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Sans qu’on le veuille, est-il possible que la présence d’une ferme porcine soit source de violence, voire qu’elle soit, en raison des risques à la santé qu’elle représente, une forme de violence ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord établir le lien, s’il existe, qui unirait violence, santé et risque. Il importe ensuite d’expliquer en quoi les différents risques sanitaires associés à l’élevage porcin ont ou peuvent avoir un caractère violent.

Dans ce texte, à partir d’une situation précise, celle de l’implantation de fermes porcines en milieu rural, nous proposons donc de constater comment des écrits décrivant des risques sanitaires, réels ou perçus, et leurs effets, révèlent aussi qu’une violence non intentionnelle peut voir le jour par et sur le territoire. L’angle du risque sanitaire permettra de dégager des effets associables au thème de la violence. Le texte abordera une classe de risques particulière, associée à la qualité de vie. La plupart des études choisissent de traiter d’une ou de plusieurs de ces dimensions et de les décrire (Fayers et Machin, 2000). Toutefois, notre article s’attardera aux aspects de bien-être en général et de bien-être social, ceux pour lesquels il est plus évident de tracer un lien direct avec des effets de violence.

La violence non intentionnelle

La violence se décline sous plusieurs formes qui se distinguent par leurs effets sur les êtres et les sociétés humaines. Selon l’anthropologue Martin Hébert (2006), la violence se conçoit autant comme la cause et la conséquence d’un geste que comme un état produit par une condition quelconque, conjoncturelle ou structurelle, économique, politique, culturelle ou symbolique. Quelle qu’en soit la cause, ses effets se traduisent d’une part par une dégradation des conditions de vie ou de la capacité de résistance et, à un degré plus ou moins fort, par des conflits. Par ailleurs, ces manifestations se conjuguent à une transformation de l’individu, soit « une remise en question de l’identité personnelle et sociale, de l’intégrité du corps et de la pensée, du lien d’appartenance entre les sujets et leur environnement historique et géographique » (Balibar, 2004 : 2).

Comprise à la lumière des effets plutôt que de l’origine, la violence n’est pas nécessairement volontaire et le facteur d’intentionnalité apparaît plutôt comme une modulation possible [1]. Il en va de même de l’ampleur et des lieux où se manifeste la violence. Le colloque Géographies de la violence illustre éloquemment cette idée en appelant, entre autres, à comprendre en quoi « la violence, loin des faits sanglants ou brutaux, est […] reliée à nos actes courants, aux tensions du quotidien auxquelles personne, ou presque, ne prête attention et qui peuvent relever de cette banalité du mal dont Arendt a montré les terribles conséquences » (Mercier et al., 2007).

Violence, santé, et risque

Ainsi comprise, la violence peut se concevoir comme toute forme d’atteinte à la santé qui, selon l’OMS, se définit comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (OMS, 1946 : 1) [2]. En effet, il résulte de tout acte violent ou de toute situation violente que les « réalisations somatiques et mentales réelles [des êtres humains] se trouvent en deçà de leurs réalisations potentielles » (Galtung dans Hébert, 2006 : 16).

Dans une perspective de santé publique, toute possibilité que la santé soit compromise est appelée « risque ». Le risque se définit usuellement de façon probabiliste, comme la probabilité de survenue d’un problème (de santé), d’un effet néfaste ou d’un dommage à la suite d’une exposition à un danger établi (risque avéré) ou hypothétique (risque potentiel). Par glissement sémantique, le risque peut également être considéré comme étant le danger lui-même s’il est connu scientifiquement (donc prévisible), la probabilité de l’aléa ou la mesure objective de cet aléa même (OMS, 2002). Le niveau de connaissance de l’aléa va qualifier le risque (avéré ou potentiel).

D’autres conceptions du risque peuvent cependant émerger, et elles-mêmes avoir une influence sur les individus et les populations. En effet, même si le risque est un concept omniprésent dans nos sociétés [3], le terme ne puise pas toujours à une même épistémologie, tant dans sa définition que dans les méthodes pour l’étudier. La définition probabiliste du risque qui est mise de l’avant par la santé publique n’est pas la seule possible, d’où un certain flottement dans son utilisation. Le risque comporte toujours l’idée d’effet néfaste, mais dont le potentiel n’est pas toujours pleinement actualisé. Tiré du latin (resecare, couper), le mot « risque » a d’abord désigné des écueils marins, dangers maritimes réels. Peu à peu, le concept est devenu intrinsèquement lié aux projections probabilistes de plusieurs domaines, comme les assurances, les mathématiques et les jeux de hasard. Il désigne alors « un danger éventuel et prévisible », ce qui suppose une connaissance de sa nature (Kourilsky, 2002 : 41 ; November, 2002). Au XIXe siècle, le développement de l’épidémiologie a marqué l’entrée du risque dans les questions sanitaires. Le calcul du risque fut à la base de cette approche populationnelle de la santé, car il facilitait le détachement de considérations individuelles liées à la maladie afin de s’attarder aux liens de causalité possibles entre celle-ci et le milieu de vie. Les approches épidémiologiques ciblent ainsi des facteurs pouvant affecter un grand nombre de personnes d’une même population. Le développement du domaine en vint d’ailleurs à comprendre le risque comme tout facteur contribuant à la probabilité de danger (Raude, 2008). Ainsi compris, le risque s’inscrit dans l’approche classique de la modernité, au sens que lui confère par exemple Latour (2004). Celui-ci pose une division très nette entre les êtres humains et leur milieu de vie et il entretient l’idée que l’humain contrôle ce qui lui est extérieur, en autant qu’il en ait une connaissance correcte et suffisante.

