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Milton Santos est reconnu en Amérique latine comme un intellectuel d´une stature majeure, même si la plupart de son oeuvre reste encore méconnue par de nombreux géographes latino-américains, surtout parmi ceux qui se sont formés dans le monde anglo-saxon. De ce fait, le livre de Jacques Lévy représente une contribution importante, non seulement pour faire connaître « l’homme et ses idées », mais aussi parce que le livre apporte un recueil de choix de textes pas toujours facilement accessibles.

Le livre est organisé en trois parties. Les trois essais du premier volet sont dédiés à la pensée de Milton Santos et à l’évolution de ses idées, replacées dans le contexte de sa biographie personnelle et intellectuelle. Dans cette première partie, Jacques Lévy souligne l’engagement de Milton Santos, toujours soucieux des problèmes du tiers monde et de la production d’idées et de théories géographiques ancrées dans les contextes, essentiellement urbains, de l’Amérique latine et de l’Afrique. À la contribution de Lévy, s’ajoutent un texte autobiographique de Milton Santos et une analyse lexicale de son oeuvre, signée par Alice Ferreira.

Le deuxième volet, le plus large des trois, rassemble 11 textes présentés dans une séquence chronologique débutant après 1959 pour finir en 2000. Milton Santos fait preuve, dans ces extraits, d’une pensée en évolution constante, capable de remettre en cause les idées dominantes de la géographie de son temps et de proposer lui-même des théories et des problèmes de recherche nouveaux, pour l’étude d’une réalité en rapide mutation. Le lecteur parcourt ainsi, dans ces chapitres, la métamorphose progressive de la pensée de Santos, des notions fondamentales de la géographie régionale (1959) à l’étude de la mondialisation (déjà en 1975), pour finir avec les transformations technico-scientifico-informationnelles et sa critique de la postmodernité (2000). Mais ces textes ne se bornent point à nous montrer le seul changement ; on peut y reconnaître aussi des permanences, des idées comme la formation sociospatiale, la technique, la totalité, l’action, l’espace banal, les relations centre – périphérie, l’historicité, déjà présentes dans ses premiers travaux scientifiques et sur lesquelles il revient fréquemment.

Le troisième volet présente trois essais qu’on pourrait qualifier de plus personnels, écrits comme un juste hommage à Milton Santos lors de sa retraite. Le premier, de la plume de Maria Adelia A. de Souza, trace un portrait de la vie de Santos, son attachement à Bahia et son parcours intellectuel à travers lequel il devint un « géographe philosophe ». Les deux autres essais, écrits par Mauricio Abreu et Jacques Lévy, exaltent sa contribution à la géographie brésilienne qui trouve, avec lui et le travail des géographes de l’époque, une maturité lui permettant d’étendre son influence à l’ensemble de l’Amérique latine. Le livre finit par une très utile annexe bibliographique, dans laquelle se trouvent toutes les publications de Milton Santos durant sa carrière.

L’ouvrage apporte une contribution importante à la construction d’une « géographie latino-américaine ». Je voudrais cependant souligner la nécessité de ne pas oublier deux vices des géographes que Santos dénonçait avec passion : l’attachement excessif aux idées reçues et la tentation de la « glorification du maître » ; ainsi, la dévotion avec laquelle sont exposées fréquemment les idées de Milton Santos ne serait peut-être pas toujours de nature à lui plaire...