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Le présent article va dans le sens des recherches que je mène depuis une dizaine d’années sur la fiction télévisuelle québécoise. Il propose une nouvelle avenue. La fiction télévisuelle en général et québécoise en particulier est-elle l’objet d’un changement de paradigme esthétique correspondant au passage de la monstration (Gaudreault 1999) à l’énonciation (Metz 1991) ? En d’autres mots, la quête du cinéma, qui l’a mené des premiers temps à la modernité, interviendrait-elle un demi-siècle plus tard à la télévision ? Les durées historiques tendent à le confirmer. Il a fallu plus de cinquante ans au cinéma pour transiter de La sortie des usines Lumière (Louis Lumière) et L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (Louis Lumière) en 1895 aux 400 coups (François Truffaut) et à Hiroshima mon amour (Alain Resnais) en 1959 [1]. La fiction télévisuelle du Québec, qui est apparue en 1953 avec La famille Plouffe (Guy Beaulne, Jean Dumas et Jean-Paul Fugère, 1953-1957), a accédé en 2004 à son (coming of) golden age (Picard 2011) avec Grande Ourse (Patrice Sauvé, 2004) et Les Bougon, c’est aussi ça la vie ! (Alain Desrochers, Podz et Louis Bolduc, 2004-2006), cinquante années plus tard, justement. L’analogie historiographique se rejoue à la télévision américaine, puisque selon Gary R. Edgerton (2007), la US TV, qui a débuté en 1946 sa network era, est entrée en 1995 dans sa troisième ère, la digital era. La fiction télévisuelle semble donc avoir atteint depuis le début du nouveau siècle une phase de maturité, que l’on serait tenté d’appeler son « âge d’art ». L’ouvrage Previously On. Interdisciplinary Studies on TV Series in the Third Golden Age of Television (Perez-Gomez 2011) donne à le penser. Le présent article vise à contribuer à la réflexion en ce sens. Pour y parvenir, d’une part, il met en relief, dans une perspective épistémologique, la notion de degré d’expression, notamment le degré zéro, défini par Roland Barthes (1953), et le second degré, déterminé par Gérard Genette (1982), et met en valeur l’intérêt heuristique en études télévisuelles. D’autre part, il étudie leur manifestation respective dans deux fictions télévisuelles québécoises, unies par le thème du retour d’un homme qui rechigne à parler de son passé, et qui de ce fait mettent la parole au centre des préoccupations esthétiques : Le Survenant (Denys Gagnon, Maurice Leroux et Jo Martin, 1954-1960) et Aveux (Claude Desrosiers, 2009). En conclusion, il évoque les travaux qui s’imposeraient si l’hypothèse proposée s’avérait fructueuse.

Degré d’expression [2]

La notion de degré d’expression a été développée en littérature il y a plus de cinquante ans. L’alpha en est Le degré zéro de l’écriture (Barthes 1953) et l’oméga, Palimpsestes. La littérature au second degré (Genette 1982). Le trajet paraît long du degré zéro au second degré, puisque à considérer le plein sens des mots, l’évolution se fait en trois actes : zéro, un, deux. Néanmoins, il est fécond, l’expression formelle acquérant au fil de la traversée cohérence et personnalité. Pour ainsi dire, le parcours correspond à l’élévation du littéral au figuré. Les trois degrés d’expression constituent autant de principes organisateurs en information, fiction ou animation [3]. Les trois ordres désignent des régimes de représentation, créant un système esthétique. Pour parler comme François Jost (1998, p. 46-58), ils relèvent d’« attitudes cognitives » distinctes et cumulatives. S’agissant de la restitution de l’événement à la télévision, ils se nomment selon ce dernier « révélation », « reconstitution » et « invention ». En ce qui concerne le cinéma et la télévision en général, ils ont été employés de façon allusive par Noël Nel (1995, p. 72) :

Dans une perspective médiologique, il peut paraître pertinent d’avancer que la scène spectaculaire, au cinéma comme en télévision, se construit selon un processus en trois phases : imitation de scènes préexistantes ; découverte d’une scène autonome ; exploration de possibilités de mutation.

Cette conceptualisation en trois niveaux de complexité successifs rejoint celle de Paul Ricoeur (1983, p. 85-129). Le philosophe définit trois rapports mimétiques entre l’ordre de l’action et de la vie et l’ordre du récit : la « préfiguration », la « configuration » et la « refiguration ». Il qualifie le premier niveau de « précompréhension du monde » d’en deçà. Il définit le deuxième niveau comme étant une « compréhension du monde », où les événements sont « pris-ensemble » et détermine que le troisième niveau, un au-delà, est lié à la « visée intentionnelle » et à la « réflexivité du langage ».