Pour plusieurs auteurs contemporains, il n’est toutefois pas possible de concevoir ainsi le risque. Celui-ci ne serait pas une réalité positive, mais plutôt une construction sociale permettant d’appréhender le danger sous un angle précis, technoscientifique, et ce, afin de, le circonscrire et le contrôler (Brunet, 2007 : 15 ; Leiss, 2001 : 103). Dans cette optique, au contraire de la conception positiviste, une nette distinction n’est plus établie entre la perception du risque et le risque lui-même (Joffe, 1999) [4]. C’est le cas, par exemple, des travaux inspirés par la théorie de l’amplification sociale du risque ou des approches psychologiques de la perception du risque (Raude, 2007 : 23-24). Pour les critiques de l’approche positiviste, si le risque est instrumentalisé par les scientifiques, il est également construit par les autres parties intéressées, promoteurs, élus, citoyens : « La perception du risque n’est nullement une appréciation objective des dangers, sinon dans l’abstraction des statistiques, mais plutôt la conséquence d’une projection de sens et de valeur sur certains événements, certaines pratiques, certains objets voués à l’expertise diffuse de la communauté ou des spécialistes » (Heimer, 1988, cité dans Le Breton, 2002 : 30). Bien que subjectives, ces constructions sociales n’en sont pas moins réelles puisqu’elles entraînent des conséquences concrètes, autant pour les individus que pour les communautés (Waters cité dans Jones, 2000). Entre autres, il en résulte une certaine violence sur les acteurs qui ont créé la perception et qui en sont aussi, dans une certaine mesure, les victimes. Autrement dit, la perception devient elle-même un risque qui, en portant atteinte à la santé, apparaît comme une forme de violence.

L’élevage porcin, au centre de la controverse

L’idée d’associer l’élevage porcin à la violence n’est pas anodine. De toutes les productions agricoles, c’est celle qui semble soulever le plus de controverse. Au Québec comme ailleurs, l’élevage porcin est présenté sur plusieurs tribunes comme un élément perturbateur des communautés rurales. La légitimité de la production porcine est souvent contestée car sont craints ses effets néfastes sur la santé. Il reste qu’il n’y a pas de consensus sur les risques sanitaires de l’élevage porcin. Qu’en est-il exactement ? Difficile à dire, car ce sujet demeure encore trop peu documenté, ce qui, en soi, entraîne déjà des controverses. Comme le soulignait le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) en 2003, « il importe de reconnaître la marge considérable d’incertitude en ce qui concerne les effets [des porcheries] sur la santé, soit parce que les implications directes sur la santé sont insuffisamment connues, soit parce que le caractère diffus de la pollution rend difficile la détermination de la responsabilité propre à chacun des acteurs » (BAPE, 2003 : 115). Or, cette incertitude ouvre la porte à des perceptions du risque qui, à elles seules, peuvent porter atteinte à la santé des populations avoisinantes. Pour qu’une ferme porcine puisse s’implanter sans risques, il ne suffit donc pas d’écarter les dangers connus, mais aussi de contrer des craintes diffuses et persistantes. Ce n’est pas parce qu’un danger disparaît que la peur se dissipe. Le savoir scientifique demeure toujours limité quant à l’évaluation des risques liés aux fermes porcines [5] (BAPE, 2003 : 115).

Description de la ferme porcine

Dans les pays industrialisés, la ferme porcine est un mode de production animale qui s’est intensifié et spécialisé au cours des 50 dernières années. Auparavant, les fermes étaient davantage familiales, et les porcs faisaient partie d’une production diversifiée dont l’objectif premier était l’autosuffisance d’un groupe de parenté. Depuis les années 1970, la production porcine s’est considérablement modifiée. Au cours de cette période, des producteurs agricoles se sont spécialisés dans l’élevage porcin, si bien qu’on a vu naître des fermes où les seuls animaux présents étaient des porcs. Ces changements se sont traduits par une réduction du nombre de producteurs impliqués en production porcine malgré une augmentation de la production (il n’est pas rare qu’il y ait maintenant des centaines de bêtes sur une même ferme). Est aussi apparu un contrôle accru de différents paramètres de production tels l’aspect sanitaire, les maladies animales, la rentabilité et l’organisation du travail. Les fermes porcines sont aujourd’hui construites et organisées selon le stade de production ciblé (maternité, de la croissance à la finition, de la maternité à la finition), ce qui donne lieu à différents types de producteurs porcins : naisseurs, naisseurs-finisseurs, finisseurs (FPPQ, 2008). Enfin, au fil des ans, le développement de la production porcine ne s’est pas réalisé uniformément sur l’ensemble des territoires ruraux, et des zones de concentration sont apparues [6].

