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Introduction

En parcourant la littérature sur la question mémorielle, on ne peut que constater la récurrente mise en relation du registre mémoriel et de l’invocation du patrimoine. La forte proximité entre ces deux concepts réside dans la multiplication des revendications mémorielles au sein d’un processus plus large de patrimonialisation. Veschambre (2009 : 2) note, à ce sujet, que « la patrimonialisation d’un édifice exprime son obsolescence, sa désaffectation et se traduit par un changement de sens : il devient porteur d’un passé révolu, support d’une construction mémorielle ».

En effet, la patrimonialisation est la démarche qui consiste en la reconnaissance de la valeur patrimoniale des biens matériels et immatériels par des groupes sociaux, en vue d’asseoir la légitimité d’une politique de sauvegarde et de protection (Davallon, 2014). Le patrimoine n’est alors pas considéré comme un état inhérent à certains objets, mais comme le résultat d’actions par lesquelles un collectif accorde une valeur patrimoniale à certains biens (Melé, 2005 : 51). Edelman (2003) souligne, à propos de la relativité de la valeur patrimoniale, qu’à partir du moment où le patrimoine n’est plus une question relevant du sacré et de la passion, il devient une « affaire de compromis » et un objet politique.

Ce compromis patrimonial se construit à la suite de conflits et de controverses qui font l’objet d’une mise en valeur différenciée de la mémoire par les groupes sociaux. Par ailleurs, ces situations de conflit patrimonial témoignent de la considération que le politique privilégie à l’égard des espaces patrimoniaux (Veschambre, 2007). Sur la question des enjeux de pouvoir liés au patrimoine, Gravari-Barbas, en évoquant les luttes associatives menées à l’égard des opérations de démolition, qualifie le patrimoine ainsi défendu « d’outil d’opposition sociale ou politique » (1996 : 62). Cette opposition s’exprime sous forme de conflits mémoriels et patrimoniaux, que Melé considère comme étant « des moments privilégiés d’argumentation, de justification, d’expression de positions, de construction d’alliances et de rapports de force, de débats sur les modalités et les impacts des actions publiques » (2005 : 51).

La réflexion proposée se situe au croisement de trois notions : la mémoire, le patrimoine et l’action urbaine. Nous essayons ici d’éclairer la question de l’usage du patrimoine et de la mémoire par les différents acteurs en présence, ceci, afin de pouvoir maîtriser l’espace urbain et comprendre son articulation avec les enjeux de pouvoir. En d’autres termes, quels usages de la mémoire collective les groupes sociaux peuvent-ils faire lors des conflits patrimoniaux ? Quels en seraient les effets sur l’espace urbain ? Pour répondre à ces interrogations, nous avons choisi le quartier Sidi El Houari, situé à Oran dans l’ouest algérien. Exposé à des situations conflictuelles, Sidi El Houari est au coeur d’enjeux politiques, socioéconomiques et identitaires mêlant plusieurs acteurs aux logiques divergentes et aux visions contrastées.

En dépit de son classement en secteur sauvegardé, à travers une patrimonialisation par le bas, Sidi El Houari a connu plusieurs opérations de démolition. Ces opérations sont accompagnées du relogement des habitants vers les nouveaux quartiers périphériques de la ville. Les démolitions sont interprétées comme une rupture irréversible dans l’occupation de l’espace par les couches populaires. Aux yeux des populations locales, cette situation s’apparente à une liquidation progressive d’une partie de l’esprit d’un lieu et de sa mémoire collective. Verret (1996) note, à ce sujet, que ces types d’opération renvoient souvent à une crise de visibilité et à une « déligitimation » des pratiques et des identités des populations locales défavorisées. En outre, l’incohérence entre la décision de classement du quartier et le gel du budget du plan de sauvegarde ont constitué des facteurs déclencheurs de la structuration d’un collectif de citoyens dont la parole est portée par l’association Bel Horizon.

À travers cet article, nous souhaitons aborder le processus de patrimonialisation sociale du quartier Sidi El Houari comme une résultante de mobilisation citoyenne et de conflits mémoriels qui expriment une remise en question de l’idéologie patrimoniale de l’autorité publique. Cette dernière, en tant que groupe dominant, diffuse une vision particulière qui légitime le patrimoine monumental et « déligitime » le patrimoine populaire ordinaire. Cette perception dominante du patrimoine, développée dans les travaux de Laurajane Smith à travers la notion d’« authorized heritage discourse » (AHD) renvoie à un discours élitiste, centré sur les valeurs de monumentalité et d’esthétisme. Ce discours domine les pratiques relatives au patrimoine et n’inclut pas toute la diversité des valeurs culturelles et sociales (Smith, 2006).

