc pas une telle renonciation[13]. La doctrine in loco parentis de la Loi sur le divorce est une notion renouvelée. Restreindre son application en droit civil risque d’édulcorer une doctrine déjà réformée. À mon avis, si la doctrine in loco parentis peut paraître extérieure au droit civil, c’est parce qu’elle est une création du droit fédéral et non en raison de ses racines dans la common law.

Une fois l’existence d’une relation in loco parentis reconnue, le beau-père ou la belle-mère ne se voit ni octroyer les mêmes droits ni imposer les mêmes obligations que les parents[14]. Les parents et les personnes tenant lieu de parents ont des statuts juridiques distincts. D’ailleurs, en droit civil québécois, un·e enfant ne peut pas avoir plus de deux parents[15]. Afin de refléter cette distinction juridique, je désignerai par l’expression « parent civil » une personne ayant un lien de filiation avec un·e enfant en vertu du droit civil ; la tournure « parent de fait », quant à elle, renverra à une personne tenant lieu de parent, au sens où on l’entend dans la Loi sur le divorce. Je préfère « parent de fait » à « personne in loco parentis », parce que les législations provinciale et fédérale n’emploient plus la formule latine[16]. Celle-ci évoque trop, par surcroît, l’ancienne doctrine de common law, qui n’est pas visée par mon analyse[17]. Cela se résume comme suit :

  • Parent civil : personne ayant un lien de filiation avec un·e enfant[18] ;

  • Parent de fait : personne agissant à titre de parent à l’égard d’un·e enfant, sans détenir de lien de filiation[19].

Dans le contexte d’une discussion sur la Loi sur le divorce, le « parent de fait » n’agit évidemment pas à titre de parent envers n’importe quel enfant, mais bien envers l’enfant de son époux ou de son épouse.

Pour les couples mariés québécois, l’obligation alimentaire des parents de fait naît des paragraphes 15.1 (1) et 2 (2) de la Loi sur le divorce[20]. Le paragraphe 15.1 (1) prévoit qu’on peut ordonner à toute personne mariée de verser des aliments pour un·e enfant à charge[21] :

15.1 (1) Sur demande des époux ou de l’un d’eux, le tribunal compétent peut rendre une ordonnance enjoignant à un époux de verser une prestation pour les aliments des enfants à charge ou de l’un d’eux.

15.1 (1) A court of competent jurisdiction may, on application by either or both spouses, make an order requiring a spouse to pay for the support of any or all children of the marriage.

Le paragraphe 2 (2) de la Loi sur le divorce dispose qu’un·e enfant est considéré·e à la charge de la personne mariée qui en est le parent ou qui lui tient lieu de parent[22] :

2 (2) Est considéré comme enfant à charge au sens du para- graphe (1) l’enfant des deux époux ou ex-époux :

2 (2) For the purposes of the definition child of the marriage in subsection (1), a child of two spouses or former spouses includes

a) pour lequel ils tiennent lieu de parents ;

(a) any child for whom they both stand in the place of parents ; and

b) dont l’un est le père ou la mère et pour lequel l’autre en tient lieu.

(b) any child of whom one is the parent and for whom the other stands in the place of a parent.

En raison de ces dispositions, il peut arriver que deux personnes (généralement un parent civil et un parent de fait) reçoivent l’ordre de verser une pension alimentaire, au bénéfice de l’enfant, à une troisième personne qui en a la garde (l’autre parent civil). Un cas typique est celui du père civil et du beau-père versant tous deux des aliments à la mère civile qui a la garde de l’enfant[23]. À noter toutefois que le créancier alimentaire est toujours l’enfant et non le parent qui en a la garde[24].

Le problème auquel je m’intéresse dans cet article apparaît lorsque vient le temps de calculer les aliments dans la situation où le parent de fait et son ancien époux ou son ancienne épouse demeurent au Québec. Même si l’obligation alimentaire découle de la Loi [fédérale] sur le divorce, ce sont alors les lignes directrices provinciales qui s’appliquent[25]. Or, contrairement aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants[26], les lignes directrices provinciales n’ont pas prévu l’éventualité d’un débiteur parent de fait. Regardons d’abord de plus près l’état du droit fédéral.

2 L’approche du droit privé fédéral

En droit privé fédéral, la méthode de calcul des aliments est déterminée par les Lignes directrices fédérales. Toutefois, celles-ci ne visent pas les couples mariés dont les deux parties résident dans une province désignée par décret, notamment au Québec[27].

L’article 5 in fine des Lignes directrices fédérales dispose que l’époux ou l’épouse tenant lieu de parent, soit le parent de fait, voit sa pension alimentaire diminuée en fonction de l’obligation alimentaire des parents civils[28] :

5 Si l’époux faisant l’objet de la demande d’ordonnance alimentaire tient lieu de père ou de mère à l’égard d’un enfant, le montant de l’ordonnance pour cet époux est le montant que le tribunal juge indiqué compte tenu des présentes lignes directrices et de toute autre obligation légale qu’a un autre père ou mère pour le soutien alimentaire de l’enfant.

5 Where the spouse against whom a child support order is sought stands in the place of a parent for a child, the amount of a child support order is, in respect of that spouse, such amount as the court considers appropriate, having regard to these Guidelines and any other parent’s legal duty to support the child.

Au sein des juridictions de common law, la portée réelle de l’article 5 a fait l’objet de débats doctrinaux ainsi que d’interprétations concurrentes et parfois contradictoires de la part des tribunaux. Deux consensus semblent toutefois émerger.

Premièrement, l’article 5 des Lignes directrices fédérales peut uniquement être invoqué par le parent de fait. Ce dernier a la possibilité de demander une diminution du montant des aliments qu’il doit verser en fonction de l’obligation alimentaire du parent civil non gardien. L’inverse n’est pas possible[29] : le parent civil non gardien ne peut pas se prévaloir de l’article 5 pour réduire son obligation alimentaire selon les versements alimentaires du parent de fait. La modulation de la pension alimentaire permise par l’article 5 est donc une prérogative du parent de fait.

