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Introduction

Comme le rappelle Gérard Beaudet, dans un numéro de la revue Téoros consacré en 2003 aux routes à thème, l’Europe compte plusieurs centaines de routes thématiques (Beaudet, 2003 : 5). Et la France dénombre, à elle seule, plus de 300 routes à thème avec une place prépondérante pour la mise en valeur des vignobles, des écrivains, des peintres célèbres, des paysages remarquables et de plus en plus de ses produits du terroir. Plusieurs auteurs ont ainsi souligné, au sujet de ces projets de routes, le rapport plus ou moins fort entre développement, mise en tourisme et patrimoine. Les créateurs et promoteurs de ces routes, de ces itinéraires et de ces circuits ont pour objectif principal la mise en réseau de sites, de patrimoines, de services, de paysages ou encore de panoramas, bref, de ressources territoriales (Dérioz, 2004) à des fins de développement touristique.

L’étude de cas que nous proposons dans le cadre de cette contribution se situe dans le département des Pyrénées-Atlantiques, dans le sud-ouest de la France, limitrophe de l’Espagne. Ce département, dont une partie est intégrée au Parc national des Pyrénées et qui compte de nombreux sites et stations touristiques historiques, met en valeur, sur le site Internet de son comité départemental du tourisme, une vingtaine de routes thématiques et classe dans la catégorie des curiosités naturelles l’itinéraire de la Route géologique transpyrénéenne. Notre hypothèse de travail appréhende, dans l’étude de cet itinéraire géologique, le point de vue de l’aménagement touristique en étudiant sept équipements, disposés le long d’un itinéraire routier préexistant à forte circulation et au sein d’espaces publics urbains [1]. Depuis une vingtaine d’années, les études et les projets de valorisation touristique de sites géologiques et géomorphologiques se sont multipliés en France, en Europe et dans le monde. Ces programmes sont plus spécifiquement mis en oeuvre au sein de géoparcs [2] correspondant à des zones protégées contenant un ensemble de sites géologiques et géomorphologiques pouvant servir le développement local durable de ces territoires par l’axe du géotourisme. Un géoparc a pour objectifs : la conservation du patrimoine géologique, l’éducation par la mise en place de musées, d’expositions, de centres d’information, de sentiers de randonnée, de visites guidées, en fait, de produits qualifiés de géotouristiques (Martin et al., 2010). Dans le cadre de ces projets, plusieurs routes thématiques et circuits proposent une découverte du patrimoine géologique, géomorphologique et historique, voire culturel, orientée sur la valorisation des produits locaux.

Le territoire sur lequel porte notre étude, à savoir le Pays Oloron-Haut Béarn et plus précisément la vallée d’Aspe, ne s’est pas positionné dans une stratégie géotourisique et n’est pas intégré à un géoparc. Cette étude de cas pose donc la question plus globale de l’intérêt d’un itinéraire géologique dans le développement d’un territoire de montagne. Notre objectif est une analyse touristique d’équipements constituant un itinéraire géologique. Dans le cadre de l’étude de la Route verte, Sylvain Lefebvre et Maryse Trudeau tentent simplement de comprendre s’il s’agit ou non d’un circuit touristique donc potentiellement d’un produit touristique. Ils rappellent ainsi qu’« un itinéraire, une route ou un circuit touristique, c’est d’abord l’assemblage de cinq composantes : le tracé, les services, les attraits, la communication et le thème » (Lefebvre et Trudeau, 2003 : 49). Dans la composition d’une route géologique de montagne, l’un des attraits principalement mis en avant est le paysage. La première partie de notre étude tente de faire le point sur cette notion et sur sa prise en compte dans la construction des territoires et des projets de développement. La deuxième partie aborde le contexte touristique du Pays d’Oloron Haut-Béarn et la place accordée à la Route géologique transpyrénéenne. Dans la troisième partie, nous avons tenté, dans une vision expérimentale, d’analyser cet itinéraire à travers une grille de lecture touristique et non spécifiquement géotouristique [3]. Notre travail de diagnostic touristique s’est déroulé en trois étapes. Une phase d’observation participante complétée par une analyse du contexte économique, social et touristique du territoire étudié a permis d’adapter une grille de lecture et de hiérarchiser des critères d’observation. Cette grille a pris en compte trois dimensions : l’aménagement touristique, le volet économie et la communication. Différents critères et indicateurs ont été envisagés comme la signalétique, l’implantation des sites, les stationnements et les documents d’appel. Enfin, à travers la présentation Internet de l’itinéraire, nous avons abordé les modes de gouvernance, de promotion et d’animation de cette route géologique menant de Belair à Riglos en passant par deux portes d’entrée du territoire des Pyrénées (Oloron et Jaca). Notre étude se positionne uniquement sur sept sites dans le Pays d’Oloron Haut-Béarn, sans aborder la situation transfrontalière de cet itinéraire. Nous pouvons ajouter que les sites étudiés sont en partie dans le périmètre du Parc national des Pyrénées, qui n’est pas partie prenante de la valorisation ou de la gestion de cet itinéraire géologique.

La question des paysages dans la composition thématique d’une route géologique

Paysage, développement et tourisme

De nos jours, le paysage est exploité par tout un ensemble d’acteurs à des fins commerciales, politiques, touristiques et de marketing. Le paysage est intégré à l’offre touristique. Il est proposé aux clients potentiels dans des vidéos, des affiches et différents supports de communication dans leur quotidien afin de les inciter à se projeter dans une atmosphère de vacances, donc dans un ailleurs rêvé porteur d’images et de sensations nouvelles à découvrir. « Le paysage n’est pas seulement le décor de nos vies quotidiennes et de nos contemplations fugaces, il est en permanence, et de multiples façons, utilisé par les acteurs sociaux. Le paysage est ainsi réglementé, vendu, consommé. » (Laboratoire THEMA, avril 2005). Nous pouvons ajouter que le paysage fait vendre, il est porteur de symboles, de représentations. Par sa mise en valeur et sa mise en tourisme, le paysage devient un véritable produit de consommation, objet de toutes les attentions. Les acteurs soulignent, dans la définition même de leur territoire, son importance stratégique, sa valeur inestimable et l’intérêt de sa préservation pour les générations futures.

Si les territoires existent d’abord dans le discours des acteurs et dans la mise en oeuvre de leurs stratégies, leur définition et leur délimitation doivent nécessairement s’appuyer sur des éléments emblématiques : parce qu’il est la traduction visuelle des formes successives de la mise en valeur sociale du milieu, mais aussi parce qu’il offre aux habitants de multiples repères familiers, le paysage fait incontestablement partie de l’identité de chaque territoire. Image exploitable du territoire, il doit être regardé comme une ressource à part entière, ne serait-ce que compte-tenu de la part qu’il est susceptible de prendre dans l’attraction des touristes comme dans celle des nouveaux habitants.