Nous analysons l’expérience originale d’un collectif citoyen qui a porté ses revendications patrimoniales et mémorielles dans l’arène publique, et ce, en dépit de multiples contraintes liées aux difficultés de mise en oeuvre de la participation citoyenne ainsi qu’à la rigidité des procédures administratives. Nous voulons aussi connaître les actions et les ressources mobilisées pour comprendre comment ce collectif a pu se saisir de la question patrimoniale et mémorielle du quartier pour influer, dans une certaine mesure, sur la décision urbaine.

Au plan méthodologique, nous avons appuyé cette recherche sur les résultats d’une enquête de terrain, menée entre 2016 et 2019, articulant analyse documentaire, entretiens qualitatifs et observation. Pour ce faire, nous avons procédé à un inventaire des documents se rapportant au quartier. Nous avons constitué un corpus diversifié de données, composé de : 1) documents écrits et rapports d’étude (descriptif du projet euro-méditerranéen Actions to Regenerate Cities and Help Innovative Mediterranean Economic Development Enhancing Sustainability [ARCHIMEDES], actes du colloque international Réhabilitation et revitalisation urbaine à Oran, étude des caractéristiques du quartier réalisée par le Centre algérien de recherche en anthropologie sociale et culturelle, courriers d’échange entre associations et pouvoirs locaux, ouvrages publiés par l’association Bel Horizon, brochures, affiches et prospectus produits par les associations, pétition, articles de presse et comptes rendus de réunions du collectif associatif) ; 2) documents cartographiques (cartes d’état des lieux fournies par l’Agence spatiale algérienne [ASAL], cartes de l’état du bâti, plan de situation des monuments classés) ; 3) document juridique (décret exécutif portant création et délimitation du secteur sauvegardé, note ministérielle no 532 du 21 octobre 2015). Le dépouillement et l’analyse de l’ensemble de ces documents nous ont permis d’apprécier ce qui pourrait être considéré, par les habitants et par les acteurs associatifs, comme supports spatiaux des mémoires collectives ; ils nous ont aussi permis de repérer les acteurs les plus engagés dans la revendication des mémoires locales.

Afin de mieux saisir le jeu d’acteurs et les rapports de force locaux autour de l’usage de la mémoire, nous avons réalisé 40 entretiens qualitatifs semi-dirigés avec des acteurs institutionnels et non institutionnels impliqués dans le processus de patrimonialisation. Il s’agit en l’occurrence des services déconcentrés, des experts techniques de l’Université d’Oran, des membres des associations et des habitants rencontrés sur le site. Nous avons également mené un travail d’observation des interactions entre les membres du collectif citoyen. Nous nous sommes focalisés, dans notre analyse, sur les considérations données à la mémoire collective afin de déceler les relations entre les lieux et les acteurs sociaux autour du processus de patrimonialisation.

Les résultats de cette recherche nous ont permis de structurer notre article en trois volets. En premier lieu, nous présentons le quartier Sidi El Houari et ses caractéristiques. Il s’agit de mettre en évidence la singularité du « lieu », la pluralité des formes mémorielles qu’il incarne (culturelle, thaumaturgique, religieuse, populaire) et les différentes réalités qui expliquent les rapports de force en présence. Dans un deuxième temps, nous abordons le processus de patrimonialisation du quartier, lequel met en lumière les contours d’une relation différentielle au passé. Outre les différentes étapes ayant conduit au classement du quartier, nous essayons d’établir les actions menées par les « entrepreneurs de la mémoire » et les types d’usage de la mémoire. À travers cette démarche, nous verrons que la spécificité du cas de Sidi El Houari nous permet, in fine, de nous questionner sur les pratiques patrimoniales.

Description du quartier Sidi El Houari

Le quartier Sidi El Houari est le premier noyau historique de la ville d’Oran. Disposant de plusieurs richesses, le quartier s’étale sur une superficie de 78 ha. Délimité à l’ouest par la montagne du Murdjadjo et la forteresse de Santa Cruz, il s’étend le long du ravin Ras-El-Aïn jusqu’au port de pêche, entre le premier anneau périphérique, au sud, et la mer méditerranéenne, au nord (figures 1 et 2).

FIGURE 1

Localisation du quartier Sidi El Houari et de ses entités dans la ville d’Oran

Localisation du quartier Sidi El Houari et de ses entités dans la ville d’Oran
Source  : ASAL, 2019 | Conception : Zerarka et Messaoudene, 2019

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Sur le plan historique, le quartier présente une stratification urbaine de 11 siècles, résultat du passage de plusieurs civilisations : antique, arabo-musulmane, espagnole, ottomane et française. Cette stratification a donné lieu à la constitution de plusieurs entités urbaines formant le quartier : 1) la Casbah, fondée en 902 ; 2) l’ancien château de Rosalcazar, aujourd’hui nommé Château-Neuf, construit durant la première époque de la colonisation espagnole, à partir de 1347 ; 3) le quartier de la pêcherie ; 4) la Calère, une entité construite durant la deuxième occupation espagnole, entre 1509 et 1708 ; 5) la Blanca, édifiée durant la première conquête ottomane, entre 1708 et 1732 ; 6) le quartier Imam Sidi El Houari ; 7) le quartier juif Derb  El  Houd, bâti durant la seconde période ottomane, à partir de 1792 ; 8) enfin, l’extension coloniale, édifiée durant l’occupation française, entre 1832 et 1962 (figure 1).