Ainsi, l’article 5 des Lignes directrices fédérales ne permet pas de modifier l’obligation alimentaire du parent civil non gardien en fonction de celle du parent de fait[30]. La première doit plutôt être déterminée sans tenir compte de la seconde[31]. C’est le montant des aliments versés par le parent de fait qui sera fixé à partir des Lignes directrices fédérales et réduit selon la contribution du parent civil[32]. On a même estimé, à cause de l’article 5, qu’un ou une juge commettait une erreur de droit s’il ou si elle omettait de faire intervenir l’obligation alimentaire du parent civil dans la détermination de celle du parent de fait[33]. Il existe toutefois une exception : quand le tribunal est dans l’impossibilité de prendre en considération l’obligation alimentaire du parent civil parce que les parties n’ont pas produit la preuve nécessaire[34].

On conclut souvent de cette différence que le parent civil assume une obligation primaire et le parent de fait, une obligation secondaire[35]. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique adopte cette approche :

Mr. Embree argues the chambers judge erred in finding there was no basis in fact or law for his claim against Mr. Kovacs. He says Ms. Johnston, in her notice of family claim, clearly sought an order against him for child support and, in issuing a counterclaim against Mr. Kovacs, he followed the accepted procedure for a stepparent to bring a biological parent into proceedings in which child support is in issue. In support, Mr. Embree points to H. (U.V.) v. H. (M.W.), 2008 BCCA 177, 86 B.C.L.R. (4th) 199, a case in which this Court, at paras. 38-40, endorsed the view that when support is sought from a stepparent the natural parents should be before the court as well. Newbury J.A., writing for the Court, found that a natural parent bears the primary obligation for child support under s. 3 of the Guidelines, and a stepparent’s obligation under s. 5 should only be considered after the responsibility of the biological parent has been determined[36].

Deuxièmement, le ou la juge de première instance bénéficie d’une importante discrétion pour adapter le montant des aliments aux circonstances particulières des parties. Il faut donc se garder de croire que l’article 5 édicte une formule figée, selon laquelle la pension du parent de fait correspondrait nécessairement au montant des lignes directrices associé au parent de fait duquel on soustrairait le montant de la pension versée par le parent civil non gardien. Au contraire, les tribunaux de common law emploient une multitude de techniques pour calculer la pension de fait[37], allant même jusqu’à limiter temporellement l’obligation alimentaire, comme l’expliquent Julien D. Payne et Marilyn A. Payne :

This does not signify that the court should simply look at the amount payable under the Guidelines by the person who stands in the place of a parent and simply subtract the amount of the natural parent’s obligation. Courts have employed a variety of techniques, such as time limited support, apportionment, percentages, and top ups to fix the amount of child support payable by the step-parent and the reasons employed by the courts vary. A court has discretionary jurisdiction under section 5 of the Federal Child Support Guidelines to determine the liability of a non-custodial step-parent in light of the obligations of the natural parents[38].

D’ailleurs, certaines lois provinciales exigent que les tribunaux tiennent compte de la durée de la relation in loco parentis pour fixer le montant de la pension[39].

Gardant à l’esprit les mécanismes élaborés en droit privé fédéral, je propose maintenant d’examiner le droit civil québécois, où l’article 5 des Lignes directrices fédérales n’a pas force de loi.

3 L’approche synchronique : la situation québécoise ?

Au Québec, ni l’Assemblée nationale ni les tribunaux n’ont statué sur la méthode de calcul appropriée pour déterminer le montant de la pension alimentaire payée par un parent de fait. Puisque les Lignes directrices fédérales, ainsi que les enseignements qui en découlent, ne s’appliquent pas lorsque les parties résident au Québec, j’estime qu’il convient de s’en remettre aux dispositions générales sur le calcul des pensions alimentaires. Je suis d’avis que, contrairement au droit privé fédéral, les dispositions québécoises ne produisent pas une hiérarchisation des créances alimentaires : elles favorisent plutôt une « approche synchronique ».

L’approche synchronique concorde avec la méthode actuelle de calcul des pensions alimentaires, qui requiert que tous les éléments susceptibles d’influer sur le montant d’une pension alimentaire soient pris en considération au même moment. La pension due par le parent civil et celle qui l’est par le parent de fait sont considérées dans un même temps, de manière synchronique. L’approche synchronique peut se définir ainsi :

  • Approche synchronique : Méthode de calcul des pensions alimentaires déterminant de manière synchronique la valeur des pensions du parent civil non gardien et du parent de fait, de sorte que les deux parents ont une obligation d’égale valeur, qui peut toutefois être modulée selon leur capacité financière et les principes généralement applicables.

Je tiens à souligner que ce n’est pas l’approche que je privilégie : c’est pourtant celle qui me semble la plus cohérente avec la méthode québécoise actuelle de calcul des pensions alimentaires pour enfants. J’expliquerai, dans la section 3, que je recommande l’adoption d’une approche étapiste. Pour l’instant, il convient, d’abord, de rappeler les raisons pour lesquelles les Lignes directrices fédérales ne s’appliquent pas lorsque les parties résident au Québec et, ensuite, d’expliquer les motifs amenant l’état actuel du droit à pointer vers une approche synchronique.

Notons, avant d’aller plus loin, que les principes généraux du droit des obligations ne permettent pas de répondre à la question du partage de la dette alimentaire. Cependant, le droit des obligations nous permet de constater que la question du partage ne préoccupe pas l’enfant. En effet, puisque l’obligation alimentaire est in solidum, l’enfant peut exercer son recours contre n’importe lequel de ses parents débiteurs et exiger l’entièreté de sa créance[40]. Ce sera alors au parent débiteur saisi de mettre en cause les autres parents débiteurs ou de tenter de recouvrer ultérieurement auprès d’eux les sommes payées en trop. Le caractère in solidum de l’obligation alimentaire implique donc que l’enfant n’a pas à s’inquiéter de la question du partage de la dette alimentaire. Cependant, il offre peu de pistes pour répondre à cette question, qui préoccupe encore les parents débiteurs. En conséquence, une analyse approfondie des lignes directrices provinciales est nécessaire.