Dérioz, 2004 : 155

Pierre Dérioz témoigne, par ses recherches sur différents territoires, que le paysage peut représenter une ressource territoriale qui de ce fait « participe de manière explicite au processus de territorialisation, c’est-à-dire qu’elle contribue à fonder l’existence du territoire et qu’elle soit ainsi partie prenante de son identité » (Ibid. : 157). Si le paysage est qualifié de ressource territoriale, il peut devenir un facteur de développement, et pas uniquement de développement touristique du territoire. Il est porteur de sens pour le visiteur qui l’admire et le consomme, et surtout pour l’habitant qui le vit, le choisit et l’habite ce qui, en zone de montagne, signifie s’adapter parfois à des conditions de vie très dures.

Le paysage est devenu un produit touristique, de sa mise en valeur à sa mise en marché. Il devient même le gage de vacances réussies selon les documents de promotion et de communication des spécialistes du voyage. Les voyagistes associent en effet, dans la présentation de leurs produits, la perspective de vacances réussies aux panoramas exceptionnels de notre planète. Le paysage est de plus en plus classifié et labellisé, ce qui en fait dans certains territoires le support principal de l’offre touristique mise en avant par l’ensemble des professionnels du tourisme, y compris les prestataires privés. Les sites Internet de gîtes ou de prestataires de sports de nature font valoir leur installation dans des paysages remarquables et préservés souvent au sein d’espaces naturels protégés (parcs nationaux, parcs ou réserves naturelles…) porteurs d’images de nature et de panoramas exceptionnels garantis. « Le paysage peut être produit et consommé par le tourisme au même titre qu’un espace ludique ou qu’un hébergement. » (Amirou et Bachimon, 2000 : 51). Dans les brochures de tout bon producteur touristique, on pourra repérer des images sublimes du Colorado garantissant un dépaysement total, des illustrations des grandes étendues verdoyantes des parcs américains assurant une expérience inoubliable ou encore des photographies flamboyantes des automnes québécois.

Les acteurs des territoires mobilisent eux-mêmes tout un ensemble d’images dans la construction de leurs projets et dans les documents présentant leurs stratégies à plus ou moins long terme. « La multiplication des images dans la construction de projets et de prospective de territoire illustre à sa manière le goût croissant de notre société pour ce type de langage. En ce sens, le recours à l’image tend à devenir une norme, à défaut d’être véritablement naturel. » (Debarbieux et Lardon, 2003 : 6). L’apport des images dans la construction d’un territoire de projets peut permettre aux acteurs de trouver la voie de leur développement à travers l’observation et l’analyse de leurs paysages, qui peut ouvrir la perspective d’une identité locale oubliée.

En l’absence d’une identité locale préexistante et indiscutable, associée à des spécificités puissantes et à des images évidentes […], le choix d’une identité territoriale oblige les acteurs locaux à combiner plusieurs impératifs, ne serait-ce que parce que leurs stratégies de communication poursuivent un double but – faire reconnaître l’existence du territoire par sa population résidente et assurer sa promotion vis-à-vis des clientèles touristiques : au-delà de l’inventaire réaliste des ressources territoriales sur lesquelles repose l’attractivité touristique – le « gisement » –, le souci de concilier les représentations du territoire par ses habitants et les représentations extérieures, lorsqu’il est présent, apparaît comme un gage de cohérence.

Bachimon et al., 2007 : 10

Mais que se cache-t-il derrière toutes ces images ? Croise-t-on ensuite sur le terrain des acteurs informés, des panneaux d’explication, des paysages expliqués et compris ? Quelle est la portée de ces promesses de vacances inoubliables ? Comment un paysage peut-il être porteur de garantie commerciale ? Toutes ces questions croisent les préoccupations très actuelles de mise en marché des destinations et de leurs atouts et les questions de concurrence territoriale.

En fait, il n’y aurait pas un paysage touristiquement viable, mais des paysages correspondant à des attentes d’une demande en mutation. On observe, sur le terrain, différents types de consommateurs du paysage (Laboratoire THEMA, mai 2005) : « le traverseur » qui franchit le paysage à plus ou moins grande vitesse, le « contemplateur » qui admire les panoramas s’offrant à lui le long de son périple, « l’excursionniste » qui explore l’ensemble paysager et « l’incursionniste » qui s’immerge au coeur du paysage. Et on peut associer à ces utilisateurs plusieurs formes de perception des paysages. Le « paysage-panorama » pour les touristes pressés, le « paysage-site » répertorié dans les guides touristiques, le « paysage-motif » souvent copié mais jamais égalé, le « paysage-pèlerinage » autour d’un personnage célèbre et, enfin, le « paysage-défi » conquis par l’effort. Cette terminologie des paysages peut être rapprochée des orientations thématiques des routes et itinéraires touristiques : les routes de pèlerinage, les routes de grands noms de la peinture et de la littérature inspirés par la beauté des paysages ou bien les routes thématiques comme la route de la soie ou la route de l’olivier en référence à l’exploitation de l’huile d’olive par des générations d’agriculteurs. Philippe Béringuier ajoute, dans le cadre d’un travail de recherche sur les images produites autour d’un itinéraire touristique,

qu’image touristique et image de paysage ne peuvent être confondues. Si la première emprunte beaucoup à la puissance évocatrice de la seconde et si elle contribue souvent à révéler et instituer l’image des paysages, elle ne peut toutefois s’y réduire. Elle constitue une image-force qui reflète une synthèse des aspects signifiants du territoire.

Béringuier et Saadi, 2010 : 7

Par conséquent, les concepteurs d’un itinéraire touristique ne doivent pas se perdre dans un dédale d’images montrant uniquement des paysages exceptionnels, uniques ou incontournables. Ils mettent en oeuvre des objectifs de qualité tenant compte des attraits du territoire, de l’accès, et se centrent sur un thème expliqué par les points d’arrêt placés le long du trajet.

Nous pouvons nous interroger sur la clientèle de tous ces itinéraires, aux thématiques très diverses et souvent peu complémentaires, qui sont majoritairement et avant tout des automobilistes. Comme le reconnaît Martin Drouin, la découverte du patrimoine est plus aisée en voiture.

Il faut se rendre à l’évidence : patrimoine et automobile peuvent aussi faire bon ménage. Les routes patrimoniales semblent exploiter à merveille cette union. Elles invitent en quelque sorte le touriste à se laisser guider à travers une expérience d’interprétation muséale à grande échelle. Le thème, clé de lecture du paysage, révèle les particularités et l’essence d’une région.

Drouin, 2006 : 74

Le patrimoine, et plus largement la culture, se découvre lors de séquences générées par des circonstances plus ou moins planifiées, donc souvent le fruit du hasard. Cette remarque peut être complétée par les propos tenus en janvier 2014 par Claude Origet du Cluzeau au sujet de la multiplication des projets de tourisme culturel pouvant être associée à la multiplication des projets de routes à thème [4]. L’auteure rappelle que

le tourisme culturel, c’est aujourd’hui seulement 7 % de l’ensemble des vacanciers qui ont pour motivation principale la découverte culturelle. Mais partout le contexte culturel imprègne les séjours de tous les partants, et cela se traduit ainsi par des pratiques occasionnelles, telles que visiter un site ou assister à un concert. Ce que le tourisme culturel pourrait être, et est en train de devenir, grâce aux facilités offertes par Internet pour s’informer et pour faire des réservations : un « programme à la carte », au gré des envies très précises et détaillées des partants.