FIGURE 2

Vue sur le quartier Sidi El Houari

Vue sur le quartier Sidi El Houari
Source : Zerarka et Messaoudene, 2019

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Sur le plan social, la population du quartier est étroitement liée à l’histoire tumultueuse de la ville. Au lendemain de l’indépendance, le parc immobilier récupère tous les excédents cumulés dus à un exode rural soutenu (Coquery, 1962). La population du quartier est alors répartie en deux catégories. La première est constituée de propriétaires originaires du quartier, anciennement installés, qui ont vécu en minorité comme voisins des colons européens d’origines espagnole, juive et française. La deuxième catégorie représente la population arrivée dans le quartier après l’indépendance (1962). Elle provient de plusieurs territoires ruraux et se trouve souvent en situation de transit. Ces deux catégories de résidents investissent le lieu différemment. Ainsi, les résidents originaires du quartier sont fortement ancrés dans leur territoire, comparativement aux populations transitoires. Ces dernières, peu attachées au quartier, n’ont pas pu assurer une continuité dans la manière d’habiter et d’entretenir les maisons, qui étaient quasiment « squattérisées ». Cette situation a conduit à une dégradation rapide du parc de logements.

Le quartier est aussi témoin de représentations collectives. Son appellation plonge ses racines dans la commémoration de Saint Mohammed El Houari, un grand maître du soufisme que les Oranais appellent « le grand saint patron de la ville » (Metaïr, 2003 : 40). Après la mort de l’imam, bien qu’il soit enterré loin d’Oran, un mausolée portant son nom fut construit en 1793 au sein même du quartier. Devenu un lieu « sacré », le mausolée confère, par sa matérialité, une existence physique au culte de la « Ziara de Sidi El Houari », qui signifie « pèlerinage ». Par ailleurs, les Oranais utilisent souvent la fable de Sidi El Houari pour justifier leur incapacité à faire face aux difficultés quotidiennes. Cette association du lieu saint à des exégèses nouvelles donne lieu, selon Baussant (2007), à l’expression d’une diversité de perceptions. Ces dernières contribuent à « le [lieu saint] maintenir présent comme donateur de sens » (Micoud, 1991 : 50). L’enjeu de la mémoire revêt alors plusieurs dimensions, soient-elles commémorative, religieuse ou cathartique.

Le mausolée de Sidi El Houari, de même que d’autres bâtiments à forte valeur patrimoniale, ont certes été classés, mais livré à lui-même, le quartier a connu au fil des années un état de vétusté avancée, attribuable essentiellement à l’absence d’entretien et à la non prise en charge du bâti ancien par les autorités locales. Dès lors, apparaissent plusieurs phénomènes sociaux tels que l’insécurité, le squat et la violence, mettant en danger la vie des habitants et de nombreux monuments historiques. Ces phénomènes constituent l’argument des autorités publiques pour justifier la rénovation urbaine. En même temps, le caractère historique et la situation stratégique, à proximité du port et d’une artère commerciale, offrent une plus-value incommensurable au quartier. Ce dernier se trouve fortement convoité par des promoteurs immobiliers à l’affût du foncier urbain libéré par suite des démolitions du bâti vétuste.

Comme réponse au délabrement du quartier, les autorités locales ont effectué, depuis 1967, plusieurs démolitions (Crück, 1959). Ces opérations d’urgence menées dans le cadre de travaux urbains non planifiés étaient conduites sans enquêtes préalables sur l’intérêt historique, architectural ou archéologique de la zone concernée (Mazouz, 2015). Depuis, les opérations de démolition et de relogement des habitants vers les quartiers périphériques n’ont pas cessé de s’enchaîner. Seuls 20 % des populations autochtones sont restés à Sidi El Houari (Algérie Presse Service, 2017), ce qui a contribué au déracinement d’une bonne partie de la population, ainsi qu’au déclin du quartier. Selon Kadri et Kettaf (2018), ce type de pratique reflète une pensée urbanistique axée exclusivement sur la production de programmes d’habitat neuf dans les périphéries, ayant pour objectif de répondre à la demande croissante en matière d’octroi de logements. Cette politique d’intervention sur le quartier a valu à la ville d’Oran la réputation peu élogieuse de « ville du bulldozer », ainsi que le décrit un article publié dans le quotidien El Watan, le 3 janvier 2018, sous le titre « La société civile tire la sonnette d’alarme ».