Les trois degrés d’expression convergent pour rejoindre le « système du récit » avancé par André Gaudreault (1999). Dans le parcours que le chercheur trace « du littéraire au filmique », une voie théorique se dessine. Gaudreault distingue le scriptural, le scénique et le filmique. Dans les médias audiovisuels, la création procède littéralement du scriptural au filmique. Le processus de production en cinéma et en télévision consiste en effet à rédiger un récit scriptural, sous la forme d’un scénario, à diriger un récit scénique, dans le cadre d’une mise en scène et d’un tournage, et à orchestrer un récit filmique, au moment du montage. Si l’on veut, l’acte créatif nécessite la maîtrise successive de la narration, de la dramaturgie et de l’audiovisuel. Néanmoins, l’apprentissage du langage cinématographique emprunte une autre voie. Considérons la période du muet. Les cinéastes ont d’abord enregistré des vues. Pour ainsi dire, ils ont débuté par le tournage et la mise en scène. Ensuite, ils ont intégré les règles du langage narratif, celles du découpage, de la continuité et de la mise en récit. Enfin, ils les ont transcendées par l’exploitation des potentialités artistiques du montage au point d’imposer leur signature. L’Histoire a procédé du tournage au découpage et au montage. Elle a cheminé de la scène à l’écrit et au film. Le processus créatif, qui mène du scénario au montage, et la conquête du langage, qui procède du filmage au montage, tout en plaçant le filmique en aval, intègrent diversement ce que nous pourrions appeler le travail en amont : la construction du sens qui est réalisée au quotidien et celle qui a cours au long de l’Histoire suivent des cheminements distincts. Si l’on retient la séquence de l’Histoire qui mène du scénique au filmique, plutôt que celle de la praxis, les trois degrés d’expression s’éclairent. D’abord, le degré zéro est un en deçà, où l’imitation du réel, la mimesis, passe par le tournage. Ensuite, le premier degré, celui de la configuration, procède à l’aide du découpage, de la mise ensemble et du tournage. Enfin, le second degré est un au-delà, où l’intentionnalité, la poesis, qui s’exprime le long du processus, est exacerbée par l’orchestration rendue possible par le montage [4].

Les trois degrés d’expression étant cernés dans leurs traits généraux, concentrons notre attention sur les deux degrés polaires. À une extrémité du spectre esthétique, le concept de degré zéro, mis de l’avant par Barthes (1953), a été utilisé par deux chercheurs américains pour éclairer leur fiction télévisuelle nationale. Dans le monde anglo-saxon, il est d’usage de parler de zero-degree style. John Caldwell (1995) recourt au concept pour expliquer l’esthétique de la sitcom de façon générale. Jeremy Butler (2010) poursuit en donnant à saisir l’esthétique du soap opera dans ses détails. Le premier chercheur s’appuie sur une formule barthésienne qui confirme l’expression du degré zéro dans le genre comique de la fiction télévisuelle américaine : « This was clearly aesthetic television in only a very limited and attenuated sense » (Caldwell 1995, p. 58). Le second chercheur lui fait écho en ce qui concerne le genre mélodramatique de la fiction télévisuelle du même pays, en précisant que si « all television texts contain style », il s’avère que les « soap operas seem live », ce qui donne faussement l’impression qu’ils ont « no style » (Butler 2010, p. 15 et 43). Cela dit, au fil de leurs études, les deux chercheurs lèvent le voile sur un trait esthétique singulier : la sitcom est un « dialogue driven world » (Caldwell 1995, p. 57) et le soap opera, « a text of sound and image » (Butler 2010, p. 28). Le dernier chercheur ose d’ailleurs cette remarque : « In practical sense, the images are constructed to illustrate the words, rather than vice-versa » (Butler 2010, p. 54). En substance, les deux chercheurs donnent à comprendre que la sitcom et le soap opera relèvent de ce que l’on pourrait appeler la radiovision. Ils nous donnent en effet comme explication que le degré zéro d’expression de la fiction télévisuelle prend la forme, littéralement, d’une audiovisualité : l’audio y prime sur le visuel. Ils prolongent en cela les avancées trop peu souvent citées d’un important chercheur britannique, John Ellis (1992, p. 129) : « The image is the central reference in cinema. But for TV, sound has a more centrally defining role. »