Concrètement, les fermes porcines se présentent maintenant comme des bâtiments fermés et ventilés, à l’intérieur desquels les porcs sont élevés. Des structures d’entreposage de déjection et des silos de nourriture complètent habituellement le paysage. La situation géographique de ces installations varie : la ferme peut être entourée ou non de haies brise-vent, située à des distances diverses de la route, du voisinage, de cours d’eau, etc. Aujourd’hui, une réglementation encadre fortement l’ensemble des distances à respecter lors de l’établissement d’une ferme porcine. Il en va de même pour l’épandage des déjections liquides des animaux (lisier), activité secondaire de l’élevage animal maintenant valorisée puisqu’elle substitue des substances naturelles aux engrais chimiques.

Méthode

Cette réflexion prend appui sur les résultats d’une recherche réalisée antérieurement visant à comprendre les effets de l’élevage porcin sur le bien-être général, psychologique et sociale des populations rurales (Brisson et al., 2009). L’étude a été menée selon une méthode d’analyse secondaire : la recension systématique des écrits. Une revue systématique consiste en l’agglomération de résultats de recherches antérieures pour en produire une synthèse : elle ne donne pas le détail des différents résultats initiaux et se concentre plutôt sur les conclusions qu’on peut en tirer. Bref, il s’agit d’une opération de généralisation et de reformulation sous forme de formules-synthèses [7] (Thomas et Harden, 2007 ; Coren et Fisher, 2006). Par ailleurs, puisqu’elle prétend produire des résultats secondaires de validité importante, la méthode de revue systématique se fonde sur un fort appareillage de validation en se basant sur des critères de qualité circonscrits permettant d’éliminer les associations fortuites, les résultats peu généralisables et les biais méthodologiques. La méthode utilisée est celle développée par le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) du Royaume-Uni (NICE, 2007). D’autres approches de revues systématiques ont également été considérées, notamment dans la façon d’agréger des résultats de type qualitatif et quantitatif (Mays et al., 2005 ; Popay, 2005). En effet, la question posée pour ce travail ne justifiait pas que certains types d’études scientifiques soient exclus.

Pour réaliser cette recension des écrits, huit bases de données relatives à la documentation scientifique ont été sélectionnées en raison de leur potentiel à traiter des thèmes considérés (présentés ultérieurement dans le texte). Pour chaque base de données, un professionnel a sélectionné des mots-clés préétablis décrivant l’exposition, la population et les thèmes psychologiques et sociaux recherchés en couplant les sous-entrées dans le moteur de recherche. Cette démarche a permis de repérer 27 604 articles distincts (figure 1).

Les titres obtenus ont été examinés en fonction de critères de forme et de pertinence. La majorité des 27 604 documents ont été rejetés, car ces articles traitaient de l’utilisation des suidés dans la recherche clinique et biomédicale, des effets neurophysiologiques des odeurs en général, de la plausibilité biologique ainsi que du bien-être et de la santé des animaux d’élevage. D’autres qui concernaient la santé des travailleurs agricoles, l’agriculture d’élevage dans les pays en voie de développement et l’aspect biochimique des effets de la ferme porcine ont également été retranchés. Finalement, 138 titres d’articles ont été jugés adéquats pour la poursuite du processus. Parmi eux, 37 doublons ont été éliminés. Les résumés des 101 articles restants ont été soumis à une nouvelle analyse de leur pertinence. Cette étape a permis de constater que 83 références étaient non pertinentes à la question de recherche, y compris 13 références qui se sont révélées hors sujet à la suite d’une évaluation plus approfondie. La méthode de recherche a donc permis de sélectionner 18 articles adéquats pour la poursuite du processus de recherche. Toutefois, un des textes sélectionnés n’a pu être obtenu. Ainsi, 17 articles ont été retenus pour une analyse de leur qualité. Ce corpus documentaire a été complété par la consultation des bibliographies des 17 articles retenus et par les suggestions du comité consultatif et des réviseurs scientifiques externes. Cette démarche a permis de trouver respectivement 24 et 17 nouveaux titres pouvant être inclus dans la recension des écrits. Quelques-uns ont été retenus. Enfin, la démarche de révision scientifique du rapport de recherche a aussi mené à l’ajout de trois documents pour évaluation de leur qualité.

