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Dans la continuité des travaux de l’École française de géopolitique, cet ouvrage rassemble les contributions de 24 auteurs, 16 d’entre eux travaillant directement au sein de l’Institut Français de Géopolitique de l’Université Paris 8. Au-delà de cette cohérence de l’équipe de recherche, l’ouvrage rassemble également les textes d’auteurs étrangers ou provenant d’autres disciplines (science politique, éducation, étude des civilisations, etc.). Issues d’un colloque tenu en 2011, les contributions sont centrées sur les dynamiques de frontiérisation, appréhendées tant au niveau des relations interétatiques (frontières politiques) qu’à celui des relations sociales (frontières linguistiques, religieuses, socioéconomiques, etc.). Après une introduction, correspondant au texte de présentation du colloque, l’ouvrage s’organise en trois temps : Conflits et frontières, Frontières poreuses ou frontières étanches ?, Frontières urbaines : frontières choisies, frontières subies. Chacune de ces parties fait l’objet d’une mise en perspective introductive.

La première partie est inaugurée par un texte de Michel Foucher, centré sur la « réaffirmation des frontières politiques internationales ». De fait, les contributions se focalisent sur des exemples emblématiques de frontières étatiques (Israël / Palestine, États-Unis / Mexique, Soudan / Soudan du Sud, etc.) et sur leurs enjeux géopolitiques – au sens de « rivalités ou de rapports de pouvoirs et d’influence sur des territoires », pour reprendre les termes d’Yves Lacoste, cité dans l’introduction. Dans cette optique, la matérialité de la frontière, incarnée par les murs – qu’ils soient matériels ou symboliques – s’impose jusque dans le champ du cyberespace, l’« affirmation du caractère territorial de l’Internet » étant relié au poids des États, et plus particulièrement des États-Unis.

La deuxième partie analyse les dynamiques frontalières et leurs impacts sur les sociétés. Dans une Union européenne aux frontières internes poreuses, la circulation des « Roms migrants » constitue un enjeu de premier plan : considérés comme une minorité transnationale, les Roms sont à la fois l’emblème d’une nation mobile et déterritoralisée, mais aussi d’une population « d’étrangers partout, y compris dans leur propre pays ». Le renforcement des frontières linguistiques entre Flandre et Wallonie, ou des frontières religieuses entre catholiques et protestants à Belfast, illustrent également toute l’ambiguïté des logiques frontalières intra-européennes, dans le contexte d’une frontiérisation des limites externes, notamment en Andalousie face aux migrants clandestins extra-européens.

Les dynamiques frontalières relèvent ainsi d’enjeux multiscalaires – de l’échelle (supra)nationale à l’échelle locale – comme dans l’espace intra-urbain, choisi comme cadre d’analyse dans la dernière partie. Le glissement sémantique de la frontière interétatique à la ségrégation sociospatiale est pleinement assumé, notamment à travers la notion de ghetto. Différents degrés de ségrégation sont abordés – de la « jeunesse urbaine » des banlieues françaises aux gangs et rivalités ethniques en Californie. En outre, les stratégies des acteurs face aux logiques ségrégatives sont mises en perspective : processus de gentrification, stratégies de scolarisation, percée politique de l’extrême droite.

Au final, cet ouvrage, appuyé sur de nombreuses cartes et références bibliographiques, constitue non seulement une entrée réflexive intéressante sur les problématiques frontalières contemporaines, mais également une bonne synthèse théorique des recherches actuelles sur la géopolitique des frontières.