Mobilisation associative pour la sauvegarde du quartier : un succès mitigé

Devant cette situation de dégradation accélérée du quartier et face à l’inaction des pouvoirs locaux, des groupements sociaux, à l’instar de l’association Bel Horizon, se sont formés. L’association, dont la principale préoccupation est la promotion du patrimoine oranais, compte parmi les groupes les plus influents. Créée en 2001, l’association est présidée par Kouider Metaïr, un ancien adjoint chargé de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire à l’assemblée populaire communale d’Oran, et écrivain à ses heures perdues. Outre ses quatre membres permanents, l’association compte, parmi son effectif, deux guides touristiques, une architecte, une enseignante en archéologie et trente-trois jeunes Oranais dont la majorité est constituée d’étudiants en architecture. Elle est donc composée d’une élite qui n’habite pas le quartier, mais qui y est fort attachée. Par son engagement dans la réhabilitation du vieil-Oran, elle a pour objectif de préserver le prestige et l’identité de la ville.

Très active, l’association a mené plusieurs actions de sensibilisation sur l’importance de l’héritage culturel de Sidi El Houari. Parmi ces actions, il y a la Super randonnée patrimoniale, qui consiste en des visites de découverte se déroulant sur un circuit de monuments historiques passant par le quartier. Ces visites ont eu lieu chaque 1er mai, de 2006 à ce jour, et ont mobilisé près de 20 000 participants. Ce type d’action constitue une façon originale de construire une narration publique et de faire vivre, au groupe social mobilisé, l’expérience de la découverte de son patrimoine. Cette action s’inscrit aussi dans une logique de sensibilisation au patrimoine par les responsables, en vue de convaincre les personnes concernées de l’intérêt de ce qui fait « patrimoine » (Davallon, 2014).

Il est aussi à noter que le président de l’association a publié cinq ouvrages sur le patrimoine et la mémoire de la ville d’Oran. À travers ses récits mémoriels, ce personnage charismatique accomplit un geste militant et compensatoire pour tenter de valoriser la mémoire habitante et contrecarrer les discours qui confortent la stigmatisation du quartier à rénover. En outre, l’association Bel Horizon a lancé plusieurs sessions de formation relative à la connaissance du patrimoine oranais et à la médiation culturelle.

Mais l’initiative phare de Bel Horizon reste sa proposition du classement du quartier en secteur sauvegardé. En véritable « entrepreneur de la mémoire locale », selon l’expression de Glaverec et Saez (2002), l’association a pu établir l’ensemble des caractéristiques qui rendent le quartier éligible au classement. Cette étude, menée préalablement, a été élaborée en concertation avec des érudits locaux tels que les chercheurs du Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) et les chercheurs de l’Université d’Oran. La participation de ces experts techniques a permis de renforcer la légitimité de la demande de valorisation patrimoniale et mémorielle. La proposition de classement du quartier en secteur sauvegardé a été formalisée par une lettre officielle adressée au wali d’Oran (préfet) en date du 8 juin 2003.

N’ayant pas eu de suite favorable à sa demande, le président de l’association reprend cette étude et l’expose cinq ans plus tard, à l’occasion de la tenue du colloque international Réhabilitationet revitalisation urbaine à Oran, en octobre 2008. À l’issue du colloque, un compte rendu portant l’intitulé « Voulez-vous sauver Sidi El Houari ? » a été adressé aux pouvoirs locaux. Deux mois plus tard, le quartier bénéficia du projet ARCHIMEDES dans lequel l’association Bel Horizon est partie prenante. Le programme prévoit des interventions urbaines fondées sur la promotion et l’exploitation du patrimoine culturel et touristique. Les travaux menés dans le cadre de ce projet ont permis de procéder au ravalement de la façade d’un ancien immeuble, de recenser les immeubles à forte valeur patrimoniale et de proposer un plan de redynamisation urbaine du quartier.

En septembre 2011, alors que l’association discute de la suite à donner au projet ARCHIMEDES, le wali d’Oran décide de démolir le quartier Derb El Houd, justifiant son acte par la dégradation avancée du bâti et par la nécessité de moderniser la ville d’Oran. C’est alors que les membres de Bel Horizon parviennent à générer, en très peu de temps, une mobilisation qui s’exprime à travers une manifestation anti-démolition. Ce type de combat révèle, une fois de plus, le caractère patrimonial sacré du quartier aux yeux de l’association.

En guise de réponse, une réunion est tenue, dès la semaine suivante, entre le wali et les membres de l’association Bel Horizon. Comme solution de rechange à la démolition, ces derniers présentent le plan de redynamisation du quartier élaboré dans le cadre du projet ARCHIMEDES. C’est ainsi que l’association a obtenu l’annulation de la décision controversée de démolition, en faveur d’un projet de redynamisation du quartier. Toutefois, après neuf ans, le processus enclenché alors en est toujours à son étape initiale. La remise en cause des projets de démolition par la société civile fut l’événement déclencheur du processus de patrimonialisation. Cette situation, observée dans plusieurs contextes patrimoniaux, est un phénomène récurrent, dans la mesure où tout projet de destruction peut conduire à une demande de préservation (Melé, 2005).