3.1 L’inapplicabilité des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants

Les Lignes directrices fédérales ne s’appliquent pas lorsque le parent de fait et son ancien époux ou son ancienne épouse résident au Québec. Cela inclut l’article 5, qui prévoit la méthode de calcul de la pension des parents de fait en droit privé fédéral[41]. Le paragraphe premier de l’article 2 de la Loi sur le divorce permet au gouvernement fédéral de désigner des lignes directrices particulières lorsque les parties habitent dans la même province, soustrayant ces dernières à l’application des Lignes directrices fédérales[42] :

2 (1) « lignes directrices appli- cables »

2 (1) « applicable guidelines »

S’entend :

means

a) dans le cas où les époux ou les ex-époux résident habituellement, à la date à laquelle la demande d’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant ou la demande modificative de celle-ci est présentée ou à la date à laquelle le nouveau montant de l’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant doit être fixée sous le régime de l’article 25.1, dans la même province – qui est désignée par un décret pris en vertu du paragraphe (5) –, des textes législatifs de celle-ci précisés dans le décret ;

(a) where both spouses or former spouses are ordinarily resident in the same province at the time an application for a child support order or a variation order in respect of a child support order is made, or the amount of a child support order is to be recalculated pursuant to section 25.1, and that province has been designated by an order made under subsection (5), the laws of the province specified in the order, and

b) dans les autres cas, des lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants.

(b) in any other case, the Federal Child Support Guidelines ;

Lorsque le parent de fait et son ancien époux ou son ancienne épouse résident au Québec, seules peuvent s’appliquer les lignes directrices provinciales indiquées dans l’article 2 du Décret désignant la province de Québec pour l’application de la définition de « lignes directrices applicables » au paragraphe 2 (1) de la Loi sur le divorce[43] :

2 Aux fins du paragraphe 2 (5) de la Loi sur le divorce, les textes législatifs suivants constituent les lignes directrices complètes de la province de Québec :

2 For the purposes of subsection 2 (5) of the Divorce Act, the following legislative texts are the laws that constitute the comprehensive guidelines for the Province of Quebec :

a) la Loi modifiant le Code civil du Québec et le Code de procédure civile relativement à la fixation des pensions alimentaires pour enfants, L.Q. 1996, ch. 68 ;

(a) An Act to amend the Civil Code of Québec and the Code of Civil Procedure as regards the determination of child support payments, S.Q. 1996, c. 68 ;

b) le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, édicté par le décret 484-97 du 9 avril 1997 ;

(b) the Regulation respecting the determination of child support payments, made by Order 484-97 of April 9, 1997 ;

c) le Titre Troisième du Livre Deuxième du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 ;

(c) Title Three of Book Two of the Civil Code of Québec, S.Q. 1991, c. 64 ; and

d) le Chapitre VI.1 du Titre IV du Livre V du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25.

(d) Chapter VI.1 of Title IV of Book V of the Code of Civil Procedure, R.S.Q., c. C-25.

En conséquence, l’article 5 des Lignes directrices fédérales, qui prévoit l’ajustement de la pension alimentaire versée par le parent de fait en fonction de celle que paie le parent civil non gardien, ne peut pas être invoqué.

Il s’ensuit que les enseignements jurisprudentiels qui y sont rattachés ne trouvent pas d’application. Ceux-ci incluent certains préceptes promulgués par la Cour suprême dans l’arrêt Chartier, jugement de principe en matière de parentalité de fait. La Cour suprême y reprend le principe selon lequel la pension du parent civil ne peut pas être modulée en fonction de celle du parent de fait :

Le juge Huband, dans Carignan, s’est également dit préoccupé par le fait que l’enfant pourrait recevoir une pension alimentaire tant du parent biologique que du beau-parent. J’estime que cette préoccupation ne tient pas. La contribution du parent biologique doit être évaluée sans tenir compte des obligations du beau-parent. L’obligation d’entretenir l’enfant naît dès que cet enfant est jugé être « un enfant à charge ». Les obligations des parents envers l’enfant sont toutes solidaires. La question de la contribution de chacun concerne tous les parents qui ont des obligations envers l’enfant, qu’il s’agisse de parents biologiques ou de beaux-parents ; elle ne doit avoir aucun effet sur l’enfant. Le parent qui cherche à obtenir une contribution d’un autre parent doit entre-temps verser une pension alimentaire pour l’enfant en dépit des obligations de l’autre parent[44].

Les tribunaux québécois ont traditionnellement reconnu l’importance de certains enseignements de l’arrêt Chartier : pas ceux qui portent sur la méthode de calcul des pensions alimentaires, mais ceux qui touchent à la détermination de l’existence d’un lien de parentalité de fait. Ainsi l’arrêt Chartier lie-t-il, d’une part, les tribunaux québécois ; mais, de l’autre, il leur demeure étranger, selon la source législative interprétée par la Cour suprême. Les enseignements relatifs à l’existence d’un lien de parentalité de fait procèdent de l’interprétation des articles 15.1 (1) et 2 (2) de la Loi sur le divorce[45], qui s’appliquent au Québec à tous les couples mariés, même lorsque toutes les parties résident dans la province. Ceux qui concernent la méthode de calcul de la pension d’un parent de fait dépendent de l’article 5 des Lignes directrices fédérales qui, lui, n’est pas applicable lorsque les parties habitent au Québec. Ils ne sont donc pas pertinents dans la majorité des situations examinées par les tribunaux québécois. En un mot, si l’arrêt Chartier s’applique au Québec pour établir l’existence d’une parentalité de fait, il n’en est pas de même pour la méthode de calcul qui y est employée. L’Assemblée nationale a décidé de mettre de côté la Loi sur le divorce et les règlements qui s’y rapportent pour calculer les aliments des parties résidant au Québec : seules les lignes directrices provinciales peuvent être utilisées.

Cela étant, même si les Lignes directrices fédérales ne s’appliquent pas aux parents habitant au Québec, on pourrait avancer que la méthode de calcul décrite par la Cour suprême est étroitement liée à la doctrine in loco parentis, et qu’elle devrait ainsi être adoptée pour toute obligation in loco parentis découlant de la Loi sur le divorce, peu importe les lignes directrices en vigueur. L’invocation de la doctrine in loco parentis devrait entraîner l’utilisation de la méthode de calcul prévue par le droit privé fédéral ; l’introduction d’un concept de common law en droit civil devrait déclencher l’application de toutes ses facettes.

Or, cet argument ne peut pas être retenu. Dans l’arrêt Chartier, la Cour suprême met en garde contre un raisonnement où l’on citerait la doctrine de common law in loco parentis afin d’interpréter l’obligation issue de la Loi sur le divorce. Elle explique qu’en adoptant cette loi le Parlement a fait table rase du concept de common law. Aussi ne peut-on plus y recourir pour interpréter la formule « tient lieu de parent » :

À mon avis, le sens en common law de l’expression in loco parentis n’est pas utile pour déterminer la portée des termes « tiennent lieu de père et mère » figurant dans la Loi sur le divorce.