Figure 1

Processus de sélection des écrits pour la revue systématique

Processus de sélection des écrits pour la revue systématique

-> See the list of figures

À la suite de ces démarches de sélection, deux membres de l’équipe scientifique ont mené en parallèle une évaluation approfondie de la pertinence, puis de la qualité des articles selon une grille standardisée contenant les critères du NICE, soit l’examen des questions relatives à l’éthique, à la pertinence des objectifs et du choix de la méthode, à la rigueur de la collecte des données liée à des biais de recrutement, à la rigueur de l’analyse, ainsi qu’à des lacunes quant à la force de généralisation et à l’application des processus d’analyse (validité interne et externe). L’application de ces critères de façon systématique (d’où le nom de la méthode) a permis de retrancher plusieurs textes où l’on notait une absence de méthode, des biais de recrutement ou de collecte, des analyses incomplètes ou non liées à l’objectif annoncé, ou des lacunes de contextualisation. Le corpus des études retenues pour la revue systématique s’est finalement composé de 22 études de méthodes variées vérifiant à la fois des questions liées à la dimension psychologique et sociale de la qualité de vie (tableau 1). Les résultats ont été recombinés afin d’en tirer des conclusions relatives aux différents effets psychosociaux des fermes porcines. Enfin, outre le comité scientifique composé de quatre scientifiques oeuvrant en géographie, en santé publique et en agriculture, le rapport a été présenté à un comité consultatif composé de praticiens des domaines de la santé environnementale, de l’environnement et de la production porcine (cinq personnes). Les comités ont discuté de ces résultats agrégés et ont produit des constats et des recommandations.

Cette recension présente un corpus cohérent. En effet, dans chaque cas étudié, la source d’exposition est constituée de fermes porcines (exclusivement ou non), la population exposée est rurale et avoisinante, et le contexte sociopolitique converge avec celui du Québec. Surtout, la description et la mesure des impacts sont cohérentes, ce qui rend possible leur comparaison. Cependant, les sources peuvent également présenter des différences dans les variables fines du contexte, qu’il s’agisse de la taille et du mode de gestion des unités d’élevage, des critères sociogéographiques et historiques balisant les populations étudiées, de la taille de celles-ci et des échantillons mesurés, ainsi que de l’action publique et de ses moyens. Cette revue systématique, qui met au jour les effets possibles de l’élevage porcin sur la santé [8] en milieu rural, a rassemblé un ensemble de données pertinentes permettant d’examiner comment une telle pratique peut être source de violence non intentionnelle.

Tableau 1

Bilan des articles retenus pour la revue systématique

 

Impact sur la qualité de vie

Impact sur la qualité de vie (globale)

Impact sur le bien‑être mental

Impact sur le bien-être social

Modification du capital social

Répartition inéquitable des impacts

Variation de l'accessibilité sociales des fermes

Diminution de la confance envers la démocratie

Groupe 1 : étude clinique aléatoire

 

 

 

 

 

 

1- Shiffman et al., 2005 – É.U.

 

X

 

 

 

 

Groupe 2 : études étiologiques

 

 

 

 

 

 

1- Wing et Wolf, 2000 – É.U.

X

 

 

X

 

 

2- Shiffman et al., 1995 – É.U.

 

X

 

 

 

 

3- Merchant et al., 2002 – É.U.

 

X

 

 

 

 

Groupe 3 : études descriptives

 

 

 

 

 

 

1- Mann et Kögl, 2003 – All

 

 

 

 

X

 

2- Radon et al., 2004 – Allemagne

X

 

 

 

 

 

3- Kleiner, 2004 – É.U.

X

X

 

X

 

 

4- Asmus, 1998 – Allemagne

X

X

 

 

 

 

5- Sharp et Tucker, 2005 – É.U.

 

 

X

 

 

 

6- Reisner et Taheripour, 2007 – É.U.

 

 

X

 

X

 

Groupe 4 : études qualitatives

 

 

 

 

 

 

1- Williams, 2006 – É.U.

 

 

X

 

 

X

2- DeLind, 2004 – É.U.

 

X

X

 

 

X

3- Wright et al., 2001 – É.U.

X

 

X

X

 

X

Groupe 5 : experts et autres

 

 

 

 

 

 

1- Kirkhorn, 2002

 

X

 

 

 

 

2- Merchant et Ross, 2002

X

X

X

 

 

 

3- Thu, 2002

 

X

 

 

 

 

4- Thu, 1995

X

 

X

 

 

X

5- Von Essen et Auvermann, 2006

X

X

 

 

 

 

6- Donham et al., 2007

 

X

X

 

 

 

7- McBride, 1998

 

X

X

 

 

 

8- Brodeur et al., 1999

 

X

 

 

 

 

9- Cole et al., 2000

 

X

 

 

 

 

TOTAL 22 études

8

14

9

3

2

4

-> See the list of tables

L’élevage porcin et la santé

Toutes les études retenues dans notre revue systématique considèrent que l’élevage porcin a un impact sur la santé (tableau 2). De plus, force est de constater que, en l’occurrence, la perception des risques tient un tel rôle qu’il est difficile de départager ce qui relève du risque lui-même et ce qui relève de la perception que l’on en a. En effet, toutes les communautés accueillant des fermes d’élevage, particulièrement s’il s’agit de porc ou de poulet, sont susceptibles d’être affectées (Wright et al., 2001). Les conséquences sur la qualité de vie peuvent être nombreuses : maladies diverses, altération de la qualité de l’eau potable, diminution de la valeur des propriétés. De plus, à cause des odeurs incommodantes, les activités extérieures sont souvent réduites (Thu, 1995) et plusieurs résidants se privent d’ouvrir les fenêtres (Wing et Wolf, 2000). Au total, les individus vivant près des installations porcines seraient significativement plus à risque que les autres en ce qui concerne l’ensemble des symptômes physiques et psychologiques, ce qui atteste d’une association négative entre la santé et les unités de production porcine (Wing et Wolf, 2000 : 236).

