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Introduction

Dans ce dossier thématique, nous proposons d’examiner le rapport des personnes immigrantes à la ville et à l’espace urbain, envisagé sous l’angle particulier du « droit à la ville » (Lefebvre, 1968 et 1972 ; Donzelot et al., 2003 ; Harvey, 2015). Ce droit peut être défini à la fois comme le droit de jouir de la ville et de ses divers services, de ses intersubjectivités, et comme le droit d’appartenir à la ville, d’y tenir une place, de prendre part à sa planification et à sa gestion, ainsi que de représenter les instances décisionnelles ou y être représenté (Lefebvre, 1967).

Le droit à la ville est un concept qui a été souvent pensé par rapport aux lignes de division de la classe sociale. Il aura permis de rendre visibles les besoins et les revendications des classes ouvrières, des classes pauvres et précaires, mais il reste peu pensé dans sa dimension genrée et dans son lien avec l’immigration et les immigrants. Pourtant, les immigrants ont été et sont toujours très présents parmi les groupes en situation précaire, dans les modalités de leur emploi (Morin et Hanley, 2004) et dans les conditions de leur simple présence dans la ville d’immigration.

Les immigrations contemporaines envisagées sous l’angle du droit à la ville amènent à se questionner sur ce qu’il en est des divers groupes sociaux et de leur droit à la ville contemporaine, dans un contexte marqué par une croissance de mobilités migratoires « super-diverses » (Tarrius, 2007 ; Vertovec, 2007), par la diversification des modes de vie urbains et par des restructurations majeures de l’État et des services publics, incluant les services spécifiques offerts aux immigrants. La figure de l’immigrant ou de l’immigrante se double ici de celle du travailleur urbain appartenant aux classes populaires et défavorisées.

Un retour aux origines du concept du droit à la ville

Henri Lefebvre pense et élabore le droit à la ville en 1967, à un moment charnière de la transformation de la société française (1967 et 1972). L’année suivante, en France, les classes ouvrières et laborieuses, les jeunes, les femmes, les travailleurs des ex-colonies se lancent presque simultanément dans des mouvements de protestation, dans des manifestations et diverses actions de résistance, le tout étant par la suite connu sous le nom de mai 68. Ils se positionnent dans un dialogue national qui exprime à la fois une demande antiautoritaire de changement et la suppression de l’ordre établi. « Il est interdit d’interdire » est le slogan de cette révolution sociale. Il exprime tout à la fois l’esprit de ces demandes et l’air du temps.

Dans ce contexte social en pleine mutation, le droit à la ville devient une sorte de pressentiment de ces événements et un prédiagnostic de la transformation majeure de la société et de la ville. Jusque-là vue comme le simple théâtre de ces soubresauts, la ville est, dans la lecture que propose Henri Lefebvre, partie prenante de ces problèmes : ces problèmes sont des problèmes urbains. La lecture que fait Lefebvre de la ville permet de voir la centralité de celle-ci et son importance dans la « production et la reproduction de la vie urbaine » (Harvey, 2015 : 20). L’auteur met ainsi le doigt sur des éléments fondateurs de la ville, en ce qu’elle est un espace matériel, mais aussi un espace social et politique dans lequel s’inscrivent des luttes sociales de classes. Aujourd’hui, nous dirions que ces luttes sont également entre groupes aux valeurs et idéologies distinctes. Les rôles, les fragilités, les demandes et les batailles entre ceux qui s’opposent – généralement entre dominants et dominés, mais aussi entre ceux qui ont des visions et des idéaux de société distincts – y sont sans cesse renouvelés.

Les thèmes de l’industrialisation et des espaces de production dans la ville, la question du rapport entre la ville et la campagne, et la situation de la crise urbaine comme une crise culturelle et politique de la ville sont des lectures de la ville on ne peut plus actuelles, car elles réitèrent des rapports entre ceux qui dominent ces espaces et ceux qui essayent de s’y frayer une place. Cela dit, des lectures plus récentes apportées notamment par les théories critiques, postcoloniales, les théories critiques de la race, rendent visibles de nouvelles démarcations dans la ville, et dans le droit à la ville, celle de la race intersectée avec le genre et la classe sociale.

