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Note but est d’identifier les principaux changements en matière d’évolution démographique du monde rural québécois au cours du XXe siècle. Une telle analyse peut s’avérer utile pour les diverses instances gouvernementales qui prennent des décisions en aménagement du territoire et pour lesquelles la question du dépeuplement est centrale. Deux grandes phases sont retenues. La première, qui s’étend de 1901 à 1951, se distingue par des diminutions ponctuelles et sporadiques de la population rurale et ce, en dépit d’une extension et d’une densification généralisée du semis de peuplement. La seconde, qui va de 1956 à 2001, est davantage marquée par des périodes de fluctuation de la population rurale et par un élargissement des aires de dépeuplement. L’examen de ces différents changements sera effectué en fonction de périodes décennales.

Pour les fins de l’analyse, nous considérerons comme rural tout territoire situé en dehors des régions urbaines, ces dernières étant définies par Statistique Canada comme une concentration géographique d’au moins 1000 habitants et une densité de population d’au moins 400 habitants par km2. Parce qu’elles ont été particulièrement affectées par le processus de restructuration démographique, qui s’est traduit, à maints endroits, par une décroissance des effectifs humains, les localités de petite taille, soit celles dont la population est inférieure à 500 habitants, feront par la suite l’objet d’un examen plus approfondi. À ce stade-ci, mentionnons que cette portion de l’espace rural a constitué le seul groupe dont la population a décrû (-1,0 %) entre 1991 et 1996. En outre, avec une diminution de 7,9 % de leurs effectifs, cette tendance s’est réaffirmée au cours de la période 1996-2001. Il s’agit de loin du segment dont la décroissance a été la plus forte au cours de cette période. Ce constat constitue une donnée fondamentale de l’analyse actuelle de ces petits milieux, à savoir l’extrême vulnérabilité de leur démographie.

Évolution démographique du Québec rural au XXe siècle

Période 1901-1951

Au cours de la première moitié du XXe siècle, la dynamique de la polulation du Québec s’est caractérisée par la croissance démographique des effectifs ruraux. Ainsi, de 1901 à 1951, ceux-ci sont passés de 992 667 à 1 358 363 d’individus, ce qui représente une augmentation de l’ordre de 36,8 % (figure 1). Au cours de cette période, il y a bien quelques localités qui ont connu une certaine diminution de leur population, mais il ne s’agit que d’une décroissance ponctuelle.

Figure 1

Populations rurale et urbaine au Québec entre 1901 et 2001

Populations rurale et urbaine au Québec entre 1901 et 2001
Source: Statistique Canada. Recensements de 1901 à 2001

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Le rythme de la croissance de la population rurale fluctue considérablement d’une période décennale à l’autre (figure 2). En effet, cette croissance oscille entre 0,6 % et 15,2 %. Mais, ces fluctuations sont le pâle reflet de nombreux changements en cours.

Parmi les principaux phénomènes ayant laissé leurs empreintes, signalons l’urbanisation rapide de la province alimentée en partie par l’exode rural. Dès 1921, la population du Québec devient majoritairement urbaine. Le taux de ruralité passe de 60,2 % en 1901 à 44 % en 1921 et ce malgré la création de nouvelles municipalités et la forte croissance de la population rurale. À cette époque, l’Église et l’État sont intimement liés. Cette collaboration est à l’origine d’importants mouvements de colonisation et d’ouverture de paroisses. Il en résulte une extension et une densification du tissu de peuplement, particulièrement dans les régions périphériques du Québec, mais aussi dans les Laurentides et en Chaudière-Appalaches [1]. Toutefois, malgré des taux de natalité élevés, la décroissance commence à se manifester à plusieurs endroits, si bien qu’à l’exception de l’Abitibi, toutes les régions du Québec sont touchées par un processus de déclin.