Une relation linéaire significative a par ailleurs été établie entre l’atteinte à la santé et l’éloignement des installations porcines (Thu, 1995 : 76-77). Les individus résidant à moins de 1,61 km (1 mile) des installations semblent les plus touchés (Wright et al., 2001), surtout en raison des odeurs (Wright et al., 2001 ; Radon et al., 2004 : 61). D’autres problèmes générés par la production animale ont également une influence négative : bruit, trafic routier, controverses, etc. (Wright et al., 2001 ; Thu, 1995). L’industrialisation des fermes de production animale semble aussi porter atteinte à la santé (Kleiner, 2004).

Effritement des liens sociaux

Les fermes de production animale, y compris les fermes porcines et tout particulièrement celles à grande échelle [9], ont aussi un impact négatif sur les liens sociaux des populations en milieu rural (Thu, 1995 : 95). Les résultats scientifiques agrégés indiquent en effet que l’implantation de fermes porcines entraîne des controverses, d’autant plus intenses d’ailleurs que la taille de la ferme est grande (Wright et al., 2001 ; Reisner et Taheripour, 2007 ; Thu, 1995 ; Donham et al., 2007). Les controverses sont aussi très persistantes, en ce sens qu’elles ne s’effacent pas facilement, que leur impact sur la communauté locale est souvent prolongé (Reiser et Taheripour, 2007 ; McBride, 1998). Elles se manifestent majoritairement par de l’opposition qui, à son tour, entraîne d’autres conséquences sur les relations sociales. Cet effritement ne concerne pas seulement les liens entre le producteur et ses voisins (Reisner et Taheripour, 2007), mais aussi celui entre les partisans et opposants d’un projet porcin déterminé (Williams, 2006 ; DeLind, 2004 ; Wright et al., 2001).

Selon les études retenues, les controverses ont un impact encore plus grand lorsque se forment des groupes d’opposition publique et que se crée, dans la communauté locale, un mouvement de résistance face à l’élevage porcin (Wright et al., 2001 ; Reisner et Taheripour, 2007 ; Thu, 1995 ; Donham et al., 2007). Les articles recensés montrent que, contrairement aux idées reçues, l’opposition provient la plupart du temps de l’intérieur même de la communauté rurale. Les « étrangers » et ceux qui ne comprennent pas les réalités agricoles, ne sont donc pas un facteur important de l’aggravation des controverses autour de l’élevage porcin (Reisner et Taheripour, 2007 : 1593). En fait, les controverses persistent plutôt entre des gens ayant tous une grande expérience de la vie rurale et ne présentant pas de caractéristiques sociodémographiques différenciées. La formation d’une opposition à l’élevage porcin n’est toutefois ni systématique ni constante. Elle paraît cependant proportionnelle à la taille de la communauté.

Tableau 2

Effets des fermes porcines sur la qualité de vie

Classes d'effets

Type de manifestations

Description

Qualité de vie en général

Diminution de la jouissance des lieux et des activités quotidiennes

En lien avec la définition de la santé proposée par l’OMS, ce concept peut inclure la santé générale, les fonctions et les symptômes physiques et psychologiques ; les fonctions émotives, cognitives, identitaires et sociales, sexuelles et spirituelles ainsi que le bien-être et la satisfaction.

 

Les aspects généraux de la qualité de vie sont reliés aux perceptions des individus quant aux choix offerts pour réaliser leur vie quotidienne et quant au sentiment de respect des membres importants de leur famille et de leur communauté. Ont de l’importance le sentiment de bien être, la pleine jouissance du milieu de vie et l’absence de désagréments ou de nuisances (Kleiner, 2004).

Dévaluation de la propriété

Contamination du milieu (eau, etc.)

Liens sociaux

Controverses

Ce terme désigne « des séquences de discussion et d’affrontement entre points de vue divergents sur un sujet » (Boussaguet et al., 2004 : 124). L’opposition et les tensions entre groupes sociaux accompagnent ces manifestations.

Perte de confiance et d’engagement social

Fait appel au partage et à la capacité de travailler dans une optique commune pour le bien de la communauté.

Aussi appelé capital social (Wright et al., 2001).

Diminution de la sociabilité et de l’attachement

Diminution de l’appartenance et de l’identité

Réfère à l’adéquation entre les membres d’une communauté et aux particularités sous-jacentes à la structure sociale du groupe (Renne, 1974).

Transformation des valeurs sociales

Modification de la perception du risque

Diminution de la qualité de vie perçue

Déjà traité

Controverses

Déjà traité

Perte de contrôle politique et d’appropriation

Réfère au sentiment d’empowerment des citoyens, soit « leur compétence à décider ce qui est bien et souhaitable » et « à définir leurs propres priorités »

(Raymond Massé, dans INSPQ, 2003 : 16).