[…]

Je ne suis pas d’accord avec le raisonnement suivi dans Carignan. Comme il a déjà été mentionné, l’expression « tiennent lieu de père et mère » doit être interprétée en faisant abstraction du concept de common law, de façon à refléter l’approche contextuelle, fondée sur l’objet, que notre Cour préconise en matière d’interprétation législative[46].

La nouvelle notion de parentalité de fait contenue dans la Loi sur le divorce est donc une création législative. S’il est possible de s’inspirer des méthodes de calcul prévues dans les Lignes directrices fédérales et des lois des autres provinces, il faut d’abord et avant tout se demander si l’assemblée législative québécoise n’a pas déjà mis en place un mécanisme pour gérer la situation exposée ici. Si c’est le cas, ce mécanisme devrait avoir préséance sur l’influence de la jurisprudence développée dans les autres juridictions. Il faut rendre effective la volonté de l’assemblée législative québécoise de se retirer des mécanismes fédéraux.

D’ailleurs, dans l’affaire A. (V.) c. F. (S.), la Cour d’appel souligne que l’arrêt Chartier ne doit pas être compris comme s’appliquant intégralement au Québec[47]. Le juge Brossard explique que la doctrine in loco parentis est une mesure exceptionnelle en droit civil et que sa portée doit être restreinte :

Le divorce, de son côté, relève de la compétence législative exclusive du Parlement fédéral. Ce n’est qu’à titre de mesure accessoire en matière de divorce que le pouvoir fédéral exerce une compétence accessoire en matière alimentaire. L’article 2 (2) de la Loi sur le divorce introduit formellement le concept de « in loco parentis ». Il s’agit donc, en matière alimentaire, et ceci dit avec égards pour l’opinion contraire, d’une mesure exceptionnelle, qui ajoute au droit civil, et qui, à mon avis, doit être interprétée comme toute exception, c’est-à-dire de façon restrictive et non de façon libérale. En ce disant, je ne crois pas contredire ce qu’affirmait l’honorable juge Bastarache dans l’affaire Chartier c. Chartier, laquelle provenait d’une province de common law[48].

Le juge Brossard s’exprime sur la façon dont le test déterminant l’existence d’un lien in loco parentis doit être articulé ; j’estime que son commentaire vaut aussi pour la méthode de calcul de la pension : si le droit civil a déjà défini une méthode de calcul, celle-ci doit l’emporter sur tout ce que l’on tenterait d’importer de la common law.

Pour sa part, la juge Rousseau-Houle ajoute que, une fois l’existence d’une créance alimentaire établie en vertu de la doctrine in loco parentis, le droit québécois ne fait plus de différence entre le parent civil et le parent de fait :

Je conviens, comme le juge Brossard, que les questions de pension, de garde et d’entretien des enfants relèvent de la compétence provinciale. Néanmoins, elles deviennent des accessoires nécessaires à la compétence fédérale sur le divorce. Les dispositions de la Loi sur le divorce portant sur les enfants à charge doivent, à mon avis, être interprétées en faisant abstraction des concepts de common law ou de droit civil. Une fois le statut d’enfant à charge reconnu, la loi ne permet pas de faire des distinctions entre un père biologique et celui qui en tient lieu[49].

Ainsi, comme on ne peut pas distinguer un parent civil d’un parent de fait, il est difficile de soutenir que l’approche du droit privé fédéral est en vigueur dans le contexte québécois. La méthode de calcul de la pension alimentaire doit obéir aux dispositions prévues par l’assemblée législative québécoise dans ses propres lignes directrices. Quels sont donc les mécanismes en place qui permettent de tenir compte de l’obligation alimentaire du parent de fait dans le calcul ?

3.2 Les fondements juridiques de l’approche synchronique

L’approche synchronique par rapport au calcul des pensions alimentaires prévoit que la pension du parent civil est modulable en fonction de la pension du parent de fait, et inversement. Elle s’explique, selon moi, par l’article 587.2 du Code civil du Québec[50]. D’ailleurs, les dispositions qui s’appliquent en vertu du Décret québécois[51] ne traitent pas explicitement de la question du calcul de la pension des parents de fait.

L’article 587.2 C.c.Q. établit, entre autres, la manière dont les ressources financières à la disposition de l’enfant doivent être prises en compte dans le calcul de la valeur d’une pension alimentaire. Je suis d’avis que cette notion de ressources dont dispose l’enfant inclut la pension alimentaire versée par un parent de fait : c’est une créance que l’enfant détient sur cette personne[52], une ressource financière dont il dispose. Il en va de même pour la pension du parent civil lorsqu’on calcule la pension du parent de fait.

En effet, l’article 587.2 C.c.Q. énonce que les ressources dont dispose l’enfant peuvent justifier une modulation de la valeur des aliments par le tribunal :

587.2. Les aliments exigibles d’un parent pour son enfant sont équivalents à sa part de la contribution alimentaire parentale de base, augmentée, le cas échéant, pour tenir compte des frais relatifs à l’enfant.

587.2. The support to be provided by a parent for his child is equal to that parent’s share of the basic parental contribution, increased, where applicable, having regard to specified expenses relating to the child.

La valeur de ces aliments peut toutefois être augmentée ou réduite par le tribunal si la valeur des actifs d’un parent ou l’importance des ressources dont dispose l’enfant le justifie ou encore en considération, le cas échéant, des obligations alimentaires qu’a l’un ou l’autre des parents à l’égard d’enfants qui ne sont pas visés par la demande, si le tribunal estime que ces obligations entraînent pour eux des difficultés.

[…]

The court may, however, increase or reduce the level of support where warranted by the value of either parent’s assets or the extent of the resources available to the child, or to take account of either parent’s obligation to provide support to children not named in the application, if the court considers the obligation entails hardship for that parent.

[…]

J’estime que la créance alimentaire que détient l’enfant sur le parent in loco parentis doit être considérée comme une ressource dont il dispose au sens de l’article 587.2 C.c.Q. L’auteur Michel Tétrault précise que, « lorsque les revenus de l’enfant mineur sont significatifs, il est de jurisprudence constante d’en tenir compte dans le cadre de la fixation de la pension alimentaire[53] ». Une créance alimentaire est un revenu suffisamment significatif pour faire partie des ressources dont dispose l’enfant.

