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Sous la direction de Lucie K. Morisset, 19 auteurs exposent leur lecture des réalités urbaines contemporaines. Un regard diversifié de nature transdisciplinaire est porté sur des villes et les appropriations effectuées par les habitants en fonction des types d’urbanisation, de la production de patrimoine ou de paysages culturels ainsi que des identités induites par le bâti et les lieux de vie, sans omettre les projets en cours de réalisation et leur finalisation espérée. La place du bâti urbain dans la construction identitaire contemporaine, la constitution matérielle de la ville, la configuration physique et imaginaire, ainsi que les orientations architecturales annoncent les formes d’appropriation de la ville. Il est donné aux lieux une faculté d’engendrer une appartenance, de créer une identité liée à l’imaginaire collectif par l’intermédiaire du « génie du lieu », tout en assimilant les temporalités propres à chaque ville avec ses dimensions culturelles et patrimoniales. Les innovations perpétuelles, le rôle du marché, les mouvances culturelles et artistiques, les obligations et les contraintes locales contribuent à l’expression d’un « esprit du lieu » pour tendre vers la capacité à vivre la ville avec l’imaginaire qui l’accompagne et l’effervescence créatrice, source intarissable de la constitution du patrimoine urbain.

L’ouvrage est structuré en trois parties. Les identités volontaristes pour chercher le devenir-ensemble commencent l’appropriation des villes. Puis, un urbanisme patrimonial avec ses enjeux et hors-jeux du développement local poursuit le cheminement. Enfin, se pose la question d’approprier ou de s’approprier en jouant de la culture comme on joue des modèles. Les 17 chapitres apportent une densité conséquente à cette production. Il est extrêmement compliqué et délicat de synthétiser cette hétérogénéité de villes, de dynamiques urbaines et de perspectives d’études. Toutefois, nous relevons la valorisation des zones urbaines abordées, une volonté affirmée de rendre la complexité de la production de l’urbain et de son appropriation, un décentrement quant à l’expression des temporalités mises en évidence, ainsi que des ancrages par l’intermédiaire de monuments et de constructions remarquables, afin d’étayer les mouvances sociétales, les paysages en évolution et le patrimoine immobilier ainsi vécu et exposé par les habitants.

Les lieux urbains de la ville sont donnés comme étant des références sociétales partagées et projetées au titre d’identités locales. Dans cette optique, les monuments et les bâtiments participent à la focalisation de l’intérêt des habitants. Les acteurs oeuvrent pour concevoir une ville en effervescence pour qu’elle devienne exceptionnelle aux yeux des résidants et surtout à ceux des gens de l’extérieur. Les territoires mémoriels, tels que les musées, sont employés pour renforcer les ancrages. Ces aspects n’enlèvent rien à l’emprise de la performance économique et touristique attendue pour toute ville. L’amélioration du rayonnement, des flux, les réponses aux besoins ainsi qu’à la gestion des crises internes influent sur les transformations induites par les populations. Dans ce mouvement, la qualité architecturale et la faculté de se trouver à la pointe de l’innovation pour faire de la ville une vitrine ne dissimulent pas la spéculation immobilière qui alimente la patrimonialisation de certains quartiers d’une ville. Là, les rôles des administrations, des autorités et des investisseurs se trouvent imbriqués. De tout ceci émerge une large diversité socioculturelle, ethnique et sociétale propre aux métropoles. Cette mosaïque engendre une multitude de formes d’appropriation des espaces urbains. Les habitants développent des modes d’expression pour exposer leur appropriation, leur territorialisation, leur possession et leur évolution, qui démontrent une élévation du rang social. Ils s’appuient sur des marqueurs spatiaux. Ces derniers permettent la construction d’une identité par l’intermédiaire des projets mis en oeuvre et des résultats rendus explicites à tout observateur. Ces dynamiques sont indissociables de l’évolution historique de chaque ville qui contribue à la préservation de la mémoire collective en se rappelant les changements de propriétaires, les modes d’exposition, les implications collectives et l’imaginaire sous-tendus par les constructions qui font la ville.

Toute oeuvre porte en elle une incomplétude construite selon les attentes, les perspectives de lecture, les références ou les contextualisations des observateurs et des lecteurs. Dans le cas présent, nous regrettons l’absence de la géographicité, de la convivance et des territorialités. Ces dernières mettent en exergue les dynamiques territoriales qui façonnent l’urbain en lui donnant son socle identitaire. La convivance invite les individus à vivre en harmonie, alors que le devenir-ensemble est restrictif dans ses mises en oeuvre. Enfin, la géographicité immerge les citoyens au coeur de la nature de leur rapport au monde en s’appuyant sur les leviers culturels, patrimoniaux et paysagers. Ces traits sont en corrélation avec la thématique développée par les auteurs, sans pour cela avoir été employés, alors qu’ils ouvrent une dimension de théorisation qui, probablement, n’était pas voulue par eux.

Néanmoins, cet ouvrage collectif nous fait voyager du coeur d’une ville ancienne, telle que Québec au patrimoine riche, jusqu’aux dynamiques architecturales contemporaines comme celles abordées pour Toronto, en passant par l’évolution de Belgrade ou encore la volonté d’une ville durable, avec les projets présents à Tokyo, voire projectives, avec la durabilité attendue à Bordeaux. La diversité des axes d’approche, de lecture de la ville, des dimensions et des mises en relief des spécificités patrimoniales, organisationnelles ou paysagères, donne aux lecteurs, étudiants, professionnels ou enseignants, ainsi qu’aux curieux, un support fonctionnel qui mérite le détour. Le document offre des pistes pour que les citoyens et les sociétés vivent dans les meilleures conditions, malgré l’urbanisation parfois destructrice des villes. Pour cela, des jalons patrimoniaux doivent être préservés en même temps que doivent être permises les évolutions impératives de la qualité du bâti, des paysages culturels et des infrastructures produites par les multiples formes d’appropriation.