De 1931 à 1951, la population rurale continue d’augmenter progressivement. Cependant, cette augmentation est beaucoup moins rapide comparée à celle qu’on observe en milieu urbain (figures 1 et 2). De plus, le recensement de 1951 constitue une date charnière dans l’histoire démographique de la province puisque la population rurale du Québec atteint 1 358 363 individus, soit un sommet qu’elle ne dépassera qu’à deux occasions, en 1981 et en 1991.

Figure 2

Évolution en pourcentage des populations rurale et urbaine au Québec entre 1901 et 2001

Évolution en pourcentage des populations rurale et urbaine au Québec entre 1901 et 2001
Source: Statistique Canada. Recensements de 1901 à 2001

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Période 1956-2001

Fin de la prééminence de la population agricole dans l’espace rural québécois et début de la formation des banlieues

Durant la seconde moitié du XXe siècle, l’évolution de la démograhie des campagnes s’effectue de façon cyclique comme le montre la figure 1. De manière globale, la population rurale continue d’augmenter, mais en nombre absolu seulement. Il existe partout des enclaves en déclin, ce qui témoigne de l’existence de mouvements migratoires internes en faveur de zones rapprochées des villes. Dans ce dernier cas, ce sont la disponibilité des terrains, la présence d’artères importantes de communication, des prix abordables pour la construction résidentielle qui ont notamment favorisé la croissance des effectifs ruraux périurbains. Quant aux milieux en déclin, ils subissent un vieillissement progressif de leur population, connaissent un déséquilibre des sexes et l’exode d’une partie de leurs effectifs.

Au cours de cette seconde phase, les deux premières périodes décennales sont caractérisées par une diminution de la population rurale. Si les pertes ne représentent que 5556 individus entre 1951 et 1961, elles atteignent 119 982 personnes entre 1961 et 1971. Cette dernière décennie a particulièrement été marquée par de fortes mutations dans l’ensemble du monde rural et, notamment, dans les localités agroforestières.

Par ailleurs, l’un des changements les plus significatifs qu’a connus cette seconde période demeure la fin de la prééminence de la population pratiquant l’agricuture dans l’espace rural québécois. Jusqu’en 1956, le monde rural correspondait au monde agricole. Ainsi, en milieu rural, l’agriculture constituait la principale activité économique. Par la suite, la population vivant dans des fermes devient moins importante que celle exerçant d’autres types d’occupations. En effet, alors que la population agricole représentait encore 58,4 % des effectifs ruraux en 1951, en 1961 cette proportion chute à 43,3 %. Ce renversement, un événement historique sans précédent, transforme la physionomie de cet espace géographique marqué dorénavant par une plus grande diversification des activités socioprofessionnelles.

Extension des agglomérations urbaines et accroissement de la population rurale

Une autre importante évolution observée au cours de cette seconde phase concerne le revirement démographique qui se produit au Québec vers 1976. En effet, pour la première fois dans l’histoire québécoise, le recensement de 1976 révèle que les milieux ruraux, toutes catégories confondues, connaissent un taux d’accroissement de leur population plus élevé que celui des régions urbaines [2]. De 1971 à 1976, la population rurale passe de 1 232 825 à 1 301 685 personnes, ce qui représente une augmentation de 5,6 %. De son côté, la population urbaine ne progresse que de 2,9 %.

Les statistiques de la période quinquennale subséquente confirment non seulement cette nouvelle tendance, mais la consolident, voire l’accentuent. De fait, la population rurale s’établit à 1 444 564 individus en 1981, soit un accroissement de 11 % [3]. Ce nouveau sommet est notamment attribuable à l’extension des banlieues (péri-urbanisation) [4] et à l’arrivée de néo-ruraux ; deux phénomènes qui, par ailleurs, sont concomitants à la poursuite de l’exode rural.