À Sidi El Houari, un comité pour le classement du quartier en secteur sauvegardé s’est alors formé, en 2011. Il était constitué de citoyens oranais, d’habitants du quartier, des membres des deux associations (Bel Horizon et Santé Sidi El Houari) ainsi que d’érudits locaux tels que des chercheurs du CRASC et des universitaires spécialistes du patrimoine. Le comité a déposé, à la Direction de la culture, une proposition de création de secteur sauvegardé en s’appuyant sur une étude démontrant la valeur historique et mémorielle que recèle le quartier à travers la présence de monuments classés et de pratiques socioculturelles singulières auxquels les habitants sont fort attachés. Cette production de connaissances sur le quartier qui, assimilée à une reconnaissance de l’objet comme faisant « patrimoine », est à même de convaincre l’autorité publique de le déclarer patrimoine (Davallon, 2014).

Effectivement, cette action s’avère payante dans la mesure où, grâce à cette construction patrimoniale par le bas, le classement du quartier Sidi El Houari en secteur sauvegardé a été rendu possible en 2015. Une enveloppe budgétaire d’un montant de 24 milliards de dinars algériens (soit l’équivalent de 203 millions de dollars) fut allouée au projet d’étude et d’élaboration du Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur du secteur sauvegardé de Sidi El Houari.

Cependant, ce modeste budget fut gelé conformément à la note ministérielle no 532, du 21 octobre 2015. Cette note ministérielle stipule que, dans le contexte de crise financière du pays, tout budget alloué aux projets qui ne sont pas encore lancés doit être gelé. Une telle décision n’a pas été du goût de la société civile. Les militants associatifs considéraient l’arrêt du projet d’étude relative à l’élaboration du Plan de sauvegarde comme une entrave à leur démarche, voire une menace pour la survie de leur quartier : « Cela signifie une situation intenable pour le site et la voie ouverte à la spéculation et à la destruction de la carte identitaire de notre ville qui ne résistera pas aux prédateurs du foncier » (président de l’association Bel Horizon, entretien réalisé en 2018).

Cet état de fait montre les priorités données par les pouvoirs à la question patrimoniale des quartiers anciens. Si cette question revient souvent dans le discours des pouvoirs publics de la ville d’Oran, dans les faits, elle ne se présente pas comme une nécessité (Mazouz, 2015). En outre, le quartier Sidi El Houari, à l’image de plusieurs centres historiques en Algérie, n’est pas encore doté d’instances locales de concertation entre acteurs publics et habitants. Il n’existe pas non plus d’instance décisionnelle locale spécialisée dans la prise en charge de la question patrimoniale. La gouvernance du patrimoine, en Algérie, se heurte à une armature institutionnelle peu ouverte à la transversalité. La wilaya (préfecture) demeure l’acteur principal des projets de régénération urbaine, tant à titre de promoteur et porteur de projet que comme bailleur de fonds (Messaoudene et Messaoudi, 2016). En tant que leader des projets dans son périmètre de gouvernance, le wali, principal représentant de l’État, est doté d’un pouvoir décisionnel important. Dans ce contexte de gouvernance et en l’absence d’un plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur, l’action urbaine patrimoniale reste de son ressort. C’est d’ailleurs ce qui explique les multiples opérations de démolition qui se sont enchaînées à Sidi El Houari.

En avril 2016, 42 immeubles ont été démolis au sein même du secteur sauvegardé. En décembre 2017, la wilaya d’Oran a lancé une opération de relogement, vers la périphérie est de la ville, de 504 familles habitant des immeubles vétustes voués à la démolition. Ces relogements ont été vécus différemment par les familles, selon leur origine. D’une part, il y a celles arrivées dans le quartier après la fin de la guerre d’indépendance. Cette partie de la population, souvent en situation de transit, est peu attachée à son quartier. Elle n’exprime aucune gêne face aux démolitions, qu’elle considère comme « une occasion d’avoir un logement neuf » (habitant, 38 ans, entretien réalisé en 2017). D’autre part, les propriétaires originaires du quartier, anciennement et durablement installés, sont contrariés. Ils qualifient ces opérations de « nettoyage culturel » (Massinissa, 45 ans, entretien réalisé en 2017) car considérées comme une mise à mort d’un mode d’habitat populaire, au sens où l’entend Morovich (2014).

