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À bien des égards, cet ouvrage marque un tournant dans le domaine de l’étude des risques, bien que son objectif soit d’être un manuel. Cette innovation est subtile : elle réside tout d’abord dans le titre. Parler de « risques urbains », c’est afficher l’existence d’une nouvelle catégorie de risques. Bien que la problématique des risques s’étudie le plus souvent en milieu urbain, il n’y avait jamais eu encore d’ouvrages de synthèse réunissant dans un même recueil des risques différents (naturels, industriels et technologiques majeurs, sociaux) et la problématique spécifiquement urbaine. Une tentative à signaler est le fait des mêmes auteurs : en 1994, ceux-ci écrivaient La ville et ses dangers : prévention et gestion des risques naturels, sociaux et technologiques (Masson, Paris). Il s’agissait cependant plus d’une juxtaposition de différents risques, comme le soulignait par ailleurs le titre, sans que les risques ne soient insérés dans une problématique spécifiquement liée à la complexité urbaine.

Avec ce dernier ouvrage, les auteurs franchissent le pas et, en cela, ils rendent compte de l’évolution de la conception des risques qui s’est produite durant ces huit années. Nous pouvons résumer cette évolution en deux points : elle met de l’avant, d’une part, l’idée que les risques sont inhérents au milieu urbain, générés en grande partie par lui et qu’ils ne lui sont pas exogènes. La collectivité doit composer avec ces risques et élaborer des mesures de prévention et de protection. D’autre part, elle se distancie de la définition uniquement probabiliste des risques (affirmée avec force dans l’ouvrage de 1994) et adopte une conception constructiviste de celui-ci. Les risques urbains sont associés à la complexité d’un grand nombre de variables, soulignent les auteurs. Une des définitions qu’ils retiennent rappelle celle qu’en a donné la sociologie des sciences et techniques (B. Latour, M. Callon ou encore G. Decrop) : les risques résultent d’un assemblage socio-technique et de la combinaison de données humaines et non humaines difficiles à gérer simultanément, compte tenu du nombre toujours plus grand d’intervenants. Dans cette perspective, la ville, création humaine, génère à la fois des risques dits endogènes, notamment dans les domaines technologiques, sanitaires, sociétaux, et aggrave les effets de ceux qui sont plus exogènes, tels les risques naturels. Cette approche permet de mieux saisir l’effet d’accumulation de risques dans certains territoires. Toutefois, la saisie cartographique simultanée de ces différents risques reste difficile à modéliser.

Le deuxième aspect innovant de cet ouvrage réside dans la grille de lecture adoptée pour rendre compte des différents risques urbains. Si les deux premiers chapitres posent la problématique générale des risques et des vulnérabilités urbaines, les quatre suivants se concentrent sur une catégorie de risques à la fois : risques urbains et forces naturelles (eau, vent, mouvements de terrains, séismes, incendies de forêts); le défi urbain des risques industriels et technologiques; les risques urbains de la vie quotidienne (incendie, automobile, bruit, amiante, plomb, termites…); insécurités et violences urbaines. Chaque chapitre dresse un état des lieux des objets et situations de risques, constatés ou probables, puis analyse les différentes causes qu’on leur impute. Les types de réponses apportées en terme de prévention et de protection sont systématiquement examinées, les auteurs évaluant la portée effective des réponses préventives et assurantielles inscrites dans les différentes législations en matière d’urbanisme et de protection de l’environnement. Là, les questions cruciales liées aux diverses responsabilités en matière de prévention ou en cas de catastrophe, les limites des systèmes expert ou encore les difficiles mises en oeuvre de certains aspects de la législation pour les constructions déjà existantes sont autant de points que les auteurs font bien resssortir.

Aussi la lecture de cet ouvrage est-elle vivement recommandée pour tout étudiant et enseignant intéressé par le fait urbain et la question des risques. Malgré l’effet d’inventaire qu’il peut produire et la diversité des exemples invoqués, mais trop vite traités, il constitue une très bonne entrée en matière sur la question des risques urbains, associant les regards croisés du droit, de la géographie et de l’urbanisme. Le lecteur francophone, tout en appréciant le tour d’horizon des récentes législations concernant la ville, regrettera cependant le traitement de la législation uniquement française, sans élargissement à celles d’autres pays francophones (notamment suisse, belge ou encore québécoise).