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Cet atlas géopolitique des mers, très complet, présente des renseignements sur des situations en date de l’automne 2007. Unique en son genre et surtout en français, cet important ouvrage de référence est aussi un traité et un manuel pour tout universitaire, spécialiste et professionnel réfléchissant aux problèmes maritimes du XXIe siècle.

On y aborde et illustre toutes les questions géopolitiques et juridiques relatives à la pratique des États quant à la définition et à la délimitation des espaces maritimes : mer territoriale, zones sous juridiction (zone économique exclusive, zone de pêche, zone de protection écologique, plateau continental et son extension au-delà de 200 milles marins), ainsi que les conférences et institutions telles que la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Les délimitations expliquées et représentées proviennent surtout des accords conclus entre États et communiqués à la division du droit de la mer de l’ONU, ou des décisions de la Cour internationale de justice (CIJ). Pour d’autres zones sans délimitations précises ou revendiquées, l’information résulte d’hypothèses sur la méthode formelle préconisée ou d’analyses minutieuses de cas précis. Le texte présente de façon directe et factuelle la genèse du droit de la mer, la position des États côtiers ainsi que les méthodes de délimitation usitées. La revue exhaustive de tous les océans et mers posant problème insiste sur les zones de conflit, les revendications et accords, les détroits, les eaux archipélagiques et sur les cas compliqués (la Manche, par exemple). Les enjeux économiques (gestion des pêcheries, fréquence et densité de circulation des hydrocarbures, exploitation des nodules) et les aspects environnementaux y sont aussi sérieusement considérés. Les deux maîtres d’oeuvre travaillent au ministère des Affaires étrangères de France. L’auteur des textes est Didier Ortolland, conseiller ayant servi à la direction des Affaires juridiques (droit de la mer et des pêches). Il a commis quinze chapitres sur vingt, alors que sept autres collaborateurs n’ont contribué ensemble qu’à cinq chapitres thématiques (Antarctique, ressources minérales des fonds marins, hydrothermalisme, pêche et protection du milieu marin). Jean-Pierre Pirat, longtemps à l’Institut géographique national (IGN), est responsable des 80 cartes originales et l’auteur des planches illustrées en annexe vulgarisant les aspects techniques de la représentation cartographique des limites maritimes et de la géodésie. L’histoire du méridien de Greenwich (1884) rappelle les difficultés à appliquer des conventions internationales, même scientifiques.

Les cartes sont nettes, détaillées, très précises, généreuses en renseignements faciles à distinguer pour une excellente compréhension de situations très complexes. Elles sont toutes en couleurs et orthogonales selon la projection de Mercator privilégiée par les marins, sauf trois en projection polaire. L’échelle graphique est très variée, et à l’exception de quelques cartes locales à grande échelle où elle est constante, l’échelle métrique de chacune est indiquée pour une latitude choisie. De facture impeccable, les cartes relèvent de cinq types, incluant le planisphère d’index des cartes en pages intérieures de couverture. On dénombre 37 cartes régionales présentant la bathymétrie, les problèmes de délimitation et les positions expliquées des revendications et contentieux. Il y a également six planisphères thématiques décrivant les 18 commissions régionales, les accords et zones vulnérables dans la protection du milieu marin. Enfin, 22 petites cartes techniques sont adaptées de documents de la CIJ ou du manuel sur la délimitation des frontières maritimes de l’ONU. Dans le corps du texte, on trouve 22 encarts d’explication et quelques rares petits tableaux statistiques. Les sujets portent sur les eaux et baies historiques, la position des États-Unis envers la CNUDM, les hydrocarbures ou l’impact environnemental des pêches.

Bien sûr, en grattant, on trouverait à redire. Au lieu du terme « mille marin » en français, l’auteur écrit le conventionnel « mille nautique » calqué sur l’anglais et noté mn. Plus grave, on lit Mer des Caraïbes partout dans les textes alors que toutes les cartes sont conformes en utilisant le nom officiel : Mer des Antilles. À l’inverse, l’Océan Austral (Southern Ocean), s’il apparaît sur certaines cartes, n’est heureusement pas mentionné dans le texte. Le nom du Bosphore n’apparaît pas sur trois cartes où on le distingue. Étrange et regrettable omission cartographique d’un point de vue canadien, on aurait aimé voir la situation, discutée dans le texte, des côtes de la Colombie-Britannique quant aux problèmes actuels de délimitation maritime avec l’Alaska au nord (détroit de Dixon) et l’État de Washington au sud (détroit Juan de Fuca). Pourquoi, sur la carte de l’Atlantique Nord-Ouest, avoir tronqué à l’Est la zone économique exclusive (ZEE) du Canada, écartant de ce fait le « nez » du Grand Banc de Terre-Neuve et le mont sous-marin du Flemish Cap qui sont objets d’enjeux de juridiction maritime ? Pour leur part, les enjeux nordiques du Canada ne se retrouvent pas seulement expliqués correctement quoique brièvement dans le chapitre sur l’Arctique (mers de Beaufort et de Lincoln) ; ils sont aussi dispersés dans deux chapitres thématiques : la délimitation des espaces maritimes selon la théorie des secteurs le long des méridiens jusqu’au pôle, et un encart sur le Passage du Nord-Ouest au chapitre des détroits interocéaniques.

La courte bibliographie est divisée en neuf sections correspondant aux chapitres thématiques, mais avec peu de références dans le texte, allant d’un seul livre sur les espaces maritimes aux abondantes sources précises sur l’hydrothermalisme sous-marin. Preuve que cet atlas devenait nécessaire, ce ne sont quasiment que des articles, chapitres ou rapports publiés entre 1984 et 2007 ou encore des liens Internet. Deux sources dominent, soit le réputé International Boundary Research Unit (IBRU) à l’Université de Durham (UK) et quelques publications chez Pédone.

Il s’agit d’un excellent atlas thématique donc, démontrant que la carte, seule, peut montrer utilement et véritablement faire comprendre la représentation géopolitique d’espaces.