Balisons le degré zéro de l’expression. De façon générale, il relève d’une attitude passive face au réel, ou de ce que l’on pourrait appeler l’enfance de l’art. Cette attitude cognitive repose sur le fait que le réel est un spectacle extérieur à soi, qu’il faut observer, décrire et rapporter. Il prend ainsi la forme de la monstration (Gaudreault 1999) au présent du profilmique ou du scénique. Le réel y prévaut sur le regard, au point où la captation, souvent en totalité, y devient une finalité. S’agissant du cinéma des premiers temps, on pense au plan-tableau, au singulier chez Lumière ou au pluriel chez Méliès, à raison. Le degré zéro se manifeste aussi sur le Web dans la vidéo domestique puisque cette dernière suppose un point de vue de débutant : filmer ce qui est devant soi, pleinement et entièrement. Il prévaut dans les variétés télévisées, lorsqu’il faut capter une performance scénique unique. Dans la fiction télévisuelle, il s’arrime à la notion d’audiovisualité. Souvent réalisé en studio, en direct ou en différé, le vu y a pour spécificité de montrer le dit. En substance, le degré zéro y prend la forme d’une « mise en scène visuelle de la parole » (Lochard 2003, p. 57). En clair, l’image s’y fige en un état inerte, basique, sous l’effet attractionnel (Gaudreault 2008) de la voix. Plus précisément, le degré zéro de la fiction télévisuelle se cristallise dans ce que j’appelle la prise-scène : l’enregistrement d’une performance scénique centrée sur le dialogue, devant plusieurs caméras, en une prise continue, fût-elle pourvue d’erreurs d’interprétation, d’approximations dans les cadrages ou de regards furtifs à la caméra. En son mode le plus raffiné, il se manifeste par une attention aux images et aux déplacements, qui ne se dispense pas de deux règles : suivre le dialogue, à l’aide d’une mise en scène qui privilégie la scène à l’italienne ; suivre la parole, même si cela entraîne des recadrages hésitants et des plans redondants. En tout état de cause, au degré zéro d’expression, la visualité reste en retrait, de façon à donner la primauté à l’oralité.

Focalisons maintenant notre attention sur le second degré d’expression. La notion est avancée par Genette dans son Palimpsestes. La littérature au second degré (1982). Le chercheur l’inscrit dans l’étude de la trans-textualité, soit « la transcendance textuelle du texte, tout ce qui le met en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres textes » (p. 7). Plus précisément, il la considère sous l’angle des liens qu’entretient tout texte avec d’autres ou, si l’on préfère, dans la perspective des réseaux trans-textuels qui se glissent dans les interstices des textes. Il présente le second degré comme une multi-référentialité foisonnante, qui se déploie en tous sens et exige connaissance des uns et reconnaissance des autres. Le second degré, comme l’expression l’indique, s’appuie sur la culture des destinateurs et destinataires du sens, sur leur perspicacité et sur leur connivence. On observe qu’il est d’usage (et à propos) de parler en anglais de double-entendre et, en français, du double sens des mots. Dans les deux langues, le second degré s’appuie sur le fait que le signe s’avère une « représentation-cum-réflexion », comme dit François Récanati (1979, p. 12), et qu’il propose pour ainsi dire deux voies d’accès au sens. Comme le chercheur l’affirme, « dans le sens d’un énoncé se réfléchit le fait de son énonciation » (p. 7). La notion d’énonciation complète le concept de second degré. À ce propos, L’énonciation impersonnelle ou le site du film s’avère une référence. Christian Metz (1991, p. 21) y avance une conception de l’énonciation où la « construction textuelle qui me l’a rappelée est métafilmique, [et] non déictique ». Pour clarifier cette notion de subjectivité métacognitive, voire métadiscursive [5], tributaire des savoirs des émetteurs comme des récepteurs, Metz (1991, p. 19, 20 et 23) parle de « constructions réflexives », de « dédoublement » et de « fragment de discours de second degré ». Le second degré d’expression se révèle, précise-t-il au début de sa réflexion, à « la capacité qu’ont beaucoup d’énoncés à se plisser par endroits » (p. 20) et se confirme, souligne-t-il à la fin de son argumentation, lorsqu’une « couche de film légèrement déhiscente, qui se décolle un peu du reste […], s’installe […] dans ce registre distinct et complice que l’on nomme l’énonciation » (p. 214).

La notion de second-degree style n’est pas l’objet d’avancées aussi probantes en études télévisuelles anglo-américaines, peut-être parce que l’ouvrage de Metz n’a pas été traduit. Cela dit, les deux chercheurs américains précités qui ont cerné le zero-degree style dans leur fiction télévisuelle nationale évoquent la présence d’une subjectivité métacognitive. Caldwell, dans son Televisuality (1995, p. vii et viii), fait état de « self conscious performance of style » et d’« intertextuality, fracture subjectivity ». Butler (2010, p. 197) avance de son côté qu’il y a un mode d’organisation de la signification qui permet au « medium itself to perform ». Il précise la teneur de cette modalité stylistique :

In the televisual schema, style is aggressive, roughened, and opaque, not smooth and transparent. It carries meaning. It makes jokes. It might call attention to itself. It can even make familiar things seem strange, creating art as technique.