Dans cette optique, l’itinéraire thématique correspond tout à fait aux attentes de ces clientèles qui souhaitent décider de leurs parcours culturels et touristiques tout en étant guidés, mais à bonne distance.

Nous pouvons établir que ces circuits et routes thématiques sont des propositions de découverte interprétative faites aux excursionnistes ou aux touristes.

Les routes et itinéraires culturels s’apparentent par leurs contenus aux circuits thématiques. Ils se distinguent des produits à forfait car il s’agit, dans la plupart des cas, de simples suggestions de visite et non de programmes forfaitaires associant les différentes prestations d’hébergement, transport, restauration et animation. Les routes ont pour fonction de rapprocher les sites, monuments, villes qui ont, à une époque donnée, partagé une même vocation religieuse, commerciale, militaire ou artistique.

Patin, 2012 : 33

Cette définition des routes et itinéraires culturels correspond à la fonction première de ces projets de territoire, à savoir de rapprocher des acteurs et des sites liés par une histoire commune qui n’est pas suffisamment explicite pour des visiteurs de passage. Il ne s’agit pas de produits commercialisables directement [5]. La construction et la mise en tourisme d’une route ou d’un itinéraire relèvent donc d’une construction territoriale impliquant tout un ensemble d’acteurs souhaitant travailler ensemble à la mise en réseau de leurs sites, musées, monuments et paysages. Parmi les voies de transport qui s’offrent aux voyageurs pour atteindre ces paysages, la route est le support le plus utilisé. Le paysage prend alors une « dimension linéaire » (Amirou et Bachimon, 2000 : 54). Au fil des années, avec l’évolution des moyens de transport, le voyageur est devenu un automobiliste pressé d’arriver sur son lieu de vacances. Les paysages jalonnent son parcours en le plongeant progressivement dans son futur statut de touriste. Les acteurs du tourisme proposent, pour capter cette clientèle en mouvement, une offre de plus en plus variée de routes et chemins touristiques permettant de découvrir l’intérieur de leurs territoires, faisant ainsi de la route touristique un support de communication et un vecteur d’image fédératrice. Les professionnels de la mise en place de routes touristiques soulignent que le choix du thème est fondamental dans la réussite d’une route touristique : « Le thème doit pouvoir donner une identité, une image, pour qu’il se différencie des autres routes touristiques » (Dumoulin, 2003 : 37, d’après Chauzaud, 2001).

Paysage et route géologique

Dans le cadre d’une route géologique, le paysage et les sites géologiquement référencés sont les supports du projet visant la mise en place d’un itinéraire culturel et scientifique, porteur de sens et ambitionnant d’aiguiser la curiosité du voyageur à chaque virage et de l’émerveiller par un choix de points de vue frappants. L’étude des routes géologiques permet ainsi d’introduire l’idée intéressante de croiser une vision linéaire du paysage depuis l’axe routier avec une vision en volume, celle du paysage géologiquement référencé. Le paysage interprété n’est plus simplement consommé, mais véritablement fréquenté. Certaines routes géologiques, répondant à des critères précis notamment pédagogiques et didactiques, sont classées par les chercheurs travaillant sur leur mise en tourisme comme des produits géotouristiques. Les produits géotourisiques s’appuient sur l’identification de sites rares, voire exceptionnels, qui attirent des visiteurs. Pour informer ces visiteurs, les concepteurs de produits géotouristiques mettent en place des dispositifs de médiation scientifique à travers des panneaux, des cartes, des brochures ou encore des outils multimédia. « Les réalisations géotouristiques sont pour la plupart élaborées à partir d’un site existant (un glacier, une portion de littoral, un site fossilifère, un gisement de minéraux, une mine, etc.) et l’activité engendrée par ce type de produit est indissociable de la présence des visiteurs sur le site concerné » (Martin et al., 2010 : 55).

Le principe d’une route géotouristique est d’introduire la lecture de paysage dans la découverte d’un territoire associant des données géologiques, économiques et historiques afin de former un ensemble commun, vecteur de significations. Les espaces transformés par les bouleversements géologiques offrent des reliefs variés constituant des terrains privilégiés pour un apprentissage de la lecture des paysages géologiques.

Les reliefs sont vécus, tout d’abord à partir des simples considérations topographiques qu’implique la marche ; ils sont également perçus et représentés par l’art et la littérature. Ils constituent un élément fondamental du cadre de vie de l’habitant ou du visiteur. L’histoire des formes du relief est ainsi lisible à travers celle de la science qui les étudie, mais aussi par l’histoire de l’art, par la religion, par le tourisme, l’industrie et dans la construction de l’idéologie environnementale, de la protection et de la conservation. Si les reliefs sont souvent le support de différents sites (touristiques, religieux, historiques), ils sont aujourd’hui identifiés comme un élément fondamental de l’armature paysagère, tant d’un point de vue naturaliste que culturel.

Portal, 2010 : 13

L’observation des paysages montagneux permet d’appréhender toute l’amplitude des phénomènes géologiques et géomorphologiques qui nous entourent. On dépasse l’aspect esthétique des paysages en donnant à comprendre comment s’est formé ce sommet, ce pli, cette faille ou cette gorge. Le visiteur participe à l’interprétation par un effort d’implication dans le paysage qui lui est proposé. Tout au long de ces routes géotouristiques, des panneaux et autres outils pédagogiquement illustrés vont donc aider le voyageur à apprendre à lire le paysage. Nous pouvons en conclure que tous les paysages ne sont pas géologiquement ou touristiquement parlants. Ce sont le plus souvent les paysages les plus escarpés, bouleversés, qui constituent la base la plus performante. « Arriver à valoriser un géosite ou une émergence paysagère est un défi car il faut les voir non pas comme des éléments isolés mais comme des témoins privilégiés d’un ensemble important constitué par des lieux généralement perçus comme anonymes ou de valeur limitée » (Belgrano et Rimondi, 2003).

Des centaines de travaux scientifiques ont été produits, ces dernières années, sur l’étude du géotourisme (Cayla, 2009 ; Bosson et Reynard, 2012). Ces travaux de recherche s’orientent à partir d’une étude scientifique des sites géologiques et géomorphologiques et une analyse des procédés de mise en valeur de ces sites protégés par différents acteurs, notamment des scientifiques spécialistes et passionnés des sciences de la Terre. Emmanuel Reynard a fait ressortir, tout au long de ses recherches, que la valeur scientifique est centrale dans l’évaluation d’un géomorphosite, et il insiste sur les particularités de chaque observateur, notamment quant à l’esthétisme des sites évalués. « La beauté d’un site est relative et dépend beaucoup de la subjectivité de l’observateur. La valeur esthétique est de ce fait très difficile à évaluer de manière objective » (Reynard, 2006 : 5). Cette question de l’esthétique des sites observés ressort dans la définition des attributs du géotourisme et de la majorité des sites naturels classés, par exemple, sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO pour leur beauté naturelle exceptionnelle. Cette nouvelle forme de tourisme, soutenue par l’UNESCO à travers le réseau des géoparcs [6], connaît de plus en plus de succès auprès des acteurs locaux qui voient, dans le géotourisme, un outil de développement territorial innovant (Reynard et al., 2011). Au début de nos recherches, nous avons donc été amenés à nous intéresser au contexte territorial et touristique de la Route géologique transpyrénéenne, afin de comprendre si cet équipement pouvait être classé dans les projets de développement du géotourisme.