La jurisprudence recèle d’exemples où les ressources financières de l’enfant ont permis la modulation des pensions alimentaires. Dans l’affaire Droit de la famille — 141104, la Cour d’appel déclare que les revenus des enfants doivent généralement être pris en compte dans le calcul de la pension alimentaire, même si ceux-ci n’ont pas l’obligation de subvenir à leurs besoins ; il faut cependant que ces revenus soient significatifs et que les circonstances s’y prêtent :

Au moment du procès, les deux enfants étaient mineurs. En principe, les enfants mineurs ne sont pas tenus de subvenir à leurs besoins. Cependant, lorsque leurs revenus sont significatifs, il faut généralement en tenir compte dans le cadre de la fixation de la pension alimentaire.

[…]

Ceci étant, la Cour estime que cette erreur ne justifie pas son intervention. Les revenus de Y sont modestes, ce qui est tout à fait normal pour quelqu’un qui fréquente l’école à temps plein. Ce sont des revenus d’appoint qu’elle utilise pour se gâter. En l’espèce, le fait d’utiliser une partie de ces revenus pour réduire la contribution alimentaire de l’appelant serait inapproprié.

Quant à X, ses revenus étaient plus importants, 12 000 $ par année. Ceci étant, le juge de première instance a choisi d’utiliser sa discrétion judiciaire afin de ne pas en tenir compte dans le calcul de la pension alimentaire. Il retient du témoignage de X sa détermination à améliorer son sort en complétant une formation en soins infirmiers, un objectif qui, selon le juge, méritait d’être encouragé – d’autant qu’elle devra inévitablement diminuer son temps de travail pour se consacrer à ses études (jugement dont appel, paragr. 13). Il n’y a pas matière à intervention[54].

Dans l’affaire Droit de la famille — 101619, le juge en chef Robert affirme que le tribunal peut prendre les revenus de l’enfant en considération pour réduire le montant de la pension alimentaire. Il souligne l’existence d’un courant jurisprudentiel qui suggère de soustraire de la contribution parentale de base le tiers des revenus de l’enfant, sans toutefois en faire une formule obligatoire, afin d’assurer aux tribunaux une certaine flexibilité :

La Cour supérieure a reconnu la particularité des enfants majeurs, qui entraînent généralement des coûts supplémentaires pour le parent chez qui ils vivent, en raison de l’exercice autonome de leurs activités. De telles circonstances peuvent justifier de bonifier ce que prévoit le barème du Règlement. En revanche, elle affirme que la présence d’un enfant majeur peut également justifier de réduire la contribution parentale de base dans les cas où l’enfant dispose de revenus lui permettant de subvenir à une partie de ses propres besoins.

Un courant jurisprudentiel propose de soustraire le tiers des revenus de l’enfant de la contribution parentale de base. Cette approche fut appliquée avec flexibilité dans S.G. c. M.D.V., où un peu moins du tiers du revenu annuel de 9 000 $ fut soustrait, et dans Droit de la famille – 09685, où le tiers du revenu de 5 000 $ fut soustrait.

La Cour supérieure, face à des revenus substantiels des enfants majeurs, ne suit pas toujours strictement la « règle du tiers » et réduit parfois l’obligation alimentaire en tenant compte de l’ensemble des circonstances.

J’adopte les propos suivants selon lesquels une règle mathématique ne peut remplacer de manière appropriée la discrétion laissée au tribunal par le législateur :

Bien que cette règle soit de plus en plus fréquemment plaidée, on ne peut conclure, à notre avis, qu’elle représente la jurisprudence dominante sur ce point. Le tribunal a pleine discrétion et doit tenir compte de tous les éléments au dossier afin de déterminer une pension alimentaire juste et raisonnable. L’utilisation d’une règle mathématique serait de nature à empêcher le tribunal de faire son travail.

Je rappelle que l’article 587.1 C.c.Q. crée une présomption que le juge a la discrétion, et non l’obligation, de renverser par le truchement de l’article 587.2 C.c.Q., si la preuve établit que la valeur des ressources de l’enfant le justifie.

En l’espèce, l’appelant n’a présenté aucune preuve établissant le revenu de sa fille aînée, non plus qu’il était tel qu’il justifiait de réduire la pension fixée par la loi. Il n’y a donc pas lieu de conclure que le juge de première instance n’a pas exercé sa discrétion judiciairement et d’infirmer sa conclusion sur ce point[55].

À noter que, en présence de plusieurs enfants, la portion pertinente du revenu d’un·e enfant doit être soustraite du coût de sa garde plutôt que de la contribution parentale de base, afin de ne pas désavantager les autres enfants[56].

Dans l’affaire Droit de la famille — 123218, la Cour d’appel reconnaît également que l’aide financière aux études peut être prise en compte dans le calcul de la pension alimentaire :

Le juge de première instance a considéré que le tiers des ressources de Y, bourse et prêts confondus, devait être pris en compte au titre de sa contribution à ses besoins alimentaires. Il mentionne que, selon la jurisprudence, ce pourcentage s’approche du minimum de contribution que l’on peut exiger d’un enfant majeur qui a des revenus. Il a raison.

Il existe cependant une controverse en jurisprudence relativement à la nature des montants d’aide financière aux études qui peuvent être pris en compte dans le calcul de la contribution de l’enfant à ses besoins alimentaires. Certains juges considèrent que la bourse et les prêts constituent des revenus alors que d’autres estiment que seule la bourse, ou une portion de celle-ci, peut être prise en compte puisque les prêts constituent une dette qui devra être remboursée plus tard.

La question est intéressante, mais il ne sera pas nécessaire d’en décider ici. D’abord parce que les parties ne l’ont pas soulevée, ni en première instance ni en appel. Ensuite, parce que le montant retenu par le juge (2 541 $) est inférieur non seulement à celui de la bourse (3 960 $), mais également, et surtout peut-être, aux dépenses d’automobile de Y, automobile dont le juge dit qu’il n’a « pas besoin pour concilier travail et études puisqu’il ne travaille pas » (paragr. 1)[57].

Au moment d’écrire ces lignes, la controverse jurisprudentielle soulevée par la possibilité de considérer les prêts de l’aide financière aux études, en plus des bourses, n’a pas encore été réglée[58].