Tout l’intérêt du concept du droit à la ville, tel qu’il a été développé par Henri Lefebvre, tient non seulement à sa capacité de traduire l’intensité de la fracture sociale au moment historique où ce concept a été pensé, mais aussi à sa capacité de penser la ville justement en abstraction des contextes ponctuels et localisés. Les réalités qui ont alimenté la vision de l’auteur sont en constante évolution dans des mondes contemporains où le précariat urbain a remplacé la classe ouvrière (Harvey, 2011) : un précariat souvent composé de celles et de ceux que les politiques néolibérales à l’échelle de la planète placent dans des positions fragiles, mobiles, précaires et dominées. Le droit à la ville devient ainsi une demande sans cesse reformulée au droit à la vie urbaine qui s’ouvre à tous les citadins, y compris aux personnes immigrantes et aux sans-papiers. C’est un concept se prêtant à des lectures intersectionnelles qui situent le rôle du genre et de la race, en plus de la classe sociale, dans la compréhension de la position de ce précariat, qu’il soit natif ou immigrant.

À ce titre, il faudrait différencier le droit à la ville et « l’idée de droit à la ville ». Comme le note à juste titre David Harvey, « l’idée de droit à la ville » est quelque chose qui saute aux yeux, qui émerge de la rue, du quartier et des demandes et besoins impératifs de ceux qui y vivent ou y travaillent. Ce droit naît des luttes pour et dans l’espace urbain ; ce n’est donc pas de simples « fascinations et marottes intellectuelles » (Harvey, 2015 : 15). « L’idée de droit à la ville » exprime un besoin imminent et fort de groupes dont la position dans la ville est fragile. Elle « s’exprime par un appel au secours et à la subsistance d’individus opprimés [ou encore exclus, marginalisés ou exploités] en des temps de difficultés extrêmes » (Ibid.). En cela, elle diffère du droit à la ville qui, lui, est « un cri et une demande » (Idem : 11) s’opposant au « capitalisme d’urbanisation » (Idem : 19) qui, en transformant la ville en commodité à vendre et à acheter, a justement vidé la ville de son sens et a produit fragilité sociale, précarité et exploitation. Le droit à la ville est à comprendre dans le sens d’une action ; c’est une voie révolutionnaire par laquelle ceux qui « construisent et entretiennent la vie urbaine » sont ceux qui sont en droit d’être les « premiers à pouvoir revendiquer ce qu’ils ont produit » (Idem : 20).

Il y a, dans l’idée du droit à la ville, une reconnaissance de la fin de la ville : « La ville est morte… vive la ville » (Ibid). Ce constat démontre la fin de la ville traditionnelle, monocentre et marquée par un cloisonnement des fonctionnalités de l’espace : une ville blanche où il existe une séparation stricte entre espaces sexués (Coutras, 1996 ; 2003). Le droit à la ville devient « un signifiant vide » dont le sens est à déterminer, et aussi un projet révolutionnaire inéluctable. La révolution qui s’annonce ici n’est pas seulement une révolution économique résistant à la ville néolibérale, comme le pense David Harvey, mais c’est une ville inclusive, interraciale et cosmopolite.