Inégalités sociales

Écarts évitables entre groupes ou entre territoires, et qui affectent la santé ou le bien-être des populations

(Fronlich et al., 2008)

Source : Brisson et al., 2009

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L’opposition peut à son tour créer des effets négatifs. En effet, s’opposer à un projet de ferme porcine peut être décrié dans la communauté, notamment par crainte que les désaccords affectent les liens sociaux et familiaux existants ou qu’ils entraînent des désavantages économiques (Williams, 2006). D’une part, le fait d’exprimer publiquement une opposition aux fermes porcines augmenterait en soi l’hostilité locale, et tout un ensemble de controverses peut se constituer a posteriori comme effets secondaires de controverses initiales (Wright et al., 2001). D’autre part, ces situations contaminent en quelque sorte la communauté en son entier et la paralyse dans une certaine mesure, car les réseaux de diffusion des connaissances sont atteints (Donham et al., 2007), tout comme la confiance réciproque et l’engagement communautaire (Merchant et Ross, 2002 ; Wright et al., 2001). Des modifications négatives de la sociabilité et des liens d’attachement entre les individus sont aussi observées (Kleiner, 2004). L’opposition et le besoin de faire valoir les droits civiques contribueraient à développer une atmosphère de paranoïa quant à la sécurité physique (DeLind, 2004 : 82). A contrario, ces actions amènent chez les tenants d’une position tranchée un renforcement de leur groupe d’appartenance et un fort sentiment de communauté (Ibid. : 82-83).

Enfin, même sans controverse, des effets négatifs sur les liens sociaux ont été constatés dans des milieux hôtes de fermes d’élevage porcin à grande échelle. Des résultats de recherche démontrent en effet une baisse générale du sentiment d’appartenance et de l’identité sociale, ainsi qu’une réduction de la capacité de communication (Donham et al., 2007). Des citoyens éprouvent également le sentiment de perdre leur identité collective et des valeurs sociales tels l’échange, le respect et l’honnêteté (Thu, 1995). De même, les fermes porcines entraîneraient une diminution de la confiance envers la capacité des institutions, gouvernementales et judiciaires, de prendre en charge leurs problèmes (Williams, 2006 ; DeLind, 2004 ; Merchant et Ross, 2002 ; Donham et al., 2007 ; Thu 1995). La population aurait alors l’impression que les modalités de gestion territoriales sont moins intègres qu’auparavant, et que les autorités ne réagissent plus lorsque l’environnement est spolié (DeLind, 2004).

L’influence de la perception du risque

Finalement, plusieurs résultats mettent en évidence l’étroite relation qu’il y a entre la perception du risque et la santé. En fait, on constate que la perception de risques potentiels à la santé est le vecteur fondamental des controverses suscitées par les fermes porcines, car les nuisances qui y sont associées (odeur, boue dans les rues, bruit, maladie, désolidarisation communautaire, affaiblissement des liens, etc.) sont au coeur des appréhensions (Wright et al., 2001 ; Mann et Kögl, 2003 : 249). Notons le rôle tout particulier à cet égard de la question de l’odeur. Cela tient au fait que la nuisance olfactive conforte constamment la conviction qu’une grave menace à la santé existe (Reisner et Taheripour, 2007) [10]. En effet, les odeurs canalisent et donnent corps à l’ensemble des perceptions du risque, que ce soit à la santé ou à la propriété. C’est pourquoi, dans le cas des fermes d’élevage porcin, la perception de nuisance olfactive va souvent moduler de façon négative la qualité de vie perçue (Von Essen et Auverman, 2006 ; McBride, 1998 ; Radon et al., 2004). En revanche, le fait de vivre ou de travailler sur une ferme atténue la perception du désagrément : 52,4 % des répondants à un sondage, vivant sur une ferme affirment ne pas être importunés du tout par les odeurs comparativement à 38,3 % de la population générale (Radon et al., 2004 : 61). L’âge est aussi un facteur déterminant dans la perception de la nuisance engendrée par les odeurs, les personnes de 55 ans et plus étant significativement moins importunées que les 55 ans et moins par les odeurs provenant d’unités d’élevage animal (Asmus, 1998 : 55, 58 et 63). Une impression de faible contrôle des émanations augmente aussi le degré de nuisance perçu (Ibid. : 64, 65, 71). Ce dernier point illustre l’importance de la perception qu’on a de la gestion politique de l’implantation des fermes. Souvent, dans le contexte d’un projet d’implantation d’une ferme porcine, les individus craignent un manque de contrôle politique sur le projet, voire une violation des principes démocratiques, ce qui leur inspire un sentiment d’impuissance (Thu, 1995 : 74). Enfin, les citoyens vivant à proximité d’une ferme porcine perçoivent davantage d’inégalités dans la répartition des inconvénients et des risques (Ibid. : 87) [11]. Tous ces sentiments alimenteraient les débats publics et la résistance locale, surtout lorsque les unités de production animale sont imposées aux citoyens (Merchant et Ross, 2002 ; Donham et al., 2007).