Butler (2010, p. 197) ajoute que les procédés en cause sont des « stylistic devices [that show] a significant degree of independence from narrative functioning and motivation […] ». Il inscrit la modalité autoréflexive au sein d’un « televisual continuum », où deux schémas s’opposent :

One hand of the spectrum is a play that is recorded from a single point with no editing — the camera positioned at the « best seat in the house ». […] On the other end of the spectrum is a wholly abstract animation or wholly processed image, one that could not exist without the medium itself

p. 216

On reconnaît la manifestation du zero-degree style à une extrémité du spectre esthétique — au point où l’on pourrait en appliquer la définition au cinéma des premiers temps —, et ce qui n’est pas qualifié de second-degree style à l’autre, mais qui semble relever de la subjectivité discursive. Cela dit, Butler (2010, p. 216) fait culminer sa réflexion, soulignons-le, sur le constat que des fictions télévisuelles américaines récentes mettent en scène des plages saillantes de « silence ». On en déduit que le second degré constitue pour ainsi dire l’inverse symétrique du degré zéro : une visualité réflexive, souvent assortie d’une parole inaudible.

Cartographions le second degré de l’expression. En général, il relève d’une attitude active. Le regard prévaut sur le réel, conçu comme une agora, qui exige une prise de position. Le sujet assume sa subjectivité, imprime ses intentions sur le matériau et y appose sa signature. Il fait la preuve de l’originalité de son point de vue, voire de sa singularité : sans être une île, il dit Je. Le second degré se repère aux structures autoréflexives et multi-référentielles qui plissent le texte par endroits, comme l’a dit Metz (1991). Il implique tout à la fois l’exploration des potentialités du média de la part de l’émetteur et le mouvement vers l’oeuvre de la part du récepteur. Comme le dit Jost (1992, p. 131) à propos de l’énonciation, il exige tout à la fois « intention auctoriale » et « attention spectatorielle ». Le second degré relève de la subjectivité métacognitive. Dans le cas de la fiction télévisuelle, le second degré inverse les rapports hiérarchiques de la télévision d’origine : la visualité prévaut sur l’oralité. Les images parlent d’elles-mêmes, d’autant plus qu’elles sont souvent accompagnées de musique, de paroles inaudibles ou de silences. Dans les séquences musicales, parce que dégagées de la contingence du synchronisme, elles s’avèrent aléatoires. Dans les séquences temporelles, parce que la plongée dans l’imaginaire les délivre de la linéarité, elles deviennent arbitraires. Dans les séquences muettes, parce qu’échappant à la liaison narrative, elles parviennent à être abstraites. En substance, en étant déliées de leur fonction de captation de la parole, les images peuvent voyager en tous sens. De ce fait, à l’instar du cinéma de la modernité, elles peuvent accéder à la temporalité — qui constitue le marqueur de la modernité selon Deleuze (1985) —, arpenter la discontinuité, accréditer l’intériorité et attester de l’auteurialité. En somme, alors que le degré zéro d’expression prend la forme de ce que je nomme la télé-oralité, le second degré prend de son côté le relief de ce que j’appelle, à la suite de Caldwell (1995), mais en un sens différent, la télé-visualité.

Fictions télévisuelles québécoises

La fiction télévisuelle québécoise naît en 1953 avec le premier épisode de La famille Plouffe (1953-1959). Le public national voit alors pour la première fois les personnages du radioroman du même nom (1952-1955) qu’il connaît bien, pour les avoir déjà entendus, puisqu’il est diffusé parallèlement depuis un an. La réalisation du téléroman inaugural est tributaire de ses conditions de production : la performance scénique des comédiens est enregistrée en studio devant plusieurs caméras, en continuité, et diffusée en direct. Elle s’efforce de donner à voir, et surtout à entendre, le texte du romancier, que l’on qualifie d’auteur. Dès le début de la fiction télévisuelle nationale, la visualité est au service de l’oralité. Le téléroman Le Survenant (1954-1960) [6] prolonge la tendance dessinée par la fiction télévisuelle précédente à maints égards. Lui aussi adapté d’un radioroman préexistant, écrit par une personne de lettres, mis en scène à la façon d’une pièce de théâtre, enregistré sous la forme d’une captation et diffusé en direct, Le Survenant creuse le sillon d’une image de basse résolution asservie à une parole nationale amplifiée. Il faut préciser que le français québécois qu’on y entend, la parlure, y est en effet non seulement différent de l’anglais que l’on entend sur le grand écran monopolisé par Hollywood, déjà, mais aussi du français qui se lit dans la littérature de la mère patrie. Cette parole nationale distinctive, orale, est jusqu’alors confinée à l’église, à la famille et au quotidien. Souvent, en effet, à l’usine comme au cinéma, il faut savoir dé/coder l’anglais américain, et à l’école, savoir dé/coder le français standard. Le succès aussi important qu’instantané que connaît dès le départ la télévision québécoise auprès de son public et celui que rencontre le téléroman, à dire vrai, ne sont guère surprenants. Dans un monde audiovisuel aux ramifications toujours nouvelles, la télévision s’avère le média aural tout désigné pour une nation qui se distingue notamment par son oralité. Par conséquent, on ne s’étonne pas qu’au Québec, on dise : on écoute la télé. C’est qu’on s’y entend, enfin.