Assimilées à une liquidation de l’esprit du lieu, ces opérations sont perçues comme un « déni de mémoire », selon l’expression de Veschambre (2008). En outre, ce type de pratique urbaine, prônant le développement périphérique de la ville, dénature les mémoires structurées autour des logements populaires et des pratiques sociales au sein du quartier. Cette décision qualifiée de « brutale » a suscité de vives réactions. L’architecte de l’Office de gestion et d’exploitation des biens culturels d’Oran souligne que « les habitants de Sidi El-Houari, relogés ailleurs, n’ont pas simplement quitté leurs maisons, mais ils ont quitté aussi leur histoire, leur culture et leurs repères » (entretien réalisé en 2018). Une paysagiste interviewée à ce sujet nous affirme que « le quartier a été traité comme un bidonville banal » (entretien réalisé en 2018). Dans un entretien publié dans la revue Madinati, l’architecte Tahraoui s’interroge sur les véritables raisons des démolitions et soulève les incohérences des décisions politiques entre le classement et le gel de l’opération : « Est-il nécessaire de démolir ces immeubles ? La priorité n’est-elle pas de reloger uniquement ? »

À l’instar des quartiers historiques dégradés, le quartier Sidi El Houari, stratégiquement bien situé, est fortement convoité pour son potentiel foncier. Livré à des opérations de démolition, Sidi El Houari se retrouve au coeur d’enjeux sociopolitiques et urbains, comme nous le décrit si bien cet habitant : « Ces démolitions servent uniquement les intérêts des rentiers qui ne voient en Sidi El Houari qu’un parc foncier en bord de mer à récupérer » (entretien réalisé en 2018).

S’exprimant sur la survivance des mémoires quand les lieux disparaissent, un ancien habitant du quartier nous raconte : « Tous les matins, je prends un bus et je rejoins Sidi El Houari pour ne rentrer que fin de journée… ma mère aussi, elle vient deux fois par semaine pour voir ses anciennes voisines et faire sa Ziara de Sidi El Houari… on n’arrive pas à s’adapter loin de notre lieu et de nos habitudes » (entretien réalisé en 2019). Si cette transmission de mémoire semble encore possible à présent, on se demande ce qu’il en sera après la disparition de ces personnes porteuses de mémoire.

Pour la réhabilitation du bâti et le maintien de la population : l’épreuve de la résistance

À l’évidence, la prise en compte de la mémoire populaire qui se structure autour du quartier ne semble pas être une priorité pour les pouvoirs locaux, qui considèrent ces espaces comme un héritage indésirable. Cette vision restrictive du patrimoine répond, comme le démontrent les travaux de Veschambre à « une conception politique dominante, où le patrimoine (notamment dans les espaces centraux) doit être porteur d’une vision lisse et glorieuse d’un passé consensuel » (Veschambre, 2002 : 73).

En outre, l’effacement progressif de traces pouvant servir de support à la mémoire populaire met à nu les rapports de domination (Pappalardo, 2014) et conduit les usagers à se saisir des lieux pour exprimer leurs revendications face à un acteur dominant. Devant cette situation, certains habitants ont refusé catégoriquement de quitter les lieux. Ces habitants expriment leur position par une action collective à fort ancrage spatial menée en concertation avec l’association Bel Horizon. Cette dernière a vu ses rangs s’élargir grâce à une alliance avec un collectif d’habitants et de citoyens, endogène et exogène au quartier, regroupant plusieurs profils : architectes, militants associatifs, paysagistes, avocats, journalistes, artistes et étudiants. Le collectif entend défendre le quartier à jeu égal avec le pouvoir local : « Sidi El Houari, classé secteur sauvegardé, ne doit aucunement être vidé de sa population » (membre du collectif, réunion du 25 décembre 2017).

Connaissant bien les engrenages et les rouages administratifs, le collectif n’a pas été sans mettre en garde ses militants sur l’importance de la parole collective et le danger de l’expression singulière. En privilégiant cette forme de communication, il a manifesté ses revendications à travers des appels à la radio et dans une pétition adressée aux autorités publiques locales, et publiée sur des réseaux sociaux (AVAAZ et Facebook). Cette pétition contient les revendications suivantes (extrait de la pétition citoyenne) : 

  • L’arrêt des démolitions anarchiques suite au relogement d’une partie de la population de la vieille ville ;

  • La composition d’une commission ouverte aux compétences pour statuer sur l’état des immeubles ;

  • L’installation d’un gardiennage pour éviter le pillage des matériaux ;

  • L’affectation d’un budget pour le lancement immédiat du projet d’étude et d’élaboration du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur ;

  • L’accompagnement des propriétaires désirant rester à Sidi Houari ;

  • L’assistance technique et l’aide financière pour la réhabilitation des immeubles  ;

  • L’ouverture d’un chantier de fouilles archéologiques à la Casbah et le renforcement en moyens humains du maître d’ouvrage en charge du secteur sauvegardé ;

  • L’implication indispensable du ministère de la Culture et de ses organismes.