Dans sa manière de penser la ville, Henri Lefebvre est visionnaire, car il situe d’emblée des lignes de réflexion, des points de tension qui continuent d’alimenter les débats publics autour de la ville jusqu’à nos jours, surtout quand il s’agit d’immigrantes et d’immigrants nouvellement arrivés dans la ville. Le droit de la ville d’Henri Lefebvre est un regard vers l’avant, vers l’avenir des villes et de ceux et celles qui y occupent une place. Plusieurs auteurs, dont le géographe David Harvey, se sont inspirés du droit à la ville et en ont proposé des lectures inédites. Si la question principale posée par Lefebvre peut se résumer ainsi, « quelle ville avons-nous et comment cette ville est-t-elle produite ? », celle que pose David Harvey, et à laquelle il s’emploie à répondre, est plutôt « quelle ville voulons-nous ? », et aussi « quelle ville méritons-nous ? ». La «revendication du droit à la ville » passe, selon lui, par la rébellion, la révolte, seules voies de revendication valables face à la violence de la crise capitaliste de la ville (2015 : 23).

En plus de ces visions révolutionnaires, des lectures culturalistes et postcoloniales de la ville apportées par des auteurs postcoloniaux peuvent contribuer à renforcer la fonction du droit à la ville de construire des villes plus inclusives et plus diverses, où la ville et ses espaces servent de support à des intersubjectivités qui englobent à la fois des manières d’être ensemble et des formes de l’agir urbain plus respectueuses et inclusives de l’autre et de sa diversité, soit-elle culturelle (Soja, 1996 et 2011 ; Bhabha et Rutherford, 2006 ; Bhabha, 2007), raciale ou de genre (Peake et Ray, 2001 ; Staeheli et Kofman, 2004 ; Staeheli et al., 2004 ; Bunnell et al., 2012). Le droit à la ville devient ici un droit à la ville inclusive.

Penser le droit à la ville des personnes immigrantes

Si David Harvey et Henri Lefebvre ne situent pas le rôle et la place des immigrantes et immigrants dans une catégorie d’acteurs à part entière dans le processus d’appropriation de la ville, il ne s’agit pas d’un oubli. La manière de penser le droit à la ville se concentre moins sur une catégorie de citadins, que sur la position dans la ville. Les personnes immigrantes, comme les personnes itinérantes ainsi que les classes ouvrières, se situent dans les catégories de précariat urbain dont parlent les deux auteurs. La ville capitaliste, néolibérale, telle que pensée et décrite par Lefebvre et Harvey, est aussi une ville immigrante. C’est une ville dont l’espace est marqué par d’autres formes de cloisonnement et de fragmentation qui placent les immigrants dans des postions sociales et spatiales subalternes.

L’usage que la ville néolibérale fait des immigrants est avant tout utilitariste, lié au travail. Ces personnes subissent des « reconfigurations du travail » (Falquet, 2008 : 32) qui, non seulement les placent en bas de l’échelle sociale dans une sorte de sous-classe (De Genova, 2010 : 406) aux contours flous, mais les situent aussi spatialement à la périphérie de la ville dans des « banlieues du Nord » (Falquet, 2008 : 34) où elles vivent le plus souvent des conditions de vie propres aux pays pauvres (De Genova, 2010).

Les modalités d’expression de cette inégalité spatialisée des immigrants sont variables. Elles trouvent une forme ultime dans la manière dont le statut migratoire contribue aux inégalités économiques, sociales et spatiales vécues par les immigrants et dans lesquelles « la création de sans-papiers permet une très profitable délocalisation sur place » (Falquet, 2008 : 37-38). Le genre, la race et la classe sociale interfèrent avec ce système de cloisonnement spatial qui place les immigrants à la périphérie des richesses collectives et des espaces où ils peuvent en bénéficier. Des systèmes intersectionnels dans lesquels différentes combinaisons de rapports genre-classe-race-localisation urbaine opèrent pour produire différentes formes « d’extorsion de travail » (Moujoud et Falquet, 2010 : 170), de déclassement et de rapports de domination à l’encontre de ces immigrants.

Compte tenu de ce contexte, le but des articles rassemblés ici est d’investiguer plus en profondeur le droit à la ville des personnes immigrantes quel que soit leur statut migratoire (immigrants permanents, réfugiés, demandeurs d’asile, travailleurs temporaires ou migrants au statut précaire) en mettant en lumière les enjeux particuliers auxquels ils sont confrontés, ainsi que les stratégies, pratiques et initiatives qu’il leur est possible de mettre en place pour participer et jouir pleinement de la ville au quotidien.