L’intérêt qu’acquiert la parole dans Le Survenant appelle trois remarques. D’abord, en conformité avec les traits du degré zéro d’expression de la télévision, l’image reste inerte pour donner pleine latitude au verbe. Souvent, les prises sont longues, les cadrages, approximatifs, le découpage, répétitif et le rythme, lent, alors que la scène à l’italienne prédomine et que les comédiens projettent leurs voix. Dans Le Survenant, on croirait que les micros sont plus importants que les caméras. Cela dit, l’esthétique ne s’y réduit pas au plan-tableau, comme dans le cinéma des premiers temps, mais n’en procède pas moins de la même attitude cognitive en vue d’enregistrer le spectacle devant soi par la prise-scène : capter la scène en une seule prise, fût-elle composée de plusieurs plans redondants, parce qu’il y a enregistrement en direct et aussi ce gain d’effet de réel, qui résulte de l’interaction théâtrale. En anglais, le mot équivalant à « direct » traduit bien ce surcroît de vie : live. Ensuite, l’oralité s’avère au centre des préoccupations diégétiques du téléroman. Le protagoniste, qui revient à l’endroit qu’il a quitté, refuse de dire ce qu’il a vécu au cours de son voyage ; il rechigne à parler de son passé, à faire ses aveux. La visualité est ainsi doublement pendue aux lèvres de l’oralité. Non seulement le public tend-il l’oreille comme souvent, mais ici, en outre, les personnages s’avèrent à l’affût des mots susceptibles d’être prononcés. La télé-oralité se met en scène dans Le Survenant. Il y a mise en abyme scénaristique : l’écoute spectatorielle se transforme en attente diégétique, qui butte sur un sphinx, qui ne consent à parler dans le récit que par allégories successives. Enfin, le traitement du temps, qui aurait pu donner lieu, en raison de l’enjeu narratif, à nombre de flashbacks, se révèle d’une linéarité continue. Bien sûr, on peut y voir l’effet du refus de parler du protagoniste. Comme l’a dit Gaudreault (1999, p. 103), en ces circonstances : « C’est parce que le monstrateur […] a le “nez” collé sur le hic et le nunc de la “représentation” qu’il est incapable d’ouvrir une brèche sur le continuum temporel. » Le degré zéro est aussi celui des premiers temps… de la télévision.

Considérons un épisode du Survenant pour mieux saisir le degré zéro de la fiction télévisuelle en acte. Il s’agit du premier épisode encore accessible, Un cirque s’installe à Sorel (diffusé en avril 1955). D’emblée, un écriteau en fond de décor suscite l’attention : « Grand cirque à St-Joseph de Sorel. Attractions pour tous les goûts » (fig. 1). On a bien lu. La théorie de Gaudreault et Gunning (1989) s’y déploie en toutes lettres. La fiction télévisuelle québécoise affirme visuellement qu’elle est bien une télévision des premiers temps au sens de l’historiographie contemporaine : le magnétisme attractionnel du spectacle télévisuel s’y énonce sans fard. Les créateurs de l’époque ont-ils saisi qu’ils rejouaient l’histoire du cinéma cinquante ans plus tard, comme je l’ai avancé en introduction ? Concédons qu’une lecture prosaïque est aussi possible : le récit se déroulant en 1910, ce peut être l’effet d’une réalité historique. Toujours est-il que la suite confirme la double appartenance du téléroman au degré zéro et aux procédés du cinéma des premiers temps. Plus précisément, on y observe des comédiens qui peinent à retenir leurs sourires (fig. 2), un regard-caméra furtif (fig. 3), une sortie de champ à la Griffith (fig. 4), des échanges entre personnages qui traduisent une scène à l’italienne coercitive (fig. 5), une captation qui inclut une deuxième situation dans le même décor et trahit du même coup les contraintes du direct (fig. 6), des personnages qui bougent peu, mais parlent beaucoup (fig. 7), une présence hors-champ qui annonce l’arrivée du cirque et demeure invisible, ce qui oblige un acteur à la révéler d’un geste (fig. 8), une prise de vue durative à une distance qui permet d’enregistrer l’interaction théâtrale (fig. 9), en somme, une prise-scène qui s’étire sur près de cinq minutes, pour se clore sur l’écriteau, qui a du coup fonction d’intertitre (fig. 10). La situation subséquente procède sans fléchir, elle aussi, du théâtre télévisé, dans le cadre d’une prise-scène de deux minutes, où les personnages parlent fixement (fig. 11), pour ne se déplacer qu’à la fin, lorsque certains doivent sortir par le côté, comme chez Chaplin (fig. 12), et cela afin de céder la scène à un autre personnage tout juste arrivé, qui poursuivra l’échange avec ceux qui restent.

