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Le professeur Pierre George, membre de l’Institut de France, à l’Académie des sciences morales et politiques, s’est éteint le 11 septembre 2006 dans sa maison de Châtenay-Malabry au terme d’une carrière d’une fécondité et d’un lustre exceptionnels. Par l’originalité et l’ampleur de son oeuvre, par la puissance du magistère et l’étendue du rayonnement, Pierre George s’inscrit dans la courte liste des grands géographes mondiaux du XXe siècle.

Sur les bancs de la Sorbonne, le jeune étudiant est déjà une formidable machine intellectuelle ; il est major de l’agrégation en 1930, il n’a pas vingt et un ans. Il brûle les étapes et boucle ses thèses d’État à l’âge de 25 ans. La thèse, selon le modèle suggéré par Vidal, est l’analyse d’une entité régionale. Pierre George choisit les plaines du Bas-Rhône, et sous l’oeil du maître, réalise le chef-d’oeuvre d’atelier en démontrant la maîtrise de son art. L’originalité n’est pas requise : c’est au-delà que le jeune docteur affirmera sa personnalité. Professeur de lycée, Pierre George s’engage intensément dans les débats politiques d’une époque bouillonnante. Membre du comité des penseurs antifascistes, il adhère au Parti communiste, participe aux campagnes électorales, ce qui lui vaut des ennuis avec ses supérieurs. Cela ne l’empêche pas de poursuivre son oeuvre scientifique avec intensité. Attiré par les sciences de la nature, c’est la géomorphologie qui le fascine et il produit de remarquables études sur le Bas-Languedoc. Tout comme il apprend le russe pour le service de la Bibliographie géographique internationale, il prend une licence de science pour mieux asseoir ses recherches.

La Seconde Guerre mondiale va changer le cours de sa carrière : ampleur des destructions, immenses besoins de reconstruction, bouleversements politiques en Europe centrale, etc. C’est l’appel des sciences de l’homme. Nommé à la Sorbonne en 1948, Pierre George offre un enseignement qui renouvelle la discipline en mettant l’accent sur les grands systèmes économiques et sociaux. Dans cette perspective, il anime des courants de recherche sur les grands problèmes du moment. Les publications se succèdent à un rythme accéléré sur l’énergie, les problèmes de population, l’aménagement du territoire. Exode rural et concentration urbaine sont à l’origine de deux grands classiques : La ville (1952) et La campagne (1956). C’est l’âge d’or de l’édition géographique : Pierre George multiplie les Que sais-je ? et dirige plusieurs collections aux Presses universitaires de France : France de demain, Magellan, etc. Parallèlement, l’évolution de la situation politique en Europe de l’Est amène Pierre George à prendre conscience qu’il a un temps abandonné sa liberté de jugement. Il s’éloigne du Parti communiste, sans rupture brutale : ce n’est pas son style. L’activité effervescente se poursuit dans les années 1960, il dirige un réseau de chercheurs sans cesse plus étendu, multiplie les voyages à l’étranger et poursuit son intense travail d’écriture.

Les événements de mai 1968 le surprennent et le choquent. Non pas qu’il ne mesure pas l’ampleur des changements sociodémographiques apportés par les Trente Glorieuses, et la nécessaire évolution d’une université qui craque sous le poids du nombre et la poussée des nouveaux besoins, mais toute sa fidélité à une institution qui a été sa vie se rebelle à ce qu’on la casse, qu’on en fasse le bouc émissaire. Il refuse de participer au mouvement, et là encore sans rupture, il choisit de prendre du champ. Il voyage et enseigne beaucoup à l’étranger. Ses réflexions le portent désormais vers des thèmes plus larges tels que de l’évolution du monde contemporain, le rôle des techniques, la trajectoire de l’aventure humaine, réflexions qui ne sont pas exemptes de scepticisme, voire de pessimisme. Il a été élu en 1980 à l’Académie des Sciences morales et politiques et continue à publier régulièrement, mais les progrès de la cécité le confinent peu à peu à sa maison. Son dernier livre – il a alors 86 ans – est une émouvante description du temps des collines, une géographie d’un passé aboli et des lieux qu’il a aimés, de la Flèche à Avignon.