La question de l’immigration dans la ville est souvent présentée, dans la littérature universitaire et dans les médias, à travers les problèmes qui lui sont associés : des problèmes liés à l’accès au logement, aux services sociaux et aux soins de santé, les difficultés d’accès aux services urbains, celles liées à l’effort de trouver et garder un emploi (Arcand et al., 2009 ; Chicha, 2009 ; Boudarbat et Connolly, 2013), voire à certaines formes urbaines de violence liées, pense-t-on souvent, à une intégration déficiente (Juteau et McAndrew, 1992 ; Hiebert, 2000 ; Arcand, 2009 ; Chicha, 2009 ; Chicha et Deraedt, 2009 ; De Genova, 2010 ; Kofman, 2010). Certains pays, comme la France, ont connu de manière récurrente des émeutes urbaines dans les quartiers de l’immigration (Balibar, 2006 ; Pouchepadass, 2008) qui sont l’expression d’un refus d’injustices et de discriminations à l’égard des immigrantes et des immigrants (Begag, 1990).

Parlant du droit à la ville des personnes immigrantes, la question des inégalités économiques et des inégalités d’accès aux services se double de celle de l’hospitalité et de l’accueil. Il suffit de penser à la manière dont, en Allemagne, la nuit du Nouvel An 2015, des agressions isolées à l’encontre des femmes ont été présentées par les médias comme une sorte de mouvement concerté de violence dirigée spécifiquement contre les femmes allemandes (Gouëset, 2017 ; De Mareschal, 2018). Tout cela se passait sur fond de crise syrienne, à un moment où l’Allemagne était critiquée pour avoir ouvert ses frontières aux migrants (Gouëset, 2017). Au Canada, cela fait aussi écho à la perception négative des Canadiens à l’égard de la vague de migrants en provenance des États-Unis à la suite des décrets anti-immigration promulgués par le président américain (Levitz, 2019). Au Québec, c’est la question du vivre-ensemble qui mobilise présentement les débats publics. Un effort législatif va progressivement élargir l’espace public au détriment de l’espace privé en amenant des projets de loi pour réglementer les pratiques religieuses de certains citoyens issus de la diversité, surtout en ce qui a trait au port de signes religieux dans les espaces collectifs et dans les services publics (ANQ, 2013 et 2019).

La présence et l’accès des immigrants à l’espace public urbain semblent être difficiles, conditionnés et parfois même objets de ségrégation, d’où la nécessité de penser le rapport des immigrantes à la ville à travers la notion du droit à la ville. Ce concept permet de prendre en compte l’ensemble des difficultés précitées, tout en reconnaissant l’agentivité des personnes immigrantes et leur capacité d’interagir avec l’espace, voire de l’influencer (Soja, 1996 ; Tarrius, 1996 ; 2000 ; 2007 ; Bhabha et Rutherford, 2006 ; Soja, 2011).

Les contributions : nouvelles perspectives sur le droit à la ville et les personnes immigrantes

Les articles rassemblés ici découlent d’un colloque tenu lors du congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), à l’Université McGill (Montréal) en mai 2017, auxquels a été jointe une contribution faisant suite à un appel lancé à travers les réseaux des coorganisatrices. Les auteurs examinent une panoplie d’enjeux qui traitent du rapport entre immigration et espace urbain.

Outre l’attention centrale portée à l’espace urbain, tant comme scène que comme enjeu et acteur, dans les processus sociaux, ce numéro thématique contribue à l’avancement des recherches sur le droit à la ville aux plans empirique, conceptuel et méthodologique, en examinant les dynamiques entre contraintes structurelles et agentivité, et ce, à diverses échelles (le quartier, les collectivités, la région urbaine) dans des contextes distincts (Canada, Québec, diverses villes, etc.).