Figure 1

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

© Radio-Canada

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Figure 2

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 3

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 4

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 5

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 6

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 7

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 8

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 9

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 10

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

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Figure 11

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

© Radio-Canada

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Figure 12

Le Survenant, Un cirque s’installe à Sorel (Gagnon, Leroux et Martin, 1954-1960).

© Radio-Canada

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La suite de l’épisode confirme ce que les huit minutes étudiées indiquent : le degré zéro se manifeste sans fléchir dans la fiction télévisuelle québécoise des débuts. Cela, certes, à cause du matériel d’enregistrement de la télévision naissante, qui entraîne une esthétique rudimentaire, ainsi qu’en raison des contraintes du direct, qui ressèrent les limites esthétiques, mais aussi en raison de la performance théâtrale offerte (en direct) par les comédiens. Le résultat, il faut l’admettre, n’est pas un téléthéâtre (une pièce de théâtre présentée sous la forme d’un téléfilm), mais bien un téléroman (des épisodes d’une fresque romanesque présentés sous la forme de performances scéniques successives, où l’oralité s’avère le fer de lance de la production de sens). La mise en scène donne au scénario écrit par l’auteur, à partir de la matrice narrative qu’est son roman, les allures d’un talk-show fictionnel. Cela dit, on l’a fait valoir, le retrait de la visualité s’accompagne dans le téléroman d’un attrait pour l’oralité, qui revêt un surcroît d’importance pour la nation québécoise, puisque la parlure est alors pour l’essentiel absente tant du domaine économique (anglais) que de l’institution culturelle (française). En substance, la (télé)visualité se met alors au service de l’oralité nationale. À cet égard, on ne peut manquer de noter dans l’épisode étudié du Survenant une parlure non seulement distinctive, mais aussi accentuée. L’oralité y est en effet l’objet de différenciations, selon les personnages, qui mènent à la caricature : les personnages (masculins) principaux profèrent la langue par la gorge [7], alors que les personnages secondaires privilégient le registre des sons aigus, dans ce qui semble être une joute oratoire où le grave s’oppose au suave et l’autorité à l’insouciance. Un personnage déroge néanmoins à la logique orale : la gitane, qualifiée de gypsy, demeure muette, sans doute parce qu’elle ne parle ni la langue de Shakespeare, ni celle de Molière, ni celle de Tremblay, mais aussi parce que cela permet de donner plus de poids, de la rendre plus mystérieuse. Dans Le Survenant, l’oralité est la clé de voûte du sens.

Cinquante ans plus tard, le thème du retour d’un homme qui rechigne à parler de son passé refait surface dans la fiction télévisuelle québécoise avec la série Aveux (2009), qui s’inscrit, comme Le Survenant, au sein d’une trilogie : Aveux (2009), Apparences (2012) et Autopsie (à venir). Présentée lors de la première édition du festival Série Mania à Paris (2010), la série remporte par la suite le prix de la meilleure émission francophone au Festival de Banff (2010) [8]. Aveux ne relève pas du degré zéro de l’expression ; bien au contraire, la série participe de plain-pied au second degré d’expression ou à ce que j’ai qualifié de (coming of) golden age of Québec TV (Picard 2011). Pour parler comme Butler (2010), elle figure à l’autre bout du spectre de l’esthétique télévisuelle. En ce cas, la visualité prédomine et l’oralité se met en retrait. Produite selon les conditions du cinéma (tournage à une caméra, à différents emplacements, sur une période de plusieurs semaines) et diffusée en HD au format 16:9, la sérietélé [9] affiche nombre de traits du grand écran. La scène à l’italienne a disparu au profit de prises de vue de dos, les comédiens pratiquent le non-dit, les amorces sont mises à profit, le découpage est varié, les compositions ont recours au décadrage et le rythme s’avère vif. En somme, le souci de réaliser des images soignées est constant et celui de donner des images signées, présent. Pour le dire à l’aide de l’expression consacrée, qui s’avère ici tout à fait appropriée, la sérietélé Aveux est belle à regarder. Elle distille un plaisir scopique. On peut dire d’Aveux ce qu’un éditorialiste a écrit l’année suivant sa diffusion à propos de la série 19-2 (Podz, 2011-…), à savoir qu’elle offre : « [des] scènes belles comme des fresques, qui donnent le goût de faire “pause”, d’encadrer l’écran puis de l’accrocher au mur ! » (Roy 2011). Cette visualité relève d’une subjectivité métadiscursive. Signalons en effet que, dès la première image du premier épisode, une marquise commerciale proclame en fond de décor… AVE (fig. 13) et que tout au long de la fiction télévisuelle, des flashbacks sont présentés au format 21:9. Dans Aveux, l’autoréflexivité est aussi ludique que constante.