Au cours de la décennie suivante, la polupation s’accroit de 6,9 %. Cet accroissement demeure toutefois modeste si on le compare à celui de la période précédente (17,2 %). D’autre part, la population rurale et la population urbaine évoluent sensiblement au même rythme (figure 2). En 1991, les effectifs ruraux atteignent un sommet inégalé. Ces derniers sont de 1 544 752 habitants, soit 22,4 % de la population. Cette augmentation s’explique en partie par l’importance des mouvements migratoires internes, la recherche d’une qualité de vie dans un cadre plus sain et l’essoufflement de la croissance industrielle.

Par ailleurs, ce renouveau démographique se répartit inégalement dans l’espace rural québécois. Les endroits situés à proximité d’un centre urbain profitent davantage des fruits de cette croissance. De façon générale, leur population augmente plus rapidement que celle des villes. À l’inverse, les localités qui s’en trouvent plus ou moins éloignées connaissent la stagnation voire le déclin de leurs effectifs. En fait, tout se passe comme si le renversement démographique accentuait les disparités entre un rural en déclin et un rural qui renaît tout en se transformant. La dernière période décennale est marquée par un important déclin des effectifs ruraux. Les pertes totalisent 124 442 individus, soit une baisse de 8,1 %. À l’inverse, la population urbaine augmente de 8,7 %. En 2001, les ruraux représentent moins du cinquième (19,6 %) de la population québécoise.

Au nombre de 324 en 2001, les petites localités rurales n’ont évidemment pas été exclues de ce vaste mouvement de restructuration démographique. Entre 1901 et 2001, l’accroissement de leur nombre est déjà indicatif d’un émiettement du tissu de peuplement. En effet, au cours de ce siècle, elles sont passées de 139 à 324. En outre, d’un recensement à l’autre, en même temps que ces petits milieux augmentaient en nombre, leur poids démographique total n’a pas cessé de diminuer. Une telle dynamique traduit les énormes difficultés auxquelles ce segment de l’espace rural est confronté.

Évolution démographique des petites localités rurales

Période 1901-1951

Jusqu’au milieu des années 1950, la trajectoire évolutive des petites municipalités est demeurée comparable à celle de l’ensemble du monde rural québécois (figure 3). En fait, pour cette catégorie de localités, les pourcentages ont même été supérieurs à ceux du Québec rural dans son ensemble (tableau 1). Cette augmentation prodigieuse s’est accompagnée d’une forte extension du tissu de peuplement marquée par l’ouverture de nouvelles paroisses.

Figure 3

Évolution de la population rurale en comparaison avec celle des petites localités entre 1901 et 2001

Évolution de la population rurale en comparaison avec celle des petites localités entre 1901 et 2001
Source: Statistique Canada. Recensements de 1901 à 2001

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Au cours de la première moitié du XXe siècle, les petites localités affichent un bilan démographique positif et ce, même si les municipalités en décroissance sont généralement plus nombreuses que celles qui connaissent un accroissement de leurs effectifs (tableau 2). Néamoins, le nombre des municipalités concernées par le dépeuplement augmente à chaque décennie.

Tableau 1

Bilan démographique des petites et très petites* localités rurales du Québec et pourcentage d’évolution pour les 10 dernières périodes décennales

Périodes décennales

Petites localités

Très petites localités

Totaux

Gains

Pertes

Bilan

% d'évol.

Gains

Pertes

Bilan

% d'évol.

Gains

Pertes

Bilan

% d'évol.