Vingt jours après la publication de cette pétition, le collectif citoyen organise une visite du quartier Sidi El Houari. Quelque 300 personnes prennent part à cette visite, animée par des membres du collectif, élus pour leurs compétences professionnelles et militantes. À la fin de la visite, le président de l’association Bel Horizon, dans un discours adressé aux participants, insiste sur la nécessité de continuer la mobilisation et de construire une solidarité sociale pour préserver le quartier : « Il faut poursuivre l’opération de signatures de la pétition. Ce n’est pas seulement l’affaire de Bel Horizon ou du seul mouvement associatif ; ce sont tous les citoyens qui sont concernés par ces revendications. » Afin de médiatiser son action, le collectif s’est appuyé sur les compétences professionnelles de ses membres journalistes. Un compte rendu de la visite a été communiqué aux journaux locaux et nationaux, aux stations de radio et aux réseaux sociaux. Les membres du collectif ont ainsi pu transformer cette visite en une action citoyenne revendicative.

Ces controverses patrimoniales qui témoignent de la présence d’un clivage manifeste entre mémoires dominantes et mémoires dominées semblent indiquer l’échec du positionnement des autorités locales à l’égard de la question de la mémoire. Les signes médiatisés du conflit ont eu un effet important sur la visibilité du quartier. Ces modes d’action tactiques ont permis, sans aucun doute, au collectif de se structurer en tant que force collective en vue d’acquérir une présence publique nécessaire à sa crédibilité. L’effervescence autour de la pétition citoyenne et de la visite guidée a interpellé les autorités publiques sur les enjeux mémoriels relatifs aux démolitions. Les autorités locales n’ont pu ignorer la présence et la mobilisation d’un acteur fortement organisé qui s’invitait désormais sur la scène publique. Ses actions et ses pratiques contestataires mobilisées dans l’espace public étaient perçues comme synonymes de performance sociale (Montero, 2014).

En effet, à l’issue de cette mobilisation, le chargé de communication de la wilaya d’Oran a contacté les représentants du collectif pour les convier à une réunion officielle devant se dérouler dans les 10 jours suivants. Si cette réunion a été, au départ, perçue par le groupe comme une réaction dirigiste des pouvoirs locaux, eu égard à l’échéancier proposé, l’initiative a toutefois réjoui un bon nombre de membres du collectif qui voyaient, dans cet échange, une occasion d’exposer le point de vue de l’organisme. À l’inverse, d’autres membres, plus méfiants, considéraient qu’une telle rencontre viserait à neutraliser la parole citoyenne.

Cette divergence d’opinion a sensibilisé le collectif sur la nécessité de renforcer son pouvoir d’agir. La reconnaissance et la légitimité d’un groupe social se situent, en effet, dans la qualité de son expertise (Fung, 2003). Dans ce sens, la préparation – en amont – de réunions durant lesquelles chacun des participants mettait ses connaissances au profit de tous a permis de produire un savoir collectif et d’assurer une montée en compétence. Ces efforts ont fait émerger une forme d’« expertise citoyenne » (Sintomer, 2008 ; Nez, 2011) ayant enrichi le répertoire d’actions du collectif et l’ayant aidé à mieux se préparer aux négociations avec les acteurs institutionnels.

Une délégation de représentants des citoyens constituée de six membres choisis pour leurs compétences a alors été désignée. Les échanges entre les deux parties ont permis au collectif de présenter ses revendications. C’est ainsi que le président du collectif a rappelé aux autorités locales le droit d’agir des citoyens, conformément à la Loi d’orientation de la ville (loi 06-06). S’agissant des actions à mener au sein du quartier, les membres de la délégation ont fait connaître aux autorités la nécessité de maintenir la population du quartier sur site : « Qu’est-ce qu’un secteur sauvegardé, sans population porteuse d’un patrimoine immatériel et de traditions ? » a demandé le président de Bel Horizon. Les représentants du collectif ont également demandé aux pouvoirs publics des éclaircissements sur le dispositif d’aide à la réhabilitation du vieux bâti et les modalités de prise en charge financière des travaux effectués par les propriétaires.

Afin de justifier leurs doléances et de pouvoir « peser » sur la décision, les représentants du collectif ont utilisé un répertoire argumentatif diversifié s’appuyant sur des textes législatifs relatifs à la protection du patrimoine culturel, aux instruments d’intervention sur les centres historiques, et sur un registre des revendications ayant trait à la conservation de la mémoire populaire locale. Cette « montée en compétence » n’a pas été sans effets sur l’action publique. Convaincue des arguments avancés, la wilaya d’Oran a affecté une enveloppe financière de 15 millions de dinars (l’équivalent de 127 000 de dollars) pour le lancement du projet d’étude relatif à l’élaboration du Plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur. Du financement supplémentaire a également été prévu pour accompagner les habitants dans la réhabilitation de leurs propriétés. Du coté des acteurs institutionnels, le wali, tout en saluant l’action citoyenne et l’originalité de l’approche, a donné son accord pour la création d’un comité assurant la liaison entre les pouvoirs locaux et les habitants.