La sérietélé Aveux présente une déliaison fondamentale des sons par rapport aux images, qui non seulement permet à la télé-oralité de se transformer en télé-visualité, mais encore plus de s’offrir, pour souligner son accès à la modernité selon Deleuze (1985), sous les traits d’un temps/oralité. Considérons trois ordres de préoccupations pour saisir ce phénomène. D’abord, la sérietélé Aveux offre des séquences qui rappellent le cinéma de la mémoire. Bousculant la linéarité et mêlant le public, les séquences au présent se révèlent souvent au passé. Ensuite, Aveux offre quantité de flashbacks modulés comme autant de plongées hermétiques dans le refoulé, où le sens s’éclaire au fil des réitérations à la manière de Once Upon a Time in the West (Sergio Leone, 1968). La visualité y débouche sur une temporalité qui confine à l’abstraction, comme il était d’usage dans le cinéma de la modernité. À la faveur de flashbacks où plusieurs personnages sont réunis, les analepses créent des arabesques temporelles : par un montage-temps élaboré, les séquences associent les personnages les uns aux autres. De la sorte, les présents qui cherchent à se disjoindre sont réunis par la mémoire. Aveux permet ainsi de saisir le temps/oralité, littéralement : les temps narratifs se mêlent aux voix narratives. Enfin, cette fiction télévisuelle québécoise contemporaine offre la rare adéquation d’une tragédie à une forme de second degré. Alors que tous les personnages ont peine à parler du passé, en raison du poids de la culpabilité et du fardeau du temps écoulé, leurs voix interviennent souvent sur des lèvres verrouillées, non pas en tant qu’analepses, mais en guise, pour ainsi dire, d’anaphases : comme un temps divisé, où le passé tarde à rattraper le présent, mais y parvient, après quelques lourds instants suscitant le malaise. Le temps/oralité se matérialise à l’écran. La séparation des images et des paroles répétée au début de la sérietélé révèle le contrat énonciatif : le synchronisme des voix intérieures et extérieures interviendra, éventuellement, au moment des aveux. La sérietélé Aveux tient un discours opaque qui fidélise le public : celui-ci veut toujours en savoir plus à l’égard de ce sens, qui se défile élégamment, constamment.

Considérons le premier épisode d’Aveux (diffusé en septembre 2009). Deux séquences permettent d’évaluer le second degré d’expression en acte. La première séquence révèle le fait que la mise en scène compte sur la visualité pour produire le sens. Elle débute en effet par le départ d’un personnage en voiture (fig. 14), se poursuit dans la voiture d’un autre (fig. 15) jusqu’à l’hôpital (fig. 16), où elle se concentre sur un troisième personnage (fig. 17), pour se terminer sur un quatrième (fig. 18). Tous sont certes unis par le drame survenu (le père a eu un malaise cardiaque), mais plus encore par le montage, la musique et… le silence. Un long flashback suit (fig. 19), dont la coloration verdâtre et le format 21:9 (scope) ne laissent pas de doute sur son caractère a-chronologique et sa texture cinématographique. La séquence dépasse le cliché : ayant été amorcée par le regard pensif du quatrième personnage (fig. 18), elle débouche sur celui d’un cinquième (fig. 20). L’analepse joint ainsi par le passé des destinées disjointes au présent [10]. D’autre part, alors que dans une scène un personnage masculin participe à une chorale, où le registre de la voix est mis en relief avec force, et dit ressentir un malaise qui l’amène à devoir aller à l’hôpital, dans la suivante, deux personnages féminins attendent dans un hôpital les résultats des examens médicaux du père. La valse des destinées séduit. Il y a mieux. Le dialogue entre les deux personnages féminins (la mère et la fille) est alors l’objet d’une rupture métadiscursive : les deux femmes parlent, alors qu’à l’image elles demeurent pensives et leurs bouches, verrouillées. Pas moins de trois plans se suivent (fig. 21, 22 et 23) avant que les images ne rattrapent les paroles, qui sont liées au quatrième plan (fig. 24). En substance, les mots nous parvenant un certain temps avant d’être prononcés, la construction autoréflexive fait état des tourments qui s’énoncent avec difficulté et s’attarde sur un regard qui d/énonce sa présence avec sagacité. Dès son premier épisode, Aveux démontre que la sérietélé a délaissé la télé-oralité au profit de la télé-visualité, pour mieux arpenter le terrain du temps/oralité [11].