Il convient toutefois de préciser que le revenu du nouveau conjoint ou de la nouvelle conjointe du parent civil ne fait habituellement pas partie du calcul de la pension alimentaire, que ce soit par rapport aux ressources de l’enfant ou au revenu des parents. Cependant, il y a lieu de distinguer le rôle exercé par le beau-père ou la belle-mère lors de la vie commune de celui qu’il ou elle joue après le divorce. En effet, durant la vie commune, les beaux-parents n’ont pas d’obligation envers les enfants auxquels ils ne sont pas unis par un lien de filiation[59]. Il en est tout autrement lorsque survient un divorce, puisque la Loi sur le divorce invite alors les tribunaux à déterminer si ce beau-parent a agi en tant que parent de fait et, dans l’affirmative, à lui imposer une obligation alimentaire. Dès lors, l’apport du parent de fait se cristallise en une créance au bénéfice de l’enfant. C’est donc uniquement au moment du divorce que le patrimoine de l’enfant se voit augmenté d’une créance alimentaire quantifiée et exécutoire. Une telle créance me paraît assimilable à un revenu d’emploi personnel ou à une bourse d’aide financière aux études, de sorte que c’est alors une ressource propre à l’enfant, une ressource dont il dispose.

En somme, l’article 587.2 C.c.Q. énonce que le tribunal doit tenir compte des ressources dont dispose l’enfant lorsqu’il détermine la valeur des aliments, ce qui signifie que la créance alimentaire du parent de fait doit être considérée au moment de la fixation de la valeur des aliments que le parent civil non gardien doit verser. Inversement, la valeur de la pension du parent de fait doit être établie en tenant compte de la pension du parent civil. Il faut donc évaluer la valeur des deux pensions en même temps et non procéder par étapes. Autrement dit, il faut mettre en oeuvre une approche « synchronique ».

Le droit québécois reconnaît déjà qu’il est possible qu’un·e enfant mineur·e ait plusieurs débiteurs. En effet, un·e enfant peut, par exemple, être créancier ou créancière de deux pensions alimentaires en même temps, adaptées l’une à l’autre, lorsqu’un tiers en a la garde[60].

L’approche synchronique souffre cependant de deux problèmes qui restreignent son utilisation. Ceux-ci justifient que l’Assemblée nationale intervienne afin d’adopter une nouvelle méthode de calcul.

D’une part, le formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants prévu par règlement[61] n’est pas adapté à l’approche synchronique. Il est impossible de calculer la pension des parents non gardiens en même temps, parce que leur formulaire doit être transmis à tour de rôle. Comme les formulaires ne sont pas construits pour tenir compte de l’existence de parents de fait, cette situation pousse les parties à s’engager dans une valse procédurale peu pratique. Lorsqu’il remplit son formulaire, le premier parent ne peut pas connaître le montant de la pension payée par le second parent : il ne peut donc pas y inscrire la valeur réelle des ressources de l’enfant, mais doit plutôt l’estimer. Une fois le premier formulaire rempli, le second parent peut remplir son formulaire en inscrivant la valeur réelle de la pension du premier parent. Le montant devant être déboursé par le second parent sera alors sûrement différent de celui qui a été estimé par le premier parent. Il faut dès lors que ce dernier ajuste son formulaire selon la valeur réelle des ressources, en tenant compte de la pension du second parent. Cela conduit à une modification du premier formulaire, causant un changement de la valeur de la pension, et exigeant un nouvel ajustement du second formulaire. Le cycle recommence. Ce mouvement alternatif incessant a tout pour décourager les juges de recourir à l’approche synchronique[62]. D’autre part, malgré la possibilité pour les juges de résoudre ces problèmes pratiques en usant de leur discrétion pour arbitrer les montants des pensions, l’approche synchronique pâtit d’une faible légitimité politique, puisqu’elle n’a pas été adoptée explicitement par l’Assemblée nationale. Elle se base plutôt sur des articles du Code civil du Québec qui, bien qu’ils soient applicables, n’ont pas été adoptés pour décider du traitement des parents de fait.

La situation doit être corrigée. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’un débat au sein du Comité consultatif sur le droit de la famille, présidé par le professeur Alain Roy, qui n’a pas abouti à un consensus[63]. En ce qui me concerne, je propose l’adoption d’une approche étapiste.

4 L’approche étapiste

L’approche étapiste que je suggère s’inspire en partie de l’article 5 des Lignes directrices fédérales, sans toutefois laisser une aussi grande discrétion aux juges. Il convient de reconnaître que l’Assemblée nationale accorde traditionnellement moins de discrétion aux juges quant au calcul de la pension alimentaire pour enfants que ses homologues des provinces de common law. Elle leur permet cependant d’exercer une certaine discrétion dans la résolution des problèmes d’équité, ce qui élimine la nécessité de leur en attribuer « à l’intérieur » même de l’approche étapiste[64].

L’approche que je propose se divise en quatre étapes. Elle admet que l’obligation alimentaire du parent de fait est subsidiaire à celle du parent civil. La pension alimentaire du parent civil est d’abord déterminée sans prendre en considération le parent de fait. Celle du parent de fait est ensuite évaluée suivant les règles habituelles ; mais, pour obtenir sa valeur réelle, on lui soustrait le montant versé par le parent civil : la pension du parent de fait devient alors complémentaire de la pension du parent civil. L’approche étapiste peut se résumer selon le modèle présenté ci-dessous.

  • Approche étapiste : Méthode de calcul des pensions alimentaires procédant par étapes, de sorte que le parent civil soit soumis à une obligation primaire et le parent de fait, à une obligation secondaire. Elle se déroule ainsi :

    1. Déterminer la valeur de la pension alimentaire du parent civil selon les principes habituels ;

    2. Déterminer la valeur de la pension alimentaire du parent de fait en faisant fi du parent civil et en omettant les considérations relatives à la faculté financière du parent de fait[65] ;

    3. Soustraire du résultat de l’étape 2 le montant réellement payé par le parent civil ;

    4. Moduler le résultat de l’étape 3 selon les considérations relatives à la faculté financière du parent de fait pour obtenir la valeur finale de la pension alimentaire qu’il doit verser.

Évidemment, les parties peuvent toujours convenir d’une valeur différente en vertu de l’article 587.3 C.c.Q.