Le territoire sur lequel porte notre étude de cas, à savoir le Pays d’Oloron Haut-Béarn et plus précisément la vallée d’Aspe, ne s’est pas positionné dans une stratégie géotourisique. Une étude réalisée par le cabinet Rouge & Blanc, rendue publique en juillet 2010, préconisait de mettre en tourisme le patrimoine naturel et bâti en le rendant accessible et surtout en écrivant « une histoire autour des sites pour que les visiteurs comprennent ce qu’est le territoire, au-delà d’un espace à traverser » (Groupe Rouge & Blanc, 2010 : 52). Mais le choix final des élus s’est orienté sur une vision territoriale du tourisme en voulant « devenir un nouvel espace touristique en Béarn, celui des "Vallées du Béarn", destiné principalement à trois clientèles : les familles sportives, les pratiquants sportifs accompagnés et les épicuriens et mettant en tourisme la qualité de vie ». Dans le cadre de cette étude, les experts ont rencontré tout un ensemble d’acteurs du territoire, dont les concepteurs de la Route géologique transpyrénéenne, mais sa valeur géotouristique n’a pas été retenue. Et lors de nos rencontres avec les intervenants du tourisme du Pays d’Oloron Haut-Béarn, nous avons constaté qu’ils soulignent tous la qualité scientifique de cette réalisation, mais n’en perçoivent que très faiblement une possible portée touristique.

Partant de ce constat local, nous avons décidé de nous placer dans la position d’un touriste, sans connaissance élémentaire sur le concept de géotourisme et sans attirance particulière pour les sciences de la Terre afin d’analyser la portée touristique de cet itinéraire géologique. La mise en oeuvre de cette route géologique est le résultat d’une rencontre entre des passionnés et des professionnels de la valorisation du patrimoine. Les membres et coordonnateurs bénévoles de l’association française GéolVal et des associations espagnoles GeoAmbiente et GeoTransfert ont réalisé un travail d’investigation remarquable en choisissant des sites, non pas pour leur géologie exceptionnelle ou unique, mais pour leur aspect didactique. Ils ont mis en oeuvre des techniques classiques de lecture de paysage. En fait, on ne visite pas une série de sites géologiques, on observe la géologie locale pour comprendre le paysage contemporain. Nous pouvons définir la Route géologique transpyrénéenne, non pas comme une route géotouristique, mais comme une route d’observation de la géologie locale. Il ne s’agit pas d’une géologie du spectaculaire, mais bien d’une géologie du quotidien.

Pour financer cette route, mise en service en 2008, ses créateurs ont fait appel à leurs réseaux, notamment professionnels (Fondation Total et Fondation du Crédit Agricole), et aux réseaux locaux de partenaires institutionnels pour obtenir notamment des emplacements techniques, par exemple, sur les aires de repos de la RN134. Cette réalisation correspond à une mise en réseau d’acteurs à la fois privés et publics dans un projet cohérent et ambitieux. Mais pour être classée dans les produits géotouristiques, il manque à cette route une vision locale par une reconnaissance en tant que ressource territoriale. Plus au sud, en Espagne, l’ensemble du territoire de la communauté de Sobrarbe a été labellisé par le réseau des géoparcs européens, en septembre 2006. Sobrarbe est le seul géoparc labellisé de la chaîne des Pyrénées, ce qui en fait, selon ses dirigeants, le géoparc des Pyrénées. Chaque géoparc doit préserver le patrimoine géologique, développer des programmes d’éducation et de sensibilisation du public, mettant l’accent sur les sciences de la Terre et les liens avec l’environnement, contribuer au développement durable social, économique et culturel du territoire. Les responsables du géoparc de Sobrarbe estiment que ce label (qu’ils qualifient de marque) représente de plus en plus, pour leurs visiteurs, un engagement sur la qualité de leurs prestations. Ils ajoutent que

l’histoire du territoire ne peut être comprise sans les ressources de l’environnent géologique : l’eau, les minéraux, les sols fertiles, etc. Le même relief accidenté qui a isolé la région et a mis en difficulté son développement économique, a aussi préservé jusqu’à aujourd’hui, presque inchangée, un exclusif et riche patrimoine naturel et culturel. [7]

Dans notre étude, nous avons pu constater que le site du Parc national des Pyrénées ne mentionne pas la Route géologique transpyrénéenne, qui parcourt pourtant une partie de son aire d’adhésion. La thématique de la géologie [8] est abordée dans un onglet consacré au patrimoine. Sous l’onglet paysage, on mentionne « des paysages d’exception » et leur décomposition en six vallées, six décors. Les références du décor de la vallée d’Aspe sont « ses vastes forêts, dernier bastion de l’ours », sans mention de la route géologique. Les gestionnaires du parc ne se sont pas inspirés des résultats du géoparc espagnol voisin [9] pour dynamiser, par exemple, leur stratégie touristique durable autour des sites géologiques et géomorphologiques, très présents sur ce vaste territoire.

Ces différents points expliquent notre choix méthodologique de diagnostic touristique de sites d’un itinéraire routier et non d’une évaluation d’un produit géotouristique, qui serait intéressante à mettre en oeuvre, mais sur un autre territoire d’étude. À la suite de nos investigations, nous estimons que la Route géologique transpyrénéenne est une route d’observation de la géologie locale et ne peut être qualifiée, du moins en l’état, de produit géotouristique. Avant de passer à la suite de notre diagnostic, nous avons tenté d’illustrer notre point de vue par la figure 1 présentant les deux approches : les projets relevant du concept de géotourisme et les projets, comme celui étudié ici, relevant plus simplement de l’analyse touristique d’une route thématique.