Il est évident que, sans la mobilisation citoyenne, le collectif n’aurait jamais pu se confronter aux pouvoirs publics, s’emparer des enjeux identitaires et urbains, et opposer des arguments critiques aux démolitions. En relevant le défi d’acquérir une légitimité publique, le collectif est devenu un interlocuteur privilégié avec lequel la wilaya compte discuter des futurs projets du quartier. La résistance dont il a fait preuve lui a permis de se positionner sur la scène de la négociation en réduisant la distance bureaucratique caractérisant habituellement les rapports des dominants face aux dominés.

Conclusion

L’analyse que nous venons de développer se veut une contribution aux recherches menées depuis une quinzaine d’années sur le patrimoine au sens que lui ont attribué Melé (2005) et Gravari-Barbas et Veschambre (2003). Loin d’être considéré comme une notion statique et neutre, inhérente à certains objets, le patrimoine est appréhendé ici comme un processus de négociation culturelle et sociale, entre l’identité, le lieu et la mémoire (Smith, 2006). Le patrimoine est alors au coeur d’enjeux de pouvoir et inévitablement de conflits. Le cas du quartier Sidi El Houari nous révèle l’usage différencié de la mémoire par les acteurs sociaux, dans leur action sur l’espace urbain. Le patrimoine a ainsi servi d’instrument de construction de légitimité des acteurs sociaux, ainsi que de contrôle de l’espace urbain et de ses transformations, comme le soulignent les travaux de Lussault (2000) et de Melé (2005).

L’analyse du conflit patrimonial à Sidi El Houari a été pour nous l’occasion de décrypter, par le prisme de la mémoire et de son usage, les jeux d’acteurs et les rapports de force locaux qui traversent l’action publique urbaine. Cette analyse a fait apparaître deux catégories d’acteurs sociaux aux logiques divergentes : les dominants et les dominés. La première catégorie (les dominants) regroupe les acteurs politiques et techniques dont l’attention est focalisée essentiellement sur les monuments historiques emblématiques. Leur manque de considération à l’égard du bâti ancien « ordinaire » qui, associé aux populations défavorisées et de surcroît « stigmatisées », a conduit à la multiplication des démolitions. Dès lors, le patrimoine et la mémoire historique ont surtout servi de levier pour justifier la modernisation d’un espace urbain fortement avantagé par sa qualité d’ancien quartier.

La seconde catégorie (les dominés) est constituée d’un collectif de citoyens sensibles à l’héritage urbain du quartier ancien et de son histoire locale. Ce collectif engage des actions pour lutter contre les démolitions qui menacent l’effacement de la mémoire populaire. L’espace devient alors un support d’expression pour une mémoire sociale dominée dont l’usage se fait de manière conflictuelle. En outre, le combat patrimonial mené par les « entrepreneurs de la mémoire » révèle sans doute le rôle, non négligeable, joué par l’association Bel Horizon. Outre la médiation culturelle pour la préservation du quartier ancien, la politisation du débat patrimonial, tout comme la formation d’un collectif hybride constitué d’acteurs endogènes et exogènes au quartier, sont les indicateurs qui nous renseignent sur la détermination de l’association Bel Horizon à inverser sa position de dominée. Le particularisme du cas de Sidi El Houari réside alors dans la mobilisation différenciée de la mémoire du lieu par les dominés. Pour les propriétaires, dont la légitimité dans l’espace est menacée, la mémoire locale devient un support pour l’agrégation des revendications collectives à résonnance identitaire liées au droit à la ville.

Pour le reste du collectif (citoyens et élite urbaine locale), la mémoire locale est l’expression des revendications identitaires qui passe par des signes matériels dont la légitimité dans le temps est menacée. Engagé dans un conflit patrimonial, le collectif citoyen, à travers l’hybridation des différents savoirs mobilisés, a été à l’origine de la production d’une « expertise revendiquée » (Blondiaux, 2008) permettant d’imposer sa présence sur la scène publique et de montrer une réelle compétence de négociation dans le débat face aux pouvoirs politiques. Considérant que l’impact sur l’action reste globalement modéré, il est sans doute possible de penser que les écueils d’une telle action trouvent en partie leur origine dans une gouvernance patrimoniale locale encore balbutiante.

Dans un contexte de débat sur l’évolution de la politique patrimoniale (Bady et Sanson, 2003), on se demande, en effet, si cette expérience – qui révèle un processus de patrimonialisation imposant la concertation face au danger relatif à l’effacement de la mémoire collective – peut être annonciatrice d’un modèle alternatif d’intervention dans les centres historiques où l’implication des citoyens s’avère indispensable (Melé, 2003). Cette recherche met en lumière l’existence des mobilisations patrimoniales dans un pays où la concertation publique sur les questions urbaines est quasiment inexistante. Ce phénomène relativement récent vient bousculer le mode décisionnel par approche descendante (top-down) et plaide pour une plus grande démocratie participative dans les questions urbaines par une approche ascendante (bottom-up). Ce type de mobilisation patrimoniale exprime ainsi, dans le contexte algérien, la revendication au « droit à la ville » (Lefebvre, 1967).