Pierre George a enseigné à de nombreuses reprises au Québec après ses premières visites à l’époque du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), notamment à Montréal. Ottawa et Toronto ont aussi reçu sa visite. Il a dirigé plusieurs thèses et consacré un Que sais je ? au Québec. En France, il a fondé et présidé l’Association française des études canadiennes. La Société Royale du Canada l’a accueilli à titre de membre étranger. L’Université de Montréal lui a décerné un doctorat honoris causa en 1988. Ces liens étroits et spécifiques ont fait germer l’idée d’un colloque hommage qui s’est tenu à Trois-Rivières en mai 2007 dans le cadre de l’ACFAS [1]. Ce colloque a bénéficié du généreux soutien du Consulat général de France à Québec et du Département de géographie de l’Université de Montréal ainsi que du patronage de l’Association professionnelle des géographes du Québec. Les Cahiers de géographie du Québec ont accepté d’ouvrir leurs colonnes à la publication des actes – étoffés – du colloque [2]. On ne saurait ici exprimer trop de gratitude au rédacteur précédent, Guy Mercier, dont l’inspiration, l’aide, la collaboration ont été constantes lors de la préparation de ce dossier thématique.

Les textes émanent de trois types d’acteurs : des disciples historiques qui ont partagé l’engagement communiste de Pierre George ; des élèves plus jeunes qui ont fait leur thèse alors que le maître s’était éloigné du Parti communiste ; des géographes québécois qui n’ont pas connu son enseignement, mais qui ont admiré son oeuvre. Le recueil s’ouvre sur une évocation de la trajectoire et de la géographie de Pierre George que brosse Louis-Edmond Hamelin avec toute l’autorité et l’empathie que permettent une amitié et une collaboration de plus de cinquante ans. Les disciples historiques (Michel Rochefort, Raymond Guglielmo) témoignent du renouvellement profond de la discipline apporté par Pierre George avec la prise en compte des structures sociales, du rôle essentiel de l’industrie, etc. En contrepoint, Guy Mercier, met en lumière l’importance de la filiation vidalienne. Tant dans le champ des études urbaines (Jacques Brun, Jean-Claude Boyer) que rurales (Jean Renard), le renouvellement des problématiques sous l’impulsion de Pierre George est manifeste. Avec la démographie, avec la sociologie, Pierre George a lancé des passerelles qu’explorent Claude Marois et Laurent Deshaies. On a évoqué les travaux canadiens de Pierre George : Jean-Claude Lasserre les analyse et Jean-Pierre Augustin souligne ses liens avec l’Association française d’études canadiennes (AFEC). Le gros et délicat dossier des pays de l’Est a fait couler beaucoup d’encre : Marie-Claude Maurel le reprend avec beaucoup de talent et de sensibilité.

Quelques thèmes dans l’oeuvre de Pierre George ont suscité beaucoup de controverses ; Claude Manzagol propose l’examen de deux d’entre eux afin de démêler la part de tradition et de modernité dans la pensée du maître. La proposition d’un inédit de Pierre George a troublé les éditeurs et la rédaction des Cahiers : devait-on écarter un texte qu’une autre revue n’avait pas trouvé suffisamment abouti en l’état ? Ou devait-on considérer la valeur historique d’un inédit, dernier écrit de Pierre George ? La famille a autorisé la publication et Olivier Lazzarotti le remet en contexte. Les différents textes traduisent tous la sympathie et le respect pour Pierre George ; aucun ne donne dans l’hagiographie ; le regard distancié comme le recul du temps donne à ce recueil une louable sérénité. La multiplicité des thèmes abordés et les diverses perspectives transversales ne permettent pas d’éviter les chevauchements : on a choisi de ne pas les éliminer pour conserver la dynamique du colloque.

Les cendres du Professeur George ont été dispersées sur les plaines du Bas- Rhône, parmi ses chères collines. Les auteurs et les Cahiers de Géographie du Québec tenaient à donner à un homme exceptionnel un ultime coup de chapeau [3].

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Pierre George en compagnie de Gabriel Wackermann (à sa gauche) et de Claude Chaline (à sa droite)

Pierre George en compagnie de Gabriel Wackermann (à sa gauche) et de Claude Chaline (à sa droite)
Source: Photographie prise par Pierre Ladam, lors de la soutenance de thèse d’Olivier Lazzarotti, Université de Créteil-Paris 13 (31 mars 1993) et transmise à titre gracieux par Olivier Lazzarotti.

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