Figure 1

Géotourisme versus route d'observation de la géologie locale

Géotourisme versus route d'observation de la géologie locale

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Analyse touristique de la Route géologique transpyrénéenne

Contexte touristique et territorial

Il existe plusieurs méthodes pour mener à bien un diagnostic territorial. Un diagnostic s’oriente selon les projets du territoire étudié. Dans le cadre d’un diagnostic touristique, on va se concentrer principalement sur les données touristiques en prenant en compte des paramètres économiques, sociaux et, de plus en plus, environnementaux. La plupart des auteurs travaillant sur les questions touristiques reconnaissent que le tourisme est avant tout considéré d’un point de vue économique en termes de nombre et de création d’emplois, de fréquentation, de retombées financières... Mais la question sociale entre de plus en plus dans l’échiquier du tourisme, ne serait-ce que sur la prise en considération des acteurs, des habitants et des touristes. De plus, le tourisme se met en place dans un espace géographique, donc « un espace concret » organisé, structuré selon des stratégies mises en oeuvre par des acteurs à des fins de développement touristique. Selon Dewailly et Flament, « l’espace touristique est donc à la fois support du tourisme, constituant du produit touristique et résultat de l’activité touristique » (2000 : 16). Pour mener à bien notre analyse touristique de la Route géologique transpyrénéenne, nous avons étudié un ensemble de données quantitatives sur la fréquentation touristique du Pays d’Oloron Haut-Béarn et des informations plus qualitatives sur le contexte local. Dans un deuxième temps, nous avons sélectionné sept sites pour effectuer nos observations participantes et compléter la grille de lecture.

L’itinéraire de la Route géologique transpyrénéenne se situe dans le sud-ouest de la France, dans la région aquitaine et dans la province espagnole du Haut-Aragon (figure 2). Il s’agit d’un territoire aux caractéristiques géologiques puissantes, fait de points culminants (pics), de cols, de belvédères, de vallées et de gouffres. La Route géologique transpyrénéenne se localise dans la partie montagneuse orientale du département des Pyrénées-Atlantiques. De ce fait, sur ce territoire constitué de vigoureux reliefs saillants séparés de profondes vallées, les paysages se succèdent avec, à tous les étages, des changements visibles. Ce territoire de monts et vallées possède une tradition d’itinéraire, notamment avec la présence du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le territoire est marqué par une tradition de simplicité et d’hospitalité pour le visiteur. On constate également des traits de caractère montagnards, à savoir un attachement au patrimoine oral et aux fêtes qui constituent un moment de rassemblement et de transmission des coutumes locales (chants et danses). La Route géologique transpyrénéenne est implantée en vallée d’Aspe et en Haut-Aragon, avec un point de départ espagnol à Jaca et un point d’entrée, côté français, à Oloron-Sainte-Marie dans le Pays d’Oloron Haut-Béarn (figure 3). Ce pays accidenté compte des cols mythiques comme les cols du Pourtalet, de l’Aubisque (dans la vallée de l’Ossau) et du Somport (1 650 m) dans la vallée d’Aspe, qui ont inscrit ces territoires dans la tradition du cyclisme et notamment du Tour de France. Aujourd’hui, avec l’élimination des frontières en Europe, le col apparaît aux acteurs locaux comme un élément fédérateur, symbole d’union. Cette région comporte tout un ensemble de gouffres et de rivières souterraines, sources de légendes. Le massif de la Pierre Saint-Martin, entre la France et l’Espagne, constitue un site phare de la spéléologie. Depuis 50 ans, les spéléologues ont exploré et cartographié plus de 400 km de réseaux souterrains. Ce territoire possède ainsi une reconnaissance scientifique et géologique.

Figure 2

Situation géographique de la Route géologique transpyrénéenne et sites étudiés

Situation géographique de la Route géologique transpyrénéenne et sites étudiés
Source: IGN GEOFLA / 2013

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Figure 3

Territoire et sites étudiés

Territoire et sites étudiés
Source: IGN Geofla / Bd Topo / Scan Région Aquitaine

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Les Pyrénées-Atlantiques entretiennent, aux plans économique et culturel, une relation transfrontalière historique avec l’Espagne et, fondamentale mais plus ambiguë, au niveau touristique. Différents projets ont été proposés pour renforcer les connexions touristiques entre ces territoires de proximité culturelle et géographique, mais la crise économique des dernières années a freiné beaucoup d’élans. Par ailleurs, nous notons une logique transfrontalière évidente, une offre touristique complémentaire, mais un modèle économique très différent de chaque côté des cols et plus particulièrement du Somport. Par exemple, en termes de capacité d’accueil touristique, la vallée d’Aspe propose environ 2400 lits marchands et 5700 lits en résidence secondaire, alors que la vallée de Canfranc (qui part du Somport et qui va jusqu’à Jaca) en propose plus de 11 800 et 100 000 lits en résidence secondaire (selon le Comité départemental du tourisme et des loisirs des Pyrénées-Atlantiques). On note la présence du Parc national des Pyrénées (PNP créé en 1967) pour lequel le décret du 15 avril 2009 a officialisé la création d’un nouveau périmètre avec une zone centrale (la zone Coeur) restant inchangée, mais avec une zone d’adhésion élargie sur l’ensemble du territoire de 30 communes (17 en Ossau et 13 en Aspe) : les 13 communes du canton d’Accous, les 8 du canton de Laruns et 9 des 10 communes du canton d’Arudy, soit 110 000 ha. Les acteurs locaux ne mettent pas en avant la présence du parc national sur leur territoire. Le parc est globalement perçu comme un outil réglementaire et non comme un facteur de développement.

La très grande majorité des touristes qui fréquentent le territoire d’étude pratiquent la randonnée au cours de leur séjour. La plus grosse part (60 %) de la fréquentation annuelle se fait entre juin et septembre. Les randonneurs, qui sont les plus nombreux sur ce territoire, sont originaires principalement de la façade atlantique. La durée de leur séjour est relativement importante (plus de cinq jours). Ces vacanciers sont curieux de patrimoine et de gastronomie locale. Exigeants sur la qualité de l’environnement, ils sont plutôt fidèles (25 % reviennent pendant l’année). Pour les touristes comme pour les excursionnistes, le niveau de pratique est intense. La randonnée est proposée sous toutes ses formes ainsi que toutes les activités classiques comme l’escalade, le thermalisme, les sports d’hiver, l’accrobranche, le cyclotourisme, le vol libre et la pêche. La vallée d’Aspe est le pôle touristique qui reçoit le plus d’Espagnols (été comme hiver). Les pratiquants du cyclisme de sport, également très présents sur le territoire d’étude, constituent une population spécifique de touristes. Celle-ci est intéressante, car elle fréquente la vallée sur une période assez large, tout au long de l’année. Ce sont des gens très bien organisés. Les professionnels du tourisme estiment que ce territoire possède une offre touristique réelle, mais confuse. La vallée d’Aspe propose tout un ensemble d’activités, mais difficilement lisibles par les touristes.

Enfin, nous pouvons annoncer un vrai potentiel en matière de gastronomie, mais encore peu valorisé par les restaurateurs, malgré quelques initiatives locales. Il y a ainsi une multitude de petits exploitants sans réelle fédération et, pour l’écrasante majorité, ils dirigent des microentreprises. L’amplitude horaire de travail comme les horaires d’ouverture, les jours de fermeture et les dates de congés, pratiqués par les restaurateurs notamment, provoquent régulièrement le mécontentement des clients (et plus particulièrement des Espagnols). La volonté des restaurateurs de cuisiner avec les productions locales traditionnelles est peu lisible, sauf lors des journées internationales de la gastronomie ou de fêtes locales. En termes de qualité, les prestations proposées sont relativement irrégulières, en fonction des sites et de l’emplacement du restaurant. Les techniciens du tourisme soulignent que la cuisine n’y est pas suffisamment typique. Il s’agit d’un territoire de montagne à la nature préservée et grandiose, mais dont l’offre n’est pas clairement différente des autres territoires de montagne. La Route géologique transpyrénéenne se situe au coeur d’un espace préservé et fréquenté de longue date, mais sa réalité touristique reste encore à construire.