Je souligne que la troisième étape invite le tribunal à prendre en compte le montant réellement payé par le parent civil, et non celui qui est associé à la première étape. Il en est ainsi parce qu’on peut imaginer une situation où un parent civil, vivant à l’étranger par exemple, refuserait de verser une pension alimentaire : celle-ci demeurerait tout de même quantifiable. Le parent de fait devrait alors combler le manque réel. Cela peut sembler inéquitable pour le parent de fait, mais la méthode étapiste est cohérente avec son rôle de substitut du parent de fait par rapport au parent civil. La notion même de parentalité de fait, voire de in loco parentis, existe pour pallier les lacunes du parent civil. La méthode étapiste est également en phase avec l’intérêt de l’enfant, qui exige qu’il ne soit pas victime de la déresponsabilisation des parents, et avec son droit « à la protection, à la sécurité et à l’attention que […] les personnes qui [lui] tiennent lieu [de parents] peuvent lui donner[66] ». L’intérêt de l’enfant prend le pas sur l’équité entre les parents débiteurs. Le parent de fait pourra toujours tenter de recouvrer auprès du parent civil les sommes payées en surplus de ce qu’il aurait normalement dû débourser.

En outre, il ne m’apparaît pas opportun de permettre l’assignation d’une limite temporelle à l’ordonnance de pension alimentaire. L’obligation alimentaire du parent de fait est tributaire d’un lien avec l’enfant, d’une parentalité de fait. Ladite obligation ne devrait ainsi s’éteindre qu’à la fin de cette relation. Or, l’analyse de l’existence d’une relation parentale de fait est déterminée en amont, avant le calcul de la pension. L’existence d’une telle relation pourrait être évaluée périodiquement par les tribunaux à la demande d’une des parties. Refuser l’imposition d’une limite temporelle à l’ordonnance alimentaire n’empêcherait pas le parent de fait de saisir les tribunaux s’il considérait que la relation n’existait plus, afin de demander l’annulation de l’ordonnance. Il s’agit simplement de distinguer le débat sur l’existence de la relation, et donc de l’obligation alimentaire qui en découle, du débat sur le calcul de la pension alimentaire. Une évaluation périodique de la relation parentale de fait serait mieux à même de refléter, à travers la pension alimentaire, la réalité de la relation entre le parent de fait et l’enfant[67].

À mon avis, l’approche étapiste offre quatre avantages principaux : 1) elle favorise la stabilité de la situation financière de l’enfant ; 2) elle témoigne du rôle exercé par le parent de fait au moment de la vie commune ; 3) elle permet d’éviter des injustices envers le parent civil gardien ; et 4) elle favorise la préservation de l’institution de la filiation.

L’approche étapiste encourage la stabilité de la situation financière de l’enfant, parce qu’elle n’a pas d’impact sur la pension alimentaire du parent civil non gardien. Si un tribunal concluait, au bout de quelques années, que la relation parentale de fait avait pris fin, et donc que la pension du parent de fait devait cesser, cela ne concernerait pas le parent civil. Il devrait continuer le versement mensuel des aliments au même montant. À l’inverse, s’il fallait adopter une approche synchronique de calcul des pensions, la fin de la relation parentale de fait signifierait que le montant de la pension du parent civil n’est plus valide. On devrait alors entamer des démarches judiciaires pour évaluer le nouveau montant de la pension, démarches par ailleurs coûteuses et remplies d’incertitude pour les parties. L’approche étapiste permettrait d’éviter ces frais et cette incertitude[68], ce qui assurerait ainsi à l’enfant une situation financière plus stable.

L’approche que je préconise est également cohérente avec le rôle financier exercé par le parent de fait durant la vie commune, avant qu’une obligation alimentaire lui soit imposée par un tribunal. L’apport financier du parent de fait, pendant la vie commune, est complémentaire de celui des parents civils. En effet, le parent civil gardien défraie la garde et le parent civil non gardien devrait déjà, en temps normal, verser une pension alimentaire complète. Si la méthode de calcul des aliments doit témoigner de la réalité des parties au moment de la vie commune, il convient d’adopter une approche qui reconnaisse que l’apport du parent de fait a toujours été complémentaire de celui des parents civils.

L’approche étapiste permet d’éviter que le parent civil gardien ne subisse une injustice en voyant son obligation alimentaire rester entière, tandis que celle du parent civil non gardien diminue. En effet, suivant l’approche synchronique, le montant de la pension payée par le parent civil non gardien est réduit en fonction de la pension payée par le parent de fait. Le parent civil non gardien est alors déchargé d’une partie de son obligation habituelle. À l’inverse, le parent civil gardien ne bénéficie pas d’une telle réduction. En un mot, l’obligation alimentaire du parent civil non gardien est fractionnée, tandis que celle du parent civil gardien demeure entière. Une iniquité se crée donc entre les deux parents civils alors que le parent non gardien se trouve avantagé par le divorce du parent gardien. L’approche étapiste permettrait d’éviter une telle injustice en garantissant que l’obligation alimentaire de chacun des parents civils restera intacte.

Enfin, l’approche étapiste permet de préserver la force de l’institution de la filiation en reconnaissant que le parent civil a une obligation primaire envers son enfant, alors que le parent de fait n’a qu’une obligation secondaire. Elle témoigne de la force particulière du lien de filiation qui unit le parent civil et l’enfant. Le caractère distinctif du lien de filiation en matière d’obligations alimentaires a été réaffirmé par l’Assemblée nationale à l’article 585 C.c.Q., qui dispose que « les parents en ligne directe au premier degré se doivent des aliments », sans faire mention des parents de fait. Ceux-ci se retrouvent pourtant aux côtés des parents civils aux articles 32 C.c.Q. et 39 de la Charte des droits et libertés de la personne, où l’Assemblée nationale établit que « [t]out enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner[69] ». Il apparaît donc que l’Assemblée nationale souhaite conférer une force particulière au lien de filiation en matière d’obligation alimentaire. Considérer l’obligation alimentaire des parents de fait comme complémentaire traduirait leur statut juridique différent de celui des parents civils, de qui l’on attend une responsabilité accrue. Le lien de filiation impose un devoir d’entraide comme on en voit peu en droit positif. Il convient de prendre acte de ce lien particulier pour élaborer une méthode de calcul des aliments appropriée. L’approche étapiste permet de mettre en avant la hiérarchisation des liens familiaux présente en droit civil québécois en s’assurant de l’épuisement des ressources du parent civil non gardien avant de mobiliser un tiers à la relation de filiation.