1901-1911

13 165

4 465

8 700

15,3

3 674

493

3 181

53,0

16 839

4 958

11 881

18,9

1911-1921

15 341

8 161

7 180

11,0

3 586

429

3 157

34,4

18 927

8 590

10 337

13,8

1921-1931

16 472

10 608

5 864

8,1

3 157

2 700

457

3,7

19 629

13 308

6 321

7,4

1931-1941

22 746

4 015

18 731

23,9

4 130

556

3 574

27,9

26 876

4 571

22 305

24,4

1941-1951

21 407

9 080

12 327

12,7

3 659

1 268

2 391

14,6

25 066

10 348

14 718

13,0

1951-1961

9 543

10 727

‑1 184

‑1,1

2 063

3 582

‑1 519

‑8,1

11 606

14 309

‑2 703

‑2,1

1961-1971

3 368

22 495

‑19 127

‑17,6

1 977

5 146

‑3 169

‑18,4

5 345

27 641

‑22 296

‑17,7

1971-1981

12 222

12 543

‑321

‑0,4

5 006

3 695

1 311

9,3

17 228

16 238

990

1,0

1981-1991

4 259

9 654

‑5 395

‑6,1

1 520

2 904

‑1 384

‑9,0

5 779

12 558

‑6 779

‑6,5

1991-2001

4 172

15 237

‑11 065

‑13,2

1 248

4 184

‑2 936

‑21,0

5 420

19 421

‑14 001

‑14,4

* Il s'agit des localités dont la population est inférieure à 250 habitants

Source: Statistique Canada. Recensements de 1901 à 2001

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Tableau 2

Nombre de petites localités québécoises en croissance, en décroissance ou en stabilité démographique pour les 10 dernières périodes décennales

Périodes décennales

Localités en croissance

Localités en décroissance

Localités en stabilité

Nombre

Pourcentage

Nombre

Pourcentage

Nombre

Pourcentage

1901-1911

45

52,9

39

45,9

1

1,2

1911-1921

55

51,4

52

48,6

0

0,0

1921-1931

61

45,2

73

54,1

1

0,7

1931-1941

12

7,1

66

39,1

1

0,6

1941-1951

81

42,4

110

57,6

0

0,0

1951-1961

79

36,2

139

63,8

0

0,0

1961-1971

28

12,0

204

87,6

1

0,4

1971-1981

63

25,7

182

74,3

0

0,0

1981-1991

94

31,5

203

68,1

1

0,3

1991-2001

109

33,6

205

63,3

10

3,1

Source: Statistique Canada. Recensements de 1901 à 2001

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Durant les quatre périodes décennales suivantes, le pourcentage des petites localités en décroissance passe successivement à 48,6 %, 54,1 %, 39,1 % et 57,6 %. Ces proportions importantes témoignent de l’instabilité d’une bonne partie du peuplement rural. Par ailleurs, étant donné la nature de l’économie du monde rural québécois, cette décroissance tient davantage de l’ajustement de la trame de peuplement plutôt que d’un véritable processus de déprise. Le déclin affecte particulièrement la région de l’Outaouais, mais aussi les Cantons de l’Est, l’est du Québec et la Côte-Nord. Dès la période 1921-1931, il s’étend jusqu’à des localités de l’Abitibi.

Même si elle s’inscrit dans un espace rural en restructuration qui poursuit sa dilatation et sa consolidation, la décroissance démographique ponctuelle des petites localités ne peut être considérée comme un fait marginal puisqu’elle concerne pratiquement la moitié de la population des milieux en cause. De plus, le total des pertes (41 775 personnes) est considérable. Malgré tout, entre 1901 et 1951, la population des petites localités s’enrichit de 65 563 nouveaux résidants, ce qui représente une augmentation de l’ordre de 104,4 %. De manière globale, cette période en est donc une de croissance des effectifs de la population. En effet, la population des petites et très petites localités n’a jamais cessé d’augmenter au cours de ces 50 années [5] (figure 4). C’est la dynamique inverse qui caractérise la seconde moitié du XXe siècle.

Figure 4

Évolution de la population dans les petites et les très petites localités rurales du Québec entre 1901 et 2001

Évolution de la population dans les petites et les très petites localités rurales du Québec entre 1901 et 2001
Source: Statistique Canada. Recensements de 1901 à 2001

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Période 1956-2001

À partir de 1956, le dépeuplement commence à se manifester d’une manière plus significative dans les petites localités rurales du Québec. Leur évolution démographique se démarque alors de celle de la population rurale en général. Entre 1941-1951 et 1961-1971, le nombre de municipalités en décroissance passe pratiquement du simple au double. Au cours de cette dernière période, 87,6 % des localités de petite taille sont en perte de vitesse. Certaines régions sont davantage affectées par ce processus. C’est notamment le cas du Bas-Saint-Laurent où toutes les petites municipalités sont aux prises avec un problème de dépopulation [6].