Méthodologie et construction de la grille de lecture

Au cours des différents programmes de recherche auxquels nous avons pu participer ces dernières années, la question de l’évaluation est souvent centrale et les outils nombreux, mais pas toujours adaptés aux questions touristiques et patrimoniales. Nous avons développé des outils d’aide composés de grilles de lecture choisies et adaptées à nos terrains de recherche [10]. Dans le cadre de l’étude de la Route géologique transpyrénéenne, le premier point qui a interpellé notre curiosité est sa notoriété. Beaucoup de personnes dans le département ont entendu parler de cette route, mais finalement très peu l’ont suivie. L’association Géoval, à l’origine de ce projet, est reconnue et mentionnée sur les sites Internet de ses partenaires, notamment touristiques et institutionnels (Office de tourisme de la Vallée d’Aspe, Pays Oloron-Haut-Béarn, Parc national des Pyrénées…). Mais nous pouvons annoncer rapidement que la géologie n’est pas ancrée dans une culture touristique locale. Les intervenants du tourisme font valoir les atouts culturels et historiques ainsi que la gastronomie locale. La beauté des sites et paysages est, bien entendu, également plusieurs fois rappelée. Il s’agit d’un territoire complexe, composé d’une destination touristique reconnue, à savoir la Côte et le Pays Basque, et de deux autres espaces en devenir, le Béarn et le Béarn-Pyrénées, selon la présentation – peu lisible pour les non-avertis – des quatre destinations du département des Pyrénées-Atlantiques [11]. Ce département se cherche encore une identité touristique après avoir fait longtemps référence à deux entités distinctes, le Pays Basque et le Béarn, et avoir tenté ensuite de regrouper ces destinations autour du slogan « Ici, les Pyrénées sont Atlantiques ». Depuis 2013, on assiste au retour d’une division en destinations que l’on tente d’associer à une réalité de pratiques touristiques. Dans ce contexte local particulier et départemental non moins complexe, nous avons voulu tester une grille simple de lecture en revenant sur les points essentiels dans la mise en oeuvre d’un itinéraire thématique le long d’un segment routier enregistrant un trafic important.

Au départ de tout diagnostic, l’évaluateur se pose les questions suivantes : quels phénomènes souhaite-t-il observer ? Quelles sont les données dont il dispose réellement et quel est leur champ d’utilisation ? Quels organismes sont engagés dans le dispositif ? Et l’on constate que la définition des thèmes principaux évolue au cours de la conception des indicateurs. La mise en oeuvre de ces indicateurs devient indissociable de la question des données. Il est fondamental de bien définir ce qu’on souhaite observer et mesurer. Ainsi, le choix d’un indicateur se base toujours sur sa définition et son mode d’interprétation. Un indicateur objective la situation et crédibilise les résultats. Pour étudier cette route d’observation de la géologie locale, nous avons retenu trois dimensions : aménagement touristique, économie et communication. Les critères choisis dans le cadre de cette évaluation sont des critères d’appréciation tenant compte de la spécificité de l’itinéraire étudié. Les indicateurs correspondent à des données quantitatives et qualitatives permettant de construire une échelle de mesure de la performance touristique de sept sites de cet itinéraire.

Différents types d’indicateurs ont été sélectionnés sur les plans de la réalisation (ce qui a été produit avec les moyens en place), du résultat (avantage immédiat pour les publics ciblés), de l’impact (effets indirects des actions au-delà des publics ciblés) et du contexte (situation de l’action et du projet). L’indicateur ne prend de sens que dans le cadre d’un outil d’évaluation. Nous retenons qu’il vaut mieux établir peu d’indicateurs, mais choisir les bons en fonction de l’objectif de l’observation. Notre choix s’est porté sur des indicateurs simples à utiliser et permettant de mesurer de façon objective le point étudié. L’objectif principal de cette démarche est de tester une grille de lecture très personnelle pour mesurer simplement ce type de dispositif. Le mode d’obtention et la définition de chaque indicateur ont autant d’importance que la valeur qui lui est attribuée. Les indicateurs qualitatifs sont principalement retenus en utilisant soit des chiffres, soit des mots, des couleurs ou encore des symboles, afin d’exprimer des points observés. Notre travail de recherche s’est concentré sur la partie française de cette route géologique et plus précisément sur sept sites. Nous avons focalisé l’évaluation des sept sites sélectionnés sur la réponse à une série d’interrogations préétablies pour mener à bien l’observation participante.

Analyse touristique en trois étapes

Les équipements touristiques consomment de l’espace ; nous avons pris en compte les enjeux spatiaux de l’itinéraire. Dans cette première dimension de l’aménagement touristique, les critères choisis portent sur trois aspects essentiels, à savoir la question de la localisation et de l’emplacement des sites et, dans le cadre d’un itinéraire routier, des panneaux directionnels. Dans un deuxième temps, il est important d’étudier l’accès aux sites en examinant particulièrement le dispositif de signalétique. La question de la qualité d’accueil est abordée dans un troisième critère décomposé par l’étude des panneaux et des dispositifs d’information sur les sept sites jalonnant l’itinéraire.

Concernant la localisation de cette route touristique, nous notons qu’elle est implantée sur un axe important à forte circulation. Les concepteurs de cet itinéraire ont pris en compte ce paramètre complexe et en ont fait un atout pour localiser leurs panneaux sans créer d’espaces dédiés s’ajoutant aux installations existantes. En effet, la question du stationnement a été traitée de manière à positionner la majorité des sites d’observation et d’interprétation sur des aires de stationnement préexistantes relevant de la responsabilité soit des services techniques départementaux, soit des services communaux. Ce point a permis à la fois de maintenir en bon état les panneaux (installés en 2008) et d’éviter de surcharger la route nationale avec des points d’arrêt et une signalétique supplémentaires.

Nous avons pu observer, dans le cadre de nos recherches sur le territoire de la Réserve géologique de Haute-Provence (RNGHP) (Venzal, 2006), qu’il est difficile de maintenir à long terme des sites isolés et créés ex nihilo en pleine nature. Les itinéraires mis en place dans la RNGHP ambitionnaient notamment d’établir des points d’intérêt et de visite sur les territoires des communes partenaires en s’éloignant des principaux axes de circulation. Dans ces itinéraires, les sites protégés sont connectés entre eux par la thématique géologique du territoire parcouru, centrée sur l’observation de sites fossilifères référencés mondialement et pour la plupart uniques. Les points d’arrêt proposent aux visiteurs de s’approcher au plus près des sites de fossiles en suivant des chemins de randonnée plus ou moins longs. Il s’agit alors plus de mises en scène de sites géologiques dans le cadre de musées de sites.