Du reste, certaines personnes soutiennent que l’obligation alimentaire des parents de fait doit être subsidiaire afin de traduire l’engagement accru des parents civils dans la vie de l’enfant. Dominique Goubau résume ainsi la théorie de l’engagement :

Plusieurs auteurs avancent que le degré d’implication dans l’éducation de l’enfant devrait effectivement avoir un impact sur le niveau de responsabilité financière. Selon eux, le lien entre l’intensité des relations (garde, visite, etc.) et la responsabilité financière, garantit le respect du principe de la priorité de l’obligation alimentaire des parents les plus présents, mais n’exclut pas une forme de soutien financier de la part de l’ex-beau-parent. La théorie de l’engagement induit ainsi le principe de la subsidiarité de l’obligation du tiers. Le tiers ne serait tenu que dans la mesure du défaut d’un parent légal. Certains vont plus loin et soutiennent que le tiers ne devrait être tenu d’une obligation alimentaire que si le parent légal est totalement incapable d’assumer la sienne ou si ce parent n’est plus dans la vie de l’enfant (absence, décès, abandon, etc.). C’est la position que propose le American Law Institute, mais elle est loin de faire l’unanimité, car elle donne à l’obligation du tiers un caractère d’exception[70].

Cependant, je ne peux retenir cet argument en faveur de l’approche étapiste, puisque le degré d’engagement des parents ne reflète pas toujours la subsidiarité de l’obligation alimentaire du parent de fait. En effet, il est possible d’imaginer une situation où un parent de fait serait plus investi dans la vie des enfants que le parent civil non gardien. Un parent de fait qui serait le ou la conjoint·e du parent civil gardien pourrait contribuer activement à la prise des décisions parentales, qu’elles touchent les problèmes quotidiens ou l’éducation et la santé des enfants. Il démontrerait alors un degré d’engagement concret plus élevé que le parent civil non gardien, même si celui-ci payait régulièrement une pension alimentaire et exerçait des droits d’accès. Claire Neirinck note que « [l]a vie commune impose une mutualisation des ressources et des activités au sein du foyer [de sorte que,] si officiellement le beau parent de fait ne doit rien, il ne déduit pas des dépenses qu’il engage pour sa nourriture, son chauffage ou ses loisirs la part qui a été affectée [à] l’enfant[ : ainsi,] le rôle joué par un beau parent de fait qui vit avec l’enfant peut […] être supérieur à celui du parent tenu de verser une pension alimentaire[71] ». Dans cette situation, la théorie de l’engagement semble militer en faveur d’une diminution de l’obligation alimentaire du parent civil non gardien, pour la rendre subsidiaire à l’obligation alimentaire du parent de fait, reflétant le degré d’engagement réel des parents. La théorie de l’engagement n’appuie donc plus l’approche étapiste. De surcroît, la théorie de l’engagement pourrait inciter les parents civils non gardiens, désireux de diminuer leur obligation alimentaire, à se désengager de la vie de l’enfant. Permettre une telle déresponsabilisation ne sert pas nécessairement l’intérêt de l’enfant.

En outre, d’autres soutiennent que l’attribution d’une obligation alimentaire trop importante au parent de fait inciterait les nouveaux conjoints et nouvelles conjointes à ne pas s’investir dans la relation avec l’enfant et à ne pas se marier, de peur d’être considéré·es comme un parent de fait et de se voir imposer cette obligation. Cela militerait pour l’approche étapiste qui ne découragerait pas la formation de nouvelles familles mariées en considérant l’obligation du parent de fait comme secondaire, complémentaire de celle du parent civil non gardien. Or, je ne peux retenir cet argument puisque sa prémisse est contestée. Il n’est pas certain que l’intensité de l’obligation financière envers l’enfant conséquente à une séparation ait un impact sur la manière dont les nouveaux conjoints et nouvelles conjointes décident de se comporter[72].

En somme, je propose que l’Assemblée nationale adopte l’approche étapiste, reconnaissant que le parent civil a une obligation primaire envers son enfant, et le parent de fait, une obligation secondaire. Cette approche par rapport au calcul des pensions alimentaires favorise leur stabilité et évite de multiplier les frais à l’occasion d’un changement dans les faits d’un dossier. Elle témoigne également du rôle des parties au moment de la vie commune et permet de reproduire le même niveau de responsabilité après la rupture. Elle prévient la création d’une iniquité ? entre les deux parents civils en garantissant que l’obligation alimentaire de chacun demeurera entière. Enfin, l’approche étapiste permet de reconnaître la valeur accrue accordée à la relation de filiation par le droit québécois.

Conclusion

Dans la première partie de mon texte, j’ai esquissé les contours de l’application de la doctrine in loco parentis au Québec. Elle ne concerne pour l’instant que les couples mariés. J’ai distingué les « parents civils », soit les personnes ayant un lien de filiation avec un·e enfant, des « parents de fait », qui sont les personnes agissant à titre de parents à l’égard d’un·e enfant.

Dans la deuxième partie, j’ai décrit la méthode de calcul des aliments prévue par les Lignes directrices fédérales pour les parents de fait. Deux consensus semblent se dégager de la jurisprudence. D’abord, l’article 5 des Lignes directrices fédérales, qui permet de demander une diminution du montant des aliments en fonction de la pension payée par d’autres parents, peut uniquement être invoqué par les parents de fait. Ensuite, les juges bénéficient d’une grande discrétion dans l’application de l’article 5 : ils et elles peuvent employer une multitude de techniques pour fixer la pension de fait, notamment en limitant temporellement l’ordonnance alimentaire.

Dans la troisième partie, j’ai présenté l’« approche synchronique » et expliqué les raisons pour lesquelles celle-ci me semble concorder avec le contexte juridique actuel. Cette méthode permet de calculer les pensions alimentaires en déterminant de manière synchronique la valeur de celle du parent civil non gardien et de celle du parent de fait, de sorte que les deux parents, ayant initialement une obligation d’égale valeur, la voient modulée selon leur capacité financière et les principes généralement applicables. J’ai montré que cette approche comporte deux difficultés majeures : un problème d’application, en raison du formulaire de fixation des pensions alimentaires pour enfants, ainsi qu’un problème de légitimité.

Enfin, dans la quatrième partie, j’ai recommandé l’adoption d’une approche étapiste. Cette méthode de calcul des pensions alimentaires procédant par étapes prévoit que le parent civil soit soumis à une obligation primaire et le parent de fait, à une obligation secondaire. À mes yeux, l’approche en question comporte quatre avantages : 1) elle favorise la stabilité de la situation financière de l’enfant ; 2) elle témoigne du rôle exercé par le parent de fait durant la vie commune ; 3) elle permet d’éviter des injustices envers le parent civil gardien ; et 4) elle favorise la préservation de l’institution de la filiation.