Figure 13

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 14

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 15

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 16

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 17

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 18

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 19

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

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Figure 20

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 21

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 22

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Figure 23

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

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Figure 24

Aveux, Le passé finit toujours par nous rattraper (Desrosiers, 2009).

© Radio-Canada

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Conclusion sous forme d’épilogue

L’étude des deux objets de la fiction télévisuelle québécoise retenus aux fins du présent article semble confirmer l’hypothèse initiale d’un changement de paradigme esthétique du degré zéro au second degré de l’expression, qui correspond au trajet du cinéma de la monstration à l’énonciation. D’autres « binômes » télévisuels [12] tendent à confirmer le parcours esthétique de la fiction télévisuelle d’un intérêt pour l’oralité à un attrait pour la visualité. Cela dit, il faut apporter une nuance. La fiction télévisuelle québécoise offrait également dès ses origines des séries télévisuelles sur support film qui accordaient sans doute une place plus importante à la visualité, comme Les enquêtes Jobidon (Rolland Guay, 1962-1964). À l’inverse, des fictions télévisuelles donnant aujourd’hui préséance à l’oralité sont néanmoins diffusées, comme L’auberge du chien noir (Carole Desjardins, Robert Gagnon, Christian Martineau et Yves Mathieu, 2002-…). Paradoxalement, le diffuseur (la Société Radio-Canada) rend accessible les objets précédemment étudiés, mais non ceux qui viennent d’être cités, et cela alors que le premier est apparemment conservé dans son intégralité (Croteau et Véronneau 1993). Hasard ou nécessité de valider l’évolution de la fiction télévisuelle ? Par ailleurs, l’intérêt pour le temps/oralité que le présent article met en lumière converge avec une publication récente : Time in Television Narrative: Exploring Temporality in Twenty-First-Century Programming (Ames 2012). Dans l’introduction, Melissa Ames (p. 8-9) écrit en effet :

The most popular television shows of the new millennium have at their center a narrative progression unlike many of those that came before them. These shows play with time […].

En clair, elle signale que la fiction télévisuelle actuelle fait de la temporalité la base de ses préoccupations. Or, puisque l’on sait depuis les travaux de Deleuze (1985), on l’a dit, que le marqueur par excellence de la modernité au cinéma s’avère la temporalité, l’idée mérite attention.

Depuis les avancées de Bolter et Grusin (1999), nous savons que les médias s’inscrivent dans un processus continu de refashioning, nourri d’immediacy et d’hypermediacy. Les travaux des deux chercheurs américains révèlent un progrès continu des médias, en un double mouvement de modelage du nouveau média sur ceux qui le précèdent, et de remodelage des médias existants sous l’effet de l’apparition du nouveau :

What is new about new media comes from the particular ways in which they refashion older medias and the ways in which older media refashion themselves to answer the challenges of new media

p. 15

Lors du colloque Impact des innovations technologiques sur l’historiographie et la théorie du cinéma (Montréal, novembre 2011), nous avons éclairé, Germain Lacasse et moi-même, ce double mouvement par une communication portant sur le sujet : « Cinéma québécois, modernité et télé, ou quand l’oralité et la visualité se (ré)percutent [13] ». Nous avons alors mis en lumière des rapports dynamiques tissés au cours des années 1950 entre apparition de la télévision au Québec et avènement du cinéma québécois. Or, cinq décennies plus tard, de nouveaux rapports dynamiques entre les médias interviennent. Le média interactif (Internet et jeux vidéos, entre autres) apparait et oblige les médias existants à se remodeler. Depuis le début du nouveau siècle, c’est par conséquent au tour de la télévision de se remédiatiser. Est-ce pour ces raisons que le média atteint désormais le second degré d’expression ? C’est ce que nous étudierons au GRAFICS (Groupe de recherche sur l’avènement et la formation des institutions cinématographique et scénique) dans le cadre de la prochaine programmation. À suivre.