La démarche adoptée pour la Route géologique transpyrénéenne est différente : il ne s’agit pas d’un projet à visée géotouristique. Les concepteurs se sont basés sur le tracé de la route nationale transfrontalière pour observer la géologie depuis cet axe majeur dans les Pyrénées. Par ailleurs, l’itinéraire transpyrénéen propose également la visite des villages se trouvant isolés par les déviations successivement mises en place sur cette route nationale. C’est le cas, par exemple, du site situé sur les hauteurs de la commune de Bedous, qui offre un point de vue à 360° sur la vallée et dont le dispositif interprétatif permet de saisir toutes ses étapes géologiques. Mais les sites sont indépendants les uns des autres ; il n’y a pas réellement de sens de visite. On suit les sites le long de l’itinéraire et on choisit de s’arrêter ou de continuer son chemin. De plus, les panneaux de la Route géologique transpyrénéenne ne sont pas directement positionnés sur les sites géologiques. Un ensemble géomorphologique est présenté, et non un détail géologiquement référencé, par exemple, une série de fossiles. Il s’agit d’installations de vulgarisation scientifique tenant compte des spécificités géologiques locales et basées essentiellement sur la lecture des paysages des Pyrénées le long d’un itinéraire routier préexistant et fortement fréquenté.

Tenant compte de ce point essentiel dans l’analyse de l’implantation de la Route géologique transpyrénéenne, nous avons pu remarquer que certains des sites étudiés, pourtant indispensables à la compréhension de la géomorphologie de la chaîne des Pyrénées, ne sont pas facilement accessibles. C’est le cas du site de Belair installé dans le stationnement privé d’un restaurant avec des mises en garde d’interdiction de stationner. Et le site de présentation de la route implanté sur une place centrale de la commune d’Oloron-Sainte-Marie, à proximité de l’Office de tourisme, semble posé dans l’arrière-cours d’un immeuble avec, au fond, des conteneurs d’ordures ménagères.

Ensuite, nous avons étudié le dispositif de signalisation routière de la Route géologique transpyrénéenne. L’objectif de la signalisation routière est de rendre service à l’usager en toute sécurité. « La quantité d’informations indiquées sur la route est donc limitée, car un automobiliste doit pouvoir les percevoir sans avoir à modifier sa vitesse. » (ODIT France, 2008). La signalisation de la Route géologique transpyrénéenne est présente sur l’ensemble du parcours (figure 4). Il y a trois niveaux de signalisation : la signalétique routière relevant de la direction départementale des routes (Conseil général des Pyrénées-Atlantiques), la signalétique d’information locale (SIL) relevant des communes traversées par cet itinéraire et, enfin, la signalétique propre aux sites, qui relève de la qualité de l’accueil et de l’information technique et scientifique. Globalement, la signalisation de cette route est intégrée aux différents dispositifs existants, mais cela induit par ailleurs que, sans une information préalable et un intérêt pour cet itinéraire, l’automobiliste ne sera pas suffisamment interpellé par ces panneaux de signalisation. Par contre, celui qui est informé et qui a choisi de suivre l’itinéraire trouvera les sites avec plus ou moins de difficulté grâce aux dispositifs implantés aux croisements routiers, à la signalétique d’information locale des différentes communes intégrant cet itinéraire et aux entrées matérialisées des sites. Un point négatif sur le terrain, toutefois, certains panneaux n’annoncent pas assez tôt les entrées des sites. Le suivi correct de cet itinéraire sera facilité par un équipement GPS, car chaque site est géolocalisé.

Figure 4

Signalisation homogène et intégrée aux signalétiques d'informations locales et sites perdus dans l'espace public et privé

Signalisation homogène et intégrée aux signalétiques d'informations locales et sites perdus dans l'espace public et privé

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Dans le cadre de notre étude, nous avons pris en compte l’accès aux sites selon le concept d’accessibilité qui relève de trois dimensions essentielles, à savoir la dimension géographique (comment on circule dans une ville, sur un territoire), la dimension physique d’accès aux espaces, notamment publics dans les villes, mais également de loisir comme les plages et la montagne, et une dimension sociale tenant compte des contraintes financières (CERTU, 2002). Nous nous sommes intéressés principalement aux aspects informatifs du dispositif. Comme nous l’avons souligné précédemment, le dispositif d’accueil est léger et en bon état. Il se compose de deux panneaux au minimum : une présentation localisant le site sur l’itinéraire et présentant, chaque fois, l’ensemble de la route. On trouve ensuite au moins un panneau comprenant illustrations et données explicatives très imagées. Il n’y a pas de maison d’accueil ou de centre d’interprétation, au départ du parcours. Une présentation complète de l’ensemble de l’itinéraire et des minéraux qu’on y trouve est offerte au centre de la ville d’Oloron-Sainte-Marie, ce qui laisse la possibilité aux visiteurs d’obtenir des informations complémentaires et les documents pertinents auprès de l’Office de tourisme, partenaire de l’itinéraire. Pour mener à bien ce projet, les concepteurs se sont appuyés sur le savoir-faire et l’expérience de la firme Paleoymás, pour les panneaux explicatifs de Patrick Gély, infographiste qui a conçu le logo de la route et la charte graphique, et de la société Deltaplast (implantée à Sauvagnon à proximité de Pau) pour la signalétique. Depuis une quinzaine d’années, cette société réalise de nombreux dispositifs de signalisation dans le département des Pyrénées-Atlantiques.

La notation choisie dans le cadre de cette grille de lecture est d’un maximum de cinq points par indicateur, avec possibilité d’attribution d’une note négative quand le critère est jugé dévaluant. Nous avons trois critères fractionnés chacun par trois indicateurs, donc une note finale maximum de 45 points (tableau 1).

Tableau 1

Dimension aménagement touristique

Dimension aménagement touristique

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Les sept sites étudiés sur cet itinéraire obtiennent une notation moyenne, selon les indicateurs utilisés, qui reflète le résultat de nos observations participantes et certaines des remarques des professionnels du tourisme obtenues lors de discussions informelles.

Cet itinéraire ayant été conçu sur un parcours routier très fréquenté, il est important de s’intéresser à sa dimension économique. Les critères retenus évaluent ainsi son niveau de popularité, le type de clientèle potentiellement intéressée et enfin son incidence sur le développement local. Nous disposons de très peu de données sur la fréquentation de cet itinéraire finalement difficile à quantifier. Une grande majorité des panneaux étant situés sur des aires de stationnement et de repos, nous avons pu observer que les touristes de passage s’approchent des panneaux et les lisent, mais cela ne signifie pas qu’ils vont suivre l’itinéraire. On est classiquement, comme le souligne Claude Origet du Cluzeau, dans une « séquence culturelle très occasionnelle » d’un attribut local, en l’occurrence la géologie. L’emplacement des panneaux sur ces aires est un choix intéressant pour assurer leur entretien, mais également pour l’information touristique locale. On trouve en effet, sur une grande majorité d’aires de repos, des relais d’information touristique présentant un territoire de façon globale ; mais on a plus rarement la possibilité d’observer la géologie locale en prenant une pause en bord de route. L’idée est peut-être à retenir pour présenter les spécificités naturelles et culturelles d’un territoire de montagne, souvent mal connu et mal compris. On note par ailleurs que l’ensemble du dispositif est en français et en espagnol puisque cet itinéraire relève d’un projet transfrontalier. La charte graphique est reprise sur l’ensemble du parcours, de la signalétique locale aux panneaux explicatifs. Ce point est primordial pour rendre visible un itinéraire de ce type.