Dans leur ensemble, ces articles offrent un regard novateur sur le droit à la ville en examinant plus spécifiquement le vécu urbain des personnes immigrantes à travers des approches interdisciplinaires et collaboratives. Des chercheuses et chercheurs dont les travaux sont présentés ici proviennent de plusieurs disciplines (anthropologie, éducation, géographie, sociologie et travail social), et deux des articles (Blain et al. ; Hanley et al.) ont été coécrits par des équipes composées de chercheuses et chercheurs et de praticiennes travaillant dans des organismes qui oeuvrent auprès de populations issues de l’immigration. Ces approches abordent ainsi des enjeux en lien avec la vie quotidienne des immigrantes et des immigrants dans la ville, des enjeux auxquels peu d’attention a été portée jusqu’à présent, à savoir la qualité de l’accueil dont bénéficient les personnes réfugiées lors de leur intégration professionnelle, l’influence qu’ont la composition et les caractéristiques d’une famille nouvellement arrivée dans l’accès au logement, et le rôle du transport dans les expériences de travailleurs employés par des agences de placement temporaire. Ce faisant, l’accent est mis sur des interactions sociales très spécifiques ayant lieu dans des espaces et à des moments particuliers qui permettent de capter leur temporalité et leur rythme. Il s’agit, par exemple, des expériences vécues lors d’une rencontre avec un conseiller en emploi ou d’un appel téléphonique avec un propriétaire de logement, ou encore les conditions de transport pour se rendre au travail, impliquant un manque de contrôle sur les horaires et, surtout, des sensations d’insécurité lors de longs trajets dans un camion bondé d’inconnus.

En particulier, les auteurs examinent ces expériences à travers une importante sensibilité aux intersectionnalités des marqueurs identitaires, allant au-delà du genre, de la race et de la classe sociale (Collins, 1990 ; Bilge et Denis, 2010 ; Bilge, 2012 et 2013 ; Maillé, 2014 ; Collins et Bilge, 2016) pour inclure l’âge, la langue et les compétences linguistiques, le rôle des catégories d’immigration (réfugiés, travailleurs qualifiés, etc.) ainsi que le statut migratoire (permanent, temporaire, précaire), le statut familial et la composition des ménages. Ces articles permettent de mettre en lumière les facteurs subtils qui modulent les expériences des personnes immigrantes dans l’espace urbain en ce qui a trait à des aspects significatifs de leur vie présente, mais aussi future, c’est-à-dire les possibilités de carrière professionnelle, les expériences et les trajectoires résidentielles, les cycles de vie comme l’entrée dans l’âge de la retraite et, enfin, le rôle du transport et de la mobilité dans l’accès à la ville.

Dans son article sur l’accès au logement pour les familles de nouveaux arrivants francophones dans la région métropolitaine transfrontalière d’Ottawa-Gatineau, Chloé Reiser examine les diverses trajectoires résidentielles possibles qui découlent des agencements particuliers entre marqueurs identitaires et caractéristiques familiales, d’une part, et le contexte territorial, de l’autre. À travers une approche intersectionnelle inspirée par la géographie féministe, elle examine l’influence des marqueurs d’identité et de leur intersection sur l’accès au logement abordable et l’intégration résidentielle des familles de nouveaux arrivants francophones à Ottawa-Gatineau, une agglomération bilingue qui constitue la seule région métropolitaine de recensement divisée par une frontière interprovinciale. Si ces familles comptent parmi les ménages les plus vulnérables en matière de logement dans la région de la capitale nationale, les différences marquées entre les trajectoires résidentielles au sein du même groupe nous poussent à explorer les combinaisons uniques qui s’effectuent et qui varient en fonction du contexte géographique et temporel. Une attention particulière sera accordée au rôle de l’espace et à la détermination d’autres facteurs que la classe, le genre et la race dans ces combinaisons. À travers une approche de géographie féministe, cette étude exploratoire s’appuie sur des entretiens semi-directifs réalisés avec des intervenants communautaires, ainsi qu’avec des familles immigrantes francophones dans les deux municipalités.

