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L’ouvrage d’Alain Parent s’inscrit dans le champ de la géographie historique, spécialité relativement peu connue et peu fréquentée par les chercheurs. Géographe de formation, l’auteur a opté pour une approche qui conjugue l’histoire politique (celle de l’empire britannique et de la conquête de la Nouvelle-France), l’histoire de l’art (celle des séries de gravures et aquatintes) et la géographie (celle de l’Amérique septentrionale et des nouveaux territoires coloniaux). Ce croisement disciplinaire sert de base à une étude de la production et de la diffusion des représentations picturales de Québec produites dans la période suivant la conquête de la ville par les Britanniques en 1760. À partir de cette date, la Grande-Bretagne intègre progressivement l’ancienne Nouvelle-France à l’empire et entreprend la phase d’assimilation par un transfert graduel de ses valeurs nationales, le tout dans un univers politique intérieur également soumis à des remises en question et à des transformations. Ce contexte politique propre à la nouvelle mère patrie est d’ailleurs expliqué avec beaucoup de netteté dans l’ouvrage, ce qui fournit au lecteur une assise solide pour suivre l’argumentation de l’auteur.

Le corpus analysé comprend presque exclusivement des gravures de la ville de Québec, soit des vues panoramiques de la ville, des quartiers de la haute ville, des bâtiments prestigieux, des paysages naturels qui mettent en valeur les principaux attraits du site (vues spectaculaires, dimensions impressionnantes du fleuve Saint-Laurent, chutes), auxquelles s’ajoutent des compositions du monde pastoral, de la nature ou du milieu bâti. Font exception à cette règle, quelques représentations des environs de Gaspé. Pour expliquer comment ces gravures rendent compte de changements sociaux et géographiques, l’auteur les divise en deux périodes distinctes : la première, qui va de 1760 à 1768, correspond à la phase de « commémoration de la victoire et [d’] exaltation du projet d’empire » ; la seconde, qui de 1780 à 1833, témoigne plutôt, pour sa part, des « vicissitudes et nouvelles impulsions » qui marquent alors la colonie. Les auteurs de ces représentations paysagères sont tous des artistes de l’armée britannique qui ont séjourné durant quelques années dans la nouvelle colonie. Au total, Parent analyse huit séries de gravures en accordant une plus grande attention aux estampes réalisées à partir des dessins de Hervey Smyth (1760-1761), Richard Short (1761) et James Pattison Cockburn (1831-1833).

Le premier chapitre est consacré à la mise en place du cadre conceptuel. L’auteur y expose les notions qui structurent son approche. Les plus importantes sont la représentation (notion fondamentale) et l’intentionnalité (notion clef). Relativement à la première, Parent écarte d’emblée l’interprétation de la représentation descriptive et annonce une approche basée sur la représentation intentionnelle, tout en reconnaissant faire appel « à certains éléments du point de vue constructiviste » (p. 15). Plus précisément, l’interprétation des pièces sélectionnées pour démontrer la notion d’intention, repose principalement sur la théorie élaborée par Baxandall à propos des conditions d’apparition d’une oeuvre picturale au moment de la production et de la diffusion. Le contexte d’interprétation s’organise en fonction de quatre champs majeurs qui seront évoqués à des degrés variables selon les objets examinés : les valeurs politiques, sociales et culturelles de la Grande Bretagne entre 1700 et 1833 ; les représentations et leur réception par les Britanniques, citoyens de l’empire : les militaires artistes britanniques ; enfin, dans une moindre mesure, la place de la vue urbaine dans la représentation paysagère occidentale.

L’analyse proprement dite des oeuvres sélectionnées occupe les chapitres suivants. Utilisant une démarche récurrente pour traiter des ensembles iconographiques retenus, l’auteur présente d’abord les acteurs, puis décrit sommairement les vues ; mais l’essentiel du propos se trouve dans la discussion qui s’ensuit de l’interprétation du contexte d’apparition et de diffusion en Grande-Bretagne. Même si les descriptions iconographiques constituent avant tout des entrées en matière et contribuent très sommairement à l’édification de l’interprétation, on aurait néanmoins souhaité que l’auteur choisisse un format plus grand dans la reproduction des gravures. Le format de présentation ne permet pas actuellement une lecture claire de leur contenu. Pour ce qui est des acteurs de première ligne que sont les militaires artistes, des questions demeurent quant à leur formation académique et quant à la nature précise de ce corps au sein de l’armée anglaise.

Selon les propos même de l’auteur, cette étude de la représentation des vues de Québec se veut pionnière (p. 7) afin d’ouvrir des perspectives de recherche. L’approche utilisée pourrait éventuellement être reprise par d’autres chercheurs puisqu’il existe un nombre important d’images du Canada, constituant un domaine foisonnant et encore peu exploité. « Approche éclectique » (p. 32), toujours selon l’auteur, et parfois déroutante ; en effet, l’auteur emprunte à un certain nombre de théoriciens pour baliser et structurer son propre parcours tout en voulant créer des ponts entre les disciplines mises à contribution. La profusion sème cependant, par moment, la confusion. Au terme de cette lecture, on se demande aussi quelle part réelle est attribuable à la géographie dans cette approche, quels outils de cette discipline ont été mis à contribution. En fait, la géographie sert ici seulement à introduire les notions d’impérialisme et de colonialisme, notions qu’elle applique certes à une réalité territoriale, mais cela, l’histoire politique sait également le faire.