La clientèle visée correspond à la fois à un public averti et à des personnes de passage, à savoir des automobilistes ou des randonneurs stationnant à proximité des sites étudiés. À notre connaissance, aucune étude de marketing n’a été menée avant la mise en place du parcours. Il s’agit d’un dispositif de projet de partenariats scientifiques transfrontaliers relevant d’un travail de bénévoles, très motivés. Les risques et les retombées économiques de ce projet restent limités. Il n’y a pas d’enjeu sur les emplois ou les équipements. Les acteurs locaux connaissent et saluent l’implication des bénévoles ainsi que la qualité du travail réalisé, mais ils ne voient pas l’intérêt de valoriser plus spécifiquement ce trajet dans le cadre d’une stratégie de développement touristique. La notation obtenue est assez faible (12 points), car ce projet n’a pas de réelle dimension économique (tableau 2). Son objectif est avant tout didactique et pédagogique, même si on a pris en compte et emprunté certains codes de l’aménagement touristique, dans son implantation.

Enfin, la communication est la dernière dimension ayant suscité notre attention dans le cadre de l’analyse touristique de la Route géologique transpyrénéenne. Nous avons ainsi sélectionné un critère portant sur la vulgarisation scientifique, un autre sur l’utilisation des nouvelles technologies et un dernier critère sur l’animation de l’itinéraire. La vulgarisation est un point important de cet itinéraire mis en oeuvre par des géologues, pouvant certes être considérés par certains comme des amateurs, car non employés dans une structure du type réserve ou parc, mais dont le savoir et les connaissances dépassent largement les frontières géologiques des territoires pyrénéens. Ces bénévoles passionnés de géologie ont cherché à transmettre leur enthousiasme face à ces paysages montagnards emblématiques. Ils n’ont pas voulu impressionner le touriste en insistant

Tableau 2

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sur une spécificité unique au monde. Ils ont eu pour simple ambition de donner à comprendre le relief et les spécificités géologiques de ces paysages. Il n’y a pas de dispositif muséographique accompagnant l’itinéraire, mais un catalogue a été réalisé à l’intention d’un jeune public et des clientèles scolaires, qui demeurent les premiers usagers de cette route. Concernant l’usage des nouvelles technologies, des enseignants ont créé des applications pour leurs classes, mais nous n’avons pas pu les étudier en détail. L’utilisation des tablettes et autres applications sera peut-être l’une des clés pour permettre aux acteurs locaux de saisir l’intérêt touristique de cet itinéraire innovant.

Notre analyse s’est en dernier lieu intéressée à l’animation de cet itinéraire, autrement dit à sa vie territoriale. Une douzaine de visites guidées sont organisées chaque année par l’association GéolVal ; le public est principalement composé de passionnés venus d’autres régions de France et d’Espagne. Il s’agit surtout d’échanges entre spécialistes. Dans le même temps, toute personne intéressée par le patrimoine naturel et culturel des Pyrénées trouvera des réponses en suivant ce type de parcours classé dans les curiosités naturelles par les intervenants locaux du tourisme. La notation sur la qualité de communication de cette route d’observation de la géologie locale est très honnête, étant donné les nombreuses qualités techniques et scientifiques observées sur les sept sites de l’étude (un total de 32,5 points) (tableau 3). Cependant, ces sites ne sont pas suffisamment valorisés touristiquement. Comme le montrent les photos prises lors de nos observations sur le terrain, certains panneaux sont perdus dans l’espace public (centre-ville d’Oloron-Sainte-Marie dans l’arrière cours d’un immeuble) et privé (terrasse d’un restaurant). La route n’est pas utilisée comme support d’un produit par les acteurs du tourisme, qui trouvent ce travail certes très intéressant mais, selon certains, trop scientifique. Alors que les panneaux montrent des qualités de rédaction rigoureuse et non simplement un étalage de savoir scientifique, une véritable communication touristique semble nécessaire afin que cet itinéraire soit réellement exploité, en s’appuyant sur l’expérience des voisins espagnols.

Tableau 3

Dimension communication

Dimension communication

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Si nous cumulons les résultats obtenus donc, sur un total de 135 points, les 7 sites étudiés de la Route géologique transpyrénéenne obtiennent une notation supérieure à la moyenne avec 69,5 points. Ce score est tout de même faible en raison d’un manque de dynamisme économique et touristique dans la conception de cet itinéraire. L’objectif des créateurs est avant tout celui d’une vulgarisation scientifique pour un public très large, mais qui aura besoin d’un minimum de connaissances de base pour accéder à cette observation de la géologie locale.

Conclusion

Nous avons été amenés à nous intéresser à la Route géologique transpyrénéenne dans le cadre d’un diagnostic touristique du territoire du Pays d’Oloron Haut-Béarn. L’analyse de cet itinéraire s’est avérée, au final, très éclairante sur les orientations que peut emprunter un projet de route géologique. Jusque-là, nos travaux de recherche sur le géotourisme se sont limités à l’approche d’itinéraires et de sites aménagés dans des espaces naturels protégés, au développement du réseau des géoparcs et au développement durable de ces territoires. L’étude de cas proposée ici s’oriente différemment et présente le résultat d’un travail de bénévoles et de professionnels passionnés souhaitant simplement donner à comprendre les paysages où ils ont choisi de vivre. Nous ne dirons pas que leurs travaux sont mieux conçus que ceux que nous avons pu étudier auparavant, mais nous pouvons affirmer qu’ils sont tout à fait dignes d’intérêt et que les acteurs du Pays d’Oloron Haut-Béarn devraient peut-être chercher, dans ces présentations, des approches innovantes de valorisation de leurs atouts naturels et culturels.

Mais la route sera longue avant que la géologie locale puisse montrer le chemin d’un développement touristique éloigné des logiques administratives et plus orienté sur la notion de projets. À l’heure où la question des frontières administratives se pose de plus en plus dans la construction des projets de développement touristique, la référence à l’analyse des itinéraires touristiques transfrontaliers pourrait aider à comprendre l’intérêt de dépasser les limites imposées. En effet, comment passer d’une logique de limites territoriales à une logique de destination touristique sans se poser des questions sur la place des itinéraires touristiques dans le développement local ? Et au-delà de cet aspect technique, l’étude et l’analyse complète de cette route géologique transportant les voyageurs de chaque côté du massif des Pyrénées devrait apporter des réponses sur l’intérêt d’une approche territoriale réellement géotouristique permettant de lire et de comprendre les paysages d’hier et de demain.