De ce point de vue, la décennie 1961-1971 tranche radicalement par rapport aux 60 années antérieures au cours desquelles on avait enregistré le deuxième plus fort pourcentage d’entités en décroissance [7]. Le dépeuplement, en milieu rural fragile, atteint un creux entre 1966 et 1971. En effet, alors que la population rurale du Québec connaît une légère diminution (-1,8 %), celle des petites municipalités régresse de 10,7 % au cours de la même période. Le phénomène se manifeste avec une plus grande acuité dans les localités de moins de 250 habitants (figure 4). En effet, alors que durant les sept premières décennies du XXe siècle l’évolution démographique des très petites localités ressemble à celle des petites localités, voilà que des différences apparaissent à partir de 1971. Pour la seule période 1961-1971, la débandade est de l’ordre de 15,3 % comparativement à 9,9 % pour celles de 250 à 500 habitants. Pour l’ensemble des municipalités de petite taille, les gains de population (5345 personnes entre 1961 et 1971) sont loin de compenser les pertes qui se chiffrent à 27 641 individus. Pratiquement toutes les régions du Québec sont touchées par cette décroissance dont l’intensité prend des proportions alarmantes dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. En effet, des 50 petites localités dont la dégringolade est supérieure à 30 %, 23 se trouvent dans l’est du Québec. Quant aux 30 entités qui connaissent une augmentation de leurs effectifs, elles correspondent essentiellement à des petits centres de villégiature, à des milieux insulaires ou à des villages de banlieue.

La majorité des petites localités rurales continuent à perdre de la population à compter de 1971. Le rythme de la décroissance est toutefois moins soutenu et plus variable, d’une part, selon les périodes décennales et, d’autre part, selon les endroits. Par exemple, entre 1971 et 1981, de manière globale, ce segment de l’espace rural augmente ses effectifs de 1 %. Bien que modeste, ce surplus démographique prend une signification encourageante puisqu’il se traduit par un changement de direction dans la courbe de l’évolution de la population des localités concernées. Ce changement marque, en effet, une pause après plus de 20 ans de décroissance continue. Par ailleurs, plus des trois quarts des petites localités continuent à subir une saignée démographique au cours de cette même période. L’hémorragie est particulièrement sévère dans les milieux où la mise en valeur des ressources constitue la base de l’économie. Néanmoins, l’évolution de la population des petites localités demeure pratiquement identique à celle de la décennie précédente. Les milieux en croissance continuent leur remontée alors que ceux qui déclinent se dépeuplent encore davantage. Quinze des 34 municipalités dont la décroissance est supérieure à 30 % sont situées, une fois de plus, dans l’est du Québec. Les très petites localités, pour leur part, se démarquent de celles de 250 à 500 habitants. En effet, alors que les secondes affichent une diminution de l’ordre de 0,4 %, les premières connaissent une augmentation de 9,3 %. Il s’agit toutefois d’une croissance plus ou moins artificielle étant donné que leur population n’augmente que de 1311 individus.

La légère reprise démographique observée entre 1971 et 1981 est de courte durée. La décennie suivante se démarque par une diminution de 6,5 % de la population qui réside au sein des petites collectivités. À l’inverse, la population rurale, prise dans son ensemble, affiche une augmentation de l’ordre de 6,9 %. Les très petites localités sont particulièrement affectées par le processus de dépeuplement. La différence entre les petites et les très petites localités se creuse davantage. La population de ces dernières régresse de 9 %. Cette régression affecte surtout les territoires non organisés, mais aussi certaines localités minières. Dans tous les cas, ce sont des milieux situés en marge de l’écoumène qui présentent les diminutions les plus considérables. Même si les localités en croissance sont plus nombreuses comparativement à la décennie précédente, le dépeuplement affecte plus des deux tiers des petites localités. En fait, les gains sont trop peu nombreux pour entraîner un bilan démographique positif. Par exemple, certaines municipalités affichent des augmentations supérieures à 100 %, mais dans les faits elles ne s’enrichissent que de quelques individus.