La question de l’emploi des (im)migrants et plus particulièrement des réfugiés est abordée dans l’article de Marie-Jeanne Blain et coauteurs. Ceux-ci montrent que le Québec a accueilli plus de 26 000 personnes réfugiées entre 2011 et 2015 (MIDI, 2016), et que les migrants ne sont pas répartis de la même manière sur le territoire selon leur statut migratoire. Contrairement aux immigrants sélectionnés, dont plus de 75 % résident à Montréal, seulement 55 % des personnes réfugiées s’établissent dans la métropole, et le reste dans les régions. Les personnes réfugiées peuvent rencontrer des défis particuliers (trajectoires prémigratoires précaires, allophones, niveau de scolarité, etc.) qui influencent leurs trajectoires de manière différente selon qu’ils sont dans une grande métropole comme Montréal ou en région. La contribution de Blain et coauteurs présente les résultats d’une recherche-action menée avec la Table de concertation des organismes au service des personnes immigrantes et réfugiées (TCRI) et dont le but est de mieux comprendre les processus d’intégration professionnelle de personnes réfugiées, ainsi que les ressources d’employabilité. Dans le cadre de cette recherche, 14 personnes réfugiées et 17 intervenants du milieu communautaire ont été rencontrés à Montréal et en région. Au coeur des entrevues menées, le thème de l’accueil est apparu comme une dimension fondamentale, tant du point de vue des personnes réfugiées que des intervenants. Les coauteurs explorent en quoi « l’accueil » est une porte d’entrée pour le vivre-ensemble, exploré à travers l’emploi, mais touchant plus largement la vie sociale.

Jill Hanley et ses coauteurs ont observé la situation des travailleurs d’agence dans leurs mobilités urbaines. Ils ont étudié la manière dont le transport agit comme vecteur d’accès, mais aussi comme vecteur de pratiques d’évitement dans la ville. Les agences de placement sont une porte d’entrée sur le marché du travail incontournable pour beaucoup d’immigrants au Québec. Les migrants à statut précaire sont fortement surreprésentés dans cette façon d’accéder à l’emploi, connue pour sa précarité et la violation des droits du travail. L’article de Hanley et coauteurs partage les résultats d’une recherche longitudinale sur les trajectoires de 40 travailleurs d’agence, à Montréal et les environs. Le transport ressort comme un facteur important, quelque chose qui, à la fois, facilite et empire les conditions d’emploi des agences. L’offre du transport par les agences ouvre la porte sur des postes en dehors de la ville, mais peut aussi devenir un facteur de contrôle, de danger et d’exploitation. En même temps, les trajectoires de transport en commun utilisées par les travailleurs peuvent devenir des lieux et des moments d’apprentissage, d’échange et de début de défense des droits. L’article conclut avec des réflexions sur les politiques qui touchent les questions du transport et le travail, et sur les pratiques de défense des droits qui pourraient tirer profit du moment offert par le temps de transport.

Les contributions réunies dans ce dossier thématique donnent une substance au droit de la ville à un moment où, à l’échelle de la planète, la ville continue aussi à vivre des mutations multiples et rapides. L’automne 2019 aura vu l’actualité internationale rapporter de nouveaux faits divers et des formes de conflits sociaux dont la ville est à la fois la scène et l’enjeu. Les exemples recoupent les émeutes urbaines au Chili, à Hong Kong, en passant par le mouvement des gilets jaunes en France, lequel dure depuis au moins 2018. Les différents articles auront permis de brosser des portraits complexes des personnes immigrantes et des villes où elles ont choisi de vivre. Les portraits font ressortir des défis complexes qui ne sont en aucun cas l’expression d’échecs, mais au contraire, d’un droit à la ville qui s’articule dans des luttes quotidiennes, dans des cycles de la vie, et dans une dimension intime.