En revanche, certains éléments semblent contribuer à une perception moins négative des fermes et, du coup, diminuent les controverses. En effet, selon Mann et Kögl, les fermes existantes seraient mieux acceptées que les projets, les avantages étant tangibles dans le premier cas et le statu quo étant souvent perçu plus positivement (2003 : 248). D’autres facteurs seraient également positifs : l’obtention d’information sur le résultat escompté lors des discussions concernant le projet, la perspective de retombées économiques locales et le haut niveau d’engagement du promoteur dans son milieu. D’autres résultats permettent de penser que la modernité des installations et leur éloignement auraient un impact positif, la distance variant de pair avec l’acceptabilité, notamment pour les fermes porcines projetées. Quant à la taille des élevages (au-delà de 600 porcs), les recherches sont contradictoires : Mann et Kögl (2003) ne démontrent pas de lien significatif, mais d’autres recherches établissent une corrélation positive entre la taille et la présence de controverse : plus la ferme d’élevage est grande, plus elle serait contestée (DeLind, 2004 ; Reisner et Taheripour, 2007).

Repenser l’évaluation du risque

La revue de la documentation scientifique que nous avons effectuée permet de conclure que les fermes porcines comportent des effets sur la santé des populations rurales avoisinantes, effets que nous pouvons associer à la violence non intentionnelle selon la définition que nous en avons donnée. On constate notamment que, en l’occurrence, la perception des risques est déterminante car elle porte directement atteinte à la capacité de maintenir des liens sociaux (tableau 2). Ainsi, bien que cela soit involontaire et sans malveillance, l’élevage porcin, en activité ou projeté, a des conséquences violentes, plus ou moins intenses selon les circonstances, sur les communautés rurales avoisinantes et sur les individus qui la composent. La source de ce constat, soit l’analyse secondaire d’études scientifiques sur les fermes d’élevage porcins et leurs effets sur la qualité de vie (Brisson et al., 2009), permet une avancée dans les réflexions sur le risque sanitaire des fermes porcines et, du coup, comble des lacunes déjà soulevées à ce sujet. Oui l’élevage porcin génère de la violence. D’où la nécessité pour les institutions vouées à la santé publique de concevoir pleinement le risque associé à cette activité et la légitimité de vouloir le contrôler. Bref, il devrait en être de ce risque de violence, qui porte atteinte à la santé psychologique et sociale, comme il en est du risque environnemental par exemple.

Au-delà de cette vision institutionnelle du problème, la démonstration suggère également une critique des méthodes actuelles d’évaluation du risque et, par là, plaide pour une compréhension globale de sa gestion et de ses implications. Dans le domaine de la santé, la façon d’aborder le risque s’inspire d’une conception probabiliste et privilégie une analyse positiviste, prospective et descriptive (INSPQ, 2003 : 7-8 ; Zayed et Lefèbvre, 1998 : 248). Cette approche classique propose de cerner les effets possibles d’un facteur précis, par exemple l’implantation de fermes porcines, sur les êtres humains susceptibles d’en être affectés. Du même coup, en mettant au jour des effets, cette démarche peut en arriver à pointer la violence. Notre article a utilisé ces évaluations, tels des leviers, pour mieux comprendre en quoi l’élevage porcin peut causer de la violence.

Compte tenu de leur reconnaissance dans les milieux scientifiques, les évaluations du risque jouissent d’une grande crédibilité et pèsent d’un poids très lourd dans les décisions, notamment quant à l’avenir du projet soumis à l’examen. Ce statut, comparable à ce qu’on pourrait appeler un « élitisme méthodologique », n’empêche pas de noter les limites de toute démarche d’évaluation du risque. D’abord, ces évaluations s’appuient sur des données scientifiques qui, elles-mêmes, sont souvent incomplètes ou contradictoires (Callon et al., 2001). Ensuite, un écart subsiste souvent entre le risque mesuré par les experts et l’appréciation qu’en ont les autres acteurs (Kasperson, 1992 dans Rosa, 2003). Enfin, les évaluations ne considèrent souvent qu’une partie du tissu complexe des facteurs composant le risque et s’attardent davantage aux éléments facilement mesurables. En raison de leur complexité, les questions de liens sociaux sont souvent passées sous silence (Joffe, 1999 ; INSPQ, 2003 ; Raude, 2007). En conséquence, la démarche d’évaluer le risque fait partie des enjeux du risque et constitue l’un des éléments qui alimentent les débats publics pouvant survenir à propos d’une situation donnée.

Les résultats de la recension systématique mettent bien en évidence la négociation difficile entre l’évaluation des experts et celle des autres parties intéressées (Roqueplo, 1997 ; Setbon, 2004). En effet, même si des standards d’exposition existent actuellement, ils demeurent limités à l’état des connaissances actuelles et aux types d’exposants étudiés. Ils ne protègent donc pas contre tout et, même si les standards d’exposition existants sont respectés, la perception d’une nuisance liée à la ferme porcine demeure forte. Conscientes de ces limites, les parties prenantes au risque, notamment les acteurs de la santé publique, admettent maintenant que l’évaluation du risque peut aussi comporter des approches différentes du positivisme (INSPQ, 2003 : 82-83). Moins strictement connotés par une approche quantitative, les moyens d’obtenir ces informations n’en demeurent pas moins ancrés dans des démarches rigoureuses, et qui peuvent intégrer des méthodes liées aux sciences sociales. D’ailleurs, le risque est de plus en plus abordé dans le cadre d’un processus global, celui de la gestion du risque, qui permet alors de prendre en compte d’autres éléments, y compris les perceptions et les connaissances du public.