Au cours de la période 1991-2001, le dépeuplement devient tel qu’il menace la survie de plusieurs localités et, plus particulièrement, des très petites. Devenu plus vulnérable depuis la seconde moitié du XXe siècle, durant cette décennie ce sous-segment perd plus de 20 % de ses effectifs. Pour l’ensemble des petites municipalités, la diminution atteint 14,4 % et la majorité de celles-ci sont en décroissance. Onze localités connaissent même des pertes supérieures à 30 %. Néanmoins, une centaine de petits milieux enregistrent des gains totalisant 5420 personnes. Les villages nordiques, les milieux récréotouristiques, les réserves autochtones et les territoires non organisés sont les principales entités à avoir connu les accroissements de la population les plus substantiels.

Conclusion

De façon générale, durant la première moitié du XXe siècle, le chiffre de la population des petites localités a suivi la même trajectoire que celui du monde rural québécois dans son ensemble. Toutefois, bien que cette évolution se soit effectuée de manière différenciée selon les endroits, ce segment de l’espace rural demeure plus que tout autre sujet au dépeuplement, une tendance qui se manifeste avec une plus grande acuité depuis 1956.

Bien qu’incertain, l’avenir démographique des petites localités rurales du Québec est difficile à prévoir. La structure de peuplement, les ressources naturelles et l’économie constituent sans doute des éléments qui influencent considérablement l’évolution démographique des localités. Certes, des variables telles la démographie, les revenus, l’habitat et les occupations se mesurent facilement, mais il paraît hasardeux d’utiliser ces seules bases pour prévoir ce qu’il adviendra de tel ou tel milieu dans 10, 15, 20 ou même 30 ans. La diversité des contextes, le changement constant et le jeu complexe des interrelations contribuent à rendre douteuses toutes formes de prévision. Chaque communauté réagit selon un cheminement qui lui est propre, en fonction des grandes orientations en cours. Les petites localités peuvent être affectées par des changements environnementaux, des conditions économiques ou politiques changeantes, ce qui rend difficile, voire impossible, toute prévision à long terme. Les données obtenues des projections démographiques laissent même sceptique un géographe comme Pierre George. « Si l’on ne craignait d’abuser des paradoxes, écrivait-il, on serait tenté d’écrire que la démographie a pour but de prévoir ce qui n’arrivera pas » (cité par Beaudry, 1997 : A-9).

Les migrations sont bien sûr tributaires de facteurs structurels tels que le chômage élevé que l’on retrouve en milieu rural, l’insuffisance de services, la poursuite des études, etc. Cependant, ces migrations décendent d’une conjoncture économique que même les modèles économétriques les plus sophistiqués semblent incapables de prédire.

Quoiqu’à certains endroits la diminution de population soit devenue très inquiétante, elle ne provoquera pas nécessairement la fermeture de localités. De plus, la marginalisation de nombreuses petites communautés ne signifie pas leur déstructuration. À plusieurs endroits, un processus de reconquête est à l’oeuvre. En outre, la mobilité, associée à une plus grande accessibilité aux différents moyens de communication, peut même contribuer à ralentir la décroissance de petites entités. Enfin, l’attachement au territoire fait que les petites localités continueront certainement d’exister. En effet, tout porte à croire que les grandes tendances observables se maintiendront à plus ou moins long terme. Toute chose égale par ailleurs, les petites localités rurales sont donc appelées à durer en dépit de leur fragilité.