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Le littoral français de Fernand Verger exclut la Méditerranée, mer sans marée, sans estran et donc «sans intérêt». Reste le littoral atlantique, abordé sous la forme de onze monographies de sites répartis entre le bassin d’Arcachon et la plaine maritime flamande, le tout encadré par quatre chapitres de généralités et une conclusion qui ressemble fort à un testament de fin de carrière. De prime abord, l’ouvrage étonne par son caractère pointilleux, évoquant gilgais, mottureaux et préceintes sans oublier la sartière qu’on se gardera de confondre, nonobstant les apparences, avec le schorre. Ressort pourtant, au terme d’une lecture attentive, une masse d’enjeux qui se croisent entre les laisses de haute et de basse mer comme entre les espaces dévolus aux eaux douces et amères, de sorte que sur le théâtre ainsi délimité, le moindre mouvement de l’eau comme le moindre processus morphologique, fût-ce le déplacement d’un grain de sable, s’inscrit dans un système scalaire qui va de la vasière au grand océan, et du quotidien de la marée aux variations sur le long terme. Le vaste faisceau de menus faits patiemment collectés par l’auteur s’assemble alors en un corps de démonstration dont la rigueur est justifiée par la complexité des rapports entre la dynamique des océans et l’action anthropique.

Côté océan, l’inflexion d’un courant de marée peut entraîner le dépôt ou l’ablation de quelques centimètres mais, à l’échelle de la baie du Mont Saint-Michel, le déplacement d’une couche épaisse d’un centimètre représente 1,8 million de tonnes. Un phénomène apparemment élémentaire, comme l’atterrissement d’une mince couche de sédiments déposés par la succession des grandes marées d’équinoxe peut se traduire par le gain de centaines ou de milliers d’hectares qui à terme, peuvent être endigués et convertis en prairies ou en labours. Inversement, la rupture d’un cordon littoral par forte tempête peut aboutir au recul du littoral et à l’ingression des eaux salées.

Les enjeux qu’implique ce constat sont à l’origine de travaux d’endiguement et de poldérisation qui ont profondément modifié la nature des estuaires et des littoraux de la côte atlantique. De façon générale, et jusqu’à une date récente, tous les travaux entrepris à l’échelle de simples communautés rurales comme à celle des grands travaux diligentés par l’État ont eu pour objectif des gains de terre confortés par des travaux de drainage. Aux premières prises d’ampleur modeste réalisées à partir du Moyen-Âge, ont succédé au XVIIIe siècle, avec l’avènement des physiocrates, puis sous le Second Empire et enfin au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de grands travaux allant de la continentalisation des îles littorales à l’approfondissement des estuaires pour les adapter au tirant d’eau des grands porte-conteneurs.

Dans le contexte du littoral atlantique français, le bilan de l’action humaine est assez mitigé, pour ne pas dire négatif. Tout d’abord, la protection définitive des terres conquises sur la mer n’est jamais totalement garantie et le moindre relâchement se traduit par des catastrophes. Puis, le rapport entre d’un côté les coûts d’aménagement et d’entretien des polders et, de l’autre, les bénéfices tirés des terres ainsi protégées est loin d’être favorable, d’autant qu’à l’échelle de la France ou de l’Europe, les gains de productivité du secteur agricole incitent à une réduction des surfaces cultivées. De leur côté, les aménagements estuariens ont eu de sérieux effets d’impact et, dans le cas de la Loire, la remontée des eaux salées a progressé de trente kilomètres en quelques années. Finalement, et c’est là l’essentiel, un renversement de tendance amorcé depuis les années 1970 a suscité l’arrêt des travaux de poldérisation et favorisé sur de nombreux sites, dont celui du Mont-Saint-Michel, le retour à la mer et à la protection des sites marins, de leur flore et de leur faune.

L’intérêt de l’ouvrage se situe à plusieurs niveaux, dont le plus évident est d’ordre esthétique, qu’il s’agisse des illustrations photographiques, des graphiques ou du remarquable corpus cartographique réalisé par Raymond Ghirardi, toutes démarches qui rendent intelligibles la dynamique complexe des littoraux. L’étude des monographies de sites se situe à un niveau intermédiaire qui retiendra l’intérêt des riverains, et le tout est couronné par un travail de synthèse qui suscite une réflexion d’ordre général sur la nature des littoraux, sur la portée de l’action humaine et, finalement, sur ce que pourrait être une politique de gestion équilibrée entre nature et société, non pas à l’échelle de la France, mais à celle de la planète. L’ouvrage s’avère donc plus ambitieux qu’il n’y paraît de prime abord, mais cette ambition n’exclut ni l’enthousiasme de l’auteur ni la pertinence du discours.