Prendre en compte les liens sociaux

La perception négative à l’égard des fermes porcines n’est pas uniquement tributaire de la mauvaise réputation de ce type de production. Elle paraît surtout liée à la faible attention portée présentement aux dimensions sociales des installations de production. Les unités de production animale suscitent des discussions et des préoccupations au sein de toutes les populations étudiées. La qualité de vie réelle ou perçue s’en trouve affectée. Puisque ces effets peuvent aller jusqu’à un démantèlement de l’identité sociale, des liens d’appartenance à la communauté et au milieu de vie, ils sont assimilables à de la violence. Ils peuvent à tout le moins entraîner une dégradation du bien-être des individus et des communautés. Il est donc nécessaire de mieux prendre en considération l’analyse des perceptions et d’adopter une approche du risque qui tienne compte des aspects sociaux et culturels.

Cette réflexion sur la prise en compte des citoyens ouvre sur celle de la démocratie participative. Jusqu’où tolérer l’expression du mécontentement ? Comment contrer ces controverses qui affectent autant les producteurs porcins que les populations avoisinantes ? Comment composer avec des effets violents, mais non intentionnels, et avec des clivages sociaux qui prolongent cette spirale et en viennent à cibler volontairement des individus, qu’ils soient producteurs agricoles, voisins, parents ou opposants ? La création de lieux de dialogue entre les différentes perceptions du risque est nécessaire pour favoriser la mise à plat des perceptions et une discussion ouverte sur l’éventail des solutions possibles (Simard et al., 2006 ; Callon et al., 2001). À ce propos, au Québec, le dépôt d’un rapport du BAPE en 2003 aurait pu constituer un point tournant. La question porcine, à cette occasion, a fait l’objet de décisions politiques, dont une mesure concerne directement la cohabitation harmonieuse avec des unités de production porcine. À la suite d’une modification à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), les municipalités québécoises et le promoteur d’un projet porcin sont maintenant obligés de consulter la population avoisinante sur des mesures d’atténuation de certaines nuisances liées aux porcheries. Plus de 75 consultations publiques ont été tenues à ce jour mais, malheureusement, elles ne semblent pas soutenir une meilleure gestion des risques (Brisson et Richardson, 2008). D’une part, la population entretient toujours des préoccupations quant aux projets porcins. D’autre part, des tensions sociales existent toujours sur la question, quoique dans des proportions variables selon les lieux [12]. Ainsi, l’implantation des unités de production porcine comporte toujours un risque de violence fondé sur la controverse, le désengagement social et la dégradation des conditions de vie. Ces effets méritent donc un meilleur traitement.

Conclusion

Cet article a permis de souligner les liens conceptuels entre la santé et la violence qui se manifestent par l’intermédiaire de l’évaluation des risques. La démarche présentée dans cette analyse a aussi permis de souligner que des risques sanitaires sont associés à la ferme porcine. Elle a montré que les liens entre les différents aspects du risque peuvent conduire à une forme de violence non intentionnelle. L’ensemble de ces risques, perçus ou mesurés, se résument par une atteinte à des éléments fondateurs de l’individu : son bien-être et sa capacité de maintenir des liens sociaux dans son milieu. Dans tous ces cas, l’influence de la perception des risques est déterminante. Ainsi est-il possible de constater que, quoique involontairement, l’implantation de fermes d’élevage porcin peut, sans aucune intention ni malveillance, se solder par des conséquences sur les communautés rurales avoisinantes et sur les individus qui la composent.

Les résultats agrégés lors de la revue systématique montrent aussi que l’amélioration de l’engagement social des producteurs diminue les risques de perte de qualité de vie dans leur milieu. En conséquence, plutôt que « de prévoir une procédure allégée d’évaluation des principaux impacts environnementaux » comme le préconisait récemment la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’alimentation (CAAQ, 2008 : 211), il nous semble au contraire nécessaire d’étoffer cette étape. Insérer une analyse d’impact social au sein du processus de planification des unités d’élevage porcin aiderait en effet à mieux définir les modes d’intégration sociale les plus prometteurs pour chaque projet. En revanche, est aussi souhaitable une convergence à l’échelle nationale sur les choix sociaux en matière d’élevage porcin, qui irait au-delà de la diversité possible des adaptations locales et régionales. Les distances séparatrices, le zonage et les modes de règlement des conflits d’usage devraient aussi être considérés. Bref, la réussite dans l’identification des différents facteurs contributifs à l’harmonisation de la vie rurale exposée aux unités de production animale ne peut se faire sans un meilleur dialogue entre les acteurs concernés, une recherche de solutions communes, ainsi qu’une meilleure coordination des institutions étatiques.